Bertrand Fessard de Foucault
premier ambassadeur de France auprès de la République du
Kazakhstan
à Monsieur François
Hollande, président de la
République
Kazakhstan
1992-1995
témoignage
sur le commencement d’une relation d’Etat à Etat
Célèbre par le « transcaspien » de Ferdinand
de Lesseps, par les deux principaux sites stratégiques de l’Union
soviétique : Sémipalatinsk pour les essais nucléaires (également connu
comme une des résidences forcées de Dostoiewski) et Baïkonour pour les
lancements spatiaux (indiqué sur les cartes des années 1980-1990 à près de
mille kilomètres de sa situation géographique réelle), enfin par l’assèchement
de la mer d’Aral (culture intensive du coton en amont de l’Amou-Daria et du
Syr-Daria ? ou résultats d’expérimentations d’armes chimiques ?), le
Kazakhstan n’avait été visité que par les attachés culturels de notre ambassade
à Moscou… et par le général de Gaulle, seul avec Maurice Couve de Murville et
son aide de camp, invités à assister au lancement d’un engin spatial (à cette
occasion, il est photographié coiffé d’un chapeau de paille…), quand Roland
Dumas, ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand y vint ouvrir les
relations diplomatiques d’Etat à Etat.
J’ai eu l’honneur d’ouvrir l’ambassade (alors à
Alma-Ata, extrême sud-est du pays, à la frontière chinoise et sous le vent des
essais nucléaires de la
République populaire à 800 kilomètres de
là), le président d’alors refusant pour m’y nommer le « candidat » du
Quai d’Orsay, dont je n’ai jamais su le nom.
Je partis sans instruction ni fond de dossier que
d’essayer une installation aussi commune que possible avec la représentation
allemande. Le Conseil d’Etat avait refusé une « percée » en politique
étrangère commune dont Roland Dumas avec son ami et complice Hans Dietrich
Genscher avait eu l’idée, des ambassades communes aux deux pays. Nous
essaierions, à défaut d’osmose, une unité d’action et un parler commun. Très
vite, cette option s’avèra particulièrement opportune au Kazakhstan dont la
population – en Juin 1992 – se répartissait principalement entre Kazakhs 40%,
Russes 35% et Allemands 10% (installés sur la Volga par Frédéric II à la demande de Catherine
II, puis déportés par Staline en 1942).
Les moyens humains et matériels de cette ouverture ne correspondaient
manifestement à aucun dessein de la
France sur ce pays où notre représentant devait également
être accrédité à Bichkek, Douchambé et peut-être même Tachkent. Ni non plus à
une pénétration commerciale à proportion de l’expansion économique d’une
République la plus délaissée de l’Asie soviétique jusqu’à la fin des années
1950 et devenue l’objet des plus puissants investissements industriels et
technologiques ensuite. La chance voulut que je fusse accompagné d’un attaché
de défense au grand avenir, l’actuel général Bouchaud, déjà familier du
renseignement et des télécommunications et qui plus tard a commandé en second
au Darfour pour les Nations Unies, d’un conseiller économique et commercial,
déjà éprouvé et doué d’un talent de grande proximité avec les entreprises de
quelque taille qu’elles soient, Francis Bouquin, et d’un attaché culturel, ayant
épousé une Kazakhe, Dominique Indjoudjian : tous trois russophones
accomplis. En regard, seules, deux autorités à Paris privilégiaient le
Kazakhstan : le gouverneur de la
Banque de France, de la Rosière préférant une pluralité de signatures
pour répondre de la dette soviétique et le ministre de la Défense, Pierre Joxe (son
père, Louis, était notre ambasdsadeur à Moscou quand le général de Gaulle
revint aux affaires en 1958) soucieux de la possible prolifération nucléaire
voire du trafic des armes échappant au contrôle de Moscou, du fait des
indépendances inopinées des Républiques fédérées. Un bilan des opportunités
minières du Kazakhstan, notamment de métaux stratégiques ou rares comme le
titane ou le bérhyl, ne put être obtenu du ministère de l’Industrie que l’été
de 1994, soit deux ans après l’ouverture de notre représentation. La D.R.E.E. (direction des
relations écoomiques extérieures à Bercy), alors souveraine pour l’octroi des
crédits à l’exportation et de la garantie de la Coface), ne fit offrir aux
hôtes de François Mitterrand venant en visite d’Etat, en Septembre 1993, que la
moitié de ce qu’il était possible et même prévu par une partie de ses cadres.
