Axes d’une recherche sur
« ces crises de légitimité qui ont
fait la France »
une approche par la question des
institutions
Ces crises de légitimité [1] qui
ont fait la France
structurent le présent et sont une manière de lire les évolutions passées ou
contemporaines. La France
évolue, se constitue et reconstitue par des crises ; celles-ci paraissent
autant de fractures, elles sont plus profondément des échos, des relectures et
des retours à des expériences déjà faites et qui sont continuées. Ainsi, plusieurs
lignes finissent en deux ou trois siècles par dessiner une seule figure,
jusqu’à la crise suivante.
Ces crises peuvent être classées en trois genres, selon les sujets se
représentant aux différentes époques de l’histoire moderne du pays, avec souvent
des nomenclatures et des lieux de débat identiques. La question des
institutions, celle du relationnement extérieur ou du rapport avec
l’organisation du monde, celle enfin du mouvement de la société, lequel englobe
les problématiques de gestion économique et financière. Elles pourraient toutes
ensemble se rapporter à la dialectique du bien commun et de sa prise en charge
ou non par l’Etat, supposé antérieur aux choix que commandent, pour chaque
génération, les actualités qu’elles soient subies ou initiées.
I
La France
peut s’étudier et se comprendre en mouvement permanent. Pas seulement ou tant
le mouvement de la vie, faisant se succéder les personnes et les groupes au
pouvoir. Mais le mouvement d’une dialectique incessante, propre à un peuple et
qui n’a cessé de s’interroger sur sa place dans le monde et sur son agencement
propre.
La société se pense et se réforme en doctrine, elle évolue et se
structure en France d’une manière qui a fait, dans les deux derniers siècles,
se succéder une approche selon laquelle la civilisation nationale, sinon le
droit naturel, l’emportent sur les institutions politiques qui sont secondaires
pourvu qu’elles respectent ces données premières, les garantissent et les
protègent – c’étaient notamment les réflexions de François Guizot à partir de
1848 sur la démocratie, et de la majorité se disant conservatrice à l’Assemblée
nationale élue en 1871 – puis une seconde approche, volontariste, selon
laquelle les institutions débattues, constitutionnalisées coûtumièrement ou
explicitement, doivent répondre d’un progrès social. Reflet d’un état de la
société ou prise en charge du mouvement de celle-ci ? La première
philosophie politique conduit à une certaine indifférence pour la forme des
institutions, ce qui fit passer la
France de la monarchie à la république, presque implicitement
de 1814 à 1875. La seconde est très débattue depuis que la gauche a trouvé, par
la Constitution
de 1958, les moyens de gouverner qu’elle n’avait guère eues que pendant
quelques gouvernements des deux premières décennies de la Troisième République :
la politique doit-elle conduire le social et l’économique ? La réponse
n’était pas douteuse des années 1920 à 1990 [2] et
l’expérience antérieure d’un premier encadrement des investissements en
infrastructure, des groupements ouvriers et des échanges commerciaux y avait
préparé. Elle l’est devenue aujourd’hui pour deux raisons d’ambiance. D’une
part, l’idéal révolutionnaire n’a plus sa représentation ni même sa pétition
politique - par réaction à la puissance
qui lui était prêtée, il avait fait se fonder une République conservatrice dans
les années 1870-1880, puis s’installer à partir de 1947 la Quatrième République
dans les guerres coloniales et l’entreprise économique européenne D’autre part,
les gouvernants s’interrogent sur leur possibilité réelle d’influencer des
évolutions qui semblent de l’ordre de la civilisation générale et non de la
décision particulière d’un Etat, quelles que soient les élections déterminant
son animation. Et les électeurs interppellent principalement les gouvernants
sur la réalité de leurs prérogatives, donc sur l’efficacité du mandat à leur
confier. Si la politique ne peut plus assumer le mouvement social, épousant ou
contestant les évolutions économiques, celui-ci son autonomie, qui semble
originelle tant d’une point de vue historique que philosphique. Il peut, même
rétrospectivement, être étudié pour lui-même, comme agent des changements
politiques et non plus comme objet de l’action ou de la pensée politiques.
C’est un premier axe de réflexion, et de recherches, pour résoudre la
question de légitimité en France. Il est le plus complexe parce qu’il se
propose traditionnellement depuis deux siècles en termes de descriptions des
faits et des situations – le marxisme et les écoles sociologiques y ont leur
part, y compris les supposés de l’Action française – et guère en termes
spirituels, ceux de l’adhésion ou du refus, les personnes et leurs groupements
acceptant ou contestant l’existant, ou les projets se rapportant à l’existant. Il
se discerne cependant de plus en plus en droit public, davantage en
jurisprudence administrative ou en construction institutionnelle, qu’en termes
constitutionnels, hors les moments – courts – de la discussion de préambule à
de nouvelles loi fondamentales. Une définition de la légitimité – sociale,
quoique il soit plus clair de dire : une contribution du mouvement social
au concept de légitimité – se dégage ainsi : le consentement à la société
telle qu’elle est ou au moins telle qu’elle est capable de s’améliorer et de
satisfaire ceux qui en font partie. L’acceptation de l’autorité et le pouvoir
moral de celle-ci sur les esprits, et donc sur les comportements, s’en déduit.
La France
d’aujourd’hui est, une nouvelle fois, en crise de légitimité parce que la
société, notamment dans ses aspects économiques [3], est
en conflit avec les individus, ce qui déborde la gestion et le débat politique
réputés impuissants ou complices : la loi n’est plus conservatrice ou
créatrice de droits, elle établit et légalise des rapports de domination [4], elle
introduit une philosophie à l’inverse du mouvement des idées depuis les
Lumières en niant de fait l’expression générale qui conteste les évolutions
législatives.
La question est souvent présentée comme celle de la finalité et du
sens, déjà posée en 1968, donc en termes non conflictuels mais de moins en
moins politiques. Le débat est de doctrine autant que de pratique de
l’économie. Il pourrait porter, très pratiquement et politiquement, sur la
coincidence entre ce que décident les dirigeants – nonobstant la représentation
nationale qu’ils dominent, à la manière dont le roi, sous l’Ancien Régime,
avait raison de l’obstruction des parlements – et ce que veulent les citoyens.
L’importance de ceux-ci demeure potentiellement considérable, puisqu’aucune
théorie ni pratique économique ne peuvent leur ôter la fonction motrice qu’est
la propension à consommer, et puisqu’un sentiment partagé par un certain nombre
peut produire des manifestations de rue, puis même renverser un régime politique
et ses institutions, si ce nombre grandit et s’il n’en est pas, à temps, tenu
compte. Les crises économiques et sociales ne sont pas des crises de
légitimité, elles provoquent en revanche un jugement sur la légitimité d’une
représentation et d’un système politique [5].
Jusqu’à présent, les crises françaises n’avaient que des causes
politiques ; elles tendent, autant par la rigidification du système
constitutionnel actuel que par le creusement de l’écart entre la loi et la
volonté générale, à avoir des causes économiques donc sociales : les
mouvements de l’automne de 1995 et du printemps de 2006 sont autant tributaires
de ce creusement que de cette rigidité. Les interrogations éthiques, sinon
poétiques, du printemps de 1968 sont devenues, dans les générations suivantes,
des éléments de sociologie et peut-être la dynamique d’un mouvement mettant en
cause les institutions de tous ordres.
Des étapes antérieures avaient au contraire pendant plus d’un siècle
été beaucoup plus simples. La pétition de justice sociale pour les uns, de paix
sociale pour les autres, le concret, l’expérience inspiraient la philosophie et
les idées au lieu que ce soient celles-ci, comme aujourd’hui, qui aient la
charge de justifier le vêcu. Le mouvement pour le changement jusqu’à une
période récente, la mobilisation contre le changement depuis une dizaine, une
quinzaine d’années. La politique au service de cette dynamique, du moins dans
le vœu de ceux qui font vérifier qu’un régime est légitime parce qu’ils en
acceptent la réglementation, la légalisation, les contraintes pour un bien ou
dans une espérance à leur portée. La recherche porte alors sur la nature,
l’impact, l’organisation de cette force du mouvement et de la mobilisation.
Elle met en évidence des formulations et des étapes, voit dans les événements
et dans les textes, voire dans une éventuelle influence de cet axe sur les deux
autres, un facteur dynamique de cohésion de la société française et de
fécondité. La légitimité sociale est fondatrice. Quand, pour pallier un déficit
de consentement politique – ainsi, à la suite du referendum négatif du Mai 2005 – il est fait état, comme d’un
objectif à atteindre, la préservation du « modèle social français »,
la référence est manifeste à une époque historiquement, idéologiquement révolue.
Ce qui était une organisation consensuelle remontant à la Libération et issue
d’expériments des années 1930, devient un mythe, sans que les causes d’un
démantèlement aient été analysées, à commencer par la mûe de la militance
sociale et de la propension à se mobiliser. Tandis qu’échappent aux
modélisations les irruptions de Mai 1968, Décembre 1986, Novembre et Décembre
1995, voire d’Avril 2006, et surtout la tendance à une spécialisation des rôles
dans la manifestation du mal-être ou de la revendication, comme si une
catégorie, ou une génération, ou un seul état de vie parlait, réclamait, criait
et obtenait pour tout le monde. En ce sens, la dialectique sociale française
reste originale. Elle est moins revendicative que les éphémérides, ne rendant compte
que des explosions ou manifestations, le fait penser. La conscience des crises
financières, ainsi en 1789 et en 1799, ou en 1925-1926, ou aujourd’hui, induit
des consentements qui ne déterminent pas a priori une légitimité, mais
permettent de nouvelles apprpoches philosophiques et même institutionnelles.
Plus que les solutions, la manière d’y parvenir et de s’accorder, caractérise
le mouvement social français, alors que l’opinion générale croit que
l’originalité nationale tient aux institutions. Assertion reçue et qui se
vérifie fausse, l’absence de perspicacité citoyenne des nécessités et donc des
consentements à donner pour des sacrifices pratiques : la conscience est
aujourd’hui générale que l’endettement du pays est dangereux et sera insupportable
pour les générations à venir. Les dirigeants semblent ne retenir du tempérament
national que la propension à la critique et à la révolte par refus, ils
craignent des modes spontanés d’organisation vêcue par eux comme
révolutionnaire puisque représentant, en tout cas pétitionnant, l’alternative à
leurs propres modes d’installation et de décision.
La recherche de ce que la question sociale apporte de contenu au
concept et à la pratique de la légitimité, doit donc considérer la coincidence
ou non de ce qui se décide et de ce qui est voulu. Elle doit étudier ce qui
construit donc ou détruit l’adhésion à des pratiques, à des institutions
encadrant ou pas ces pratiques Les points de vue des gouvernés et des
gouvernants s’empêchant mutuellement, se défiant les uns des autres ou au
contraire parvenant à édifier consensuellement une architecture, est à
rechercher dans leurs explicitations ou à déduire du mouvement social. Le
consensus est fait d’abord du sentiment dominant que les réponses aux attentes
sont adéquates ; il peut aussi s’enrichir, se conforter de la consience
d’une certaine exemplarité d’une génération, voire de l’ensemble de la nation
assumant une responsabilité vis-à-vis des autres peuples pour les changements à
opérer dans la pratique de l’idéologie dominante. La France est alors en
continuité avec l’élan révolutionnaire : apporter des solutions aux
contrariétés entre l’observable et le souhaitable, entre l’état des choses et
le mouvement des esprits. L’histoire du mouvement social est peu écrite ;
elle n’est pas développée au regard de son apport à la légitimité. Les sources
sont dispersées [6] et l’étude des auteurs est
séparée de celle des événements autant que de l’appréciation avec le recul des
analyses politiques ou doctrinales des événements [7].
II
La politique extérieure est déterminante en France parce que le
positionnement du pays et des Français en présence des rapports de force dans
le voisinage et dans le monde, est originellement, constitutivement le premier
élément de l’identité nationale, bien plus que le sentiment de commune
appartenance ou d’intérêts partagés. Longtemps perçue en termes d’indépendance
– sous la monarchie d’Ancien Régime et sous cette façon de restauration qu’à
bien des égards diplomatique et constitutionnel a constitué une période encore
récente, celle du général de Gaulle de retour au pouvoir – la politique
extérieure a été parfois un impérialisme intellectuel et moral : la
justification de notre seconde expansion coloniale sous la Troisième République,
si différente de la première ; elle a consisté en d’autres période à
prôner un modèle politique et juridique quand nous nous sommes trouvés en
position de force, sinon de quasi-hégémonie, à la suite de la Révolution ou après la Grande Guerre, voire
à l’imposer : le Code civil, la mise à bas des féodalités, un certain
parlementarisme sans souveraineté ni dynastique ni populaire ; enfin, elle
a sa version sécuritaire et obsessive. Ces trois avatars de notre présence au
monde et de notre représentation de nous-mêmes dans le monde sont une même
façon – analogue à la pétition tardive d’une exceptionnalité française pour son
mouvement social – de prétendre à l’exemplarité, à l’inimitable. La France fusionne
difficilement. L’adhésion au centralisme étatique et à la vie politique, quels
qu’en soient l’énoncé constitutionnel et la pratique, a souvent été
proportionnée au consensus envers la politique extérieure. L’expansion
coloniale, ses aléas, ses revers et ses succès de 1870 à 1940 – déjà
l’expédition d’Alger courue en 1830 comme si elle pouvait compenser le heurt
entre la cour et l’opinion sous Charles X – et l’alliance franco-russe, surtout
la victoire de 1918 ont établi la
République dans les esprits bien plus que les votes de
l’Assemblée nationale en 1875. La défaite de 1940 et surtout la prise de
conscience des erreurs qui l’avaient causée ont permis l’impensable : les
deux révolutions institutionnelles opérées par le maréchal Pétain et par le
général de Gaulle et dont la Troisième République était incapable vis-à-vis
d’elle-même. Un régime qui ne protège plus le pays du monde environnant perd sa
légitimité. La chute des deux Napoléon le montre. En revanche, la mutation des
relationnements extérieurs : la décolonisation, l’entreprise européenne,
n’est ressentie comme une perte de substance, ou un acroissement de rayonnement
moral et politique et de sécurité sociale que par une minorité. La part
prépondérante du pays et de son intelligence revient assez facilement à
considérer que même autrement constituée ou agencée, la France ne perd rien et que,
par le truchement de nouveaux ensembles, qu’elle saura inspirer sinon diriger,
elle gagnera même en influence. La conscience de valoir absolument par soi-même
et d’apporter quelque chose d’essentiel à l’organisation du monde ne se dément
donc jamais qu’il se soit agi autrefois (et parfois ces années-ci) de lutter
contre l’hégémonie du moment, de répandre un modèle institutionnel (la
monarchie absolue et ses monuments intellectuels et architecturaux, la République et ses
artistes et écrivains, la coopération avec le Tiers monde ou l’environnement)
ou d’esquisser le gouvernement du monde : ainsi, au plus profond de
l’abaissement de 1940 à 1944, la
France prétend-elle, suivant le camp où elle se trouve en
partie, contribuer au nouvel ordre européen ou amender la future Charte des
nations unies. Qu’elle s’arrête de moraliser, qu’elle se range à une
domination, surtout si celle-ci a une prétention culturelle et spirituelle (le
gallicanisme avait les mêmes racines dans l’inconscient national que l’hostilité
aujourd’hui envers le modèle américain), et ses dirigeants paraissent
asservis : symptomatique, renouvelé et durable le débat sur les formes de
la participation française à des institutions supranationales, ainsi la
« querelle de la C.E.D. »
[8] ou la
ratification des traités européens en 1992 [9] et en
2005 [10],
divise profondément l’opinion et donc les dirigeants, chaque fois, qu’il se
renoue. Ce qui a été longtemps – sous les Troisième et Quatrième Républiques –
toléré pour les pouvoirs publics constitutionnels, ne l’est jamais durablement
pour l’évolution sociale ou la posture diplomatique : la sensation d’un
asservissement mental, quand elle devient le jugement répandu, ruine la
légitimité bien plus sûrement que l’impuissance ou l’inefficacité d’un système
de gouvernement.
La recherche met en évidence le lien entre l’adhésion à une politique
et la légitimité des institutions : la conduite de l’économie ou la
gestion du mouvement social – qui sont des politiques tant qu’il est admis que
les pouvoirs publics y aient leur part – peuvent provoquer des explosions,
nourrir des revendications et des conflits, elles ne mettent pas en cause
l’attachement que la nation a envers elle-même. La politique extérieure, au
contraire, parce qu’elle est le produit d’une conscience identitaire et d’un
goût pour l’indépendance, détermine en bonne partie la légitimité du régime en
France, et si elle ne tient pas lieu de tout, c’est sans doute parce qu’elle
est parfois moins consensuelle que son brio le laisse croire. La geste
extérieure du général de Gaulle, aujourd’hui inscrite consensuellement dans les
mémoires, ne fut pas vêcue ainsi : la part fondamentale prise par la
« diplomatie gaulliste » dans la cristallisation d’un premier modèle
de gestion (et d’indépendance [11])
européenne n’était pas comprise, le ballotage du 5 décembre 1965 en résulta
pour une bonne part, la distance et la critique vis-à-vis d’Israël ne firent
pas l’unanimité, le parti pris vis-à-vis du mouvement national au Canada moins
encore. Par contraste, la diplomatie de François Mitterrand était davantage
unanimitaire et les positions de celui-ci, puis de Jacques Chirac vis-à-vis des
actions américaines ont été largement soutenues et même précédées par l’opinion
publique. Au contraire, les erreurs du Second Empire ou le pacifisme de la Monarchie de Juillet à
ses débuts étaient au débit politique de ces deux régimes. Les premiers
sondages d’opinion ont coincidé en France avec les accords de Munich [12], ils
confirment l’adhésion populaire aux abandons consentis en Septembre 1938, alors
même que ce qui les avait annoncés depuis Mars 1936 n’était pas accepté. La
recherche, si elle porte davantage sur les thèmes et la manière dont ils sont
ressentis, plutôt que sur les événements et les négociations, montre qu’au-delà
des réflexes nationalistes, l’esprit français a surtout une conception de la
stabilité de l’environnement international, il est pacifiste. En quoi de son
vivant de Gaulle a dérangé les Français, parce qu’il nourrissait et structurait
une contestation : l’attitude vis-à-vis de l’Union soviétique fut donc
bien mieux reçue que celle vis-à-vis des Etats-Unis, c’est d’ailleurs celle-ci
qui était sujette à censure au Parlement. Elle ne l’est plus aujourd’hui.
Ainsi, la légitimité, sous l’angle social, a-t-elle un contenu pour fondement
et dispose-t-elle donc de critères dont la vérification conditionne la réponse
du grand nombre, tandis que sous l’angle des relations extérieures, elle est la
sensibilité à des attitudes, donc propre à des entrainements contradictoires.
