Discours sur la dissuasion nucléaire
déplacement de M. François Hollande, président de la République, auprès des forces aériennes stratégiques. Istres (13)
publié le 19 Février 2015
Messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs les élus, les parlementaires,
Monsieur le Chef d’Etat major des Armées,
Monsieur le Chef d’Etat major de l’Armée de
l’air,
Mesdames et messieurs.
Je suis sur la base d’Istres,
une base aérienne. Vous m’accueillez aujourd’hui, c’est l’Armée de l’air, et je
tiens à rendre hommage en cette circonstance, aux pilotes navigateurs
mécaniciens qui ont payé de leur vie, ont été durement touchés dans leur chair
il y a moins d’un mois, lors de ce terrible accident survenu en Espagne, à
Albacete.
Une fois encore, nos armées
ont payé un lourd tribut pour la sécurité de notre pays. Je tiens une fois
encore, à rendre hommage aux personnels militaires qui se dévouent pour
l’indépendance de la France.
C’est le sens même de ma
visite ici.
L’Armée de l’air démontre tous
les jours, sa capacité à assurer la protection du territoire national contre
d’éventuelles attaques venues du ciel. L’Armée de l’air est également capable
de déployer des moyens puissants, loin de la métropole, pour des opérations
extérieures. C’est une des réponses que nous apportons, à notre place, dans la
limite de nos engagements, à la lutte contre le terrorisme. L’Armée de l’air
peut frapper des cibles hostiles, comme elle le fait en Irak ou au Sahel.
L’Armée de l’air enfin, contribue à la mise en œuvre de la dissuasion
nucléaire, et c’est l’objet du discours que je veux prononcer, aujourd’hui,
devant vous.
J’appartiens à une génération
qui a eu la chance inestimable, de ne pas avoir connu la guerre sur le sol de
son pays. Mon père, mon grand-père avaient connu la guerre, les guerres. Né au
début des années 50, j’ai eu cette formidable chance, en effet, d’être épargné
par ces conflits. Mais, en même temps, ce qui s’est passé à l’est de l’Europe,
depuis un an, nous rappelle que la paix ne doit jamais être considérée comme
acquise.
De la même manière, la course
aux armements a repris dans de nombreuses régions du monde, avec une
augmentation importante, rapide même, des dépenses militaires et des arsenaux,
dans un contexte de montée des tensions. Il y a des Etats qui investissent dans
des technologies, qui peuvent être de nature à fragiliser les équilibres
stratégiques que nous connaissons. Plusieurs développent même, des logiques
d’influence, de menaces, dans leur environnement proche, terrestre ou maritime.
Aussi, et c’est particulièrement
grave de le constater, la possibilité de conflit étatique nous concernant
directement ou indirectement, ne peut pas être écartée. Dans le domaine du
nucléaire militaire, de nouvelles puissances sont apparues ces vingt dernières
années. D’autres cherchent à émerger, et les Etats qui avaient été, jusqu’à
présent, dotés d’arme nucléaire et qui professaient l’urgence de leur
désarmement, ont même accru leur capacité avec le développement de nouvelles
composantes nucléaires, ou la poursuite de production de matière fissile pour
les armes.
En parallèle, des arsenaux
tactiques se renforcent, qui laissent craindre un abaissement du seuil d’emploi
de l’arme nucléaire. Dans ce contexte, que doit faire la France ? Appeler
toujours à l’organisation d’un monde plus sûr ; c’est ce que fait notre
diplomatie. Mais la France doit être lucide. Elle sait qu’il ne suffit pas de
proclamer le désarmement nucléaire immédiat et total, il faut que la réalité
des actes de chacun soit cohérente avec les discours.
La France a donc décidé de
lutter contre une des menaces les plus graves qui pèse sur la stabilité du
monde, la prolifération des armes de destruction massive.
Tout accroissement du nombre
d’Etats possédant l’arme nucléaire est un risque majeur pour la paix ;
dans les régions concernées d’abord, mais aussi pour la sécurité
internationale.