Quant au Trésor, il fut contraint de s’aligner sur son homologue allemand quand
en tête-à-tête des deux présidents à l’Elysée, en Septembre 1992, Nursultan
Nazarbaev se plaignit de la ladrerie française. Cause unique et décisive de ma
nomination puisque je n’étais pas de « la carrière » mais seulement
issu du corps de l’expansion économique à l’étranger, depuis ma sortie de
l’Ecole nationale d’administration : les conversations et les
correspondances directes et personnelles dont François Mitterrand m’honorait
depuis Juin 1977, ce qui me donna la communication directe avec le président de
la République
pour des opportunités ou le traitement de sujets que nous jugions, mes
collaborateurs et moi, importants contrairement à l’opinion de nos
administrations respectives à Paris. Ainsi se « monta » un déjeuner
de Nursultan Nazarbaev à l’Elysée, à son retour d’une première visite aux
Etats-Unis (en Février 1994) pour qu’en dépit des avances prévisibles des
Américains, le Kazakhstan reste ouvert à d’autres que l’unique superpuissance
de l’époque. La confiante amitié de Pierre Bérégovoy depuis 1983 me donna aussi
l’outil qui m’apparaissait décisif pour notre langue et pour notre
influence : proposer de mettre sur pied une Ecole nationale
d’administration ou des cadres publics.
Ce témoignage n’a évidemment pas pour objet principal
de dénoncer un fonctionnement et surtout une étroitesse et une rigidité
d’analyse de nos administrations quand il s’agit de nos relations avec
l’étranger – puisqu’il faut espérer que cela a changé en vingt ans… Quant à
l’avantage personnel de disposer, hors ces administrations, d’entrées et
d’appuis qu’on peut croire décisifs, mon expérience a été concluante.
J’essaie ici de dire succinctement la chance et
l’opportunité qui s’offraient à nous au Kazakhstan quand nous y arrivâmes
officiellement. Sans avoir suivi nos relations bilatérales ni l’évolution de ce
pays, depuis mon rappel intervenu en Février 1995 dans des conditions telles
que le Conseil d’Etat annula en Novembre 1997 le décret pertinent – je
crois que cette chance et cette
opportunité peuvent se présenter à nouveau selon la fin et la succession du
régime de Nursultan Nazarbaev, et aussi selon l’évolution de l’extrême-ouest
chinois.
Le Kazakhstan n’avait en 1992 aucune expérience de
relations étrangères et hors les permis obtenus par Elf – dont le président,
alors Loïc Le Floch Prigent, était
demandeur explicite d’une connaissance fiable des réseaux, circuits et
processus de décision à Almaty d’autant qu’il venait de se séparer pour ce
genre d’évaluation de son conseiller insuffisant dans les affaires chinoises –
et deux importants marchés de constructions civiles prestigieuses portés par
Bouygues, nous n’avions pas de pénétrantes dans le système local encore
soviétique. Les séances du Soviet suprême de l’Etat nouvellement indépendante
restaient à huis-clos jusqu’à ce que je parvienne, pour les plénières, à
montrer l’intérêt de l’ouverture au public, dont le corps diplomatique – ma
rapide accréditation m’en ayant donné le décanat quand les messagers turc et
chinois de la première heure furent repartis. Et dès la préparation du voyage
du président kazakh à Paris, à la suite de sa visite en Allemagne – en
coincidence avec l’ouverture de nos relations diplomatiques – le choix apparut
entre des relations directes ou selon l’entremise d’intermédiaires
financièrement intéressés. L’équivalent de notre secrétaire général de la
présidence de la République
– Abikaev, directeur de l’ « appareil présidentiel » – souhaitait que
nos relations échappent à la corruption, le programme de son maître à Paris en
serait la démonstration. Le contraire s’organisa : Alex Moskovitch,
