mardi 15 avril 2008

Inquiétude & Certitudes - lundi 14 avril 2008

Lundi 14 Avril 2008


Notre perversion de la politique
Le panneau des autres : Ingrid Betancourt et Dalaï-Lama
Conscience qui se généralise : les spéculateurs, les affamés
Une seule crise universelle : nous
Le Monde au contraire du Canard
Les ermites diaboliques ou l'emploi de moralité
La culture est une manière d’être si l’on vit librement
Mai 68 : souvenirs d’une génération ou réflexion collective ?

Prier… [1] le bon pasteur, reconnaissable à sa voix, à ce qu’il connaît les brebis par leur nom, mais aussi à son comportement. Enseignement de Jésus sur sa relation avec le/son Père, et sur sa propre vie, donnée, reprise, librement. La relation aux brebis et à Dieu est de même nature, ce qui la sous-tend est le don, et le don n’est don que s’il est libre. Très curieusement, en politique, en société et en religion, ce mot et ce fait identitaire pour l’homme : la liberté, si revendiquée, si motrice au XIXème siècle et parfois au XXème, a quasiment disparu. Nous ne vivons que de contraintes (dont nous ne savons pas nous émanciper : adaptation, modernisation… tout est subi, au mieux avec astuce, le plus souvent sans joie), tout au plus évoque-t-on le discernement. Nous sommes submergés de rapports en politique et en économie, de livres de sagesse et de commentaire en religion ou en comportement intime. Jésus centre son enseignement sur sa personne, et celle-ci est présentée, décrite – par Lui-même – selon sa mission et sa liberté. Pierre, totalement par l’Esprit Saint, et c’est en Celui-ci qu’il trouve la souveraine liberté de faire innover toute l’Eglise naissante. Le message ignatien a deux pôles : la liberté et l’obéissance. Pierre, devant la vision qui est donnée de cette toile mystérieuse (le web d’aujourd’hui ? pourquoi pas ?), regimbe pour commencer, à la manière du roi Achaz : demande un signe, mange. Certainement pas, Seigneur ! Petit stade premier de la liberté. Arrivée des gens de Césarée, notre liberté n’est pas dans la théorie, elle est dans l’épreuve et l’expérience de l’événement, des circonstances. Trois hommes comme les visiteurs mystérieux d’Abraham, sous le chêne de Mambré. Alors, je me suis rappelé la parole que le Seigneur avait dite… la mémoire fondatrice de l’avenir, lieu de référence. Quand pourrai-je m’avancer, paraître face à Dieu ? Envoie ta lumière et ta vérité. J’avancerai jusqu’à l’autel de Dieu, vers Dieu qui est toute ma joie. Ces coincidences, ces arrivées de l’un ou l’autre dans nos vies sont celles du pasteur qui s’incarne chez tant d’entre nous, les uns pour les autres, maintenant.

Notre perversion de la politique... elle tient à notre goût pour le dérisoire. Que le président de la République aille, en personne, accueillir l’équipage d’un bateau détourné, qu’il ait communiqué lui-même à mesure des opérations. Pour signifier quoi ? sa proximité des Français ? mais le non-remboursement des lunettes, concernant vingt-deux millions d’assurés sociaux ou de mettre à deux heures de trajet chaque jour le plafond sous lequel un chômeur doti obligatoirement considérer une offre d’emploi ce qui équivaut en province à trois ou quatre pleins de carburant automobile par semaine, démontrent le contraire. Nicolas Sarkozy et François Fillon ont maintenant des « courbes de popularité » solidaires : à la baisse. Xavier Darcos allant tranquillement à une confrontation de plus en plus dense et massive avec les lycéens, soutenus par leurs parents et par leurs professeurs : avait-il entendu et vu leurs aînés de dix ans sous Claude Allègre ? et les étudiants d’il y a un peu plus de vingt ans sous Alain Devaquet ? La totale incapacité de pressentir qu’en donnant la sensation fondée d’un esprit d’équipe et d’une répartition tranquille de rôles entre gouvernants, les affaires seraient traités avec souplesse et l’opinion conviée à se dépasser, prendrait exemple sur ceux qui l’exhortent. Voyez comme ils s’aiment ! En plus, ceux qui demandent au grand nombre des sacrifices sont précisément ceux qui n’en consentent aucun pour eux-mêmes. Un simple secrétaire d’Etat à Orly pour fêter les otages libérés, aurait grandi les pouvoirs publics. La référence suprême doit, d’une part être stable et respectable, et d’autre, n’être que rarement exposée. Dans une époque où tous les problèmes sont difficiles, le pays n’a plus aucun repère de véritables autorités morales. Significativement, un des livres les plus équilibrés parus pendant la campagne présidentielle, a été une œuvre collective de l’Académie des sciences morales et politiques [2] et après-demain, le prélat qui présida aux obsèques de François Mitterrand et exprime le plus souvent (et le mieux) l’analyse sociale de l’épiscopat français, Mgr Dagens, entre à l’Académie française.