C’est le sens de la position
que nous avons adoptée depuis déjà plusieurs mois pour ne pas dire plusieurs
années, dans les négociations avec l’Iran. Si je voulais résumer ce qu’est
notre attente par rapport à cette négociation, c’est très simple : oui au
nucléaire civil, non à l’arme nucléaire. Le problème est que pour l’instant
l’Iran ne nous a pas encore démontré qu’il voulait renoncer à la bombe. Mais
dès qu’il le fera, l’accord sera conclu.
De son côté, la Corée du Nord
a réalisé un troisième essai nucléaire il y a deux ans. C’est aussi
inacceptable, qu’inquiétant.
Mais il n’y a pas que la
prolifération nucléaire, il y a aussi la prolifération chimique, biologique et
des vecteurs qui sont associés.
En Syrie, c’était à l’été
2013, un tabou fondamental de notre système de sécurité collective a été brisé,
puisque le régime de Bachar EL- ASSAD a employé des armes chimiques contre sa
propre population. Il a fallu la menace de recourir à la force, pour que soit
engagée la destruction des stocks, usines et armes chimiques, déclarés par le
régime de Bachar EL-ASSAD.
Ce processus est aujourd’hui
terminé. Mais je ne suis pas pour autant complètement rassuré, car il reste des
zones d’ombre et il est hautement probable que des bombes contenant du chlore
aient été larguées, il y a moins d’un an sur des villages syriens.
Prolifération ; menace
globale sur le monde. Prolifération ; forcément menace sur la France.
Certes, la France ne se sent
pas directement agressée, elle n’a pas d’ennemi déclaré, mais nous avons vu, je
le rappelais, au cours des douze derniers mois, la crise ukrainienne, la montée
en puissance de Daesh, l’attaque informatique d’une ampleur inégalée contre
SONY ; des surprises donc, voire des ruptures sont possibles. Et la
réapparition d’une menace étatique majeure pour notre pays, ne peut être
exclue.
Alors en tant que chef de
l’Etat, j’ai le devoir impératif de prendre ces menaces en compte, car rien ne
doit atteindre notre indépendance. Le contexte international n’autorise aucune
faiblesse. Et c’est pourquoi, le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas
dépassé. Il ne saurait être question, y compris dans ce domaine, de baisser la
garde.
Je vous l’ai dit, c’est ma
responsabilité en tant que Président de la République, en tant que chef des
Armées.
En la matière, comme l’avait
dit le président François MITTERRAND, le chef de l’Etat est le premier citoyen
en France à avoir son mot à dire et à décider.
La dissuasion nucléaire vise à
protéger notre pays de toute agression d’origine étatique contre ses intérêts
vitaux, d’où qu’elle vienne, et quelle qu’en soit la forme. J’ajoute que pour
la France, l’arme nucléaire n’est pas destinée à remporter un avantage
quelconque dans un conflit. En raison des effets dévastateurs de l’arme
nucléaire, elle n’a pas sa place dans le cadre d’une stratégie offensive, elle
n’est conçue que dans une stratégie défensive.
La dissuasion, c’est aussi ce
qui nous permet de préserver notre liberté d’action et de décision en toute
circonstance, parce que c’est elle qui me permet d’écarter toute menace de
chantage d’origine étatique qui viserait à nous paralyser.
La France est l’un des rares
pays au monde dont l’influence et la responsabilité se situent justement à
l’échelle planétaire. Parce que la France peut exercer ses responsabilités.
Parce que chacun sait que lorsque la France parle, elle peut passer à l’acte.
Et les forces de dissuasion permettent de garantir que les engagements
internationaux de la France seront toujours honorés, même si l’emploi de l’arme
nucléaire n’est concevable que dans des circonstances extrêmes de légitime
défense.
Nos forces nucléaires doivent
être capables d’infliger des dommages absolument inacceptables pour
l’adversaire sur ses centres de pouvoir, c'est-à-dire, sur ses centres
névralgiques, politiques, économiques et militaires.
C’est la responsabilité
suprême du Président de la République d’apprécier en permanence la nature de
nos intérêts vitaux et les atteintes qui pourraient y être portées.