Mais autant l’approche des relations extérieures rend compte d’adaptations ou
d’innovations institutionnelles, et d’une motivation du législateur et du
constituant, autant le mouvement social est resté jusqu’à présent sans prise
sur les textes organisant les pouvoirs publics, seules des déclarations – à qui
la valeur constitutionnelle est cependant maintenant reconnue – en rendent
compte en termes de consécration qui varient peu d’un régime, voire d’un siècle
à l’autre. La politique extérieure – ses revers plus que ses succès – pèse sur
l’agencement institutionnel tandis que est de plus en plus indépendant de la
philosophie sociale. La crise contemporaine, dont tous les traits n’ont pas
encore été relevés, est probablement faite d’une dominance sans précédent sur
la société, d’évolutions et de relationnements exogènes et d’une certaine
impuissance des institutions jusqu’à présent à rendre compte et même, selon la
poussée de l’opinion publique, à la contenir et à en avoir raison. Le mouvement
social se sent autant bridé par l’abandon des politiques de gestion économique
et sociale – même si les intitulés de lois et des mesures gouvernementales
tendent à persuader du contraire – que par l’attitude des gouvernants dans
l’évolution et le contenu des relations internationales – à propos desquelles
l’écart est encore plus grand que dans les domaines économiques et sociaux,
entre ce qui est prétendu, l’indépendance nationale ou les conjonctions
européennes, et ce qui est effectif, la soumission à des idéologies dominantes,
elles-mêmes en grande partie déterminées par une hégémonie et la manière que
celle-ci a de se défendre.
III
Ces deux axes de recherche et de réflexion sur la légitimité, l’un
considérant le mouvement social et l’autre l’influence de la relation française
au monde, aboutissent à périodiser l’histoire contemporaine de la France et à caractériser
les éléments du consensus. Ils ne permettent pas de déterminer des solutions
pour obtenir ce consensus. Le troisième axe, dont le champ est logiquement issu
des deux premiers, propose au contraire une méthode d’observation de la
constitution de ce consensus [13]. La
transcription dans des institutions du consensus est le fruit d’une réflexion
sur la société et d’une prise de conscience des nécessités du pays dans le
monde tel qu’il est, voisinages étatiques et idéologies dominantes qu’elles
soient politiques ou économiques. Ainsi apparaissent des concepts puis des
techniques.
Les crises de légitimité en France – quelles aient une origine sociale
ou soient le fait d’un choc extérieur – se résolvent en établissement ou en
changement des institutions politiques. Le consentement général – la volonté
générale depuis Jean-Jacques Rousseau, à défaut de la mise en œuvre du suffrage
universel direct – ne s’obtient pas seulement par l’efficacité des
institutions ; la légitimité, en tant que sentiment, jugement commun
déterminant adhésion et même obéissance, hors de toute contrainte matérielle,
est un accord de la nation avec elle-même et non avec ses dirigeants : là
est la mûe, transcrite par la révolution de 1789. A l’inverse,
l’impuissance des institutions n’est pas un facteur décisif pour que l’opinion
générale s’en détache. La politique extérieure peut provoquer la chute d’un
régime : le Second Empire, la Quatrième République
(si la question coloniale peut être considérée comme ressortissant de la
politique extérieure), le mouvement social non, mais la résistance d’un système
de gouvernement aux évolutions réclamées le ruine, quelle qu’ait été sa
longévité : la monarchie d’Ancien régime, les monarchies parlementaires et
peut-être la
Cinquième République, chacune dans la mesure où les réformes
proposées et même appliquées ne correspondaient pas à une attente qui ne fut
pas identifiée à temps, qui ne le serait pas davantage aujourd’hui.
Partir d’abord de l’axe des questions et solutions institutionnelles
pour déterminer ce qu’est la légitimité en France, et n’étudier qu’ensuite – et
probablement selon le modèle que l’étude constitutionnelle aura permis de formuler
puis d’éprouver – les éléments de société et de politique extérieure de la
légitimité, appelle quelques partis pris de méthode.
Ce sont ici les suivants :
1° l’étude des textes pour eux-mêmes, c’est-à-dire dans leur
littéralité et indépendamment de leur origine et de leur pérennité. Ils peuvent
être de deux sortes.
Les textes constitutionnels, les propositions en forme déposées par le
gouvernements ou par les parlementaires, les débats de révision
constitutionnelle ou au moins d’examen de ces propositions, les incidentes
portant sur les institutions à l’occasion de débats qui ont en principe un
autre objet [14].
Etude aussi de la doctrine pourvu qu’elle ai eu ou qu’elle garde prise
sur les événements. Il est naturel de privilégier les analyses et propositions
d’anciens ou de futurs acteurs de la politique nationale [15]:
parlementaires, constituants, gouvernants. Mais elle peut être l’évaluation par
des jurisconsultes des propositions, des transcriptions et des pratiques
constitutionnelles [16].
L’ensemble forme un indicateur de l’opinion générale dans ce qu’elle a de plus
réfléchi, informé un indicateur qui peut devenir un ferment pour le mouvement
des idées dans toute une époque, et avoir donc des conséquences sur l’évolution
d’un régime ou l’invention d’un autre.
Deux instruments sont à constituer, qui manquent aujourd’hui en France.
La collation exhaustive des textes constiutionnels, pas seulement ceux du droit
positif, mais l’ensemble des débats et propositions y ayant conduit. Le
répertoire des thèmes, des auteurs et des actes [17].
2° la recherche des liens, soit juridiques, soit thématiques, entre les
différents textes et par extension entre les différents régimes, ce qui
transcende leur chronologie, et bien souvent leur typologie. Cette recherche
approche le plus notion et concept de légitimité avec le corrélat de celle-ci,
la légalité.
3° la mise en relation des dispositions ou des propositions de chaque
époque et de chaque instance ou institution, en tant que les unes et les autres
concourent à la définition ou à l’enrichissement de concepts fondamentaux. La
liste de ceux-ci ressortit de leur apparition dans les débats et non d’un choix
contemporain rétrospectif, qui risquerait d’orienter l’examen (et d’en
amoindrir le questionnement) des textes de toutes époques et provenances.
4° la mise en situation des solutions institutionnelles dans l’ensemble
du débat d’opinion qui leur est contemporain et qu’attestent autant le
mouvement intellectuel général que les élections.
*
* *
Considérés avec ces partis pris de méthode et selon la réunion de ces
outils de travail, l’histoire de la légitimité des institutions
constitutionnelles et les éléments-mêmes de cette légitimité peuvent résulter
de plusieurs études.
La première envisagerait les thèmes auxquels la France a toujours été
attachée :
. la
souveraineté
. la
représentation
. la
légitimité
(ou s’est
progressivement attachée, en s’apprivoisant au mot) . la démocratie
ce qui conduit
à s’interroger sur leur ordre d’apparition dans notre histoire et sur l’évolution
de leur formulation en droit positif et en doctrine.
L’étude des procédures porterait notamment sur :
. les
changements de régime, comment ?
. les degrés
de continuité ou de rupture
. les
légalisations, comment ? en forme d’énoncés de principes rétrospectivement ?
ou selon des consentements ?
. les
procédures régulières de révision, une des matières les plus changeantes de
notre droit constitutionnel
. le fortuit
ou l’événementiel dans les avancées d’identité d’un régime
Celle des techniques principales aurait à examiner :
. les lois
électorales, les systèmes de représentation
. les
Assemblées, leur nombre, leur nature, leurs relations avec l’exécutif, entre
elles
. la
responsabilité gouvernementale et ministérielle, au pénal, politique
. l’institution
de chef de l’Etat
. la
dissolution
. le contrôle
de constitutionnalité
leur
discussion tant en doctrine qu’au sein des assemblées, leur application
diverse.
L’étude de l’écriture constitutionnelle, elle-même, est
productive ; les travaux la concernant sont dispersés et ne prennent pas
en compte l’ensemble des régimes. Pour cette histoire des élaborations des
grands textes, il manque le lien entre la doctrine et les constituants, entre
les parlementaires et gouvernants d’une part et les penseurs et jurisconsultes
d’autre art. L’histoire des idées politiques est davantage celle des thèmes que
celle du mouvement des idées sur l’organisation des pouvoirs publics, et donc
de la pression de l’opinion générale ou de l’idéologie dominante sur les
rédacteurs et les délibérants.
En France, enfin, la chambre d’échos est décisive comme la place des
précédents historiques et des régimes passés, dans les discussions
d’instauration ou de révision constitutionnelle. Les grandes résurgences, les
parentés entre assemblées, entre personnalités d’une époque à l’autre
manifestent la stabilité d’acquis et la réversibilité de solutions.
Ces synthèses font apparaître, chacune, une succession de moments et de
crises, qu se recouvrent. La
France se constitue, particulièrement à l’époque
contemporaine et pour ce qui est de ses institutions publiques, par crises
successives. Aucune n’est tout à fait exceptionnelle, des ressemblances et des
dépendances soit factuelles soit idéologiques les unissent ou les dinstinguent
autant que les enchainements de la chronologie.
La première crise n’est pas celle de l’Ancien Régime, auquel il aurait
fallu – table rase – trouver un substitut. C’est au contraire, le triomphe
d’une alternative idéologique, théorique, conceptuelle qui emporte d’anciennes
institutions et conduit à en fonder d’inédites : plus qu’une nouvelle
tradition commence le cours de nouveaux principes. Le mouvement constitutionnel
français débute – bien avant la
Révolution – par l’opposition entre la formulation de plus en
plus répandue et consensuelle d’une analyse de la société humaine, qui fondera
les théories et applications du droit naturel, et un droit positif [18]
lui-même en gestation de nouveaux agencements. Ce qui rétrospectivement est
présenté comme la fin de l’Ancien Régime et d’un régime plus social que
d’organisation des pouvoirs publics, est en réalité une période où se cherche
une constitution qui avait toutes probabilités de n’être pas écrite d’un seul
trait, mais faite de la juxtaposition de solutions pratiques à des problèmes
successifs. Les réformes et abandons de réformes sous Louis XV et sous Louis
XVI sont autant d’adaptations créatives ou au contraire des refus de toute
solution institutionnelle nouvelle : l’ensemble forme un legs à partir
duquel aurait pu s’écrire puis se pratiquer une évolution constitutionnelle
sans rupture ni avec le passé, ni selon des étapes déterminées par les
changements de circonstances et d’ambiances. Ce legs est encore à inventorier,
non que les institutions d’avant 1789 ne soient pas bien connues, mais elles
n’ont pas été analysées selon ce qu’elles auraient pu produire en termes les
plus modernes. Il a été retenu la transcription de plusieurs institutions ou
leur reconstitution, telles que le Conseil d’Etat ou la Cour des comptes, et surtout
la place finalement prééminente à rendre ou à laisser au chef de l’Etat – alors
même que les constituants révolutionnaires en avaient d’abord pris le
contre-pied ou oubliaient que la solution aux problèmes dont ils étaient
conscients mais ne maîtrisaient pas – mais le fond, l’exercice du pouvoir et
l’équilibre des rôles, peut être regardé comme une constitution non
systématisée quoiqu’ayant des éléments très codifiés par les jurisprudences ou
par des déclarations les synthétisant. Ainsi, l’identification du Roi à la Nation et réciproquement a
permis, même en théorie, de placer la
Nation dans les édifices constitutionnels à la place
fondamentale qu’elle occupe depuis 1789. Toutes les thèses qui ont tendu à
justifier, à défaut du droit divin, le rôle prééminent du Chef de l’Etat ont
joué de deux registres, celui de la délégation qui s’accommode du concept de
souveraineté telle que celle-ci a été définie par la Révolution, celui de la
relation avec le peuple [19]. Le
peuple, organe autant que sujet de l’organisation des pouvoirs publics, et la
nation désignant l’universalité des citoyens sans que jamais les raisonnements
développant le dogme initial de la souveraineté nationale n’aille à l’acception
d’une souveraineté populaire. Le lien entre souveraineté et loi, entre
détention de la souveraineté et formulation de la loi [20], est
également implicite dans la problématique institutionnelle de l’Ancien Régime.
Il suffit au constituant de 1789 de transférer la souveraineté du Roi à la Nation pour que la loi ne
soit plus le vouloir royal – moyennant encadrements, limites jurisprudentielles
et responsabilité du Roi en conscience – mais l’expression de la volonté
générale. L’indivisibilité de la
République est transposée de l’indivisibilité du Royaume,
elle est matérielle. Le débat entre le Roi et les Parlements, dont la
composition n’est pas élective, aurait pu porter sur un retour à la première
des fonctions originelles du monarque, la justice rendue directement dans le
domaine royal et sur appel pour tous les ressortissants du système
féodal ; l’analyse des vingt-cinq dernières années de l’Ancien régime tend
au contraire à montrer qu’une répartition moderne des rôles est cherchée par le
Roi et ses conseillers, que le judiciaire ne soit pas cumulé avec le législatif,
à l’occasion des procédures d’enregistrement et de remontrance. La Constituante coupe
court à ces évolutions et il n’a pas été question pour elle de trancher des
débats institutionnels antérieurs à la réunion des Etats-Généraux ni même de
partir des éléments de droit public que remettait à l’honneur la réunion de
ceux-ci : l’extrême liberté du suffrage et sa quasi-universalité qui
devront attendre 1848 et la loi électorale qui suivit, pour vraiment entrer et
irréversiblement dans le droit politique français. Avec cette première
assemblée apparaît le dilemme de toute l’évolution constitutionnelle à
venir : développer ce qui est en puissance dans l’héritage recueilli au
moment de la mise au travail des rédacteurs, ou bien essayer tout autre chose.
Le développement de l’expérience factuelle acquise ne pouvait être la
manière de 1789 puisque la lecture de tous les siècles précédents changeait,
l’histoire du pays et la cohésion sociale n’étaient plus le fait du Roi mais de
la Nation, le
Roi ayant par conséquent usurpé son rôle et ne pouvant désormais, s’il lui
était conservé, que le recevoir ou au lieu de l’avoir en possession d’état [21]. Les
propositions royales d’organisation du travail des Etats généraux auraient pu
valoir par elles-mêmes comme les premiers éléments d’une Constitution
écrite [22] mais en continuité avec
l’Ancien Régime : elles ne pouvaient être acceptées par l’Assemblée en train de
se constituer, sauf à nier tous les éléments qui allaient fonder ses
prérogatives. Il fallait donc inventer tout autre chose et partir de vues
théoriques. La plus nouvelle, politiquement, parut être la doctrine de la
souveraineté ; elle est depuis de fondation [23],
mais elle n’a imposé que très lentement ses conséquences institutionnelles.
Tandis que celle de la séparation des pouvoirs [24] qui
n’a pas toujours induit celle des fonctions [25] et
qui a même souvent donné lieu à une pratique de la souveraineté inverse de
celle sur laquelle tout s’était fondée à la Révolution [26], a
été la matrice des crises qui ont suivi et le point d’opposition ou de dogme
révéré pour organiser les institutions, la composition de chacune commandant le
plus souvent les relations entre elles. La disposition constitutionnelle la
plus féconde a été la première en date et dût peu à la théorie : la responsabilité
des ministres [27] et la nécessité de leur
contreseing fut décidée [28].
Elle est grosse, en fait, du régime parlementaire. Mais, faute d’une pratique
sereine [29], la Constitution de 1791,
oriente le pays vers le contraire [30] :
la responsabilité du chef de l’exécutif, pas tant devant l’Assemblée, les
textes ne l’organisent pas, ne la conçoivent pas, mais devant le peuple et à
l’initiative de celui-ci [31]:
violente. Ce sont les journées de 1792. Au mal-être du Roi qu’a manifesté sa
fuite répond la défiance du peuple : les souverains (la Nation et le Roi) ne
peuvent coexister ni se hiérarchiser, à l’époque, quoique le Roi ne se rebelle
que pour des motifs concrets et ne s’écarte pas du modèle institutionnel qu’il
a accepté, et que de lui ne vienne pas une contestation de principe. Le
différend est très moderne, il porte sur une divergence d’appréciation sur les
textes à prendre [32]. Il
a pour origine le défaut majeur [33] de
la construction de 1789-1791 : la mise en œuvre stricte de la séparation
des pouvoirs : la représentation nationale a l’élaboration de la loi,
l’exécutif ne fait pas la loi mais en surveille l’application [34].
Paisiblement appliquée au contraire, la novation de 1789-1791 pouvait
conduire une histoire évolutive des institutions publiques nationales [35]. Les
grands chantiers ouverts par Louis XV et concernant l’unification du droit
applicable, la centralisation sur un mode uniforme des gestions locales, la
relation entre le judiciaire (on disait alors les parlements) et le
gouvernement, pouvaient se continuer sans qu’il y ait à désormais
l’organisation de la conduite et du contrôle de la machine étatiuque. La crise
vint de l’abolition de la royauté, sans qu’une affirmation encore plus
universelle en 1792 qu’en 1789 de la prééminence du souveraineté originel :
la nation, puisse faire immédiatement trouver le susbtitut ou la transposition.
L’excès du gouvernement d’assemblée et la défiance envers l’exécutif comme
envers le monocamérisme que reflèta la Constitution qui prétendait – comme celle de
1791, déjà – finir la
Révolution en 1795, ont déterminé cette seconde crise, autant
dans les esprits que dans le fonctionnement des institutions. Ni sous la Législative, ni sous
le Directoire, l’ordre constitutionnel ne paraît légitime, consensuel. La
solution qu’apporte la
Constitution de l’an VIII est la réhabilitation d’une
direction personnelle du gouvernement. Elle a deux conséquence. La première
paraît de simple présentation mais marque bien qu’une époque s’achève : la
définition de la souveraineté, les exposés de philosophie du droit public et
social sont, pour longtemps, éludés soit pour être niés soit pour être au
contraire considérés comme acquis [36] –
leurs énoncés ne seront tentés à nouveau qu’à des moments s’avouant
explicitement révolutionnaires : 1848 puis 1945-1946, et en recherche de
novation . La seconde est de technique juridique, mais elle est bien plus
novatrice pour la pratique des institutions : en même temps qu’apparaît le
terme de gouvernement [37], la
possibilité est donnée à celui-ci d’une initiative des lois [38].
L’évolution majeure sera, dans le partage de la fonction législative entre les
deux pouvoirs, dont la distinction ne devrait plus être celle de Montesquieu –
théorique et idéelle – mais celle, sociologique, de Max Weber : la fonction de
délibérer et de contrôler, la fonction de proposer et de gouverner, système de gouvernement qui ne peut être
décrit ni d’un point de vue exclusivement juridique, ni sous l’angle
strictement empirique, que développe Georges Burdeau [39],
dont n’est pas éloigné Maurice Hauriou [40] et
qui a inspiré le projet de constitution du maréchal Pétain [41] .
Ces deux premières crises, et les solutions qui les résolvent, sont
chacune un type dans l’histoire constitutionnelle de la France.
La première naît d’une contestation idéologique, morale même par
certains aspects, d’une situation des institutions existantes dont le
fonctionnement est de surcroît défectueux. Un événement extérieur aux
institutions ouvre la voie à leur remplacement par leur contrepied, selon un
consentement presque général et l’énoncé d’une nouvelle théorie
constitutionnelle. C’est le renversement du régime impérial du fait de
désastres militaires en 1814 et en 1870, de la Troisième République
du même fait en 1940, du régime de Vichy enfin, dans son fonctionnement de fait
comme dans la proposition constitutionnelle qu’avait préparée le maréchal
Pétain, par la libération du territoire métropolitain en 1944. Chaque fois, la
table est rase, la mémoire surtout interdite, les solutions et expériences
honnies.
