samedi 12 avril 2008

Inquiétude & Certitudes - samedi 12 avril 2008

Samedi 12 Avril 2008


Prier…[1] les miracles opérés par les Apôtres sont d’une manière toute différente de celle du Christ. Pour celui-ci, tout s’accomplissait selon la foi de qui l’implorait. Pour Pierre et Jean, depuis le boîteux de la Belle porte aux miraculés de Lod et de Jaffa, c’est une annonce simple : Jésus Christ te guérit, et un ordre. Simplicité et adhésion en retour qui ne sont pas de l’évangile : il y en a parmi vous qui ne croient pas. Beaucoup de ses disciples s’en allèrent. Il faut reconnaître que – comme lors de son procès et de sa passion – c’est pour de bonnes raisons. L’incroyable est inacceptable. La prétention à la divinité est irrecevable. La crucifixion est conclusive. La réponse des apôtres que donne Pierre, au nom de la futur Eglise est d’autant plus belle : voulez-vous partir, vous aussi ? Vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Adhésion totale mais éphèmère. Aujourd’hui, que dire et que penser : mracles et foi de la primitive Eglise, de nos ancêtres dans la foi, dénégations des contemporains du Christ. Nous sommes les deux, noyés dans l’actualité de nos vies et du monde. Nous ne discernons que l’événementiel, va et vient comme naguère. La foi a nos formes, ce va-et-vient ; pourtant, des choses s’opèrent. Dans la crainte du Seigneur, l’Eglise se construisait et avançait, elle se multipliait avec l’assistance de l’Esprit Saint. Des disciples et des incroyants, des anonymes et des relations connues. Capharnaüm et Jérusalem, les lieux principaux du Christ humainement, les nôtres…

Enigme ou constat ?

Recevant le rapport de la commission Gérard Larcher, le président de la République a insisté sur la concertation, les délibérations, l’expertise qui le fondent. Cette insistance est inhabituelle, presque une attitude de modestie. La confiance faite aux travaux de la commission Jacques Attali était du même ordre. Sans doute, dans les deux cas, le ministre compétent est mis trop ostensiblement hors jeu et le gouvernement est en situation d’aveu qu’il n’a pas de politique propre sur le sujet et n’a pas l’expertise non plus par lui-même. Mais c’est peut-être inaugurer une nouvelle façon de situer l’Etat : il exécute mais ne conçoit plus, le pouvoir élu s’en remet à d’autres qu’à lui ; du coup, on peut alléger cette machine. Pourquoi pas ? de grands sujets comme notre poliique de coopération en 1964, la gestion et la place de nos entreprises publiques dans l’économie nationale en 1967, ont été traités – sous de Gaulle – de cette manière-là. La première déréglementation s’est faite ainsi, aussi, au début de 1969 avec la nomination du principal auteur, Olivier Wormser, à la tête de la Banque de France pour y veiller.

Les propositions de Gérard Larcher n’ont pas encore fait lever les boucliers, quoique la philosophie des refontes de la carte des grandes dessertes en France, dans tous les domaines du service public reste la même. Les économies escomptées, au regard des gouffres de notre endettement cumulé et de notre déficit annuel courant, sont dérisoires. Les budgets des particuliers sont aussi tendus que ceux de l’Etat mais ne bénéficient d’aucun arbitraire, les franchises médicales mettent les gens dans la rue, comme les suppressions d’emplois d’enseignants, également à la marge. En revanche, les estimations successives de la ministre de l’Economie, on ne dit plus des Finances, pour notre croissance cette année et l’an prochain sont dans des fourchettes de trois quarts de point pour des performances de pas trois points et en fait d’un petit point. On ne peut donc rien projeter ni prévoir. Les deux Républiques précédentes sont mortes d’impéritie gouvernementale. L’actuelle risque de tomber en paralysie totale du fait de l’endettement national. D’une qualité institutionnelle largement comparable et bénéficiant d’un consensus de plusieurs siècles, ce que nous appelons l’Ancien Régime est tombé d’abord à cause de sa crise financière et de l’entrée du Roi en dépendance des Etats-généraux.

Notre machine à gouverner, c’est-à-dire à voir clair et à recueillir l’adhésion la plus générale possible pour les mesures finalement décidées, pourrait bénéficier du consensus sur l’état de nos finances, du moins sur la nécessité de nous désendetter. Le pouvoir ne parvient pas à capitaliser cette possibilité.

Sur deux sujets, président de la République et ministres compétents, avaient bien commencé : l’environnement et la ville quand elle est difficile. Exercices de communication plutôt réussis. Le « Grenelle » très médiatisé, l’examen des mesures très délibérés avec des partenaires ne se rencontrant habituellement pas, l’Etat étant dans son meilleur rôle : arbitrer et faire s’exprimer, porter et garantir les choses. Destruction de cette crédibilité par la publication de mesures concurrentes faisant douter de la faisabilité budgétaire du principal et surtout dramaturgie au Parlement où la secrétaire d’Etat dont la compétence et l’engagement ne peuvent être discutés de bonne foi, a été gravement mise en cause, sans solidarité du gouvernement, du Premier ministre, du président de la République. Qu’elle ait été forcée de s’excuser est incompréhensible de la part de ses collègues et de sa hiérarchie politrique, et et qu’elle n’ait pas préféré démissionner l’est tout autant. Quant à la politique de la ville, l’analyse courante des médias a été le récit d’un conflit de personnes et de tempéraments, au lieu de caractériser les approches – certes, très différentes – de Christine Boutin et de Fadela Amara.