L’intégrité de notre
territoire, la sauvegarde de notre population constituent le cœur de nos
intérêts vitaux. Quels que soient les moyens employés par l’adversaire étatique
nous devons préserver la capacité de notre nation à vivre. Tel est le sens de
la dissuasion nucléaire.
Néanmoins, je ne peux exclure
qu’un adversaire se méprenne sur la délimitation de nos intérêts vitaux. C’est
pourquoi je veux rappeler ici, que la France peut, en dernier ressort, marquer
sa volonté à défendre nos intérêts vitaux par un avertissement de nature
nucléaire ayant pour objectif le rétablissement de la dissuasion.
La définition de nos intérêts
vitaux ne saurait être limitée à la seule échelle nationale, parce que la
France ne conçoit pas sa stratégie de défense de manière isolée, même dans le
domaine nucléaire. Nous avons affirmé à de nombreuses reprises, avec le Royaume
Uni, avec lequel nous avons une coopération sans équivalent, cette conception.
Nous participons au projet européen, nous avons construit avec nos partenaires
une communauté de destin, l’existence d’une dissuasion nucléaire française
apporte une contribution forte et essentielle à l’Europe. La France a en plus,
avec ses partenaires européens, une solidarité de fait et de cœur. Qui pourrait
donc croire qu’une agression, qui mettrait en cause la survie de l’Europe,
n’aurait aucune conséquence ?
C’est pourquoi notre
dissuasion va de pair avec le renforcement constant de l’Europe de la Défense.
Mais notre dissuasion nous appartient en propre ; c’est nous qui décidons,
c’est nous qui apprécions nos intérêts vitaux.
Je veux également préciser ce
qui est notre relation avec de nombreux Etats, qui, parties au Traité de non
prolifération, demandent des garanties contre le recours ou la menace de
recours aux armes nucléaires. C’est une aspiration légitime. La France a fait
une déclaration unilatérale, qui n’enlève rien à son droit à la légitime
défense, et le Conseil de sécurité en a pris acte en 1995. La France a confirmé
ses engagements au titre de la mise en œuvre des zones exemptes d’armes
nucléaires dans plusieurs régions du monde. C’était nécessaire.
Aujourd’hui, je réaffirme
solennellement que la France n’utilisera pas d’armes nucléaires contre les
Etats non dotés de l’arme nucléaire, qui sont parties au Traité de non-prolifération
et qui respectent leurs obligations internationales de non prolifération des
armes de destruction massive.
Je veux également préciser
notre relation avec l’Alliance Atlantique. L’Alliance Atlantique a une vocation
nucléaire et les forces stratégiques indépendantes, comme la France et le
Royaume-Uni en disposent, ont un rôle spécifique à jouer et contribuent à la
dissuasion globale.
Ce constat, fait par tous,
n’implique pas de changement de posture de notre pays. La France ne participe
pas aux mécanismes de planification nucléaire de l’OTAN et la France ne
participera pas à ces mécanismes. Ce principe demeurera. En revanche, la France
souhaite contribuer à la définition de la politique nucléaire de l’Alliance. A
cet égard, tous les pays membres de l’OTAN doivent faire preuve de constance et
de détermination dans cet engagement.
Voilà, Mesdames et Messieurs,
ce que je voulais dire sur les fondements même de notre politique de
dissuasion.
Je veux maintenant en arriver
aux forces qui permettent de la mettre en mouvement et en ordre. Il y a
maintenant plus de cinquante ans, en application d’un décret du président de la
République, créant les Forces aériennes stratégiques, un Mirage IV prenait pour
la première fois l’alerte avec une bombe nucléaire. Depuis cet acte décisif,
pas un jour, pas une heure, sans que la permanence de la dissuasion nucléaire
n’ait été assurée par nos forces. Je tiens ici à rendre hommage aux militaires
et aux civils qui garantissent la crédibilité de notre dissuasion et ainsi, la
sécurité de nos compatriotes.
Par définition, la dissuasion
s’exerce en permanence. Que serait une dissuasion par intermittence ? En
cinquante ans, c’est vrai, le monde a profondément changé et nos forces aussi.