La seconde naît d’une paralysie des institutions elles-mêmes ne
parvenant pas à évoluer ou à se réformer, paraissant bloquées aux yeux de leurs
principaux acteurs comme à l’opinion publique générale. C’est le renversement
des deux branches aînée puis cadette des Bourbons en 1830 et en 1848, c’est
aussi – de modalités très différentes de celui de Brumaire – le coup d’Etat en
1851, c’est enfin la démonstration par
la révolte populaire et militaire d’Alger en 1958 que la Quatrième République
ne peut plus répondre du destin national.
Les deux types de crise ont en commun qu’elles sont de rupture. Ils
engendrent, l’un comme l’autre, un changement quasi-total des acteurs
politiques et de la représentation nationale ; ils ne font aucune économie
de légalité, même si en 1940 et en 1958, il y a une continuité juridique, au
contraire explicitement refusée en 1814, en 1870, en 1943 ; ils
n’instaurent pas pour autant le régime qu’ils prétendent initialement.
Les crises qui suivent celles de 1789 et de 1799 ont pourtant chacune
leur originalité : dans les circonstances, dont l’étude excède le champ de
notre thèse sur la légitimité, dans ce qu’elles produisent comme institutions.
Chacune est un apport, les unes après les autres finissent par discriminer ce
qui demeure et ce qui aura été d’une époque seulement. Mais les deux premières
ont posé un principe et une nécessité : le principe d’une souveraineté
collective et la nécessité d’un gouvernement que celle-ci délègue. La question
de la confection de la loi restant de modalité à débattre, débat qui est moins
clos aujourd’hui que jamais.
La doctrine de la souveraineté nationale – quand elle peut, du fait de
l’abolition de la royauté par décret de la Convention nationale
des 21-22 Septembre 1792, produire toutes ses conséquences –, appelle
logiquement la participation directe des citoyens, de tous les citoyens, à
l’exercice de chacun des pouvoirs, séparés ou pas. Comment l’établir ? La
question est d’abord de doctrine, quoiqu’elle corresponde vite à une sociologie
contraignante quand le peuple – parisien – est en armes. La réponse sera
formulée, comme par défaut et en termes souvent désabusés : le suffrage
universel, parce qu’il n’y a rien au-delà, quoique soit discutée la capacité
des personnes à traiter des sujets du moment, de l’époque révolutionnaire [42] à
l’automne de 1962 quand il y a à décider par referendum de l’élargissement
ultime du collège électoral pour désigner le président de la République [43]. De
cette défiance envers la capacité réelle des citoyens de juger des affaires
communes , il ne pourra durablement ni explicitement être fait état ; la
sociologie imposera le suffrage universel [44],
mais les modalités ont été longues à définir, et les pratiques insidieusement
contraires sont restées à dénoncer et à éradiquer à chaque époque. Le cens et
donc la réforme électorale n’ont posé question qu’au bout de cinquante ans
d’affirmation de la souveraineté nationale et du principe de
représentation : c’est le thème de la campagne des banquets initiée à
l’automne de 1847 qui aboutit à la chute du régime et à la dénonciation des
compromis de Juillet 1830. Les députés de complaisance, notamment les
fonctionnaires, sous les deux monarchies parlementaires [45], et
la pratique des candidature officielles sous le Second Empire [46] sont
la seconde phase du combat pour l’universalité et la sincérité électorale. Mais
l’exclusion de certaines catégories de citoyens, soit pour des raisons de
situation personnelle, soit pour des raisons de statut, puis les modalités
pratiques de l’opération de vote, enfin l’accession des femmes au même droit
d’élection et d’éligibilité que les hommes, puis l’abaissement des âges de
pleine capacité civique, ont moins pesé, que l’énoncé du principe du suffrage
universel, pour l’adhésion au régime politique.
Le combat de la démocratie directe oppose en fait, et depuis 1789, deux
conceptions d’exercice de la souveraineté nationale. Il est pratiquement la
revendication d’un retour à la base, qui n’est pas d’abord conçu dans la forme
référendaire [47] alors même que la
première proclamation de la
Convention laisse attendre celle-ci [48] et
que la logique du transfert de la souveraineté du Roi à la Nation emporte, pour toute
nouvelle Constitution, la nécessité de l’acceptation populaire [49] . La Révolution opte pour le
système des assemblées primaires ; celles-ci constituent, sous des
appellations et selon des procédures diverses, une instance de consentement
tacite aux lois votés par le Corps législatif [50] où
la réclamation est possible, où la
censure du peuple sur les actes de la représentation nationale [51],
puis le vivier (les listes) de toute nomination à des fonctions administratives
et judiciaires, et même gouvernementales ou législatives, jusqu’à ce que dans
l’administration locale les représentants nommés par le pouvoir exécutif
s’imposent [52] et
que l’instauration du suffrage universel abolisse de fait ces assemblées. Le
referendum de ratification constitutionnelle est de droit sous la Révolution et sous
l’Empire. Il est refusé par les monarchies parlementaires [53] et
n’est accepté par la république parlementaire que de mauvais gré. La procédure [54],
proposée inopinément par le général de Gaulle en 1945 [55], est
critiquée par la majorité de l’Assemblée consultative provisoire [56] mais
le referendum du 21 Octobre 1945, parce qu’il est positif, la consacre et
oblige les assemblées constituantes successives ; elle ne sera pratiquée ni par
la Troisième
République [57] ni
par la Quatrième
[58],
mais elle sera très réclamée dès l’Assemblée Nationale de 1871, puis par les
nostalgiques de l’Empire [59], le
général Boulanger [60] et
même par les socialistes qu’emmène avec persévérance Edouard Vaillant [61]. Le
referendum a, selon les propositions de résolution de ces derniers, une
application bien plus large que la ratification constitutionnelle : pour
les uns, c’est bien d’une extension matérielle qu’il s’agit, ce dont François
Mitterrand et Jacques Chirac, pour la Cinquième République
se soucieront avec un succès inégal, mais aussi une ambition différente [62];
pour d’autres, dès la
Quatrième République [63],
c’est de la légitimité des lois électorales et de leur changement, souvent très
circonstanciel, qu’il est question [64].
Le débat sur le referendum renoue avec ce qui fut décidé, mais non
débattu, en 1789 : le transfert de la souveraineté d’une personne, dont le
pouvoir est héréditaire ou pas, à une assemblée, censément délégataire de
l’universalité des citoyens. Le Roi avait accepté cette nouvelle lecture de
l’histoire française et s’il s’opposa à l’Assemblée, ce fut sur des points
concrets, certains des décrets de celle-ci, comme d’ailleurs la Constitution le lui
permettait, au moins par le veto suspensif pendant six ans [65]. Le
débat initial n’était donc pas d’idées. Il ne l’est jamais devenu puisque la
logique ultime de la souveraineté nationale est l’initiative populaire, à
égalité de l’initiative des tenants des pouvoirs délégués par celle-ci ou
supérieurement. Ce qui ne fait l’objet d’aucune proposition de loi et encore
moins de réforme gouvernementale. Il est mené en réminiscence historique, le
souvenir des Bonaparte, en fait du Prince-Président s’imposant comme Napoléon
III, cristallise l’opposition tant à l’élection au suffrage direct du président
de la République
qu’à la procédure référendaire [66]. Que
la première soit proposée au moyen de la seconde, passe aussitôt pour un
comble.
Il s’agit en fait de deux questions distinctes. Comment confectionner
la loi pour qu’elle soit effectivement l’expression de la volonté
générale ? autrement dit quel mode d’association directe des citoyens à
l’écriture des textes et plus encore à leur décisions ? La réponse
ancienne a été celle, non pratiquée, de la proposition de Constitution faite
par la Gironde
à la Convention
nationale. La réponse du général de Gaulle a été le recours au referendum, mais
à l’initiative des gouvernants. Reste attendue la constitutionnalisation de
l’initiative populaire du referendum. L’essai de la procédure, tardivement
légalisée après avoir été longtemps interdite quand il eut lieu spontanément,
se fait au plan communal . Les applications : thèmes et résultats tant
électoraux que pour la décision municipale, méritent d’être recensées et
étudiées.
La réponse, longtemps hésitante, à l’autre question, celle de l’origine
des pouvoirs du chef de l’Etat, aboutit à une solution proche de celle trouvée
pour la décision sur les textes de lois : la compétence exclusive du
souverain, le peuple, choisissant directement le chef de l’Etat. Mais une telle
origine et donc un tel rapport avec le souverain met en cause la représentation
nationale et la délégation qui lui est faite par les élections d’assemblées et
établit, en fait, une place du chef de l’Etat [67] dans
l’organisation des pouvoirs publics qui n’est pas seulement fonctionnelle, ce
qui clôt un autre débat, celui du régime d’assemblée, forme la plus pure de la République pour
certains. Donner au chef de l’Etat une légitimité propre ne détermine pas
seulement qu’il y ait un gouvernement qui ne soit pas une commission
parlementaire sans le nom, mais conditionne le fonctionnement-même du régime
parlementaire ; refuser des modalités constitutionnelles pour conférer
cette légitimité, c’est soit s’en remettre aux circonstances, ce qui s’est
vérifié à trois reprises [68]
quand il n’y a plus de principe héréditaire, soit discuter la nécessité-même [69]
qu’il y ait un chef de l’Etat. A l’origine de l’histoire constitutionnelle
française, cette question ne se pose pas. Les trois petits-enfants de Louis XV,
qu’ils règnent ou pas selon une Constitution, accèdent au pouvoir selon des
lois antérieures [70]. La Constitution de
1791dispose certes que le Roi est délégué dans sa fonction mais elle admet le
droit héréditaire, alors acquis, et la Charte de 1814 récuse l’appel par une assemblée,
qui fera seule en 1830 la légitimité de Louis-Philippe. Louis XVIII et Charles
X sont sur le trône par hérédité [71] et la Charte n’évoque pas la
souveraineté, la discussion est hors de propos. Au contraire, la volonté
nationale fonde – en droit – les Bonaparte et les Orléans, même si les titres
des deux familles sont différents et si pour la seconde, l’hérédité reste
déterminante. A contrario, la doctrine d’une souveraineté remise à une
assemblée, la Chambre
des députés, permet d’actualiser cette volonté volonté nationale en bannissant
leurs membres, et principalement leur chef, du territoire national. La restauration
monarchique en 1873, si elle s’était faite, n’aurait pas été tellement la
question de principe qu’on en a faite [72] :
l’origine du pouvoir en France [73]
symbolisée, au besoin, par le choix du drapeau national. Elle eût
fondamentalement donné au chef de l’Etat une place que la République, dès le
principat de Thiers, lui a refusée, et le fonctionnement des pouvoirs publics
en eût été, pour la suite, complètement changé [74]. La
position de seule apparence du président de la République [75] a
d’abord été voulue par la majorité de l’Assemblée Nationale puis de la Chambre des députés et
quoique cette majorité ait changé, notamment à partir de 1877, pour des raisons
nullement philosophiques mais politiques. Qui du président de la République ou de la Chambre aurait l’influence
sur le gouvernement, devant qui celui-ci serait responsable ? La réponse
des Troisième et Quatrième République est la même. Le Parlement élit le
président de la République
à des majorités de moins en moins contraignantes [76] et
le président du Conseil à la majorité simple [77] ;
les deux composantes de l’exécutif tiennent leur pouvoir des Chambres, leur
mise en cause ainsi que celle des ministres se fait selon des procédures
parlementaires [78]. L’iniative des lois que
partage le président de la
République avec les parlementaires sous la Troisième République
lui est retirée sous la
Quatrième au profit du président du Conseil, mais la pratique
l’avait décidée dès la mise en œuvre des lois de 1875. Sans doute,
promulgue-t-il les lois [79], ce
que la Révolution
refusait à l’exécutif et, dans la lettre, négocie-t-il et ratifie-t-il les
traités. Ce qui lui est vraiment propre [80]
n’est finalement que l’exercice du droit de grâce. Trois des titulaires
successifs d’une charge si minorée se sont rebellés mais de façon différente :
Jean Casimir-Périer, qui a aussi expérimenté les responsabilités de président
du Conseil et de la président de la
Chambre des députés, démissionne au bout de quelques mois,
pour la simple déception que lui cause le poste et met pratiquement fin à une
carrière politique prometteuse [81].
Alexandre Millerand incarne une cause qui lui convient mais qui aussi le
dépasse, celle d’une restauration du chef de l’Etat, selon un mode certes
républicain mais qui contrevient à l’usage établi depuis l’échec de Mac
Mahon : il a été élu par le Congrès, étant président du Conseil mais
réclamant une réforme constitutionnelle, il a tenté de se conduire, face à deux
présidents du Conseil pourtant prestigieux, comme si celle-ci était acquise [82], la
victoire et surtout l’attitude du Cartel des gauches en ont raison [83].
Placé en 1986 dans une situation identique à celle de 1924, François Mitterrand
d’une part manœuvre autrement et d’autre part dispose d’un réel acquis
constitutionnel [84]. Il en fonde du coup une
nouvelle tradition pour la Cinquième République qui peut contredire si elle
s’impose exclusivement, l’origine et les ressorts du régime actuel. Enfin,
Raymond Poincaré, qui a pu, lui aussi, comparer les prérogatives du président
de la République
avec celles du président du Conseil qu’il a été auparavant [85],
n’est pas candidat en Janvier 1920 à sa propre réélection pour pouvoir –
précisément – avec la présidence du Conseil retrouver une réelle influence
gouvernementale [86]
La réforme des institutions garde aujourd’hui la même problématique
qu’en 1789. Le constituant a le choix entre deux méthodes, celle de l’héritage,
celle de la novation. Plus originale n’est pas celle qui le paraît à première
vue, et la novation, dans l’histoire française, a été, quand elle parut totale,
surtout un recours à des expériences oubliées. Le produit est forcément mixte,
mâtiné de l’expérience, structuré par l’ambition du renouvellement.
La méthode de l’héritage n’est pas nouvelle, puisque celui de l’Ancien
Régime est globalement mésestimé, au point que son seul souvenir fonde le droit
à manifester contre le « despotisme » [87],
n’est applicable qu’à compter d’une succession acquise de régimes et de
tentatives d’organisation des pouvoirs publics ou de solutions des problèmes.
Deux sujets en sont les premiers objets : les transferts de propriété du
fait de l’abolition des droits féodaux, de l’abaissement des établissements
ecclésiastiques et surtout de
l’émigration sont garantis par la Constitution et même par engagement mutuel du
chef de l’Etat et du peuple français [88] ;
le maintien de la Légion
d’honneur. Mais dès la première Restauration apparaît la substance d’un acquis
inattendu [89] qui n’est pas un avoir
individuel, mais une expérience collective ; il est décisif pour
l’organisation des pouvoirs publics, alors même qu’il n’est pas de tradition
nationale [90] : le
parlementarisme, et que les premiers mois de sa mise en œuvre en 1814 sont peu
démonstratifs. Sa force est pourtant telle que le système s’impose à Napoléon
aux Cent-Jours puis à Napoléon III comme le terme obligé des réformes
introduites dans son système autoritaire à partir de 1860. Il n’a pas été assez
étudié comment en quelques jours – et selon une opinion publique dont il
faudrait voir ce qui la structura – sous l’apparence de l’inéluctablité du
retour des Bourbons, se décida de ne pas revenir à la Constitution acceptée
par Louis XVI, texte qui avait donc toute légitimité dynastique et pouvait donc
être regardé comme un acquis national, se décida aussi de ne pas continuer, par
simple transposition des prérogatives de l’Empereur au Roi, le système impérial
et révolutionnaire des listes de confiance, et sans conscience d’innover
comment se décida enfin de poser les fondements du parlementarisme. Le débat
trancha plus vite deux questions pratiques : le partage de l’initiative
des lois, à égalité théorique entre gouvernement et parlement, l’élection des
représentants de la Nation
sans médiation gouvernementale. Ce sont les deux ruptures – très conscientes,
débattues et explicites – du constituant français avec le système de la Révolution. Mais
les éléments constitutifs du parlementarisme sont plus complexes ; c’est
une relation entre le gouvernement et la représentation nationale dont la
détérioration éventuelle a ses remèdes sans qu’intervienne le peuple en armes :
il s’agit de l’adhésion d’une majorité parlementaire à l’ensemble des
ministres ; les procédures possibles de défiance et de mise en accusation
contre l’un d’eux, et les communications entre l’exécutif et le législatif sont
organisées dès la
Révolution et subsistent sous l’Empire autoritaire, avec plus
de complexité ; elles deviennent de pratique législative et politique, ne
sont plus du domaine pénal, ne traduisent plus une conception rigide de la
séparation des pouvoirs. Il s’agit aussi du droit de l’exécutif d’en appeler au
souverain, l’électeur, et donc de faire renouveler sa délégation : la
représentation nationale. Possibilité de mettre en cause les ministres,
possibilité de mettre en cause la représentation nationale. A égalité. Les
prévoient aussi bien le projet sénatorial de Constitution du 6 Avril 1814, que la Charte du 4 Juin 1814 et
l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire du 22 Avril 1815.
Cet acquis s’impose aux constituants de 1875 et de 1946, quoiqu’ils
aient d’abord été tentés par un monisme rappelant celui de la Révolution. Une
assemblée unique et une dépendance totale de l’exécutif. Instituée à titre
définitif par les projets de 1793 et surtout pratiquée de l’abolition de la
royauté à l’établissement du Directoire, la solution n’est reprise qu’à titre
provisoire aussi bien par l’Assemblée constituante de 1848 que par l’Assemblée
nationale de 1871. Un chef de l’exécutif, élu et démis, par les députés [91]. Les
constituants de 1946 tentent de l’imposer, ce leur sera refusé par referendum.
Le bicaméralisme avait été envisagé par la Révolution à ses
débuts, il s’agissait même d’un Sénat. Il est progressivement décidé par
l’Assemblée nationale de 1871, admis, mais avec réticence, par la Quatrième République
et consacré par la
Cinquième République. La seconde Chambre ou Chambre haute
reste cependant l’objet de critiques sous la Troisième République
parce que ses prérogatives et son rôle effectif paraissent trop importants
relativement à sa composition, et donc semblent entamer la doctrine d’une
souveraineté nationale – relent de la préférence pour l’assemblée unique – que
représenterait seule la
Chambre des députés. La distinction sous la Quatrième République
se fait par l’appellation donnée à celle-ci.
La novation est souhaitée [92] par
tous ceux qui analysent les faiblesses de ce système, essentiellement la
position trop mineure du président de la République. Le pays
en fait l’expérience en 1940. Deux propositions sont faites dans cette lumière,
celle du maréchal Pétain qui reçoit mandat de promulguer une nouvelle
Constitution, celle du général de Gaulle qui – paradoxalement – ne l’articule
qu’une fois écarté du pouvoir. Les deux ont la même résonnance au point que
bien des dispositions et même appellations de la Constitution du 4
Octobre 1958 font écho au projet élaboré par le maréchal Pétain [93].
Mais la conclusion que Raymond Carré de Malberg [94]
apportait, aux derniers instants de sa vie et de son cheminement
intellectuel : l’emploi du referendum pour stabiliser et légitimer les
institutions parlementaires n’est reprise ni par le Maréchal constituant à
Vichy, ni par le Général discourant à Bayeux [95].