Concentration du pouvoir… La supplique des familles de ce chalutier breton éperonné par un sous-marin, forcément de la Marine nationale, reste sans réponse à l’Elysée, et notre soldat égaré aux frontières du Tchad et Darfour n’a eu droit à aucun honneur posthume, pas même à être pris en exemple au Palais-Bourbon de ceux qu’on envoie – j’écris : à plaisir – en Afghanistan. Le débat parlementaire – entre autres – portait sur un bataillon de plus. A peine a-t-il été conclu qu’un autre a été rajouté : de 1.700 à 3.000 hommes, la base française la plus importante à l’étranger devient l’Afghanistan et n’est plus qu’épisodiquement commandée par nous.

Ingrid Betancourt… plus on bouge, imprime, manifeste, discourt, commande ailleurs qu’entre Colombiens, plus son prix en monnaie d’échange pour les FARC augmente. La décision d’évidence est entre Colombiens, Uribe a été élu pour tenir tête aux FARC ; sa détermination ne fait pas de doute puisqu’il viole la frontière de son voisin pour descendre le numéro des rebelles qui est en même temps leur négociateur. Comprenant tout, le gouvernement français actuel recommence le sketche de Dominique de Villepin, autorisations d’atterrir en plus. Retour à vide non fêté. Si l’on ne négocie certes pas sous la menace, on ne doit pas non plus négocier pour les cameras de télévision.

Tous les éléments de la décision pour le boycott des Jeux olympiques en Chine sont réunis, sauf que la date de ceux-ci n’est pas aujourd’hui, ce qui permet de ne pas décider, alors que l’on a cela seulement qui puisse être décidé ! Ces J.O. sont le seul « territoire » politique où les démocraties se croient sans risque, si elles y pénètrent. Il n’est question d’aucune autre « sanction », en tout cas aucune politique et économique. Les gouvernants européens et américains, les gouvernements démocratiques sont déjà prisonniers du jeu chinois : Pékin, docilement, ressemble aux analyses qu’on en fait. Si les Chinois détestent perdre la face, il faut éviter de la leur faire perdre, et c’est à nous d’y veiller. On ne peut être plus prévenant. Le Dalaï-Lama nous donne l’exemple : plus il condamne la violence, plus il désavoue toute pétition d’indépendance, plus il est accusé de terrorisme. Au moins, n’a-t-il pas peur. Notre gouvernement, dans l’affaire, semble, de tous, le plus peureux. Au Sénat, colloque – aujourd’hui – pour faire venir les investissements chinois (leur stock à l’étranger évalué à 110 milliards de dollars) ; s’y affichent tous les chantres du respect pour une Chine qu’ils disent susceptibles, Gérard Mestrallet et Jean-Pierre Raffarin, avec l’habituelle équation : l’investissement étranger en France crée des emplois. Alors que l’expérience de plusieurs décennies est le strict contraire : l’étranger nous désindustrialise et ferme ce qu’il a acheté. Leçon d’économie – pratique, et pas théorique. Ce à quoi répugnent les investisseurs et les dirigeants de grandes entreprises, c’est d’aller au client, de le chercher, de le convaincre. Cela coûte en personnel et en vérité de ce que l’on a à vendre. L’économie d’aujourd’hui consiste à acheter le marché tout fait et de préférence captif. Captifs : les assurés sociaux d’où la passion des géants de l’assurance privé pour le marché qu’abandonneraient les procédures publiques. Captifs tous ceux qu’une production et qu’une prospection ont liés à une entreprise ou à des services. On achète les clients des autres, les réseaux des autres et l’on détruit leur centre de production ou de proposition : l’économie du coucou ou de la frégate. On achète les concurrents pour annexer leur marché, même le savoir-faire des salariés y compris commercial, même le stock d’inventivité et de novation sont jetés puisqu’il est acquis – à l’achat – que la clientèle, contrairement à la parabole du Bon Pasteur, restera où il lui sera dit de rester.