Pour assurer cette permanence, il fallait que nous les adaptions continument,
en capacité comme en volume, à l’évolution des menaces qui pouvaient viser
notre Nation.
La France a ainsi fait le
choix – c’était en 1996 – de supprimer une de ses composantes, la composante
sol/sol, en fermant le plateau d’Albion et en démantelant les missiles de
courte portée. Nous avons conservé deux composantes, l’une aéroportée, l’autre
océanique. Ce qui ne nous a pas empêchés de réduire le volume de nos forces,
pour les maintenir à un niveau de stricte suffisance. C’est ce principe de
stricte suffisance qui fonde aussi l’organisation de notre force de dissuasion.
Alors, il y a les voix qui
s’élèvent régulièrement pour s’interroger sur le maintien de ces deux
composantes, pour contester le programme de simulation pour les essais ou la
nécessité de la permanence en mer des SNLE, de nos sous-marins. Ces débats sont
légitimes dans une société démocratique, et je ne veux pas les écarter de la
main. Mais il faut aussi que nous soyons capables de justifier nos choix et donc,
de revisiter régulièrement les nécessités de la dissuasion.
Pour ce qui me concerne, je me
détermine à partir du seul enjeu qui vaille : la sécurité ultime de la
France. J’ai donc décidé de maintenir une composante océanique et, une
composante aéroportée. Aucune n’est dédiée à l’atteinte d’un objectif qui lui
serait propre. Toutes deux concourent à l’ensemble des missions de la
dissuasion et c’est leur complémentarité qui permet au chef de l’Etat de
disposer, à tout moment, de la gamme d’options nécessaires et suffisantes et de
ne jamais être tributaire d’un seul type de moyens.
Je m’explique. La composante
océanique, par la permanence à la mer de nos sous-marins, leur invulnérabilité,
la portée des missiles, constitue un élément clé de la manœuvre dissuasive.
Puisqu’un agresseur potentiel, tenté d’exercer un chantage contre la France,
doit avoir la certitude qu’une capacité de riposte sera toujours opérationnelle
et qu’il ne pourra, ni la détecter, ni la détruire. C’est l’intérêt, l’utilité
de la composante océanique.
La composante aéroportée
assure également la permanence de la dissuasion avec les forces aériennes
stratégique. A leur côté, la force aéronavale nucléaire, mise en œuvre depuis
le porte-avions Charles-de-Gaulle, offre d’autres modes d’actions. La
composante aéroportée donne, en cas de crise majeure, une visibilité à notre
détermination à nous défendre, évitant ainsi un engrenage vers des solutions
extrêmes. Voilà l’intérêt des deux composantes, si je puis dire : une
qui ne se voit pas et une autre qui se voit.
Il convient aussi de
maintenir les capacités et la crédibilité de ces deux composantes. Ce qui
suppose de traduire dans les faits, c’est-à-dire dans les armes, les évolutions
technologiques dans le domaine de la défense aérienne, de la défense
antimissiles, de la détection sous-marine.
La loi de programmation
militaire est justement celle qui nous permet de poursuivre l’adaptation des
SNLE, nos sous-marins, aux M51, qui nous permet de mettre en service la tête
nucléaire océanique à partir de 2016, de lancer les études de conception du
SNLE de troisième génération et de remplacer, d’ici à 2018, les derniers Mirage
2000N par des Rafale emportant le missile ASMPA. Par ailleurs, la loi de
programmation militaire a engagé le renouvellement de la flotte des avions
ravitailleurs, 12 avions Phénix ont été commandés et les deux premiers seront
livrés à partir de 2018.
Cette loi de programmation a
donc veillé à préparer, à adapter, à traduire les engagements que j’avais pris
pour assurer la fiabilité et la sûreté de notre force de dissuasion. Car, ma
responsabilité, est d’anticiper mais aussi, de préparer l’avenir plus lointain
qui sera le renouvellement de nos composantes. Ce qui fait le sens de l’action
pour le chef de l’Etat, ce n’est pas simplement de se préparer éventuellement à
affronter des menaces pour aujourd’hui, c’est de faire en sorte que notre pays,
bien après même que le Président ne sera plus en exercice, celui-là - un autre
y sera - pour qu’il y ait cette continuité, cette chaine qui ne peut pas être
interrompue dans l’adaptation de nos forces pour la dissuasion.