Autant les réformes techniques du parlementarisme sont de doctrine et
d’expérience courantes à la fin de la Troisième et sous toute la Quatrième Républiques
[96], que
transcrit aisément le constituant de 1958, autant l’introduction du referendum
en 1945 et en 1958 constitue une novation totale, une rupture spirituelle. A
l’égal du choix, aussi soudain et sans référence explicite, que fit le Sénat
impérial pour les éléments constituant le parlementarisme, choix repris par la Charte octroyée de Louis
XVIII.
Ce qui ne fut pas compris en 1875 et ne l’est toujours pas aujourd’hui
du fait de l’abandon de l’esprit et de la pratique originels de la Constitution du 4
Octobre 1958, est que la position – occupée par le chef de l’Etat ou qui lui
est accordée – conditionne un fonctionnement efficace du système
parlementarisme. Un fonctionnement compris par l’opinion publique et qui
n’enferme pas les dirigeants et les élus dans leur maison commune.
Principalement le Palais-Bourbon [97].
Quel que soit son titre, le Roi est nécessaire au régime parlementaire ;
faites dans la perspective d’en installer un mais faute que cela se réalise,
les lois de 1875 ont engendré un régime d’assemblée, immanquable si précisément
la tenure du pouvoir présidentiel n’a pour origine qu’un vote parlementaire [98] .
Les exclusives contre les familles ayant régné sur la France ont été les
premièrers levées [99], la
mûe du mode de dévolution de la couronne démocratique a suivi, apparemment sans
lien : l’élection au suffrage universel direct du président de la République, impossible
en 1958 puisqu’une majorité des électeurs d’outre-mer aurait pu forcer celle de
la métropole dans son choix – n’est
proposée qu’en 1962. Par celui-là même qui a réintroduit en France le
referendum constituant. L’opposition aux deux projets – quoiqu’ils soient les
modalités d’application d’une même conception, celle de la souveraineté
nationale telle que définie par les assemblées révolutionnaires et
traditionnellement acceptée par le plus grand nombre depuis – se fonde en
sensibilité historique, mais pas en logique juridique. L’appel des critiques au
passé est double : le souvenir des Bonaparte, surtout du second, qui fait
assimiler l’appel au peuple à une appropriation personnelle du pouvoir ;
la conception d’un mode exclusif de représentation national, celui du régime
d’assemblée, ou de la prééminence d’une assembléee sur tout autre institution
constitutionnelle.
La légitimité ainsi conférée au président de la République est
cependant contestable si toutes les conséquences n’en sont pas tirées par lui.
La méconnaissance la plus voyante est l’absence de fondement des propositions
d’abréger la durée du mandat présidentiel au point de la faire identique à
celle du mandat parlementaire. Georges Pompidou et Jacques Chirac les formulent
aussi vaguement l’un que l’autre [100] :
il s’agirait de renforcer la démocratie, notamment pour l’exercice des
fonctions présidentielles, en renouvelant l’octroi de celles-ci plus souvent.
C’est postuler – et pour Jacques Chirac – pratiquer le président de la République ne tire sa
légitimité que de son élection et non, en cours de mandat, de sa relation
constante avec le suffrage universel. La responsabilité populaire du chef de
l’Etat est mise en jeu par celui-ci lors de chacune des consultations
nationales qu’elles lui soient imposées par le calendrier constitutionnel (le
renouvellement de l’Assemblée nationale lui confirmant les moyens de faire
gouverner le pays selon ce qu’il a proposé lors de sa propre élection, ou les
lui retirant [101]) ou qu’il les provoque
par la dissolution ou par la tenue d’un referendum. Mais s’il ne tient qu’au
président de ne plus inspirer le gouvernement et de seulement le contrôler en
demeurant en fonctions quoique la majorité parlementaire ne soit plus la
sienne, en revanche ne pas entendre le désaveu du peuple quand on l’a appelé à
opiner est contraire à l’esprit de la Cinquième République.
Tellement d’ailleurs que même si sa lettre permet aux institutions de
fonctionner, les choses se dérèglent dans l’esprit des citoyens et les
prérogatives présidentielles sont souhaitées quand celui-ci est en phase avec
le peuple [102], elles semblent
exhorbitantes après une dissolution manquée ou un referendum négatif.
Etonnamment, la doctrine d’une responsabilité populaire du président de la République [103],
explicative de tout l’esprit de la Cinquième République
et de la synthèse aussi que ce régime représente par rapport à tous ceux, très
différents, qui l’ont précédé depuis la Révolution, et descriptive de la manière de s’en
servir pour la plus grande efficacité, n’est que peu ou pas du tout exposée. Ni
par les commentateurs, juriconsultes ou pas, ni par les candidats constituants.
L’idée d’inscrire dans les textes cette responsabilité [104] n’a
jamais fait l’objet d’une proposition en forme. Régressivement, la
responsabilité présidentielle n’est (très) discutée qu’en termes de statut
pénal du chef de l’Etat, avec les immunités qui vont avec, ce dont la République depuis 1870
avait toujours pu se passer [105].
Ce n’est cependant pas à cet esprit originel des institutions de la Cinquième République
et à la pratique qu’en avait démontrée leur fondateur, le général de Gaulle,
que les analystes – aujourd’hui – de la manifeste crise de légitimité du régime
proposent le retour [106]. Ce
qui est réfléchi et prôné est plutôt une nouvelle réforme du parlementarisme.
Il est observé que les procédures de confiance ont donné lieu à deux abus
différents selon les Républiques : une instabilité chronique sous les
Troisième et Quatrième puisque des gouvernements démissionnaient sans y être
constitutionnellement obligés, une rigidité sous la Cinquième telle que le
contrôle parlementaire et le débat politique semblent un rite et non une
réalité avec des effets visibles. Les propositions de réforme portent
principalement sur la relation entre gouvernement et parlement. En s’écartant
du fond qui est la relation entre le président de la République et le
peuple, elles mettent, par omission davantage le régime en risque de
dénaturation que les ajustements qu’elles contiennent. En cela, elles sont
novatrices puisqu’elles oublient le dernier et le plus synchrétique des acquis
institutionnels français : les premiers éléments trouvés – après ceux bien
anciens de la Révolution :
les assemblées primaires – pour un exercice direct de la souveraineté
nationale. Mais la caractéristique de ces propositions est qu’aucune n’est
articulée par le détenteur du pouvoir. Les travaux demandés par François
Mitterrand à la fin de la seconde et dernière des législatures qui aient été
les siennes [107], les réflexions d’un
ancien Premier ministre, sur demande de François Mitterrand, les propositions
constitutionnelles du Parti socialiste, celles du probable candidat de la
majorité sortante [108]
n’apportent d’ailleurs que des retouches [109];
leur recueil sera de la même utilité, pas négligeable, que pour la rédaction de
la Constitution
du 4 Octobre 1958, les projets gouvernementaux et les propositions parlementaires
laissés en l’état par la Quatrième République. Le paradoxe est la
responsabilité de Jacques Chirac dans les impasses constitutionnelles de la Cinquième République,
alors que son parcours s’est censément inscrit dans une continuité dite
« gaulliste » où les institutions, leur respect et leur illustration,
importent. Seul de tous les présidents de la Cinquième République,
il a eu tous pouvoirs constitutionnels au Parlement puisqu’il a disposé au
début de chacun de ses mandats de la majorité absolue dans chacune des deux
Chambres, ce que même de Gaulle n’avait pas, du fait de l’hostilité consommée
du Sénat à partir de 1962 ; il en a petitement usé. Et seul aussi, il
s’est conduit persévéramment et dans les principales occasions où a joué sa
responsabilité populaire, au contraire de ses prédécesseurs. Enfin, les élus
qu’il inspirait ont, au Sénat, à deux reprises, empêché des révisions
partielles qui étaient dans la logique, pourtant, de la Cinquième République
[110].
Le résultat est double. D’une part, les institutions actuelles qui ont
fait la synthèse de l’ensemble des régimes connus par les Français depuis qu’a
été aboli, dans les faits, en droit et en esprit, l’Ancien Régime [111],
perdent leur crédit, et donc leur efficacité pour répondre des affaires du
pays. D’autre part, la loi fondamentale – au contraire de la plupart de celles
qui l’ont précédée – a perdu le fil d’une seule écriture ; elle est
disparate et n’est pas assurée de ce qu’elle a vraiment compétence de traiter.
Comme beaucoup de la production législative, elle tend à l’affichage de
plaidoyers gouvernementaux, tandis que de véritables pétitions ne sont toujours
pas entendues et que la logique du texte originel n’est plus suivie.
Celle-ci suggère comme déjà relevé, si le président de la République n’en a pas
la pratique spontanée, l’inscription de la responsabilité politique de
celui-ci. L’exception d’inconstitutionnalité [112]
serait à l’apparition spectaculaire mais tardive du contrôle de
constitutionnalité, établi par la Constitution de la Cinquième République,
ce que pourrait être le referendum d’initiative populaire au referendum
d’initiative gouvernementale. Faute de ces réformes, les plus fidèles aux
institutions en viennent à entrer dans une logique différente, pour que soit
sauvegardé les instruments les plus importants [113].
Signe, s’il en est, de la crise actuelle de légitimité des institutions.
*
* *
Une réflexion sur les institutions françaises devrait donc avoir deux
entrées, deux moments de départ, la situation du moment vêcu avec les textes
existants en regard : aujourd’hui, la Constitution du 4
Octobre 1958 et les dérives de sa pratique tout à fait différente de celle de
son fondateur – et les propositions d’origine de tout le mouvement
constitutionnel : elles sont en France celles du 23 Juin 1789. Ce jour-là,
le roi précise en deux déclarations l’ordre institutionnel à venir et les
matières à réformer : une véritable constitution pouvait en sortir, en
partie coûtumière en partie et progressivement écrite. Mais ces deux textes
sont donnés dans la forme ancienne des lits de justice de l’Ancien Régime et
c’est cette forme, et non le fond, qui heurtent la prétention de l’Assemblée de
seule exprimer le vœu de la nation, et qui, chronologiquement, sont déjà
décalées puisque l’avant-veille celle-ci s’est donnée une mission constituante.
Le roi n’a pas soutenu la course à la confection des nouvelles institutions,
mais il n’était pas hostile, avant même que cela soit exprimé, aux thèses du
temps sur la nation et le vœu général. Son discours d’ouverture des Etats
généraux, puis ceux qui introduisent et concluent ses déclarations six semaines
ensuite, en témoignent jusques dans le vocabulaire. Les textes et les débats
originels seront donc ceux de l’Assemblée, mais acceptés par le roi, qui – gage
d’adhésion, s’il en est – a mis en œuvre à mesure, sans attendre la vue
d’ensemble, chacune des parties de l’ouvrage pourtant délibéré en dehors de
lui. La séance du mardi 23 Juin 1789 [114] est
décisive aussi en ce qu’elle définit des éléments préalables de tout régime
représentatif : la responsabilité ministérielle [115], la
permanence de l’assemblée, l’inviolabilité de ses membres, la maîtrise de la
police des séances et de l’environnement immédiat des délibérations, la
fixation des lieux de réunion. Le concept de légitimité – en matière
constitutionnelle – se définit ainsi de deux manières, suivant qu’il est
réfléchi en termes d’adéquation des institutions avec l’opinion générale :
réflexion dans le moment vêcu, ou en termes de novation positive par rapport au
droit existant.
L’histoire française est faite d’évolutions et de moments. Les
évolutions, qui sont de deux ordres, des retours et des blocages, peuvent se
caractériser ainsi :
- le retour progressif, mais parfois discuté, à un exécutif personnifié,
lequel reconquiert des prérogatives excédant le seul rôle d’exécutant des
décrets du délibérant. C’est l’évolution de la Révolution depuis
l’abolitioon de la royauté et la mise en place de gouvernements par comités ou
conseils jusqu’à la dévolution du gouvernement à un empereur héréditaire ;
- le retour progressif au système parlementaire, particulièrement
ponctué par les textes sous le Second Empire, et qui pourrait être aussi, pour
l’avenir de la
Cinquième République, un des amendements coûtumiers au raidissement
actuel des relations entre le Gouvernement et le Parlement ;
- les blocages s’observent aussi bien dans la question de l’exécutif,
les Troisième et Quatrième Républiques se refusant à des révisions de fond qui
permettraient de nouveau cette personnification à laquelle la monarchie
héréditaire a longtemps été seule apte, que dans la question parlementaire, la
pratique de la Charte
par Charles X, dans son texte originel, et, en fin de son règne, par
Louis-Philippe, dans sa version amendée, contestant le système au profit du
seul exécutif.
Les moments déterminants sont
- l’énoncé de l’exclusivité, au détriment du roi, que se donne
l’assemblée des représentants, non seulement pour accepter l’impôt, ce qui
était de droit sous l’Ancien Régime, mais pour exprimer le vœu général :
Juin 1789, c’est la déclaration sur la constitution de l’assemblée issue des
Etats généraux ;
- le choix du système parlementaire : Avril 1814, c’est l’option
faite par le Sénat impérial ;
- la reconnaissance du droit du peuple à décider immédiatement des
institutions : Août 1945, c’est la proposition du gouvernement provisoire
que préside le général de Gaulle à l’Assemblée consulative.
*
* *
La présente étude de cas traite de la légitimité des institutions à
leur source et en crise ; elle édite dans leur exhaustivité des textes peu
accessibles tels quels ; jamais, la France n’a alors remis en cause ses institutions
aussi complètement qu’à la
Révolution. Le contexte est un désastre militaire qui n’a de
précédent sans doute qu’au début du XVème siècle parce qu’il a pour conséquence
l’occupation pour une durée indéterminée et ne dépendant pas des signataires de
l’armistice, de la majeure partie du territoire et de la capitale en
particulier. Trois réflexions sont menées qui sont successivement cause de la
suivante, et qui s’excluent mutuellement. Le fait générateur de la première –
la proposition de révision du maréchal Pétain, inspiré par Pierre Laval – est
encore mal élucidé quoiqu’il ait correspondu au mouvement général des esprits,
très critique pour le régime d’alors. C’est la dévolution du pouvoir
constituant au gouvernement d’un seul, dans les formes certes des lois
constitutionnelles alors en vigueur, mais avec un mandat au contenu
vague et sans que la procédure de ratification de cette révision soit
clairement dite. Si le maréchal Pétain avait été seulement attributaire de
pleins pouvoirs [116], la
question des institutions ne se serait pas posée à l’issue de la guerre, mais
seulement et essentiellement celle de la légitimité de l’armistice. L’homme du
18 Juin considéra que le procès de Vichy ne devait être que celui de cet acte [117], et
non celui des institutions d’un régime de fait. Les novations présentées par le
projet de Constitution élaboré par le maréchal Pétain – le plus souvent des
solutions auxquelles l’ensemble de la doctrine d’entre-deux-guerres adhérait
avant la loi constitutionnelle du 10 Juillet 1940 – ne sont généralement pas
retenues, alors même qu’elles se trouveront par la suite intégrées dans les
Constitutions du second après-guerre. La querelle sur la légitimité du régime
de Vichy, sur sa nature-même, l’emporte encore sur cette remarque. Or, le
Maréchal lui-même admettait que son régime était de fait tant que la Constitution n’était
pas promulguée [118] ,
c’est ce qui ressort de la constance avaec laquelle il évoque cette élaboration
pendant l’époque où il concentre réellement les pouvoirs en sa personne [119].
Les actes constitutionnels [120]
décrivaient ce pouvoir de fait, mais ne prétendaient pas correspondre à la délégation
donnée par l’Assemblée nationale le 10 Juillet 1940.
La question des institutions de l’après-guerre n’est posée que par
l’illégitimité du gouvernement de Vichy aux yeux de la France combattante et de la Résistance. Elle
est débattue dans une correspondance échangée – au printemps de 1943 – par les
généraux Giraud et de Gaulle en préalable à la venue du second en
Algérie : pour le premier, la question doit être réservée. Pour de Gaulle
aussi, mais cela n’empêche pas que des institutions provisoires soient
nécessaires, ni qu’il y ait à prévoir comment sera rétabli la légitimité
républicaine. Le débat est alors double : qui a qualité pour régler la
question et comment organiser le nécessaire, à savoir le commandement politique
de la poursuite du combat ? et ensuite le fond, quelles
institutions ?
La troisième réflexion prépare à Alger – au printemps de 1944 – des
débats qui tourneront tout autrement en 1946 en deux Assemblées nationales
constituantes successives. La période n’aura pas traité l’innovation décisive
que va être à la Libération
l’institutionnalisation du referendum constituant
Sous le signe de la continuité républicaine, malgré les événements
dramatiques de la défaite, de l’occupation et de la mondialisation du conflit,
l’ensemble de ces trois débats introduit néammoins le moment décisif de la
reconnaissance – en droit public français, et surtout en pratique – du
referendum de ratification constitutionnelle, parce qu’à éluder constamment ce
mode de consultation de la nation tant que les circonstances ne permettent pas
l’exercice libre de la souveraineté nationale, il l’a rendu évident, logique et
nécessaire. Le général de Gaulle ne répond qu’en 1945 à la question, non
résolue ni par l’Assemblée nationale de 1940, ni par le maréchal Pétain.
Quant aux institutions elles-mêmes, la guerre conclue, la Constitution préparée
à Vichy aurait-elle été proposée à cette ratification ? Rien de textuel ne
le dit, tout permet de le supposer [121], et
– paradoxalement – les modalités actuelles de la République, ou presque,
au lieu d’être établies en 1958, l’auraient été bien avant. Les débats dans les
deux Assemblées constituantes de 1946 n’ont en effet porté que sur les
propositions des groupes politiques formés en leur sein. N’aurait-il pas
démissionné le 20 Janvier 1946, le général de Gaulle, président du gouvernement
provisoire, formellement investi par la représentation nationale, aurait-il
déposé son propre projet ? aurait-il pu l’imposer ? En 1958, mais
avec précaution pour ne pas revenir au précédent de 1940, il a choisi la voie
de la délégation. Et pourquoi dans les propositions parlementaires de 1946,
aucune n’a reproduit le projet du maréchal Pétain, sauf quelques dispositions
mais réécrites [122] ?
La période de la guerre constitue donc un retour aux sources de la
légitimité française ; elle donne lieu à une approche, qui n’avait plus
été renouvelée depuis que d’autres désastres avaient conclu le face à face des
deux pétitions nées de 1789, celle du roi et celle des révolutionnaires (dont
font partie les Bonaparte par la procédure de participation
référendaire) : Pétain et de Gaulle, la plupart des leurs, regardent les
circonstances et voient l’avenir en termes de légitimité. L’homme du 18 Juin,
en d’autres temps, aurait été fondateur d’une dynastie ? ou, comme cela
reste discuté, aurait-il fait replacer à la tête du pays ce qui est appelé la Maison de France ? Le
fond est que la continuité républicaine maintenue de 1940 à 1944 situe la
légitimité nationale dans la volonté du combat pour l’indépendance, ce qui plonge le débat aux plus anciennes racines de
l’identité française [123]. La fondation de 1940, ratifiée par les faits
et par le peuple en 1944, est celle de l’indépendance, elle permet à terme de
nouvelles institutions, la participation populaire, elle donne peut-être sa
conclusion aux dialogues si tendus de 1789 entre l’Ancien Régime et les
Lumières. Précisément, celui qui en a été l’incarnation avant d’en être le
principal formulateur s’est explicitement situé à la croisée des deux axes,
celui de la continuité historique, celui de la procédure référendaire. L’étude
de cas montre par défaut l’impasse du constituant de 1940 parce qu’il se fonde
sur l’armistice et qu’il élude la ratification, l’impasse à laquelle conduit
une discussion sur l’avenir qui ne reconnaîtrait pas en 1943 l’antériorité
factuelle et spirituelle du 18-Juin, les débuts de formulation plus aisés sur
la légitimité de la France
combattante que sur les futures institutions tant que l’initiateur n’a pas pris
parti.
