Le voyage a lieu les 19 et 20 Décembre prochains, après Jacques Chirac en Mars 2003 (Oran) et Nicolas Sarkozy en Décembre 2007 (Constantine). Je voudrais le courieller à l'Elysée demain dans la matinée.
en prévision du voyage en Algérie du président de la République ,
esquisse pour un discours possible
Mes chers amis algériens, mes chers compatriotes.
Oui, c’est à mes compatriotes que je m’adresse à m’adressant à vous avec certitude et avec bonheur. Certitude de la France et bonheur de votre fréquent visiteur depuis mon stage d’ambassade chez vous. La France , pas seulement celle de 1830, mais celle de 1962, celle qui vous a dû tant en 1914-1918 et plus encore en 1942-1944, votre sol, vos aïeux et la vie des nôtres chez vous. Mon premier séjour à Alger quand se produisait un décisif changement ici, par la succession du président Boumedienne, et il me semble – selon tout ce que je vois et entends maintenant, et de vous ensemble avec le président de la République française – qu’un nouveau changement, encore plus décisif, est en train de se faire. La France vous accompagne comme depuis longtemps, nous nous connaissons si bien les uns les autres.
Compatriotes, car une bonne part de vous tous va et vient en France, la rive nord de notre Méditerranée, car vos parents, grands parents étaient encore Français au moins théoriquement, il y a juste cinquante ans, vous de la rive sud de notre Méditerranée, car vous Algériens de passeport ou Algériens de choix français vivez chez nous et donnez à la France un des éléments essentiels de son identité pour aujourd’hui et pour demain. La France , par vous, compte la première population musulmane d’Europe. C’est beaucoup et c’est bien d’une patrie commune qu’il peut s’agir.
Il m’a été dit que le président de la République française doit exprimer une repentance publique pour le passé et il est vrai qu’élu par une majorité de Français, dont bon nombre sont des vôtres, et représentant dès lors tous les Français, j’ai quelque chose à vous dire sur ce passé.
Comme la mise en valeur locale n’a pu s’effectuer qu’aux dépens des Arabes, et grâce à leur force de travail, seul un système d’oppression militaire et civil a pu garantir la suprématie de la collectivité française… Toute colonie de peuplement fondée sur une distinction raciale tend à s’installer dans l’éternel comme la monarchie absolue. … Les Français d’Algérie ont lutté sur deux fronts : l’Algérie et la métropole. [1]
La conquête a été, en Algérie, un nivellement par le bas. Et le régime colonial, par définition, ne forme pas des élites, mais des domestiques… Ce sont les malheurs de notre pays qui m’ont jeté dans l’arène politique. Si la France avait trouvé des solutions équitables aux problèmes qui se sont posés chez nous, il est probable que je me serais contenté de « cultiver mon jardin ». mais comment peut-on vivre pour soi quand la détresse des hommes et l’injustice qui les frappe deviennent un spectacle quotidien ? [2] Se souvenant de Violette et Blum, citant Prévost-Paradol, Anatole France, Sartre, Tillion, Camus, Ferhat Abbas nous ouvre donc le chemin, en se réclamant de Jean Jaurès : Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire. Et que dénonce-t-il ? au plus sombre de « la nuit coloniale », en Septembre 1960, mais ne le publiant qu’après notre accord de paix, en Mars 1962.
La volonté de faire de notre pays une colonie de peuplement et le projet de faire d’un pays arabe une « province de sang français » ont amené la France à commettre, en Algérie, trois crimes majeurs :
1° elle a détruit l’Etat algérien et les cadres politico-sociaux de la société arabe, ce qui l’a entrainée à poser un probkème d’ordre national et humain qu’elle n’a pas été en mesure de régker, malgré cent trente ans d’occupation ;
2° elle s’est obstinée à susbtituer le peuplement européen au peuplement algérien. Par voie de conséquence, elle a créé un ordre social monstrueux et ouvert la voie à un racisme chronique que ses lois d’exception, en tous les domaines, ont alimenté tout le long du siècle ;
3° elle a concédé à la colonie européenne des franchises abusives, à une époque où l’Algérien, en tant qu’individu et malgré ses appels réitérés au respect de la « légalité coloniale », n’était pas armé politiquement pour défendre ses droits. L’attelage du « maître » et du « sujet » a fini par provoquer un déséquilibre social explosif. [3]
Ainsi d’autres que moi l’ont dit mieux mais c’est au président de la République française de le proclamer.
Mon regret, notre regret, votre regret – sans que que vous ayez à le publier – est que nous n’ayons pas su organiser dans le passé ce que nous devions vivre ensemble, que nous n’ayons pas su faire la liberté, l’égalité et la fraternité au sud de la Méditerranée comme vous savez et comme vous continuez de voir que nous le faisons au nord. De cette incapacité, ceux qui se sont appelés les « pieds-noirs » ont pâti finalement bien plus d’autres, alors qu’ils étaient réputés en profiter.