ukrainien francisé par sa participation à la Résistance et au
R.P.F. , chargé même dans les années 1950 de la police et de l’immobilier
au Conseil municipal de Paris, quitta la France dans les « bagages » de Vinogradov et
s’attacha à la carrière de Nursultan Nazarabev, prenant dès lors un pourcentage
sur toutes affaires à conclure avec nous, notamment, sans cependant – ce que montra
la concurrence Airbus-Boeing en haut lieu – nous laisser, même moyennant
finances, l’exclusivité de son influence. Elle valait aussi à Paris, par la
protection de Jean-Pierre Chevènement croyant lui devoir, quand il avait été
ministre de la Défense,
quelques renseignements sur les « avions furtifs » soviétiques :
ainsi, le bi-national eut-il jusqu’à sa mort (bien après la fin de ma mission)
accès aux télégrammes de notre ambassade. Ce personnage, pas de l’ombre,
organisa le doublon des entretiens présidentiels en Septembre 1993 à Almaty,
pour Alain Juppé, François Fillon et Gérard Longuet qui accompagnaient François
Mitterrand depuis la Corée
du sud : à l’insu du président français, et trouva son alter ego avec le
fils de Charles Pasqua. La suite est dans l’actualité. Il procura aussi à
Nursultan Nazarbaev dès l’été de 1992 une villa près de Saint-Tropez jouxtant
celle de la personnalité lorraine. Sans que je sache si le jeu prospéra, le
député puis sénateur de Montesquiou s’introduisit dans la relation franco-kazakh
à compte manifestement personnel, à la première occasion d’une mission
parlementaire.
En Juin 1992, deux évidences pour tout commencer.
Le Kazakhstan a la masse critique pour une
indépendance véritable, c’est-à-dire une émancipation réelle vis-à-vis de
Moscou, d’autant que – nos visites des principaux sites industriels, hors ceux
du nucléaire et du spatial, nous en convainquirent – les investissements russes
avaient pratiquement cessé plusieurs années avant l’implosion soviétique. Il
dispose d’éléments décisifs pour imposer son point de vue à la métropole
puisque les installations stratégiques de Moscou, et donc l’un des paramètres
pour le rang mondial de la
Russie, sont sur sol kazakh, ce qui est d’ailleurs reconnu
par le grand partenaire qui a toléré la vente clandestine aux Américains des
têtes nucléaires stockées au Kazakhstan, et puisqu’il constitue un des éléments
les plus forts du « limes » vis-à-vis de la pénétration islamique et
de la puissance chinoise.
Mais le Kazakhstan est enclavé géographiquement et
commercialement. S’il se trouve d’autres partenaires – de poids – que la Russie, il s’émancipe. Les
éventualités d’une évacuation du pétrole dont la production était
potentiellement estimée, en 1992, à hauteur de celle du Koweit, par un système
de compensation avec l’Iran évitant les transits vers la Turquie par la Russie méridionale ou des
pays tiers, ainsi que la discussion du statut de la mer Caspienne – mer ou
lac ? – furent en gestation pendant toute ma mission. L’Amérique devait
finalement financer des tracés contrôlés par Moscou. L’investissement dans
l’extraction de métaux stratégiques et pas seulement dans l’or pouvait relayer
le désintérêt passager de la
Russie et assurer l’indépendance de la France et de l’Europe
vis-à-vis des Etats-Unis, et certainement pour des prix inférieurs à ceux
imposés dans l’ambiance atlantique. Nous nous y refusâmes. De même que la
direction d’Elf à l’époque, ainsi que Total arrivant, ne varièrent pas dans
leurs certitudes de localiser les gisements pétroliers, seulement à Aktioubinsk
ou au large d’Atyrau en mer, alors que l’ambassade était constamment
approchée, cartes géologiques à l’appui annotées depuis les années 1950,
nos relations nous préférant à la plupart des autres prospecteurs et intérêts.