En regard, deux compétiteurs : le maréchal Pétain, appelé au
pouvoir par les circonstances de 1940 du fait de son passé, précisément de
mainteneur de l’indépendance à Verdun, n’a comme argument à sa chute que la
légalité du système de l’Assemblée nationale, le 10 Juillet 1940 ; l’autre
est clairement Jacques Chirac, au double titre de sa reconnaissance des
responsabilités de la
République dans les abandons commis par Vichy, notamment à
l’encontre des nationaux juifs, et de sa méconnaisance de la responsabilité
populaire du chef de l’Etat, telle qu’elle est seule compréhensive de
l’ensemble des institutions de la Cinquième République.
Ce qui a ouvert depuis 1995 une nouvelle crise de la légitimité française,
qu’aggrave la question d’Europe, faute que les gouvernants actuelles, pour une
grande partie de l’opinion publique, appréhendent et traitent celle-ci avec
justesse.
Nous nous en tenons maintenant à l’étude de cas 1940 à 1944, en en
limitant le champ à la présentation de documents inédits jusqu’à présent.
Annexe
Seconde et dernière séance
royale des Etats généraux
Le Roi prend trois fois la parole
Les deux déclarations pouvant valoir ébauche
d’une future Constitution
mardi 23 Juin 1789
Archives parlementaires tome VIII p. 143,
144, 145, 146, 147 y compris les notes en bas de page
& Duvergier tome I p. 24 & 25 pour
les discours et déclarations du Roi
Les députés se sont rendus à l’heure
indiquée au lieu ordinaire des séances. Une garde nombreuse entourait la
salle ; on avait établi des barrières ; dans les rues circonvoisines
et sur l’avenue de Paris, on avait placé des détachements de gardes françaises
et suisses, de gardes de la prévôté et de la maréchaussée.
Les portes ayant été ouvertes, on a d’abord
placé les deux ordres privilégiés. Les membres de l’Assemblée nationale ont été
obligés d’attendre plus d’une heure, la plupart exposés à la pluie. L’Assemblée
nationale a témoigné son mécontentement par des murmures réitérés. Les deux
secrétaires sont allés se plaindre de l’indécence d’une attente si longue.
On proposait de se retirer. M. de Brézé est
arrivé ; M. le président a dit qu’il se plaindrait au Roi du manquement
des maîtres des cérémonies. Les membres de l’Assemblée nationale sont entrés
deux à deux, dans le plus profond silence, à dix heures et demie L’entrée a été
sévèrement interdite au public.
Le Trône était placé dans le fond de la
salle ; à droite était le clergé et à gauche la noblesse ; dans les deux
côtés du milieu, jusqu’au fond, étaient les membres de l’Assemblée
nationale ; les quatre hérauts et le roi d’armes étaient placés au milieu.
Le Trône était élevé sur une estrade qui occupait le fond de la salle jusqu’à
la second colonne. Au bas de cette estrade, autour d’une table, se trouvaient
rangés les ministres. Un seul tabouret était vacant : c’était celui de M.
Necker.
Sur les onze heures, le Roi sortit de son
château. La voiture du Roi était précédée et suivie de la fauconnerie, des
pages, des écuyers, et enfin des quatre compagnies des gardes du corps.
Le Roi, accompagné des princes du sang, des
ducs et pairs, des capitaines des gardes du corps, est entré dans la salle. A
son arrivée, les députés se lèvent et ils se replacent ensuite.
Le
Roi prononce un discours pour
annoncer l’objet de la séance. Il est conçu en ces termes.
Messieurs, je croyais avoir fait tout ce qui était en mon
pouvoir pour le bien de mes peuples, lorsque j’avais pris la résolution de vous
rassembler, lorsque j’avais surmonté toutes les difficultés dont votre
convocation était entourée, lorsque j’étais allé, pour ainsi dire, au devant
des vœux de la nation, en manifestant à l’avance ce que je voulais faire pour
son bonheur.
Il semblait que vous n’aviez qu’à finir mon ouvrage, et la
nation attendait avec impatience le moment où, par le concours des vuers
bienfaisantes de son souverain et du zèle éclairé de ses représentants, elle
allait jouir des prospérités que cette union devait leur procurer.
Les Etats généraux sont ouverts depuis près de deux mois, et
ils n’ont popint pu encore s’entendre sur les préliminaires de leurs opérations.
Une parfaite intelligence aurat dû naître du seul amour de la patrie, et une
funeste division jette l’alarme dans tous les esprits. Je veux le cRoire, et
j’aime à le penser, les Français ne sont pas changés. Mais, pour éviter de
faire à aucun de vous des reproches, je considère que le renouvellement des
Etats généraux après un si long terme, l’agitation qui l’a précédé, le but de
cette convocation, si différent de celui qui rassemblait vos ancêtres, les
restrictions dans les pouvoirs, et plusieurs autres circonstances, ont dû
nécessairement amener des oppositions, des débats et des prétentions exagérées.
Je dois au bien commun de mon royaume, je me dois à moi-même de faire cesser ces
funestes divisions. C’est dans cette résolution, Messieurs, que je vous
rassemble de nouveau autour de moi ; c’est comme le père commun de tous
mes sujets, c’est comme le défenseur des lois de mon royaume, que je viens en
retracer le véritable esprit, et réprimer les atteintes qui ont pu y être
portées.
Mais, Messieurs, après avoir établi clairement les droits
respectifs des différents orrdres, j’attends du zèle pour la patrie, des deux
premiers ordres, j’attends de leur attachement pour ma personne, j’attends de
la connaissance qu’ils ont des maux urgents de l’Etat, que dans les affaires
qui regardent le bien général, ils seront les premiers à proposer une réunion
d’avis et de sentiments que je regarde comme nécessaire dans la crise actuelle,
qui doit opérer le salut de l’Etat.
Un des secrétaires d’Etat lit ensuite la
déclaration suivante :
Déclaration du Roi, concernant la présente
tenue des Etats généraux.
Art. 1er :
Le Roi veut que l’ancienne distinction des trois ordres de l’Etat soit
conservée en son entier, comme essentiellement liée à la constitution de son
royaume ; que les députés librement élus par chacun des tRois ordres,
formant trois Chambres, délibérant par ordre, et pouvant, avec l’approbation du
souverain, convenir de délibérer en commun, puissent seuls être considérés
comme formant le corps des représentants de la nation. En conséquence, le Roi a
déclaré nulles les délibérations prises par les députés de l’ordre du
tiers-état, le 17 de ce mois, ainsi que celles qui auraient pu s’ensuivre,
comme illégales et inconstitutionnelles.
Art.
2 : Sa Majesté déclare valides tous les pouvoirs vérifiés ou à vérifier
dans chaque Chambre, sur lesquels il ne s’est point élevé ou ne s’élèvera
point de contestation ; ordonne Sa
Majesté qu’il en sera donné communication respective entre les ordres.
Quant
aux pouvoirs qui pourraient être contestés dans chaque ordre, et sur lesquels
les parties intéressées se pourvoiraient, il y sera statué, par la présente
tenue des Etats généraux seulement, ainsi qu’il sera ci-après ordonné.
Art.
3 : Le Roi casse et annule, comme anticonstitutionnelles, contraires aux
lettres de convocation et opposées à l’intérêt de l’Etat, les restrictions des
pouvoirs qui, en gênant la liberté des
députés aux Etats généraux, les empêcheraient d’adopter les formes de
délibération prises séparément par ordre ou en commun, par le vœu distinct des
trois ordres.
Art.
4 : Si, contre les intentions du Roi, quelques-uns des députés avaient
fait le serment téméraire de ne point s’écarter d’une forme de délibération
quelconque, Sa majesté laisse à leur conscience de considérer si les
dispositions qu’elle va régler s’écartent de la lettre ou de l’esprit de
l’engagement qu’ils auront pris.
Art.
5 : Le Roi permet aux députés qui se croiront gênés par leur mandat de
demander à leurs commettants un nouveau pouvoir ; mais Sa Majesté leur
enjoint de rester, en attendant, aux Etats généraux pour assister à toutes les
délibérations sur les affaires pressantes de l’Etat et y donner un avis
consultatif.
Art.
6 : Sa Majesté déclare que, dans les tenues suivantes d’Etats généraux,
elle ne souffrira pas que les cahiers ou mandats puissent être jamais considérés comme impératifs ; ils ne
doivent être que de simples instructions confiées à la conscience et à la libre
opinion des députés dont on aurait fait choix.
Art.
7 : Sa Majesté ayant exhorté, pour le salut de l’Etat, les trois ordres à
se réunir pendant cette tenue d’Etat seulement, pour délibérer en commun sur
les affaires d’une utilité générale, veut faire connaître ses intentions sur la
manière dont il pourra y être procédé.
Art.
8 : Seront nommément exceptées des affaires qui pourront être traitées en
commun, celles qui regardent les droits antiques et constitutionnels des trois
ordres, la forme de constitution à donner aux prochains Etats généraux, les
propriétés féodales et seigneuriales, les droits utiles et les prérogatives
honorifiques des deux premiers ordres.
Art.
9 : Le consentement particulier du clergé sera nécessaire pour toutes les
dispositions qui pourraient intéresser la religion, la discipline ecclésiastique,
le régime des ordres et corps séculiers et réguliers.
Art.
10 : Les délibérations à prendre par les trois ordres réunis sur les
pouvoirs contestés et sur lesquelles les parties intéressées se pourvoiraient
aux Etats généraux, seront prises à la pluralité des suffrages ; mais si
les deux tiers des voix, dans l’un des trois ordres, réclamaient contre la
délibération de l’Assemblée, l’affaire sera rapportée au Roi pour y être
définitivement statué par Sa Majesté.
Art.
11 : Si, dans la vue de faciliter la réunion des trois ordres, ils
désiraient que les délibérations qu’ils auront à prendre en commun passassent
seulement à la pluralité des deux tiers des voix, Sa Majesté est disposée à
autoriser cette forme.
Art.
12 : Les affaires qui auront été décidées dans les Assemblées des trois
ordres réunis seront remises le lendemain en délibération, si cent membres de
l’Assemblée se réunissent pour en faire la demande.
Art.
13 : Le Roi désire que, dans cette circonstance, et pour ramener les
esprits à la conciliation, les trois Chambres commencent à nommer séparément
une commission composée du nombre des députés qu’elles jugeront convenable,
pour préparer la forme et le distribution des bureaux de conférences qui
devront traiter les différentes affaires.
Art.
14 : L’Assemblée générale des députés des trois ordres sera présidée par
les présidents choisis par chacun des ordres et selon leur rang ordinaire.
Art. 15 : Le bon ordre, la décence et la liberté
même des suffrages exigent que Sa Majesté défende, comme elle le fait
expressément, qu’aucune personne, autre que les membres des tRois ordres
composant les Etats généraux, puisse assister à leurs délibérations, soit
qu’ils les prennent en commun ou séparément.
Le
Roi reprend la parole :
J’ai voulu aussi, Messieurs, vous faire remettre sous les
yeux les différents bienfaits que j’accorde à mes peuples. Ce n’est pas pour circonscrire
votre zèle dans le cercle que je vais tracer, car j’adopterai avec plaisir
toute autre vue de bien public qui sera roposée par les Etats généraux. Je puis
dire, sans me faire illusion que jamais Roi n’en a autant fait pour aucune
nation ; mais quelle autre peut l’avoir mieux mérité par ses sentiments
que la nation française ! Je ne craindrai pas de l’exprimer ; ceux
qui, par des prétentions exagérées ou par des difficultés hors de propos,
retarderaient encore l’effet de mes intentions paternelles, se rendraient
indignes d’être regardés comme Français.
Ce discours est suivi de la lecture de la
déclaration que voici :
Déclaration des intentions du Roi.
Art. 1er :
Aucun nouvel impôt ne sera établi, aucun ancien ne sera prorogé au-delà terme
fixé par les lois sans le consentement des représentants de la nation.
Art.
2 : Les impositions nouvelles qui seront établies ou les anciennes qui seront
prorogées, ne le seront que pour l’intervalle qui deva s’écouler jusqu’à
l’époque de la tenue suivante des Etats généraux.
Art.
3 : Les emprunts pouvant devenir l’occasion nécessaire d’un accroissement
d’impôts, aucun n’aura lieu sans consentement des Etats généraux, sous la
condition toutefois, qu’en cas de guerre, ou d’autre danger national, le
souverain aura la faculté d’emprunter sans délai jusqu’à concurrence d’une
somme de cent millions ; car l’intention formelle du Roi est de ne jamais
mettre le salut de son empire dans la dépendance de personne.
Art.
4 : Les Etats généraux examineront avec soin la situation des finances, et
ils demanderont tous les renseignements propres à les éclairer parfaitement.
Art.
5 : Le tableau des revenus et des dépenses sera rendu public chaque année,
dans une forme proposée par les Etats généraux, et approuvée par Sa Majesté.
Ar.
6 : Les sommes attribuées à chaque département seront déterminées d’une
manière fixe et nvariable, et le Roi soumet à cette règle générale les fonds
mêmes qui sont destinés à l’entretien de sa maison.
Art.
7 : Le Roi veut que, pour assurer cette fixité des diverses dépenses de
l’Etat, il lui soit indiqué par les Etats généraux les dispositions propres à
remplir ce but, et Sa Majesté les adoptera, si elles s’accordent avec la
dignité royale et la célérité indispensable au service public.
Art.
8 : Les représentants d’une nation fidèle aux lois de l’honneur et de la
probité ne donneront aucune atteinte à la foi publique, et le Roi attend d’eux
que la confiance des créanciers de l’Etat soit assurée et consolidée de la
manière la plus authentique.
Art.
9 : Lorsque les dispositions formelles annoncées par le clergé et la
noblesse, de renoncer à leurs privilèges pécuniaires, auront été réalisées par
leurs délibérations, l’intention du Roi est de les sanctionner, et qu’il
n’existe plus, dans le payement des contributions pécuniaires, aucune espèce de
privilèges ou de distinctrions.
Art.
10 : Le Roi veut que, pour consacrer une disposition si importante, le nom
de taille soit aboli dans tout le royaume et qu’on réunisse cet impôt soit aux
vingtièmes soit à toute autre imposition territoriale, ou qu’il soit enfin
remplacé de quelque manière, mais toujours d’après des proportions justes,
égales, et sans distinction d’état, de rang et de naissance.
Art.
11 : Le Roi veut que le dRoit de franc-fief soit aboli du moment où les
revenus et les dépenses fixes de l’Etat auront été mis dans une exacte balance.
Art.
12 : Toutes les propriétés sans exception seront constamment respectées,
et sa Majesté comprend expressément sous le nom de propriétés les dimes, cens, rentes et devoirs féodaux et
seigneuriaux, et généralement tous les dRoits et prérogatives utiles ou
honorifiques, attachés aux terres et fiefs, ou appartenant aux personnes.
Art.
13 : Les deux premiers ordres de l’Etat continueront à jouir de
l’exemption des charges personnelles ; mais le Roi approuvera que les
Etats généraux s’occupent des moyens de convertir ces sortes de charges ou
contributions pécuniaires, et qu’alors tous les ordres de l’Etat y soient
assujettis également.
Art.
14 : L’intention de Sa Majesté est de déterminer, d’après l’avis des Etats
généraux, quels seront les emplois et les charges qui conserveront à l’avenir
le privilège de donner et de transmettre la noblesse. Sa Majesté, néammoins,
selon le droit inhérent à sa couronne, accordera des lettres de noblesse à ceux
de ses sujets qui, par des services rendus au Roi et à l’Etat, se seraient
montrés dignes de cette récompense.
Art.
15 : Le Roi, désirant assurer la liberté individuelle de tous les citoyens
d’une manière solide et durable, invite les Etats généraux à chercher et à lui
proposer les moyens les plus convenables de concilier l’abolition des ordres
connus sous le nom de lettres de cachet, avec le maintien de la sûreté
publique, et avec les précautions nécessaires, soit pour ménager, dans certains
cas, l’honneur des familles, soit pour réprimer avec célérité les commencements
de sédition, soit pour garantir l’Etat des effets d’une intelligence crminelle
avec les puissancdes étrangères.
Art.
16 : Les Etats généraux examineront et feront connaître à Sa Majesté le
moyen le plus convenable de consolider la liberté de la presse avec le respect
dû à la religion, aux oeurs et à l’honneur des citoyens.
Art.
17 : Il sera établi, dans les diverses provinces ou généralités du
royaume, des Etats provinciaux composés de deux dixièmes des membres du clergé,
dont une partie sera nécessairement choisis dans l’ordre épiscopal ; de
trois dixièmes de membres de la noblesse, et de cinq dixièmes de membres du
tiers-état.
Art.
18 : Les membres de ces Etats provinciaux seront librement élus par les
ordres respectifs, et une mesure quelconque de propriétés sera nécessaire pour
être électeur ou éligible.
Art.
19 : Les députés de ces Etats perovinciaux délibèreront en commun sur
toutes les affaires, suivant l’usage observé dans les Assemblées provinciales,
que ces Etats remplaceront.
Art.
20 : Une commission intermédiaire, choisie par ces Etats administrera les
affaires de la province pendant l’intervalle d’une tenue à l’autre, et ces
commissions intermédiaires, devenant seules responsables de leur gestion,
auront pour délégués des personnes choisies uniquement par elles ou par les
Etats provinciaux.
Art.
21 : Les Etats généraux proposeront au Roi leurs vues pour toutes les
autres parties de l’organisation intérieure des Etats provinciaux, et pour le
choix des formes applicables à l’élection des membres de cette Assemblée.
Art.
22 : Indépendamment des objets d’administration dont les Assemblées
provinciales sont chargées, le Roi confiera aux Etats provinciaux
l’administration des hôpitaux, des prisons, des dépôts de mendicité, des
Enfants-trouvés ; l’inspection des dépenses des villes, la surveillance
sur l’entretien des forêts, sur la garde et la vente des bois, et sur d‘autres
objets qui pourraient être administrés plus utilement par les provinces.
Art.
23 : Les contestations survenues dans les provinces où il existe d’anciens
Etats, et les réclamations élevées contre la constitution de ces assemblées,
devront fixer l’attention des Etats généraux ; ils feront connaître à Sa
Majesté les dispositions de justice et de sagesse qu’il est conenable d’adopter
pour établir un rdre fixe dans l’administration de ces mêmes provinces.
Art.
24 : Le Roi invite les Etats généraux à s’occuper de la recherche des
moyens propres à tirer le parti le plus avantageux des domaines qui sont dans
ses mains, et de lui proposer également leurs vues sur ce qu’il peut y avoir de
plus convenable à faire, relativement aux domaines engagés.