J’ai donc fait en sorte aussi,
s’agissant de la composante océanique, de lancer des adaptations futures du
missile M51, pour permettre que le tonnage des futurs sous-marins reste très
proche de celui nos Triomphant. Des études ont été également réalisées pour
explorer ce que pourra être le successeur de l’ASMPA. Les technologies les plus
exigeantes seront mises en œuvre pour, en particulier, être encore plus
efficaces dans les domaines de la vitesse des matériaux et de la furtivité.
J’ai parallèlement, donné
instruction au Commissariat à l’énergie atomique de préparer, à l’échéance de
leur fin de vie, l’évolution nécessaire des têtes nucléaires. Et puis, il y a
ce qui doit être fait pour renouveler les armes, sans effectuer d’essais
nucléaires. C’est donc le programme de simulation qui est en pleine conformité
avec le traité d’interdiction complète des essais nucléaires.
Mais là encore, je veux
rappeler solennellement les engagements. La France ne produit pas et ne
produira pas de nouveaux types d’armes nucléaires. Je voudrais donc saluer
l’extraordinaire défi scientifique et technique que représente ce programme de
simulation. La Direction des applications militaires du CEA respecte toutes les
échéances de ce projet, tout en maitrisant la dépense.
L’année 2014 a ainsi vu les
premières expériences au Laser Mégajoule et de l’installation EPURE. Là
encore, pour ce programme de simulation, essentiel pour préparer l’avenir, nous
menons une collaboration stratégique avec le Royaume-Uni. Nous nous sommes
engagés à coopérer pour une durée d’au moins cinquante ans, en partageant deux
installations de simulation, l’une en France, l’autre au Royaume-Uni. Nous
pourrons bientôt inaugurer les premières réalisations, moins de cinq ans après
la signature du Traité de Lancaster House, ce qui permet, une fois encore, de
saluer tous les efforts qui ont pu être accomplis.
Alors, j’entends dire aussi
que le budget de la dissuasion nucléaire aurait été épargné des efforts
d’économies demandés à nos armées. Comme s’il était souhaitable d’entretenir je
ne sais quelle compétition au sein de notre défense. Comme si faire en sorte
que nous puissions préserver la force de dissuasion serait contradictoire avec les
autres missions confiées à nos armées. Je tiens donc à répondre à ces
éventuelles interrogations.
Le contexte budgétaire est
contraignant pour toutes les dépenses, y compris pour les dépenses militaires,
et dans les dépenses militaires, pour toutes les armes. Nous avons néanmoins,
dans la loi de programmation, sanctuarisé les crédits qui sont nécessaires,
aussi bien pour la force de dissuasion que pour les armements conventionnels.
Ceux qui sont chargés de gérer cette dépense liée à la dissuasion ont été
amenés à faire des efforts de réalisme, comme les autres, mais sans jamais
transiger sur la crédibilité, l’autonomie, la fiabilité, dès lors qu’il s’agit,
à travers la force de dissuasion, de la survie et de la souveraineté de la
France.
Mais j’ajoute un autre
argument. La dissuasion nucléaire est complémentaire de nos moyens
conventionnels et elle exerce un effet d’entraînement sur l’ensemble de notre
appareil de défense. Ainsi, certains moyens qui concourent à la dissuasion sont
directement utilisés pour nos opérations conventionnelles ou classiques. Je
pense aux satellites de renseignement, aux avions de chasse, aux avions
ravitailleurs, aux sous-marins nucléaires d’attaque, aux frégates
anti-sous-marine, aux chasseurs de mines.
Je veux donner une autre
illustration. Les chasseurs des Forces aériennes stratégiques ont des capacités
que l’on dit duales. Ils ont réalisé, ces avions, environ le quart des frappes
effectuées lors des opérations en Libye et au Sahel. Ces mêmes avions à la
capacité duale interviennent aujourd’hui en Afrique et en Irak, et contribuent
tous les jours à l’alerte de défense aérienne.