La personnalité et l’autorité de Nursultan Nazarbaev
constituaient le second élément – déterminant – pour l’établissement de notre
partenariat. L’expérience de trente mois, de nombreuses conversations avec des
responsables en place ou y ayant été, dans « l’intérieur » du pays et
dans la capitale d’alors, une relation assez personnelle et aussi l’observation
du président en séances du Soviet suprême auxquelles la Constitution de
l’époque, même après révision, lui permettait de participer avec des votes sensibles
pour l’adoubement notamment des membres du gouvernement ou des directeurs de
grandes institutions, me confirmèrent ce que les événements d’Août 1991 avaient
montré au monde. Les points forts du système soviétique étaient ceux-là même
que les spécialistes occidentaux – dont Hélène Carrère d’Encausse –
prétendaient les points faibles : le système ne s’effondra pas en Asie,
mais en Europe, dans les pays baltes et dans tout ce qui avait été établi en
collusion avec l’Allemagne nazie. L’évolution pensée par Mikhaïl Gorbatchev
laissait à ce dernier la politique extérieure et la présidence de l’Union, mais
le fonctionnement du parti et la politique intérieure seraient confiées à un
hallogène : Nursultan Nazarbaev. Cette dimension n’avait pas échappé à
François Mitterrand qui le rencontra au sommet de la CSCE en Scandinavie, en
Juillet 1992 : les deux présidents se prirent alors d’estime.
La réalité de l’époque n’était pas cependant pas d’un
pouvoir invulnérable. A la tête du gouvernement du Kazakhstan dès 1986,
Nursultan Nazarbaev pris parti contre l’opinion populaire et notamment celle de
la jeunesse étudiante quand Moscou voulut imposer à la tête du PC local – pour
succéder au très populaire Kounaev – un inconnu, Russe de surcroît. Le
nationalisme kazakh, patent lors de la révolution bolchevique, puisqu’une
indépendance éphémère avec une capitale au centre de gravité du pays (Kzyl-Orda)
fut proclamée, réprimée ensuite et que la mémoire collective est celle d’une
famine organisée pour le génocide des Kazakhs dans les années staliniennes,
trouva l’occasion de se manifester. Je suis certain que ce nationalisme
demeure, qu’il sépare le président régnant de la population et même des élites
kazakhes. Dans les commencements dont j’ai été témoin, deux faits ont signifié
le choix du président contre le sentiment populaire. Le premier a été – en
débat parlementaire laborieux – le changement de la date pour la fête
nationale. La proclamation de l’indépendance en 1991 se fit à l’anniversaire du
massacre des étudiants en Décembre 1986, zélé par le chef du gouvernement pour
défendre le choix de Moscou dans la succession de Kounaev à la tête du parti.
Sous prétexte du froid sibérien compliquant une commémoration trop hivernale,
la date de l’autonomie interne acquise en Octobre 1991 fut préférée. Le second
événement a été le choix de transférer la capitale – de l’extrême sud-est qui
marquait la volonté des Tzars d’avancer vers l’Inde – à la quasi-frontière de la Russie, en zone
« cosaque », et de choisir Astana, alors Akmola, mais longtemps
Selinograd, chef-lieu des « terres vierges » et en fait territoire du
goulag. Le siège du pouvoir ainsi situé peut aussi bien signifier une veille
kazakh vis-à-vis de tout séparatisme en faveur de la Russie : les deux pays
divergeant, dans leurs opinions nationales, sur la position de la frontière
bien plus au nord selon le Kazakhstan, bien plus au sud selon la Russie… qu’une garantie
donnée à Moscou sur la proximité du partenaire kazakh. Proximité décisive alors
que l’Ukraine fait défaut.