En revanche, les marchés insolvables n’intéressent qu’en cas d’émeute et dans le seul cas où l’émeute dérange – soit le climat des affaires, soit le sentiment public des démocraties. Mugabe n’a jamais dérangé les Français puisque c’était la Rhodésie du sud, mais quand Dakar sera pillée par les affamés, qu’aura valu le discours écrit par Henri Guaino ?

La novation de notre époque est sans doute dans la propagation des prises de conscience. Celles-ci sont lentes. La crise financière mondiale tenant aux habitudes de spéculation plus enrichissantes que de véritables productions, les endettements publics qui sont peut-être le prix de la démocratie ne sont pas d’hier, mais ils frappent depuis six mois parce que soudain leur processus a été compris. La crise alimentaire mondiale n’était présentée l’an dernier qu’en termes de pénurie et donc d’ajustements à venir de l’offre à la demande. On avait oublié les insolvables, victimes bien plus immédiates et nombreuses en période d’inflation généralisée pour les biens de consommation. Effet pervers soudainement popularisé, les agro-carburants sont de comestibles retirés de la bouche des affamés. Nicolas Hulot l’an dernier, l’ours blanc sur le glaçon qui fond, et Jean Ziegler aujourd’hui, la pompe à essence au lieu de la boulangerie.

Nous allons donc vers une accumulation non pas de multiples crises, mais de facettes et conséquences d’une même crise, celle d’un système économique élitiste et spéculatif en conflit maintenant ouvert avec la conscience publique mondiale. Les gouvernements paraissent à cette conscience subordonnés – et contents de l’être – à ce système. C’est le cas de la France, l’Italie avant l’été s’en rendra compte avec Silvio Berlusconi triomphant. En dix mois, Nicolas Sarkozy est passé de la complaisance des sondages et des médias à l’adversité, et donc à l’hésitation sur la manière et sur le fond de presque toutes les questions qu’il avait promis d’expédier. Chaque pays est un microcosme du monde contemporain avec les mêmes hypocrisies de gouvernement et les mêmes types de gestion économique. Quelles que soient les apparences. Les évidences frappent les opinions, les inquiètent à proportion que les gouvernements semblent s’en écarter.

Ainsi Jimmy Carter estimant, à titre privé – comment en serait-il autrement ? – qu’il est impossible de raisonner et de pratiquer en politique au Proche-Orient sans considérer le Hamas, se fait-il admonester par ceux qui, pendant sa présidence, n’étaient pas même des étudiants. Jacques Chirac, il est vrai sans assurance sur sa santé depuis le referendum de 2005, pourrait s’illustrer sur l’Irak et l’Iran en continuité avec l’attitude qu’il donna à la France en 2003 – par concours de circonstances ? ou par conviction arrêtée ? je ne sais pas et penche pour les circonstances tandis que son ministre, Dominique de Villepin, lui, était de conviction. Pour la France, seul de Gaulle a eu, à l’époque contemporaine, le sens de l’image – efficace au grand sens de la politique, c’est-à-dire pas l’image pour soi, mais l’image par laquelle en y adhérant, un peuple se grandit ou se reconstitue. Jacques Chirac, par exemple, en démissionnant au soir du referendum de 2005, devenait le second fondateur de la Cinquième République, malgré la réforme du quinquennat. Jacques Chirac, par exemple, en allant dns toutes les capitales du Proche et du Moyen-Orient, du Nil à Téhéran, confirmerait ce qui se fit, un peu au hasard et sans suivi ensuite, au Conseil de sécurité en 2003. Angela Merkel a condamné la prison de Guantanamo et a déjà dit qu’on ne la verra pas à Pékin. Les Allemands savent le geste, le Kaiser à Tanger et Willy Brandt à genoux à Varsovie.