Art.
25 : Les Etats généraux s’occuperont du projet conçu depuis longtemps par
Sa Majesté, de porter les douanes aux frontières du royaume, afin que la plus
parfaite liberté règne dans la circulation intérieure des marchandises
nationales ou étrangères.
Art.
26 : Sa Majesté désire que les fâcheux effets de l’impôt sur le seul et
l’importance de ce revenu soient discutés soigneusement, et que dans toutes les
suppositions on propose, au moins, des moyens d’en adoucir la perception.
Art.
27 : Sa Majesté veut aussi qu’on examine attentivement les avantages et
les inconvénients des dRoits d’aides et autres impôts, mais sans perdre de vue
la nécessité absolue d’établir une exacte abalance entre les revenus et les
dépenses de l’Etat.
Art.
28 : Selon le vœu que le Roi a manifesté par sa déclaration du 23
septembre dernier, Sa Majesté examinera avec une sérieuse attention les projets
qui lui seront présentés relativement à l’administration de la justice, et aux
moyens de perfectionner les lois civiles et criminelles.
Art.
29 : Le Roi veut que les lois qu’il aura fait promulguer pendant la tenue
et d’après l’avis ou selon le vœu des Etats généraux, n’éprouvent, pour leur
enregistrement et pour leur exécution, aucun retardement ni aucun obstacle dans
toute l’étendue de son royaume.
Art.
30 : Sa Majesté veut que l’usage de la corvée pour la confection et
l’entretien des chemins soit entièrement et pour toujours aboli dans son
royaume.
Art.
31 : Le Roi désire que l’abolition du droit de main-morte, dont Sa Majesté
a donné l’exemple dans ses domaines, soit étendue à toute la France, et qu’il lui soit
proposé les moyens de pourvoir à l’indemnité qui pourrait être dûe aux
seigneurs en possession de ce droit.
Art.
32 : Sa Majesté fera connaître incessamment aux Etats généraux les
règlements dont elle s’occupe pour restreindre les capitaineries, et donner
encore dans cette partie, qui tient de plus près à ses jouissances
personnelles, un nouveau témoignage de son amour pour ses peuples.
Art.
33 : Le Roi invite les Etats généraux à considérer le tirage de la milice
sous tous ses rapports, et à s’occuper des moyens de concilier ce qui est dû à
la défense de l’Etat avec les adoucissements que Sa Majesté désire pouvoir
procurer à ses sujets.
Art.
34 : Le Roi veut que toutes les dispositions d’ordre public et de
bienfaisance envers ses peuples, que Sa Majesté aura sanctionnées ar son
autorité pendant la présente tenue des Etats généraux, celles entre autres relatives
à la libeté personnelle, à l’égalité des contributions, à l’établissement des
Etats provinciaux, ne puissent jamais être changées sans le consentement des
trois ordres, pris séparément ; Sa Majesté les place à l’avance au rang
des propriétés nationales, qu’elle veut mettre, comme toutes les autres
propriétés, sous la garde la plus assurée.
Art.
35 : Sa Majesté, après avoir appelé les Etats généraux à s’occuper, de
concert avec elle, des grands objets d’utilité publique, et de tout ce qui peut
contribuer au bonheur de son peuple, déclare de la manière la plus expresse
qu’elle veut conserver en son entier, et sans la moindre atteinte,
l’institution de l’armée, ainsi que toute autorité, police et pouvoir sur le
militaire, tels que les monarques français en ont constamment joui.
Le Roi, avant de se retirer, prononce un
troisième discours que nous transcrivons.
Vous venez, Messieurs, d’entendre le résultat de mes
dispositions et de mes vues ; elles sont conformes au vif désir que j’ai
d’opérer le bien public ; et si, par une fatalité loin de ma pensée, vous
m’abandonniez dans une si belle entreprise, seul, je ferai le bien de mes
peuples – seul, je me considèrerai comme leur véritable représentant ; et
connaissant vos cahiers, connaissant l’accord parfait qui existe entre le vœu
le plus général de la nation et mes intentions et mes intentions bienfaisantes,
j’aurai toute la confiance que doit inspirer une si rare harmonie, et je
marcherai vers le but auquel je veux atteindre avec tout le courage et la fermeté
qu’il doit m’inspirer.
Réfléchissez, Messieurs, qu’aucun de vos projets, aucune de
vos dispositions ne peut avoir force de loi sans mon approbation spéciale.
Ainsi, je suis le garant naturel de vos doits respectifs ; et tous les
ordres de l’Etat peuvent se reposer sur mon équitable impartialité.
Toute défiance de votre part serait une grande injustice.
C’est moi, jusqu’à présent, qui fais tout le bonheur de mes peuples ; et
il est rare peut-être que l’unique ambition d’un souverain soit d’obtenir de
ses sujets qu’ils s’entendent enfin pour accepter ses bienfaits
Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite,
et de vous rendre demain matin chacun dans les Chambres affectées à votre
ordre, pour y reprendre vos séances. J’ordonne, en conséquence, au grand-maître
des cérémonies de faire préparer les salles.
Après le départ du Roi, les députés de la
noblesse et une partrie de ceux du clergé se retirent, tous les membres de
l’Assemblée nationale et plusieurs curés restent immobiles à leur place.
M. le
comte de Mirabeau, élevant la
voix le premier dit [124] : J’avoue que ce que vous venez d’entendre pourrait être le
salut de la patrie si les présents du despotisme n’étaient pas toujours
dangereux. Quelle est cette insultante dictature ? l’appareil des armes,
la violation du temple national, pour vous commander d’être heureux ? Qui
vous fait ce commandement ? Votre mandataire. Qui vous donne des lois
impérieuses ? Votre mandataire, lui qui doit les recevoir de vous, de
nous, Messieurs, qui sommes revêus d’un sacerdoce poliique et inviolable ;
de nous enfin, de qui seuls vingt-cinq millions d’hommes atendent un bonheur
certain, parce qu’il doit être consenti, donné et reçu par tous. Mais la
liberté de vos délibérations est enchaînée, une force militaire environne
l’Assemblée. Où sont les ennemis de la nation ? Catilina est-il à nos
portes ? Je demande qu’en vous couvrant de votre dignité, de votre
puissance législative vous vous renfermiez dans la religion de votre
serment ; il ne nous permet de nous séparer qu’après avoir fait la
constitution.
Quelque temps après, le marquis de Brézé s’approche du président, et dit : Messieurs,
vous avez entendu les intentions du Roi.
M. le
comte de Mirabeau se lève avec le
ton et les gestes de l’idignation, et répond ainsi :
Oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu’on a
suggérées au Roi ; et vous, qui ne sauriez être son organe auprès des
Etats généraux ; vous qui n’avez ni place, ni doit de parler, vous n’êtes
pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant pour éviter toute équivoque
et tout délai, je vous déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir
d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne
quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes. [125]
D’une voix unanime les députés se sont
écriés : Tel est le vœu de l’Assemblée.
Le grand-maître des cérémonies se retire.
Un morne silence règne dans l’Assemblée.
M.
Camus. Le pouvoir des dépués
composant cette Assemblée est reconnu ; il est reconnu aussi qu’une nation
libre ne peut être imposée sans son consentement. Vous avez donc fait ce que
vous deviez faire : si, dès nos premoiers pas, nous sommes arrêtés que
sera-ce pour l’avenir ! Nous devons persister, sans aucune réserve, dans
tous nos précédents arrêtés.
M. Barnave. Votre démarche dépend de votre situation : vos arrêtés
dépendent de vous seuls. Vous avez déclaré ce que vous êtes ; vous n’avez
pas besoin de sanction : l’octRoi de l’impôt dépend de vous seuls. Envoyés
par la nation, organes de ses volontés pour faire une constitution, vous êtes
obligés de demeurer assemblés aussi longtemps que vous le cRoirez nécessaire à
l’intérêt de vos commettants. Il est de votre dignité de persister dans le
titre d’Assemblée nationale.
M.
Gleizen, député de Rennes, ayant
parlé des applaudissements indiscrets de quelques membres des deux premiers
ordres, ajoute : Le pouvoir absolu est dans la bouche du meilleur des
Rois, dans la bouche d’un souverain qui reconnaît que le peuple doit faire ses
lois. C’est un lit de justice tenu dans une Assemblée nationale : c’est un
souverain qui parle en maître, quand il devrait consulter. Que les aristocrates
triomphent ; ils n’ont qu’un jour : le prinbce sera binetôt éclairé.
La grandeur de notre courage égalera la grandeur des circonstances. Il faut
mourir pour la patrie Vous avez pris, Messieurs, des délibérations sages ;
un coup d’autorité ne doit pas vous effrayer.
M. l’abbé Sieyès. Messieurs, nous
sommes aujourd’hui ce que nous étions hier. Délibérons.
MM. Pétion de Villeneuve, Buzot, Garat
l’aîné et l’abbé Grégoire appuient avec énergie le parti proposé.
M.
l’abbé Sieyès [126]. Messieurs,
quelques orageuses que paraissent les circonstances, nous avons toujours une
lumière pour nous guider. Demandons-nous quels pouvoirs nous exerçons et quelle
mission nous réunit ici de tous les points de la France. Ne sommes-nous
que des mandataires, des officiers du Roi ?nous devons obéir et nous
retirer. Mais sommes-nous les envoyés du peuple, replissons notre mission,
librement, courageusement.
Est-il un seul
d’entre nous qui voulût abjurer la haute confiance dont il est revêtu et
retourner vers ses commettants, leur dire : j’ai eu peur, voius aviez
remis dans de trop faibles mains les destinées de la France ; envoyez à ma
place un homme plus digne de vous représenter ?
Nous l’avons
juré, Messieurs, et notre serment ne sera pas vain, nous avons juré de rétablir
le peuple français dans ses dRoits. L’autorité qui vous a institués pour cete
grande entreprise, de laquelle seule nous dépendons, et qui saura bien nous
défendre, est, certes, loin encore de nous crier : c’est assez ;
arrêtez-vous. Au contraire, elle nous pousse, et nous demande une constitution.
Et qui peut la faire sans nous ? qui peut la faire, si ce n’est
nous ? Est-il une puissance sur terre qui puisse vous ôter le dRoit de
représenter vos commettants ?
(Ce discours
est couvert d’applaudissements)
On prend les voix par assis et levé et
l’Assemblée nationale déclare unanimement qu’elle persiste dans ses précédents
arrêtés.
M. le
comte de Mirabeau. C’est aujourd’hui que je bénis la liberté de ce
qu’elle mûrit de si beaux fruits dans l’Assemblée nationale. Assurons notre
ouvrage, en déclarant inviolable la personne des députés aux Etats généraux ce
n’est pas manifester une crainte ; c’est agir avec porudence ; cest
un frein contre les conseils violents qui assiègent le trône.
Après un court débat, cette motion est
adoptée à la pluralité de 493 voix contre 34 ; et l’Assemblée nationale se
sépare après avoir pris l’arrêté suivant :
L’Assemblée nationale
déclare que la personne de chaque député est inviolable ; que tous
particuliers, toutes corporations, tribunal, cour ou commission qui oseraient,
pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire
arrêter, détenir ou faire détenir un député, pour raison d’aucunes
propositions, avis, opinions, ou discours par lui faits aux Etats
généraux ; de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à
aucun desdits attentats, de quelque part qu’ils fussent ordonnés, sont infames
et traîtres envers la nation, et coupables de crime capital. L’Assemblée
nationale arrête que, dans les cas susdits, elle prendra toutes les mesures
nécessaires pour rechercher, poursuivre et unir ceux qui en seront les auteurs,
instigateurs ou exécuteurs.[127]
Sur le surplus, l’Assemblée a continué la
séance à demain neuf heures.
Ces arrêtés ont été pris en présence de
plusieurs de MM. Du clergé. Ceux dont les pouvoirs étaient vérifiés ont donné
leurs voix lors des opinions ; et les autres ont demandé qu’il fût fait
mention de leur présence.
Archives parlementaires tome VIII p. 143, 144, 145,
146, 147 y compris les notes en bas de page
& Duvergier
tome I p. 24 & 25 pour les discours et déclarations du Roi
[1] -
notion et concept de légitimité restent à élucider – cette recherche,
logiquement préalable à notre travail, s’en déduira en fait puisque
l’étude des crises de légitimité met en évidence autant de cas de figure et
d’application de cette notion et de ce concept. Le matériau abonde
cependant : théories du droit et de la légalité, proclamations des
pouvoirs publics sur leurs fondements respectifs, légitimations et
délégitimations selon des générations ou des circonstances, mouvement des idées
et contraintes d’évolutions économiques ou sociales
La
plupart des acteurs politiques en ont une idée, mais peu les revendiquent
explicitement ; Louis XVIII, en conclusion des Cent-Jours, est sans doute
le premier à employer publiquement le terme : le principe de légitimité des souverains est une des bases
fondamentales de l’ordre social (proclamation
du 28 Juin 1815) ; le Comte de
Chambord qui faillit être Henri V dépersonnalise la question : ma personne n’est rien,, mon principe est
tout. La France
verra la fin de ses épreuves quand elle voudra le comprendre. Je suis le pilote
nécessaire, le seul capable de conduire le navire au port, parce que j’ai
mission et autorité pour cela (lettre
adressée à Chesnelong, le 27 Octobre 1873, publiée par Dreux-Brézé) ; à l’époque contemporaine, le maréchal Pétain : C’est le respect de la légitimité qui
conditionne la stabilité d’un pays. En dehors de la légitimité, il ne peut y
avoir qu’aventures, rivalités de factions, anarchie et luttes fratricides.
J’incarne aujourd’hui la légimité française. J’entends la conserver comme un
dépôt sacré et qu’elle revienne à mon décès à l’Assemblée Nationale de qui je
l’ai reçue, si la nouvelle constitution n’est pas ratifiée. Ainsi, en dépit des
évènements redoutables que traverse la France, le pouvoir politique sera toujours assuré
conformément à la loi. (discours
enregistré mais empêché d’être prononcé par les Allemands,13 Novembre 1943) - L’ordre
doit régner, et parce que je le représente légitimement, je suis et je reste
votre chef. Obéissez-moi et obéissez à ceux qui vous apporteront des paroles de
paix sociale, sans quoi nul ordre ne saurait s’établir.(tract en prévision du départ forcé par les
Allemands, 18 Août 1944) – le général de Gaulle : En vertu du mandat que le peuple m’a donné et de la légitimité
nationale que j’incarne depuis vingt ans, je demande à tous et à toutes de me
soutenir, quoi qu’il arrive (discours
radiotélévisé lors des « barricades » d’Alger, le 29 Janvier 1960) la revendiquent – sans doute, Pierre Mendès
France est-il le seul à la définir pour autre que lui-même : Puisse l’Histoire dire un jour que de
Gaulle a éliminé le péril fasciste, qu’il a maintenu et restauré leslibertés,
qu’il a rétabli la discipline dans l’administration et dans l’armée, qu’il a
extirpé la torture qui déshonore l’Etat, en un mot qu’il a consolidé et assaini
la République. Alors,
mais alors seulement, le général de Gaulle représentera la légitimité. Je ne
parle pas de la légitimité formelle des votes et des procédures, je parle de la
légitimité profonde, celle qu’il invoquait justement en 1940. Elle tenait alors
à l’honneur du combat pour la libération du sol. Elle tient aujourd’hui, par
delà les constitutions qui se modifient, à des principes qui datent de 1789,
mais qui devaient avoir mûri très profondément dans les souffrances du peuple
et dans l’effort des penseurs de l’ancienne France, pour avoir pu être
formulés, dans le tumulte d’une seule séance, en une langue si belle ; à
ces principes qui dominent nos lois, qui ont fait à la France une grandeur
singulière, incommensurable, à ses forces matérielles, et qui survit à ses
revers (son refus de la confiance à de
Gaulle – Assemblée nationale 1er Juin 1958 JO DP p. 2578)
Ces formulations et
références n’ont pas l’hésitation de la doctrine, aujourd’hui :
successivement Paul Bastid et Georges Burdeau dans l’article Légalité de l’Encyclopaedia Universalis (éd. 1971
. tome IX, p. 874 & éd. 1996 . tome XIII du corpus, p. 573 &
bibliographie) la résument, le premier à la recherche d’un critère
objectif, le second montrant la fonction supplétive de la légalité (son Traité
de science politique en traitant plus amplement, mais passim : I pp. 231 257 273, 301 ;
II pp. 38, 89, 115, 118, 125,
233 ; III pp. 57 à 63,
103 297 à 300, 307, 546, 548 ; IV
pp. 27, 150 ; VI pp. 79, 330) – la question
est à joindre à celle de la souveraineté : si les définitions se donnent,
il reste à trouver le moyen de connaître la pensée de celui qui l’exerce et, en
l’espèce, le degré et les motifs de son adhésion : les scrutins ne sont
pas la seule mesure – pour nous, la légitimité est la coincidence entre la
conscience la plus répandue d’une société et ses institutions, par extension du
sentiment que porte en soi chaque individu de la justice qui lui est faite ou
qui lui est refusée : il n’est pas indifférent qu’en politique, la
légitimité des institutions (royales) ait son origine liée à la capacité du roi
de rendre la justice, et de la rendre bien et d’en faire appliquer les
décisions. Paradoxalement, le marxisme use du concept tandis que le Dictionnaire politique et critique
de Maurras (5 tomes . 1932-1934 . A la cité des
livres & suppl.) ne contient pas même le mot. Il fonde au contraire
les réflexions de Bertrand de Jouvenel, Pierre Boutang et Philippe de Saint
Robert. Mais notre définition sera certainement corrigée par l’étude des
solutions, des faits et des problèmes qui ont suscité le jugement et la
participation de la conscience collective.
Le débat avait été traité
sur le pouvoir de droit et le pouvoir de domination selon une vive querelle
opposant à Léon Duguit, Albert Esmein dès 1902 rejoint par Maurice Hauriou. Une
décision du tribunal des conflits (2 Novembre 1902 Société immobilière de
Saint-Just) paraissait fonder l’exécution forcée des lois. La théorie de
l’autorité de fait et les thèses de Kelsen sur la confusion de l’Etat et du
droit étaient nuancées par Carré de Malberg cherchant les moyens de réduire le
rôle du pouvoir dans l’Etat. Le débat des années 1920 a donc introduit, sans
prescience ?, la guerre idéologique des années 1930 à 1960. L’application
pratique à l’histoire constitutionnelle française a été tentée dès 1945 par
Maurice Duverger : Contribution
à l’étude de la légitimité des gouvernements de fait (LGDJ). L’enjeu est bien celui des régimes
totalitaires, la question de légitimité s’est déplacée des théories sur la
souveraineté vers une réactualisation des droits de l’homme, mouvement opéré de
la Déclaration
de 1789 à celle universelle du 10 Décembre 1948.
Plutôt que de la mener,
comme elle a déjà été brillamment conduite par beaucoup de fondateurs ou de
commentateurs depuis un siècle, en examen des diverses philosophies du droit,
notre recherche de ce qu’est la légitimité porte sur la relation des Français
avec eux-mêmes, avec leur pays, avec leur histoire : les crises politiques
et leur influence sur l’évolution des institutions sont un moyen autant qu’un
champ d’observation, émancipant de considérations trop subjectives ou de vues
trop théoriques.