Le destin semblait hésiter entre 1992 et 1995. Sans
rival à l’intérieur – sinon, peut-être, le très populaire et médiatique
fondateur du mouvement anti-nucléaire Nevada-Semipalatinsk, l’écrivain (publié
en traduction chez Gallimard, Oljas Souleimenov) – Nursultan Nazarbaev est
également débarrassé des structures et habitudes collégiales, de plus en plus
démocratiques à la tête de l’Etat, à mesure que Mikhaïl Gorbatchev avait changé
l’ambiance et l’emprise du PCUS. La direction n’est pas encore monocratique, mais
elle montre en fin de ma période des tendances à privilégier la parenté, ce qui
amènera ensuite aux revirements connus. L’alliance matrimoniale se prépare avec
l’homologue ouzbek. La santé du président n’apparaît pas tout à fait
certaine : des examens à plusieurs reprises, non publiés, à Vienne
(Autriche) peuvent interroger. Les relations extérieures ne sont pas encore
définies. La dissolution unilatérale et sans préavis de la zone rouble
embarrasse – en Août 1993 – le Kazakhstan. Nursultan Nazarbaev doit intervenir
dans la nuit à la télévision pour expliquer la naissance du tiengué, toute la
question n’étant pas vraiment celle-là mais la circulation résiduelle du
rouble. Un scenario à la yougoslave (Belgrade en Juin 1991 à quelques jours des
payes mensuelles dans les Républiques fédérées, signifie que
l’approvisionnement des banques en billets, ailleurs qu’en Serbie, n’est plus
assuré : c’est le casus belli en Slovénie et en Croatie). Le siège de la Douma et la façon de coup
d’Etat à Moscou quelques mois plus tard fait appréhender que l’exemple soit
suivi à Almaty, d’autant qu’à la suite des élections législatives l’ancien
président de l’Assemblée passe à l’opposition. Tout reste larvé, la presse est
censément libre et pluraliste mais la
Pravda locale, sous contrôle gouvernemental, a seule une
véritable diffusion. Les partis peuvent se former librement, y compris l’ancien
parti communiste devenu parti socialiste. Le Premier ministre, d’origine
ukrainienne, laissé en place pendant les deux premières années de
l’indépendance, est remplacé inopinément, puis son successeur aussi : ils
sont kazakhs, la nouvelle Constitution impose que le président de la République ait pour
langue maternelle le kazakh, mais l’idiome quotidien et la rédaction de tout
texte sont le russe. Ces équilibres identitaires sont moins marquants – pour
l’étranger et l’observateur que je suis – que l’évident loyalisme des ethnies
minoritaires, notamment les Russes et les Allemands. Les premiers ont égalité
de chances de carrière gouvernementale et administrative avec les Kazakhs. Il
est vrai que ces derniers n’ont qu’une majorité relative sur les Russes, même
si d’années en année elle se renforce. L’émigration russe et surtout allemande
inquiète le pouvoir : les Allemands « tiennent » l’agriculture
au nord, et les Russes les grandes compétences industrielles. S’il n’y a pas
d’équilibre des pouvoirs, si le monisme caractérise le système puisque
physiquement le président fait partie de l’assemblée unique – à l’époque – il y
a débat public au Soviet suprême, des nominations sont refusées et la
conversation avec les responsables – y compris les militaires et ceux qui
dirigent le renseignement – ne sont pas en langue de bois.
La France a alors un beau jeu. Elle n’est pas suspectée comme
l’Allemagne d’amoindrir les capacités du pays par l’émigration de sa
nationalité qu’elle subvention selon la
Loi fondamentale de 1949 sur le retour à la nationalité
ancestrale, suspicion accentuée par le
fait que l’aide au départ porte souvent sur un nouvel établissement non pas en
République fédérale, mais dans l’ex-Prusse orientale, l’oblast de Korolev. Elle
entretient une coopération scientifique et technique dans les domaines
nucléaire et spatiaux, mais c’est à ce propos que nous refusons – malgré tous
mes efforts pour convaincre sinon « Paris », le Quai d’Orsay, du
moins les ministres compétents – une relation non soumis à Moscou. Il s’agit de
traiter directement avec le pays territorialement souverain, les lancements
nous concernant à Baïkonour et d’offrir aux Kazahs le partenariat de Kourou. Il
peut s’agir aussi de faire davantage sur certains sites nucléaires, notamment
sur la Caspienne. Dès
le début de ma mission, invité par les Kazakhs à voyager dans leur avion pour
le tir d’une fusée emportant un de nos compatriotes, pas encore notre
cosmonaute féminin à laquelle s’intéresse beaucoup le chef d’état-major kazakh,
je sens très vivement la frustration de mes hôtes de n’être pas chez eux à
Leninsk et à Baïkonour ; ils ne le sont pas davantage à Semipalatinsk.