Ceux qui se recasent après le service et souvent sont meilleurs dans leur emploi de moralité que dans celui des gestions ou des directions. Moralité d’aujourd’hui sans conséquence que la respectabilité de l’habit endossé pour la discourir. Gestions d’hier responsables d’aujourd’hui. Ainsi Jean-Marie Colombani planche-t-il avec équilibre, sens de la nuance et délicatesse sur les problèmes et procédures de l’adoption d’enfants en France tandis que le journal qu’il a dirigé pendant plus de dix ans, doit mettre à la porte entre le quart et le tiers de ses rédacteurs. Je crois que « mon » journal dont je relie chez moi la collection depuis le premier que j’en ai acheté (Septembre 1960) à mon entrée 27 rue Saint-Guillaume, a manqué à la règle à laquelle au contraire s’est tenu Le Canard enchaîné. Ne tenir que la taille et la chalandise de sa vocation, et n’en avoir qu’une. Pas de groupe, pas de satellites. Jacques Fauvet, à la fois, savait écrire l’article percutant – et discerner les propositions percutantes d’article, même au rebours de la « ligne » du journal, et, en symbiose avec Sauvageot, le bureau donnant dans le sien, savait lire quotidiennement le « bouillon » et la publicité. Le pamphlet d’un défroqué : Legris, ou l’entente des annonceurs du nord de la France, l’éprouvaient lui-même intimement autant que l’était la trésorerie du journal. En ce sens, Le Monde était l’un des instruments du bien commun français. Non sans orgueil, mais non sans fondement non plus.

Des camarades banquiers reconvertis dans l’éthique et la transparence – le PDG de Renault, au temps de la fermeture de Vilvorde, préside les observatoires et dénonciations des pratiques discriminatoires – Al Gore et le climat : que de nouveaux ermites qui n’avaient pas changé le monde quand ils le dirigeaient ! Renault encore dont la bonne santé financière ces jours-ci est attribuée à cette filiale roumaine qui précisément réclamait d’être davantage gratifiée en la personne de ses ouvriers. En même temps que le rapport Ziegler, est publié le bilan de Danone !

Culture. Ce n’est pas un savoir, c’est une curiosité et la jouissance des fruits attrapés et gobés par cette curiosité, laquelle s’apparente au désir, donc au goût de vivre. Chez mon neveu, hier soir, pas de bibliothèque, mais un emprunt, un pavé : Grangé. Comment tu n’en as jamais parlé ? mais non ! et toi, Robert Ludmum et maintenant Millenium de Stieg Larson ? non. Tirage et notoriété comparables. A nous deux, nous serions la culture parfaite dans le registre de ces gros bouquins à suspense, mais chacun nous n’avons approché qu’un des géants du moment. Harry Potter, dix pages au hasard, et je laisse la suite à notre fille pour l’époque où elle saura en lire le titre. En revanche, Barbapapa sur Mars – en un peu plus court qu’Objectif Lune ! ou On a marché sur la lune – me passionne tout autant, et je dois le relire et le recommenter, chaque soit ou presque à la fan de Dora, de Kitty et de Diego. On a la culture de son état, de son lieu, des circonstances. Elle n’a pas de définition, elle est une relation.

La Martinique comme la Chine nous disent ce que nous sommes – en tant que France – en ce moment. Le conseiller pour les affaires économiques et financières à l’ambassade chinoise chez nous donne l’assurance que les investissements de son pays dans le nôtre vont progresser : il ne le raisonne qu’en termes de banalité économique, la France autant que les autres et c’est ainsi qu’elle sera dotée. Le legs de 1964 a totalement disparu, le Darfour donne à plein. On pleure déjà, mais avec fierté, Aimé Césaire à Fort-de-France et ailleurs : un enseignant (d’espagnol !) le définit cmme un exemple pour la Martinique, bien sûr, mais pour l’Afrique, le monde, les combattants de la liberté. Mais pour la France ? elle n’est pas mentionnée. De Gaulle et Césaire ne sont plus dans notre patrimoine.

Mai 1968 fait vendre du papier et organise les présentoirs, les kiosques : 83 livres parus ces semaines-ci, disent des libraires de quartier. Comme la réédition de l’Illustration une fois l’armistice du 11-Novembre-1918 transformé en paix à Versailles, devint une obligation de beaucoup des bibliothèques familiales quand le souvenir n’est pas deuil : là où aucune mort n’avait interrompu en quatre ans trois mois le flux des cartes et lettres échangées. Mais que transmet-on ? ce que l’on réfléchit ? Le Second Empire fit réimprimer le Moniteur de la Révolution et de l’Empire, jour par jour. Le Monde ne se réédite pas ni l’Express, ni aucun hebdomadaire, pour ces quatre semaines. Quand la mémoire est personnelle, et quand elle ne l’est pas ? Quand son contenu a perdu le lien avec le présent et l’immédiat ?


[1] - Actes XI 1 à 18 ; psaume XLII ; évangile selon saint Jean X 11 à 18

[2] - Académie des sciences morales et politiques . avant-propos de Raymond Barre & Pierre Messmer
La France prépare mal l’avenir de sa jeunesse (Seuil . Janvier 2007)

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