Jean Charbonnel vient de
donner une étude historique qui a le même fil que notre intuition
permanente : la synthèse des institutions françaises et donc la manière de
réaccorder tout le passé et tout le présent des Français, sont la tentative de
la lettre et de la pratique par de Gaulle de la Constitution du 4
Octobre 1958 : Les légitimistes :
de Chateaubriand à de Gaulle (La table
ronde . Avril 2006 . 327 pages)
[2] - la droite fondant l’économie mixte avec la Compagnie nationale du
Rhône 27 Mai 1921 (finlement constituée en 1933), la Compagnie française des
pétroles 28 Mars 1924 (gouvernement Poincaré), et la protection sociale avec
les assurances : les lois du 30 Avril 1928 (gouvernement Poincaré) et 30
Avril 1930 (gouvernement Tardieu où Laval est ministre du Travail), les
allocations familiales (projet adopté le 25 Juillet 1929 à l’avant-veille de la
retraite de Poincaré), avec les premières habitations à bon marché 4 Juillet
1928 (Louis Loucheur) et avec la création d’un Fonds national du chômage, 17
Mars 1931 (gouvernement Tardieu où Laval est ministre du Travail et de la Prévoyance sociale) -
la gauche ayant à gérer les finances publiques en crise avant son arrivée aux
affaires tant en 1924 qu’en 1936, et n’y parvenant qu’avec le retour de
Caillaux aux Finances le 21 Avril 1925
[3] - Un social-libéralisme à la
française ?, Fondation Copernic (La Découverte . Novembre
2001 . 210 pages) ; La
solution libérale de Guy Sorman (Fayard .
Septembre 1984 . 285 pages) ; L’horreur économique de Viviane
Forrester ; La misère du monde
dir. Pierre Bourdieu (Seuil Points . Février 1998
. 1461 pages) – et une interprétation du « mouvement de
Novembre-Décembre » 1995 : Le
mouvement social en France de Sophie Béroud, René Mouriaux, Michel
Vakaloulis (La Dispute . Septembre 1998 . 223 pages) ;
Tous ensemble ! coll. Futur antérieur n° 33-34 (L’Harmattan . Avril 1996 . 300 pages) ; Le grand refus de Alain
Touraine, François Dubet, Dfidier Lapeyronnie, Farhad Khosrokhavar, Michel
Wieviorka (Fayard . Mai 1996 . 320 pages) ;
Le « décembre » des
intellectuels français de J. Duval, C. Gaubert, F. Lebaron, D. Marchetti,
F. Pavis (Liber . Juin 1998 . 125 pages)
[4] -
sociologie de l’Etat moderne, selon Max Weber : le groupement qui dispose du monopole de la violence légitime et
observations prémonitoires sur les bureaucratie et technocratie – pas de
légitimité en soi, mais des techniques de légitimation du pouvoir, cf. Economie et société éd. posthume 1922
[5] - Franck
David, Le président de la République, garant de
la cohésion sociale Revue
française de droit constitutionnel n° 59 Juillet 2004
[6] - fait ainsi exception la tentative de les recenser,
pour ce qui est des « événements de Mai 68 » : un Guide des sources
d’une histoire à faire, coll. – Mémoires de 68
(Verdier . Octobre 1973 .
351 pages)
– ou la production
(par Mouvement social n° 64
Juillet-Septembre 1968 . Les éditions ouvrières) de documents rassemblés et présentés par
Michelle Perrot, Madeleine Rebérioux, Jean Maitron : La Sorbonne
par elle-même . Mai-Juin 1968
[7] -
deux courants décisifs sont ainsi occultés : une conception sociale du
gouvernement qu’afficheront un temps les socialistes à leur entrée à la Chambre des députés avec
le seul Clovis Hugues les 21 Août et 14 Septembre 1881, puis à 49 élus dont
Hguesde, Jaurès et Millerand les 20 Août et 3 Septembre 1893 - qu’adopta pour
son retour à la Chambre
des députés en 1881, via sa circonscription de Montmartre, Clemenceau, déjà
remarqué pour sa militance en faveur de l’amnistie des Communards : Vive la République démocratique
et sociale, mais qu’avait fondée dès Juin 1840 Proudhon avec son mémoire
fameux Qu’est-ce que la
propriété ? ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement,
- et les mouvements issus de la
Commune puis de l’anarchie ; or, leur résurgence
électorale s’avère décisive dans la course au second tour de l’élection
présidentielle. Le christianisme social qui n’a pas peu – d’Albert de Mun à
Péguy –, influencé l’ambition de « participation » du général de
Gaulle, en est également issu autant que de l’encyclique Rerum novarum
[8] -
signé le 27 Mai 1952 par les six fondateurs de la Communauté européenne
du charbon et de l’acier, le traité instituant une Communauté européenne de
défense, aussitôt ratifié par les cinq partenaires de la France, ne l’est pas à
Paris : le général de Gaulle, le maréchal Juin, le parti communiste y sont
farouchement opposés, le gouvernement que constitue Pierre Mendès France, le 18
juin 1954, comprend partisans et adversaires de la ratification : Maurice
Bourgès-Maunoury et le général Koenig opèrent, au sein du gouvernement le
rapprochement et des aménagements sont demandés aux autres signataires
(conférence à Bruxelles des 19-22 Août et entretien Mendès France-Chruchill le
23) ; quoiqu’elle en ait adopté le principe par 327 voix contre 287 le 11
Février 1952, sous réserve de la participation britannique, l’Assemblée
nationale rejette implicitement le traité par 319 voix contre 264, le 29 Août
1954, faute que le président du Conseil prenne parti (il avoue même un réel
embarras, un réel malaise (..) l’heureux rapprochement que nous avions tant
souhaité ne s’est pas produit JO DP AN 2ème séance 29 Août 1954 p. 4430 à 4436) et
pose la question de confiance sur un texte qui reste un motif de désunion
entre Français
[9] -
proposée au referendum par François Mitterrand, la ratification du traité de
Maastricht n’est approuvée le 20 Septembre 1992 que de justesse par 51,05% des
voix, soit un écart de 539.410 voix entre le oui et le non ;
encore, Valéry Giscard d’Estaing personnellement, et Jacques Chirac, malgré des
défections dans son parti, se sont-ils employés positivement quoiqu’hostiles au
gouvernement de la gauche
[10] -
proposé par Jacques Chirac, et malgré l’engagement des socialistes décidé par
referendum interne, le referendum du 29 Mai 2005 sur le projet de traité
établissant une constitution pour l’Europe est largement négatif : 54,68%
des suffrages exprimés ; deux anciens Premiers ministres Pierre Messmer et
Laurent Fabius ont milité contre la recommandation de leur formation politique
d’origine
[11] - le
« compromis » de Luxembourg en date du 29 Janvier 1966, concluant la crise de la « chaise
vide », elle-même motivée par le refus des partenaires de France de
prévoir le financement de la politique agricole commune, malgré leurs
engagements antérieurs ; cette crise, quoique née de la défense des intérêts
de l’agriculture française, est comprise comme une défiance du gouvernement
envers l’évolution supranationale que défend à l’époque la Commission européenne,
sous la présidence de Walter Hallstein
[12] - l’IFOP de Jean Stoetzel
[13] - Les principes du droit constitutionnel sont
donc, avant tout, des faits qu’il s’agit de dégager par la méthode
d’observation. Joseph-Barthélemy en préface de la 6ème édition
des Eléments de droit constitutionnel
français et comparé, traité d’Albert Esmein
[14] -
après les anciens Laferrière,Tripier et Paillet, les recueils publiés par Léon
Duguit de 1906 jusqu’en 1943 (LGDJ) avec de précieuses notices, puis Maurice
Duverger à partir de 1957 (PUF) sans commentaires (quoique la mise à jour de la
dernière édition de Duguit soit son fait), ne donnent que les principaux textes
adoptés – il faut donc recourir aux Archives
parlementaires et, pour compter du 1er Janvier 1869, aux
collections du Journal officiel :
édition d’abord unique, puis distinguant de celle des lois et décrets, d’autres
rendant compte des débats parlementaires de chaque assemblée, et donnant
séparément les documents annexes aux débats – une édition des documents et
débats constitutionnels depuis 1869 est envisagée par la direction des Journaux
officiels avec nous comme compilateur et commentateur – la collection de
Jean-Baptiste Duvergier, reprenant le droit positif depuis 1787 et continuée
jusqu’en 1949, présente sous beaucoup de textes des notes les situant
relativement aux précédents et à la jurisprudence : elle serait à reprendre
dans un esprit analogue
[15] -
les grandes générations : Sieyès, Lanjuinais pour commencer ;
Benjamin Constant, Royer-Collard, Thiers, Guizot, Laboulaye, les Broglie père
et fils, Prévost-Paradol pour le XIXème siècle et l’enfantement final de la République de 1871-1875
avec des études à mener, selon les débats parlementaires, de la pensée
constitutionnelle de Clemenceau, de Ferry, de Gambetta notamment ; les
auteurs-acteurs récents à partir des années 1930, tels Léon Blum, Paul Bastid,
Joseph-Barthélemy, René Capitant, André Philip, Paul Coste-Floret, Jacques
Bardoux, Michel Debré, François Goguel, Guy Mollet, Léon Noël, Jean-Marcel
Jeanneney, Pierre Mazeaud pour les plus fréquents ou marquants ; Charles
de Gaulle, Pierre Mendès France et François Mitterrand enfin
[16] -
l’étude comparative et l’histoire de la doctrine, dans la manière dont elles
sont enseignées depuis plus de deux siècles – les manuels et traités, notamment
– éclairent l’opinion courante des générations successives, la plupart des
gouvernants et des parlementaires en ayant eu, à leur adolescence, une
connaissance au moins cursive ; elles ne sont pas encore entreprises dans
cet esprit ; les articles, plus encore que leurs ouvrages, de Maurice
Duverger et de Georges Vedel constituent un dialogue de cinquante ans sur les
Quatrième et Cinquième Républiques, et l’ensemble de notre expérience
constitutionnelle : leur édition parallèle et commentée est à faire, tous
deux ont été également comparativistes, le registre du premier ouvert aux
démocraties et à leur « monarchisation », celui du second longtemps
adonné aux systèmes marxistes, l’un et l’autre ayant formé intellectuellement
la génération contemporaine, comme Boutmy , Duguit et Eichtal celle d’avant
1914, Hauriou et Joseph-Barhélemy celle de l’entre-deux-guerres – Broglie et
Prévost-Paradol ayant joué ce rôle et préparé le consensus de fait sur la République
« orléaniste » comme Sieyès prépara le serment au Jeu de Paume – le
mouvement révisionniste actuel ne tient ni à la doctrine ni à un mouvement de
l’opinion mais à la réflexion des acteurs depuis la troisième
« cohabitation » : elle a produit le quinquennat, elle agence
les procédures européennes en droit national, elle reprend les
constitutionnalisations des thèmes d’époque, tel l’environnement, à la suite
des déclarations de 1789, 1848 et 1946e mouvement
[17] - ce sont deux de nos
projets
[18] - il
est résumé par Jean-Baptiste Duvergier en introduction de sa Collection des constitutions, chartes et
lois fondamentales des peuples de l’Europe et des deux Amériques (pp.
13 à 77 & 78 à 95) et très étudié pour son état final aux XVIIème et
XVIIIème siècle, par Mousnier, dans son ouvrage posthume (PUF)
[19] - le
général de Gaulle, une fois acquise l’élection au suffrage universel direct du
président de la République,
peut – ce qui lui eût été plus difficile avant le referendum du 28 Octobre 1962
– affirmer que l’autorité exécutive n’a qu’une seule origine, le chef de l’Etat
procèdant immédiatement de la décision populaire. La légalité, régime à l’œuvre
depuis l’instauration de la
République dans sa version de 1871-1875, est désormais
abondée par la légitimité : une des expressions de la souveraineté est la
nomination par son délégataire à toutes fonctions de l’Etat – de Gaulle en
conférence de presse, le 31 Janvier 1964 : s’il doit être évidemment
entendu que l’autorité indivisible de l’Etat est confiée tout entière au
Président par le peuple qui l’a élu, qu’il n’en existe aucune autre, ni
ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et
maintenue par lui, enfin qu’il lui appartient d’ajuster le domaine suprême qui
lui est propre avec ceux dont il attribue la gestion à d’autres, tout commande,
dans les temps ordinaires, de maintenir la distinction entre la fonction et le
champ d’action du chef de l’Etat et ceux du Premier ministre
[20] - C’est en ma
personne seule que réside la puissance souveraine. C’est à moi seul
qu’appartient le pouvoir législatif, sans dépendance et sans partage. L’ordre
public tout entier émane de moi et les droits et les intérêts de la nation,
dont on ose faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis avec
les miens et ne reposent qu’en mes mains. Louis XV lit de justice au Parlement de Paris – 3 Mars 1766 (« séance de la flagellation ») Texte élaboré par une commission Conseil composée de
Louis-Jean Bertier de Sauvigny + 1788, Jean-François Joly de Fleury + 1802,
Jean-Baptiste Paulin d’Aguesseau de Fresnes + 1784, PierreGilbert de Voisins,
Charles-Alexandre de Calonne + 1802
C’est légal parce que je le veux Louis XVI en
réponse du duc d’Orléans – en lit de justice devant le Parlement de Paris – 19
Novembre 1787
à
quoi répond art. 1er Constitution de 1791 – voté le 22 Septembre
1789
Le gouvernement français est
monarchique ; il n’y a point en France d’autorité supérieure à la
loi ; le roi ne règne que par elle, et ce n’est qu’en vertu des lois qu’il
peut exiger l’obéissance
Le
23, il est précisé que tout pouvoir
émanant de la nation, le pouvoir législatif réside essentiellement dans
l’Assemblée et le pouvoir exécutif dans les mains du roi
mais ce lien ne prépare pas
la définition matérielle de la loi que tente exceptionnellement la Constitution
montagnarde (art. 54) et que constitutionnalise la Cinquième République
(art. 34 et 37), sans cependant veiller au maintien d’une définition formelle
puisque la pratique est d’une législation tout entière d’origine
gouvernemenale, à très peu d’exception près
[21]
- la thèse, devenant technique, de la délégation
s’appliquant à des pouvoirs publics définis par séparation l’un de l’autre
(Constitution de 1848, art. 18 : Tous
les pouvoirs publics, quels qu’ils soient, émanent du peuple. Ils ne peuvent
être délégués héréditairement – art. 19 : La séparation des pouvoirs est la première condition d’un gouvernement
libre est donc doublement fonctionnelle. La Constituante de
1789-1791 l’utilise également pour chacun des trois pouvoirs identifiés par
Montesquieu. Elle permet pratiquement l’exercice de la souveraineté, elle
subordonne les personnes à la
Nation, l’individuel au collectif. Elle induit le contrôle du
délégataire sur le délégué. Elle persiste aussi bien dans les régimes où domine
le délibérant que dans ceux restituant de l’autorité au gouvernement. Elle
introduit une différence de nature entre les deux Chartes de 1814 et de
1830 : c’est la démonstration de Thiers en 1831 et le fondement de son
adhésion, très raisonnée à la
Monarchie de Juillet - La
monarchie de 1830 (éd. Alexandre
Mesnier . 1831 . 160 pages)
[22] -
les deux déclarations royales en séance des trois Etats réunis, le 23 Juin
1789, respectivement intitulées Déclaration
du Roi concernant la présente tenue des Etats généraux et Déclaration des intentions du Roi
disposent des formes de délibération et de la compétence des assemblées ce qui
modernise le fonctionnement de l’institution quasi-millénaire, et énoncent
diverses abolitions ou garanties modifiant en principe le régime social du pays
(Archives parlementaires tome VIII pp. 142 à 146)
[23] - vg. Eugène d’Eichtal Souveraineté du peuple et gouvernement
(Félix Alcan . 1895 . 264 pages) qui est
cofondateur de l’Ecole libre des sciences politiques
[24] -
elle est totale dans les Constitutions de 1791, de 1793, de 1795 et de
1848 : l’intitulé des chapitres de chacun de ces textes le souligne, celle
de 1791 dipose même que le Corps
législatif cessera d’être corps délibérant, tant que le Roi sera présent (Constitution de 1791 art. 8 sect. 4 ch. III titre III), hantise du « lit de
justice » dont la seconde séance royale des Etats généraux, le 23 Juin
1789, constitua la dernière représentation ; elle est niée par l’exercice
commun du pouvoir législatif tel qu’organisé à l’avantage de l’exécutif par les
régimes des Bonaparte et par les Chartes (comme par l’Acte additionnel aux
Constitutions de l’Empire) et à celui du délibérant par les Troisième et
Quatrième Républiques ; comme en beaucoup de domaines et sous tant
d’aspects, la
Cinquième République concilie les deux thèses en
systématisant, en droit constitutionnel sinon en sociologie politique, la
séparation des fonctions à défaut de celle des pouvoirs
[25] - le recrutement des ministres et la possibilité pour
eux d’être parlementaires ont été discutés et ont varié en droit depuis le
début de la Révolution :
la Constituante,
par décrets des 7 Novembre 1789 (à la suite d’un discours de Mirabeau) et 26
Janvier 1790, dispose qu’aucun membre de
l’Assemblée ne pourra obtenir de place dans le ministère durant la session
. La Constitution
de l’An III art. 46, celle de 1852 art. 44 comme la Constitution de 1958
art. 23 tranchent pour l‘incompatibilité alors que les Chartes (art. 54 de 1814
et 46 de 1830) et l’Empire parlementaire (art. 19 Acte additionnel et art. 20
Constitution de 1870) – le système des suppléants est pratiqué pour les Etats
Généraux ; la
Cinquième République en change l’esprit puisqu’il s’agit
surtout d’éviter les élections partielles qui entre 1871 et 1874 puis sous la Quatrième République
devenaient des tests nationaux ; celles-ci subsistent néammoins, la
victoire de Michel Rocard sur Maurice Couve de Murville en 1969 ou le défi de
Jean-Jacques Servan-Schreiber lancé en 1971 à Jacques Chaban-Delmas, Premier
ministre en exercice
[26] - si l’Assemblée Nationale élue en 1871 est
conséquente avec sa composition sociologique et politique en se considérant
d’elle-même souveraine alors qu’elle a été convoquée par un pouvoir dont elle
conteste l’origine et la légitimité : 14
Novembre 1872, incidente à partir projet de loi sur le jury (JO p. 6998 : c’est l’Assemblée nationale seule qui
représente le pays, ce n’est pas M. le Président de la République), mardi 18 Novembre
1873, dans le débat sur le septennat du maréchal de Mac Mahon (JO p.7037 :
nous avons le dépôt de la souveraineté),
la Chambre
des députés de la
Troisième République puis l’Assemblée nationale de la Quatrième République
se sont posées indûment en souveraines, et ont été ressenties comme telles par
le souverain théorique : le peuple. Les débats d’amendements et de
votations des deux moutures constitutionnelles de 1946 montrent que l’idéologie
est bien de fonder une Assemblée unique et souveraine, et non d’organiser un
Corps législatif subordonné
[27] - elle naît le
24 Juin 1789, en théorie dans la conclusion que tire Lally Tollendal du
décalage entre les discours du roi la veille et les ordres donnés par le garde
des sceaux, en pratique par Mirabeau assurant que celui-ci est démissionnaire
(Archives parlementaires tome V, pp. 148-149) ; elle est établie par l’Assemblée constituante par
décrets des 13 Juillet 1789 au renvoi de Necker et 23 Février 1791 : mais
le plus généralement elle est mise en œuvre par le législateur en cas
d’infractions à la légalité, à la Constitution, puis en cas de prévarication (art. 5 sect. IV ch. II titre III Constitution de
1791 ; art. 71 et 72 Constitution montagnarde ; art. 152 Constitution
de l’an III ; ar. 72 Constitution de l’an VIII) ; procédure d’accusation, elle ne devient
politique qu’à raison de l’inexécution des lois – elle est évidemment toute différente quand elle
est, implicitement mais pratiquement, vis-à-vis du seul chef de l’Etat :
art. 13 de la
Constitution de 1852, art. 18 du projet de Constitution
élaboré par le Maréchal Pétain, quoique celui-ci organise aussi les procédures
parlementaires de confiance et de défiance. – la pratique moderne commence de
s’écrire le 19 Mars 1873 : « loi des Trente » définissant les attributions
des pouvoirs publics et les conditions de la responsabilité ministérielle,
préparant le renvoi de Thiers
[28] - Aucun ordre du roi ne pourra être exécuté
s’il n’est signé de lui et contresigné par le ministre ou l’ordonnateur du
département. En aucun cas, l’ordre du roi, verbal ou par écrit, ne peut
soustraire un ministre à la responsabilité. (Constitution
du 3 Septembre 1791, art. 4 & 6, sect. IV ch. II du titre III) – le
système aboutit à l’absurde sous la Troisème République :
le président du Conseil démissionnaire tenu de contresigner la nomination de
son successeur
[29] - quoique des ministres
aient démissionné pour ne pas être mis en acusation, c’est-à-dire ont anticipé
ce qu’ils savaient être une perte de la confiance de l’Assemblée : ainsi,
le 8 Mai 1792, de Grave, ministre de la Guerre ; le 15, Isnard demande à l’Assemblée
législative d’interpeller le roi
[30] -
que codifieront les Constitutions du 14 janvier 1852 (art. 5) et du 21 Mai 1870
(art. 13) et que permet la
Constitution du 4 Octobre 1958 (art. 11) : Le Président de la République – l’Empereur
- est responsable devant le peuple français, auquel il a toujours le droit de
faire appel. François Goguel a proposé d’inscrire cette responsabilité présidentielle
devant le peuple en modifiant l’intitulé du titre IX de la Constitution de 1958
et le libellé de l’art. 68
[31] - le 17 Juillet 1792, les
fédérés demandent la suspension de Louis XVI, le ministre de l’Intérieur
Terrier de Monciel se retire
[32] - 11
Juin 1792, Louis XVI oppose son veto aux décrets sur la déportation des prêtres
réfractaires et la création d’un camp de fédérés à Paris ; le 20, la foule
envahit les Tuileries pour le contraindre à retirer son veto, le roi ne cède
d’ailleurs pas – la démission du maréchal de Mac-Mahon (30 Janvier 1879) sera
substantiellement identique : il s’agit aussi pour lui de refuser des
mesures qu’entend lui imposer la représentation nationale (le discours de
Dufaure sur les rapports entre l’Eglise et l’Etat et des mises à l’écart de
fonctionnaires hostiles à la
République)
[33] -
mais ont pesé aussi, contemporaines de quelques jours, la mort de Mirabeau (2
Avril 1791) et la décision de la Constituante de rendre ses membres inéligibles à
l’assemblée suivante (16 Mai 1791), précisément chargée d’appliquer son œuvre
[34] -
lettre des Constitutions de la
Révolution : La Constitution délègue exclusivement au Corps législatif
les pouvoirs et fonctions ci-après : 1° de proposer et décréter les
lois : le Roi peut seulement inviter le Corps législatif à prendre un
objet en considération. Le pouvoir exécutif ne peut faire aucune loi, même
provisoire, mais seulement des proclamations conformes aux lois, pour en
ordonner ou en rappeler l’exécution (Constitution de 1791 art. 1er sect. 1 ch.