Enfin, la dissuasion stimule
nos efforts de recherche et de développement et contribue à l’excellence et à
la compétitivité de notre industrie. C’est parce qu’il y a eu ces recherches
qu’il y a eu des innovations. C’est parce que nous avons été capables d’être au
plus haut niveau sur le plan de la dissuasion nucléaire, que nous avons pu
diffuser, dans l’industrie, des savoir-faire, des technologiques incomparables
qui ont été au service de l’économie et donc de l’emploi.
Mais on ne peut pas justifier
des dépenses militaires simplement par la volonté de stimuler l’économie ou de
créer des emplois. Les dépenses militaires doivent avoir un fondement par rapport
à l’enjeu même qu’elles représentent, c’est-à-dire la sécurité de la France, la
défense de nos intérêts, la promotion même de nos valeurs, ce qui fait que nous
sommes la France.
Ce n’est pas une charge comme
les autres, la défense, la sécurité ! Ce n’est pas simplement un
investissement, même si ça peut avoir ce caractère ! C’est ce qui nous
permet d’être libres.
Dans un monde dangereux – et
il l’est – la France n’entend pas baisser la garde. Mais en même temps qu’elle
est prête à se défendre, elle ne veut pas pour autant renoncer à l’objectif
même du désarmement, y compris du désarmement nucléaire. La France, c’est une
puissance de paix, et c’est pourquoi elle se défend, pour la paix ! La
France est ce qu’on appelle un Etat doté au sens du Traité de non-prolifération
nucléaire, c'est-à-dire qui nous reconnaît comme un Etat disposant d’armes
nucléaires. Et cette situation nous confère des responsabilités particulières.
Je partage donc l’objectif, à terme, de l’élimination totale des armes
nucléaires, mais j’ajoute : quand le contexte stratégique le permettra. La
France continuera d’agir sans relâche dans cette direction. Elle le fera avec
constance, avec transparence, avec vérité, j’allais dire avec sagesse et en
bonne intelligence avec les Alliés.
Le désarmement nucléaire ne
peut pas être une incantation ou même une invitation ! Il doit être
démontré et d’abord par l’Etat qui le proclame. La France a été exemplaire, en
application du principe de stricte suffisance. Elle a donc réduit, ces
dernières années, de moitié le nombre total de ses armes. De moitié ! Elle
a diminué d’un tiers la composante nucléaire aéroportée. Elle a renoncé au
missile sol-sol. Nous n’avons pas parlé du désarmement ; nous l’avons fait
jusqu’au point nécessaire. La France a été exemplaire en termes
d’irréversibilité. Elle ne s’est pas contentée d’arrêter les essais nucléaires,
mais elle a aussi arrêté la production d’uranium et de plutonium pour les armes
nucléaires. Elle a entièrement démantelé les installations correspondantes, faisant
désormais reposer la dissuasion sur un stock limité de matière nucléaires. La
France a été exemplaire quant au volume de son stock d’armes, c'est-à-dire 300.
Pourquoi 300 ? Parce que cela correspond à l’évaluation que nous faisons
du contexte stratégique.
Si les niveaux des autres
arsenaux, notamment russes et américains, devaient un jour descendre à quelques
centaines, la France en tirerait des conséquences, comme elle l’a toujours
fait. Mais nous en sommes loin encore aujourd’hui.
Je veux encore aller plus loin
dans la transparence, que ce soit sur notre doctrine, c’est ce que je fais
aujourd’hui, devant vous, donc devant le monde entier ; transparence aussi
sur nos arsenaux et sur nos efforts concrets de désarmement. C’est la raison
pour laquelle je ne crains pas d’informer que la France dispose de trois lots
de 16 missiles portés par sous-marins, et de 54 vecteurs ASMPA. Et je
souhaite que tous les Etats disposant de l’arme nucléaire fasse le même effort
de vérité, celui que je fais devant vous, pour toutes les catégories d’armes de
leur arsenal nucléaire.