Oui, la France se repend de n’avoir pas su faire du passé colonial un grand avenir et d’avoir provoqué votre lassitude, vos désespérances au point qu’une partie des vôtres, que vous, vous avez pris les armes contre ce qui ceux qui se conduisaient en occupant étranger. Nous aurions pu vous faire partager la République française, notre cécité – malgré le labeur et la générosité de beaucoup d’entre nous avec vous – a provoqué cette guerre. Beaucoup, à l’étranger, de part et d’autre aussi de la Méditerranée , ont vu que cette guerre était fratricide. Elle devait être évitée, elle ne l’a pas été. Nous nous sommes entretués, torturés, massacrés, il y a eu entre nous – comme il a été si bien dit – « cette haine qui ressemble à l’amour ». C’est le repentir de la France. Il y a eu aussi ces choix extrêmes d’un patriotisme unique, par des compréhensions différentes de ce que devait être alors la France. Des Français ont été de votre côté dans la lutte. J’ai salué la mémoire de Maurice Audin parce qu’il était votre soutien et votre ami, communiste français approuvé par René Capitant, un gaulliste. Des vôtres, peut-être même de vos familles, ont été de notre côté, les harkis, envers qui les gouvernements français se sont très mal conduits. Ils ont droit à votre estime en tant qu’Algériens et à notre reconnaissance en tant que Français, même si de votre part comme de la nôtre, c’est bien tard. Enfin, il y a ceux qui ont continué et ont voulu rester ou venir, le cardinal Duval choisissant votre nationalité, tant de jeunes coopérants français que vous avez aimés et de Foucauld aux moines de Tibeïrine votre terre est celle aussi de leur sang. Au bord de la Seine , l’Institut du monde arabe doit beaucoup à notre commune hisoire, elle nous fait réfléchir autant sur la nation arabe que sur la nation française. De quoi sont-elles donc faites ? Quel est leur socle, quel est leur ciment ? Votre esprit, vos mœurs, votre don de la proximité ajoutent à notre intelligence, à nos vies et commerce de quartiers, à notre dialectique et notre progrès social.
Je veux aussi vous dire – ici, bien plus fort et de façon encore plus motivée qu’ailleurs dans le monde où il y eut tant de territoires et de peuples sous la souveraineté française – que la colonisation, dans son principe, quand elle est un rapport de forces, quand elle est un esprit de supériorité sociale, racial, religieux par méconnaissance de l’autre, par crainte de l’autre, la colonisation est illégitime. Nous n’avons pas su en tirer à temps les conséquences ni faire ensemble quelque chose sans précédent et exceptionnel. L’Histoire, plus encore que vous et nous, ne l’a pas voulu. Je regrette que nous ayons contredit ainsi les valeurs qui ont fondé la France , mais je suis convaincu qu’elles nous inspirent, aujourd’hui, bien plus efficacement quand nous voulons l’avenir et lisons le passé et le présent autrement. L’Histoire ne nous divise pas, si nous en faisons la suite ensemble. En cette époque d’intégrismes et d’intolérances, notre communion est indispensable : elle peut être plus contagieuse que ces haines et partis pris si peu fondés entre les hommes.
Vous avez su avant, pendant, depuis votre guerre d’indépendance distinguer entre le fait colonial – dont l’Histoire a montré qu’il est éphémère – et le parti que peut en tirer chacun quand il va à l’essentiel. Vous nous avez aidés à nous libérer d’un occupant barbare, vous avez reconnu en nous des valeurs autrement dites que les vôtres mais qui sont les mêmes et vous continuez de puiser dans ce fonds commun qui a version française depuis des siècles. Vous l’enrichissez chaque jour, je le constate. La langue française, la laïcité française, la démocratie française vous doivent quotidiennement. Le beur, respectueux de notre grammaire, invente splendidement un accent de plus pour notre époque et nos divers, et surtout un vocabulaire souvent si juste. Les valeurs d’humanisme, de tolérance, de culture des musulmans de France sont exemplaires autant pour la majorité des Français, chrétiens pratiquants ou pas. La démocratie trouve l’un de ses tests ultime dans votre admission parmi d’autres nationalités étrangères à participer aux gestions municipales.
Si je suis venu en Algérie, chez vous, en plein respect de votre souveraineté, c’est pour entendre de vous vos souhaits pour maintenant et pour l’avenir. Je suis porté par ceux des vôtres qui vivent chez nous. Je suis porté par les morts de plusieurs passés sanglants et de sacrifices. Je suis surtout porté par le bon sens. La Méditerranée – chacun de mes prédécesseurs l’a fortement ressenti et proposé – doit nous unir. Aucune stratégie de paix et de développement n’est concevable sans que l’Algérie et la France agissent ensemble dans la région, en Afrique et tout autour de la Méditerranée , au Maghreb autant qu’au Machrek. Chacun de nous doit réussir chez soi. Chez nous, vous y êtes pour beaucoup. Nous souhaitons l’être chez vous. C’est évident pour la cohésion nationale française, c’est évident pour la démocratie algérienne. Et si la France peut contribuer à la parfaite entente entre vous et vos frères marocains nos amis, à l’épanouissement du printemps arabe dans cette Afrique du nord que nous aimons, nous le ferons. Et si vous pouvez contribuer à la stabilité, à la pérennité des Etats, au bien-être social, à la colérance religieuse et culturelle dans l’ensemble du Sahara dont une grande part est vôtre, vous le ferez, je le sais.
Tout est fragile, tout est réversible entre les hommes. Nous le savons bien, nous qui sommes compatriotes Algériens et Français. C’est pourquoi, chaque génération doit fonder à nouveau. Nous le faisons aujourd’hui. Augustin et le Prophète disent ensemble : demain, n’est-il pas très proche ? A trois mois près, je suis né quand débuta notre guerre civile, mais pas civilisée. Je voudrais que mon voyage commence la version contemporaine de la parfaite amitié entre nous, chers compatriotes que ce soit de nationalité ou d’âme.
Bertrand Fessard de Foucault – mercredi 12 Décembre 2012
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