III titre III & art. 6 sect. 1 ch.
IV) – au Corps législatif seul appartient
l’exercice plein et entier de la puissance législative. Le Conseil exécutif est
chargé d’exécuter et de faire exécuter toutes les lois et décrets rendus par le
Corps législatif. Il lui est expressément interdit de modifier, d’étendre ou
d’interpréter les dispositions des lois et déécrets, sous quelque prétexte que
ce soit (Constitution
girondine art. 188 & 102.104) – Le
Conseil est chargé de la direction et de la surveillance de l’administration
générale ; il ne peut agir qu’en exécution des lois et décrets du Corps
législatif (Constitution montagnarde art. 65) – Le Directoire peut faire des proclamations conformes aux lois et pour
leur exécution. Il surveille et assure l’exécution des lois dans les
administrations et tribunaux, par des commissaires à sa nomination (Constitution de
l’an III art. 144 & 147)
[35] -
c’est, pourtant, ce que pouvait présager la lettre entièrement autographe par
laquelle, le 13 Septembre 1791, Louis XVI accepte la Constitution, langage
réaliste et d’homme de gouvernement, mais aussi vocabulaire et idéologie
du temps :
J’ai examiné
attenivement l’acte constitutionnel que vous avez présenté à mon acceptation.
Je l’accepte, et je le ferai exécuter. Cette déclaration eût pu suffire dans un
autre temps : aujourd’hui je dois aux intérêts de la nation, je me dois à
moi-même de faire connaître mes motifs.
Dès le
commencement de mon règne, j’ai désiré la réforme des abus ; et dans tous
les actes du gouvernement, j’ai aimé à rendre pour règle l’opinion publique.
Diverses causes, au nombre desquelles ont doit placer la situation des finances
à mon avènement au trône, et les frais immenses d’une guerre honorable,
soutenue longtemps sans accroissement d’impôts, avaient établi une
disproportion considérable entre les revenus et les dépenses de l’Etat.
Frappé de la
grandeur du mal, je n’ai pas cherché seulement les moyens d’y porter
remède ; j’ai senti la nécessité d’en prévenir le retour. J’ai conçu le
projet d’assurer le bonheur du peuple sur des bases constantes, et d’assujettir
à des règles invariables l’autorité même dont j’étais dépositaire. J’ai appelé
autour de moi la nation pour l’exécuter. Dans le cours des événements de la Révolution, mes
intentions n’ont jamais varié. Lorsqu’après avoir réformé les anciennes
institutions, vous avez commencé à mettre à leur place les remiers essais de
votre ouvrage, je n’ai point attendu, pour y donner mon assentiment, que la Constitution entière
me fût connue ; j’ai favorisé l’établissement de ses parties avant même
d’avoir pu en juger l’ensemble ; et si les désordres qui ont accompagné
presque toutes les époques de la
Révolution venaient trop souvent affliger mon cœur,
j’espérais que la loi reprendrait de la force entre les mains des nouvelles
autorités, et qu’en approchant du terme de vos travaux, chaque jour lui
rendrait ce respect sans lequel le peuple ne peut avoir ni liberté ni bonheur.
J’ai persisté longtemps dans cette espérance, et ma résolution n’a changé qu’au
moment où elle m’a abandonné. Que chacun se rappelle le moment où je me suis
éloigné de Paris : la
Constitution était près de s’achever ; et cependant
l’autorité des lois semblait s’affaiblir chaque jour ; l’opinion, loin de
se fixer, se subsidivisait en une multitude de partis. Les avis les plus
exagérés semblaient seuls obtenir de la faveur ; la licence des écrits
était au comble ; aucun pouvoir n’était respecté.
Je ne pouvais
plus reconnaître le caractère de la volonté générale dans des lois que je voyais
partout sans force et sans exécution. Alors, je dois le dire, si vous m’eussiez
présenté la Constitution,
je n’aurais pas cru que l’intérêt du peuple (règle constante et unique de ma
conduite) me permît de l’accepter. Je n’avais qu’un sentiment, je ne formais
qu’un seul projet ; je voulais m’isoler de tous les partis, et savoir quel
était véritablement le vœu de la nation.
Les motifs
qui me dirigeaient, ne subsistent plus aujourd’hui : depuis lors, les
inconvénients et les maux dont je me plaignais vous ont frappés comme
moi ; vous avez manifesté la volonté de rétablir l’ordre, vous avez porté
vos regards sur l’indiscipline de l’armée ; vous avez connu la nécessité
de supprimer les abus de la presse. La révision de votre travail a mis au nombre
des lois règlementaires plusieurs articles qui m’avaient été présentés comme
constitutionnels. Vous avez établi des formes légales pour la révision de ceux
que vous avez placés dans la Constitution. Enfin, le vœu du peuple n’est plus
douteux pour moi ; je l’ai vu se manifester à la fois, et par son adhésion
à votre ouvrage, et par son attachement au maintien du gouvernement
monarchique.
J’accepte
donc la Constitution ;
je prends l’engagement de la maintenir au-dedans, de la défendre contre les
attaques du dehors, et de la faire exécuter par tous les moyens qu’elle met en
mon pouvoir.
Je déclare
qu’instruit de l’adhésion que la grande majorité du peuple donne à la Constitution, je
renonce au concours que j’avais réclamé mon travail, et que n’étant responsable
qu’à la nation, nul autre, lorsque j’y renonce, n’aurait le droit de s’en
plaindre. (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes et cris : Vive
le roi !).
Je manquerais
cependant à la vérité, si je disais que j’ai aperçu, dans les moyens
d’exécution et d’administration, toute l’énergie qui serait nécessaire pour
imprimer le mouvement et pour conserver l’unité de toutes les parties d’un si
vaste Empire ; mais, puisque les opinions sont aujourd’hui divisées sur
ces objets, je consens que l’expérience seule en demeure juge. Lorsque j’aurai
fait agir avec loyauté tous les moyens qui m’ont été remis, aucun reproche ne
pourra m’être adressé ; et la nation dont l’intérêt seul doit servir de
règle, s’expliquera par les moyens que la Constitution lui a
réservés. (Nouveaux applaudissements à gauche et dans les tribunes).
Mais,
Messieurs, pour l’affermissement de la liberté, pour la stabilité de la Constitution, pour le
bonheur individuel de tous les Français, il est des intérêts sur lesquels un
devoir impérieux nous imposerait de réunir nos efforts : ces intérêts sont
le respect des lois, le rétablissement de l’ordre et la réunion de tous les
citoyens. Aujourd’hui que la constitution est définitivement votée, des
Français vivant sous les mêmes lois ne doivent connaître d’ennemis que ceux qui
les éloignent : la discorde et l’anarchie, voilà nos ennemis communs.
Je les
combattrai de tout mon pouvoir : il importe que vous et vos successeurs me
secondiez avec énergie ; que, sans vouloir dominer la pensée, la loi
protège également tous ceux qui lui commentent leurs actions ; que ceux
que la crainte des persécutions et des troubles aurait éloignés de leur patrie,
soient certains de trouver, en y rentrant, la sûreté et la tranqullité ;
et pour éteindre les haines, pour adouvcir les maux qu’une grande Révolution
entraîne toujours à sa suite ; et que la loi puisse, d’aujourd’hui,
commencer à recevoir une pleine exécution, consentons à l’oubli du passé.
(Vifs
applaudissements à gauche et dans les tribunes) : que les accusations et les
poursuites qui n’ont pour principe que les événements de la Révolution, soient
éteintes dans une réconciliation générale. Je ne parle pas de ceux qui n’ont
été déterminés que par leur attachement pour moi : pourriez-vous y voir
des coupables ? Quant à ceux qui, par des excès où je pouvais apercevoir
des injures personnelles, ont attiré sur eux la poursuite des lois, j’éprouve à
leur égard que je suis le roi de tous les Français. (Nouveaux
applaudissements.)
Signé :
Louis.
13 Septembre
1791.
P.S. – J’ai
pensé, Messieurs que c’était dans le lieu même où la Constitution a été
formée que je devais en prononcer l’acceptation solennelle : je me
rendrai, en conséquence, demain à midi, à l’Assemblée nationale. (Vifs
applaudissements répétés à gauche et dans les tribunes et cris : Vive
le roi !) (Archives
parlementaires, tome XXX pp. 620.621)
[36] -
les Constitutions de Louis-Napoléon Bonaparte et Napoléon III en1852 et en 1870
disposent : art. 1er. – La Constitution
reconnaît, confirme et garantit les grands principes proclamés en 1789, et qui
sont la base du droit public des Français, et celle inspirée par le général
de Gaulle en 1958 pose en préambule que le
peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme
et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789,
confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946.
Le coup du 2 Décembre 1851
a fait en revanche omettre la référence au préabule de la Constitution de 1848,
et aucune des Constitutions révolutionnaires n’a affirmé de continuité avec les
déclarations les ayant chacune précédées (Déclaration
des droits naturels civils et politiques des hommes en tête du projet
girondin, Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen en préambule de la Constitution
montagnarde, Déclaration des droits et
des devoirs de l’homme et du citoyen comme préambule de la Constitution de l’an
III : aucune ne se réfère à celle de 1789, celle de 1848 non plus, celle
du projet du 19 Avril 1946 opérait seule le lien que n’a pas repris la Constitution du 27
Octobre 1946) ; 1852 innove donc
[37] -
introduit en 1799, le concept et sa lettre sont repris par les Chartes et
évidemment par le Second Empire ; si le concept demeure et devient même essentiel
(Lettres sur la réforme
gouvernementale d’abord publiées anonyment dans la Revue de Paris puis par Grasset en 1918, puis
rééditées en 1936 : La réforme
gouvernementale de Léon Blum à partir de son expérience de la direction
du cabinet de Marcel Sembat et conçue sur lemodèle d’une direction
d’entreprise), il ne reste pas dans le droit constitutionnel ni sous la Troisième République,
ni sous la Quatrième
(la Constitution
du 24 Octobre 1946 n’emploie le mot qu’une fois, très incidemment, à propos de la
politique de l’Union française : art. 65 & 71) qui lui préfère celui
de conseil des ministres (titre VI, fondant précisément les prérogatives
propres au président du Conseil ; le projet du 19 Avril 1946 instituait de
même, titre IV, du conseil des ministres) déjà introduit par la loi
constiutionnelle du 25 Février 1875 (art. 4 & 7). La Révolution ne concevait
pas que les ministres forme conseil et les Bonaparte ne voyaient le
gouvernement que comme la charge qu’ils recevaient. Si les derniers actes du maréchal
Pétain reprennent le terme pour précisément définir les prérogatives propres à
son chef, que n’est plus le chef de l’Etat à partir du 18 Avril 1942 (acte n°
11), son projet de Constitution traitant de la
fonction gouvernementale (art. 13 – La
fonction gouvernementale est exercée par le Chef de l’Etat, les ministres et
secrétaires d’Etat) anticipe ce
que sera la conception du général de Gaulle, le président de la République et
« son » gouvernement ne font qu’un (ce qui dans la conception
originelle de la
Cinquième République et dans la pratique de l’homme du 18
Juin tant en 1945 que de 1959 et 1969 empêche radicalement d’envisager une
« cohabitation »). La
Constitution de la Cinquième République
intitule son titre III Le gouvernement
en symétrie du titre IV Le
Parlement ; celle du 27 Octobre 1946 avait aussi un titre Le Parlement, mais ne traitait du
gouvernement que sous l’appellation du conseil des ministres
[38] -
celle-ci n’est pas accordée dans la lettre jusqu’en 1799 mais est envisageable,
avec beaucoup de précautions et de conditionnalités. La restriction se marquait
aussi, quand le Roi eût disparu, dans la promulgation qui n’incombait pas
davantage à l’exécutif. La
Charte de 1814 prit l’exact contrepied en faisant de cette
initiative l’apanage du Roi (art. 16 – Le
Roi propose la loi) et en ne l’envisageant pour la Chambre des députés
qu’avec les mêmes restrictions (art. 19 –
Les chambres ont la faculté de supplier le Roi de proposer une loi sur quelque
objet que ce soit, et d’indiquer ce qu’il leur paraît convenable que la loi
contienne) que la
Révolution en avait pour l’exécutif, le Second Empire, dans
ses versions autoritaires, adopta la même posture (art. 8 de la Constitution du 14
Janvier 1852). La Monarchie
de Juillet fonda au contraire le partage de l’initiative entre les deux
pouvoirs (art. 14 – La puissance
législative s’exerce collectivement par le Roi, la Chambre des députés et la Chambre des pairs ;
art. 15 – La proposition des lois
appartient au Roi, à la
Chambre des Pairs et à la Chambre des Députés), ce qu’avait anticipé
l’Acte additionnel (art. 2 – Le pouvoir
législatif est exercé par l’empereur et par deux Chambres) avec une
formulation qui rend compte exactement de la pratique d’aujourd’hui (art. 23 – Le gouvernement a la proposition de la
loi ; les Chambres peuvent proposer des amendements : si ces
amendements ne sont pas adoptés par le gouvernement, les Chambres sont tenues
de voter sur la loi, telle qu’elle a été proposée). La loi
constitutionnelle du 25 Février 1875 distingue les pouvoirs (art. 1er.
– Le pouvoir législatif s’exerce par deux
Assemblées) mais, se contredisant, ce que son mode d’écriture et de
votation explique aisément, elle accorde au président de la République l’initiative des lois, concurremment avec
les membres des deux Chambres (art.3). Les Quatrième et Cinquième
Républiques adoptent la même solution, l’initiative des lois partagée entre le
Parlement et l’exécutif n’est plus, pour celui-ci, donnée au président de la République mais au puis au Premier ministre (art. 39 de 1958)
[39] - Traité de science politique VII La
démocratie gouvernante, ses structures gouvernementales ( LGDJ . 2ème trim. 1957 . 626 pages)
[40] -
distinguant parmi les pouvoirs publics, le
pouvoir exécutif, le pouvoir délibérant, le pouvoir de suffrage : Précis de droit constitutionnel (Sirey . éd.
1923 741 pages . éd. 1928 759 pages)
[41] - art. 12. – Les trois fonctions de l’Etat –
fonction gouvernementale, fonction législative, fonction juridictionnelle –
s’exercent par des organes distincts ce qui reprend l’exposé de Roger
Bonnard : l’Etat exerce
certaines fonctions qui se réalisent par certains actes. Ce sont des fonctions
et actes législatifs, administratifs et juridictionnels. C’est en exerçant ces
fonctions et en accomplissant ces actes que l’Etat arrive à donner satisfaction
aux besoins soit juridiques, soit matériels des individus. Ces fonctions sont exercés et ces actes sont
accomplis par les organes de l’Etat. Précis
élémentaire de droit public (Sirey . 1932
. 2ème éd. 464 pages) p. 9 – et que continuera Maurice
Duverger : Manuel de droit
constitutionnel et de science politique (PUF
. 2ème trim. 1948 . 403 pages) La distinction des fonctions législative, exécutive et juridictionnelle
p. 138 & ss.
[42] - la discussion à la Convention, le 12 Juillet
1795, dont rend compte Le Moniteur, .
1202 & ss. reprises par Michel Troper Terminer
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