Certains autres sites non loin d’Astana, que nous n’avons pu alors visiter,
sont encore plus fermés à l’étranger ainsi qu’à,la souveraineté du Kazakhstan,
alors que l’ensemble est seulement sous location et moyennant de fortes
redevances. A mon époque. Henri Currien que j’ai pratiqué pendant la
cohabitation 1986-1988 et que j’aurais vu comme Premier ministre de
conciliation nationale en 1988, accepte de dialoguer sans les Russes avec la
délégation kazakhe. Mais du côté français, les gérants de ces journées et de la
suite des coopérations tandis que changent les statuts internationaux, sont le
nouvel ambassadeur à Moscou – Pierre Morel – qui est accrédité dans toutes les
Républiques anciennement fédérées où nous n’envoyons pas un représentant ad hoc
(ainsi la Moldavie
aux frontières de la Roumanie,
ou Bichkek à pas deux heures de voiture d’Almaty) et Anne Lauvergeon,
secrétaire général adjoint à l’Elysée. L’ouverture n’a pas lieu, une
alternative à l’emprise russe, alternative au moins partielle et à l’essai,
n’est pas offerte au Kazakhstan, alors que cela nous était possible et que
c’était souhaité. Suivre une visite de centrale à Aktau avec la délégation
française convainc vite qu’il n’y a pas eu d’intimité ni personnelle ni
scientifique contrairement à la supposition des voyages et des financements.
Tout se passe – à l’époque – comme si nous
n’imaginions pas que la dissolution de l’empire soviétique puisse conduire
aussi à une décolonisation russe. Nous ne le souhaitons pas comme si contribuer
à l’indépendance du Kazakhstan risquait de nous brouiller avec Moscou que nous
supposons et voulons seul maître des coopérations que nous voulons mais n’avons
pas – me semblait-t-il alors – beaucoup poussé malgré la « percée »
diplomatique éclatante opérée par le général de Gaulle à partir de 1966.
Nous ne sommes pas les seuls à pousser les Kazakhs
dans les bras russes au lieu de les attirer dans les nôtres, s’ils hésitaient
vraiment. L’obligation que les « Occidentaux » font au Kazakhstan, en
concertation mutuelle constante, de signer et ratifier le traité de
non-prolifération nucléaire conduit forcément celui-ci à s’interroger sur qui
le protègera d’une tierce puissance nucléaire, singulièrement la
Chine. La réponse est univoque puisque les
« Occidentaux » ne répondent pas, surtout les Etats-Unis, devenu à
pas trop de frais et sans négociation internationale, la surpuissance nucléaire
par l’acquisition du potentiel russe resté au Kazakhstan. A l’automne de 1994,
le protectorat de Moscou est donc souhaité, l’heure est passée, la Communauté des Etats
indépendants se négocie et le Kazakhstan en est fervent, ce qu’il n’était pas
deux ans auparavant. Le régime de Boris Eltsine n’a pas de quoi inquiéter qui
que ce soit, on s’ingénie au contraire à renforcer financièrement et économiquement
la Russie en
même temps qu’on enseigne dans tout l’ancien empire soviétique tout l’intérêt
de privatiser. A l’un de mes premiers transits par Moscou vers la France, je fus abordé juste
avant de passer la police par un inconnu me remettant une grosse enveloppe à
exploiter quand je serai à Paris, comment savait-il ma qualité d’alors.
C’étaient l’état de l’ex-flotte soviétique en mer Noire et notamment dans les
ports de Crimée. Je remis les photographies au cabinet, rue Saint-Dominique
sans commentaire ni communication pour les couvrir.