Dans les deux cas, les éléments du débat public et des modalités d’application de ce qui est décidé, sont réunis, et pourtant ces deux politiques, plus vigoureusement affirmées que jamais dans les quinze dernières années, sont dans l’impasse ou nentrent en application que coup par coup, sans effet d’ensemble.

Autre avantage que ne joue pas le pouvoir actuel.

Il est, parmi les gouvernements des grands pays du monde, l’un des seuls à avoir temps et stabilité pour lui-même. La grande coalition est fragile en Allemagne et le sera de plus en plus pendant l’année et demi à courir. L’Espagne n’a pas et l’Italie n’aura pas de majorité substantielle pour soutenir le gouvernement issu des élections récentes ou en cours. La Russie est incertaine, le montage pour que Vladimir Poutine persiste est-il viable ? Gordon Brown n’est qu’intérimaire et pas du tout sûr de l’emporter à des élections qu’il devait provoquer dès l’automne dernier. Les Etats-Unis sont en campagne présidentielle indécise – mon pronostic reste MacCain qui de la même mouvance que Bush junior est donc, selon les précédents de la guerre du VietNam, le mieux placé pour conclure à l’évacuation de l’Irak.

La France pourrait être une imagination et un môle alors que tout est à repenser, le Fonds monétaire international, l’Organisation des Nations unies, la place de l’Organisation mondiale du commerce dans les institutions mondiales et, en Europe, l’articulation plus opérationnelle entre le Conseil des chefs d’Etat ou de gouvernement et la Banque centrale européenne. Or, nos queues de cerise seront mieux goûtées à la sauce européenne que nationale : évidences économiques, monétaires, commerciales, fiscales.

Afrique : Kenya, Côte d’Ivoire, Zimbabwe, du progrès puisque le pouvoir est quand même dans les urnes et non plus à qui le prend par la force. La sincérité des élections fait encore problème, mais quelle avancée par rapport aux guerres de décolonisation et aux putschs militaires. Et la solution généralement la plus envisagée est celle qui correspond aux moeurs antérieures à la domination étrangère : le partage consensuel du pouvoir entre concurrents de force égale.

Social : point commun entre les mouvements de grève à Monoprix et au Monde, la contestation des émoluments et des avantages de quelques dirigeants.

Les livres sans doute… les dépêches de presse montrant comment les journaux audiovisuels ou écrits se font… mais la réflexion en profondeur, les analogies interdiscplinaires, la créativité d’une analyse nouvelle, je les trouve en assistant à des colloques apparemment loin de la politique conventionnelle. L’accueil du tout-petit et de ses parents à la naissance, en crèche, en milieu scolaire ou hospitalier traité par les Semaines psychanalytiques de Paris (l’école de Juan Daniel Nasio, lacanien, soutenu par les disciples de Françoise Dolto) – les 27 et 28 Mars derniers. L’éducation pour quelle excellence, selon des intervenants mobilisés par les anciens élèves des Jésuites ou de l’enseignement catholique – aujourd’hui. Je les vis comme des paraboles et aussi comme des explications – hélas cohérentes – de nos impuissances actuelles, voire de nos psychopathies d’Etat. Comme je voudrais que des ministres ou ceux qui secouent les boîtes-à-idées dans leurs cabinets y assistent, non pour parler mais pour écouter. Entendre… Il s’est trouvé aujourd’hui que le salésien Jean-Marie Petitclerc donnait un tableau saisissant de la dialectique psychique de notre décomposition sociale, pas seulement dans les quartiers ou banlieues, avec parfois le talent de Raymond Devos. Christine Boutin l’a attaché à son cabinet. Alain Geissmar était à celui de Claude Allègre. Nous ne manquons, en France, de rien ni pour comprendre ni pour décider. Alors ? Et l’argent, cela se trouve, l’Abbé Pierre en 1954 et de Gaulle en 1958, l’ont prouvé, chacun dans son registre.

Piste.
La haine ou le mépris sont trop répandus dans la « classe » politique et dans « les allées du pouvoir », et le sont de plus en plus : l’esprit de cour, la peur des électeurs, la professionalisation et l’intense concurrence pour le paraître et la promotion, la prise de parole y sont pour beaucoup plus que les tempéraments individuels, souvent banaux et de bon accueil. C’est-à-dire que les générations adultes donnent aux plus jeunes, aux nouveaux venus dans notre société-nation, le plus mauvais exemple de cohésion, que le peu de repères qu’ils ont, nous le rendons illisibles ou le périmons à peine a-t-il surgi. C’est nous qui divisons le royaume ? comment imaginer alors que les générations suivantes, déjà sans perception du sens de ce que nous leur transmettons en famille, à l’école, dans la cité, aient la moindre envie de s’agréger à nous ? La politique tenant l’écran autant que le sport ne donne pas une image stable et convaincante d’elle-même et ne fait pas du bien commun une loi et un but évidents de sociabilité.

[1] - Actes IX 31 à 42 ; psaume CXVI ; évangile selon saint Jean VI 60 à 69

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