Dans ce même esprit de
transparence, de vérité, la France proposera très prochainement la visite des
nouveaux sites qui n’accueillent plus d’armes nucléaires ; le plateau
d’Albion, où les silos qui abritaient la composante sol-sol sont complètement
démantelés, la base de Luxeuil dont les dépôts de stockage d’armes sont
maintenant vides, et là aussi je souhaite que ce geste inspire l’attitude
d’autres puissances nucléaires, avec des visites auxquelles nos experts
pourront également se rendre.
Il est également important de
déclarer un moratoire sur la production des matières fissiles pour les armes,
et de démanteler les installations de production de ces matières, ainsi que les
sites d’essai nucléaire. Toute chose, là aussi, que la France invite une
nouvelle fois tous les pays disposant de l’arme nucléaire à faire eux aussi.
Enfin l’outil diplomatique de
la France, la politique étrangère de la France, restent pleinement mobilisés en
faveur du désarmement et c’est particulièrement vrai à quelques semaines de la
Conférence d’examen du Traité de non-prolifération. Notre première priorité,
dans le cadre de cette discussion, demeure l’entrée en vigueur au plus tôt du
Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Je le dis d’autant plus
aisément que la France a fait la démonstration que la renonciation complète,
irréversible aux essais nucléaires était compatible avec le maintien d’une
dissuasion crédible. Et ce message doit être porté auprès de tous nos partenaires.
Notre seconde priorité, c’est
l’arrêt définitif de production de matières fissiles pour les armes. Cela fait
des années qu’on en parle, mais la négociation n’a pas pu encore démarrer,
faute d’accord des principaux Etats concernés. Et c'est pourquoi j’appelle
aujourd’hui tous les pays dotés de l’arme nucléaire à engager sans attendre
cette discussion sur l’arrêt total de la production de matières fissiles. Et la
France proposera dans les semaines à venir un projet de traité ambitieux,
réaliste et vérifiable, sur ces questions.
Je tenais à venir ici à Istres
pour faire cet exercice de vérité, de transparence, et en même temps, de
reconnaissance de ce qu’est la Force de dissuasion pour notre pays. Pour
réaffirmer l’enjeu fondamental qu’elle représente, cette dissuasion nucléaire,
pour la sécurité de la France. Elle n’est pas toute la politique de défense.
Elle est complémentaire de ce que nous avons à poursuivre dans tous les
domaines pour assurer la protection de notre territoire, pour mener des opérations
extérieures, pour assurer la promotion de ce que nous représentons, et
également pour lutter contre le terrorisme, où qu’il se situe.
La crédibilité de la Force de
dissuasion réclame une rigueur et un professionnalisme, j’allais dire hors du
commun, et c’est ce dont vous faites preuve, parce que vous avez poussé jusqu’à
la perfection, dans les entraînements spécifiques que vous effectuez, cette
exigence de haute qualité, de savoir-faire et de maniement des technologies les
plus sensibles. Et c’est la raison pour laquelle devant vous, je veux vous
exprimer toute la confiance de notre pays. C’est toute notre Nation qui sait ce
qu’elle vous doit, qui sait ce qu’elle doit à la Force de dissuasion, qui
témoigne ainsi, de sa reconnaissance. Car ce que vous faites, ce que la Force
de dissuasion permet, c’est d’assurer à une Nation, à la France, à votre pays,
ce qu’il y a de plus cher, de plus précieux, de plus essentiel, c'est-à-dire
son indépendance. Et il n’y a pas d’indépendance s’il n’y a pas de liberté pour
choisir son destin. La Force de dissuasion, c’est ce qui nous permet d’avoir la
capacité de vivre libres et de pouvoir, partout dans le monde, porter notre
message, sans rien craindre, sans rien redouter, parce que nous sommes sûrs de
la capacité que nous avons à nous défendre.
Indépendance, liberté,
capacité à faire prévaloir nos valeurs, voilà pourquoi nous devons chaque jour,
assurer la permanence de la dissuasion nucléaire et être capables, à chaque
instant, d’en améliorer encore l’organisation, le fonctionnement et les armes.
Vive la République et Vive la
France.
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