Je veux conclure. Malgré des intuitions et des bonnes
volontés – Pierre Bérégovoy, peut-être à cause de ses racines personnelles, eut
seul au gouvernement une projection précise vers les pays de l’Est et les
anciennes Républiques fédérées, son institution ad hoc, la MICECO – nous n’avons pas
« mis le pied dans la porte » quand implosa l’Union soviétique. La
question était double mais d’un seul mouvement, d’un seul tenant. Contribuer à
l’émancipation des anciens satellites, dont, avec l’Ukraine, le Kazakhstan
était le plus important en potentialités économiques, en acquis sur place, en
géographie militaire. Faire naître une osmose avec les pays démocratiques
européens. La Russie
était défaillante à tous égards entre 1992 et 1995, le régime intérieur du
Kazakhstan n’était pas encore une dictature (laquelle s’installa en 1995 avec
une « prorogation » du mandat présidentiel et commença par des
éliminations en douceur : des postes à l’étranger, à commencer par Oljas
Souleimenov à l’Unesco…, puis Joukeev, le renseigement et la sécurité, à
Tokyo… Abikaev à Londres, et ainsi de suite jusqu’à plus mortifère). C’était le
moment. Nursultan Nazarbaev n’avait plus de partenaire, de sa trempe et de sa
formation à Moscou et n’en a retrouvé qu’avec Poutine, lequel sut admirablement
proposer une C.E.I. sur soi-disant le modèle européen… l’évolution de la Chine n’était pas encore
sujet de préoccupations frontalières… François Mitterrand l’intéressait
beaucoup : un sage et la
France où bien des Kazakhs avaient émigré, dans des
conditions rocambolesques, pour participer à notre Résistance.
Notre attaché de Défense et moi avons au moins laissé
sur place ce qu’il appartenait à la
France de saluer : le souvenir honorable des
« malgré-nous », plus de mille inhumés à Spassk, au sud de Karaganda
morts de force à la façon dont l’Allemagne les avait requis et de fatigue comme
tous les déportés de Staline [1].
L’expérience a montré à toute notre première équipe de pionniers à Almaty que
les gens du Kazakhstan – hommes et femmes, patriotes au possible – nous
comprennent à mi-mot quand il s’agit de travailler, d’extrême confiance
mutuelle, ensemble. Ce qui est loin de l’indifférence parisienne et de
l’analyse conservatrice de notre ambassade à Moscou, à l’époque : la chute
de l’U.R.S.S. devait ne rien changer. L’unité allemande (en fait l’absorption
d’une République par une autre, payée de l’abandon définit d’un tiers du
territoire de 1913) et donc l’émancipation mentale des dirigeants d’outre-Rhin,
étaient déjà beaucoup à accepter. Les dialectiques et menaces actuelles sont
nées de notre inertie en 1992-1995. Particulièrement au Kazakhstan. C’est à
l’écho quasi nul suscité à Paris par l’ambassade qu’on avait voulu pourtant
ouvrir là-bas, au pied des monts Staline, que cette inertie pouvait
quotidiennement se mesurer pendant la mission que j’eus l’honneur diriger
alors.
La steppe kazakhe, immense, est vivante, pas seulement
par la traversée improviste de troupeaux d’ovins, intense de présence comme une
inondation arrivant puis allant plus loin, mais du fait d’une sorte
d’émancipation de l’humain et du végétal, chacun persistant sans racine,
qu’aérienne, spirituelle. Nous – la
France, organisée, ancrée en histoire et en géographie depuis
un millénaire et demi – sommes-nous capables d’une telle vie, dont le critère
est l’accueil ?
Dimanche 30 Novembre . Lundi 1er Décembre 2014
[1] - en
prévision de la visite de Nicolas Sarkozy à l’automne de 2009, notre
ambassadeur à Astana jugea « politiquement incorrect » le maintien de
la stèle que Guy Bouchaud et moi avions érigée sur le site, geste à nos frais
personnels faute que le Département, dûment averti à l’avance et rappelé à
ses instructions d’honorer toute mémoire française au Kazakhstan, qu’avaient
imité une vingtaine d’autres pays : des Baltes au Japon… Les Dernières
Nouvelles d’Alsace, saisissant l’opinion, eurent aussitôt raison de ce zèle
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