dimanche 9 décembre 2012

écrire au président de la République - introduction à une compilation des messages pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy - 2007-2012

Une édition en un ou deux volumes aurait son éditeur à condition d'une cinquantaine de manifestations d'intérêt. Pouvez-vous m'en donner une ?  b.fdef@wanadoo.fr



Ecrire au pouvoir ? Ecrire ou pouvoir ?

Tout simplement par envie de participer pas tant aux décisions et à la gestion qu’à ce qui détermine l’ambiance d’une époque et l’orientation d’un pays. Je me suis toujours senti chez moi dans notre histoire, dans nos paysages, dans les événements : tout est mien et mes contemporains comme nos ascendants les plus lointains me sont familiers. La propriété est commune de de nos hauts faits, de nos défaites, de nos hontes et de nos monuments en victoires, en bâtiments, en chefs d’œuvre. Il m’a toujours semblé naturel d’avoir une idée d’ensemble sur ce que je vivais et sur les lieux et la compagnie qui m’étaient donnés, donc naturel d’opiner, de contribuer, d’ajouter et d’en débattre plus avec celles et ceux qui paraissent en tête ou en charge qu’avec celles et ceux dans mon rang. J’ai toujours été heureux quand je pouvais saisir l’ensemble de ce que je faisais et vivais pour tenter de le comprendre et d’en créer davantage. Je me désole de ce qui n’est pas beau, de ce qui est idiot, de ce que je ressens comme l’injustice. Celle de ne pas aider autrui, sans doute. Celle de ne pas modifier, corriger l’environnement mental en sorte que tout ce dont nous sommes chacun capables, ce dont nous rêvons en futur proche et non en utopie, se réalise. La grandeur et l’unisson, comme n’y être pas sensible. Malheureuse une vie qui ne les a pas ressentis, aussi malheureuse qu’une existence humaine qui n’a pas rencontré l’amour, même sans le consommer, même sans le dire ou le partager. L’éclat d’un réel plus vrai que la réalité.

Pour la génération née pendant les années de la dernière guerre où commença de luire l’aurore d’un monde apaisé où les haines seraient écrasées – et combien de pays dans notre monde ont attendu ou attendent à d’autres dates ces chutes de la dictature ou cette éradication de la misère – l’expérience de la bêtise et de l’accaparement par quielques-uns de presque tout ce qui est public, y compris le pouvoir de décider pour autrui et pour la réputation, l’organisation d’un peuple entier, est tardive. Nous avons donc la mémoire du possible et les mots pour le décrire. J’aurais aimé contribuer à le faire. Beaucoup taisent cette ambition qui n’est pas de réclamer pour soi, parce qu’ils en sont empêchés, et parce que la nature humaine, notre histoire à chacun nous consacrent davantage au prochain le plus proche, à ceux que nous aimons, dont nous avons la charge immédiate, y compris celle du vivre, du couvert, de l’épanouissement pratique. La politique paraît alors une profession de généraliste et, au mieux de consultant, au pire d’arriviste. Elle est un monde à part. Je crois que ceux qui en « font » sont les premiers à en pâtir, ils sursautent parfois, quelques-uns… Je n’ai jamais souhaité y entrer, mais j’ai toujours voulu accompagner ceux qui se trouvaient au centre et animaient. Il m’a été donné de dialoguer avec certains. Fondamentalement, c’était d’égal à égal. J’étais reçu et écouté, parfois embarrassé pour donner l’avis ou pour synthétiser l’expérience ou les faits sur lesquesl j’étais questionné par un « grand », un « personnage », mais je le considérais comme un égal, simplement en position différente ce qui accentuait sa responsabilité de faire bien et intelligemment. Directeur d’un grand journal, porte-voix donc… ministre au pouvoir aux talents libertaires et à un mélange de foi et de désespérance dans le nature humaine,.. président de la République, regardé communément en florentin ou en opportuniste à cent convictions alors que je le crus et le crois encore sincère et patriote… et ainsi de suite jusqu’à tant de rencontres dans la campagne en recherchant un chien, perdu, dans le métro parisien en rencontrant un regard et les bribes d’une histoire, dans la retenue d’un amour possible mais hors saison qui permet alors de parler de tout et parfois de la société française telle qu’on la voudrait ensemble, des gens d’autres continents, races ou naissance qui m’ont depuis l’adolescence inspiré plus de fraternité et donné plus de compagnonnage souvent que ma fratrie de sang et d’enfance…

Ecrire aux gens de pouvoir, à ceux qui peuvent… à ceux qui disent ou qui influencent… mais surtout à ceux que leur ténacité et un scrutin investissent de la direction suprême. Faute de pouvoir soir après soir, faire avec eux le point d’une journée et du pays. Je n’ai pas ambitionné de grandes fonctions ou un rôle décisif, que d’ailleurs celles-ci ne confèrent pas automatiquement. Les moyens d’une influence, le droit ouvert à partager la délibération. Ce qui me passionne dans une vie humaine, la vie de qui je rencontre ou que je cotoie, c’est la réaction aux circonstances, c’est l’habileté inspirée pour tenir un cap, celui dont de naissance nous sommes forts. Comment cette habituelle constitution fait se comporter une femme, un homme – désormais sans âge et désapproprié – quand le bien commun est à faire, à déterminer par eux ? C’est à ce niveau de cohabitation mentale dans le lieu escarpé dela responsabilité devant tant d’autres et devant la postérité que j’aurais aimé me trouver durablement : celui des ministres de la confiance du général de Gaulle, des collaborateurs chargés de prendre le pouls des gens et de manier un dossier censément bouclé tels que Jean Sérisé ou Jacques Attali qui travaillent à l’épaule du roi. Pas du tout une plume, pas vraiment une « boîte à idées », image du vrac et du discontin, mais l’œuvre ensemble, discernée à mesure qu’elle se fait et devient donc nécessaire… C’est ainsi que solitaire, faute de cette position, notamment aujourd’hui, j’écris aux gens de pouvoir, comme si je l’avais…

Dire le souhaitable car nous le portons tous en nous, c’est facile et quotidien à vérifier pour peu que l’on se parle les uns aux autres, ce que je tente systématiquement au risque de gêner ou de paraître demeuré. Ecouter plutôt  que réciter. Et discerner comment le souhaitable devient possible : il y a toujours une voie qui en approche. En délibérer le fait découvrir, la décision solitaire appelle le combat pour réduire ou convaincre le reste du monde tenu hors du débat. La réflexion, chacun à égalité, pour ensuite la répartition des tâches de la réalisation selon des organisations à inventer mais le plus souvent préexistantes et à respecter comme l’héritage d’expériences de lui-même qu’a immémorialement un pays, il me semble que c’est la politique et sa noblesse. Le cri de la gloire, du succès ou de la simple norme enfin atteinte n’est pas le but. Le progrès à tous est le critère de ce qui s’échange et est avancé pour pouvoir la nouveauté, réactualiser l’existant. Le combat du possible pour réaliser le souhaitable. Je suis optimiste.
 
J’ai vécu et résolu ces questions. Elles sont « citoyennes », en ce sens que la République – littéralement, notre bien commun – exclut à tort ou à raison, mais d’esprit et de lettre, un droit divin en faveur de celui ou de ceux qui exercent le pouvoir. Nul n’est supérieur, nul n’est souverain. La fonction inspire – par décor ou par logique – déférence et attention. Seulement. Dans notre République, le président a un pouvoir extensif de nominations ou d’influence sur les grands emplois, pas seulement publics, ce qui place ses interlocuteurs, collaborateurs ou visiteurs, de nationalité française mais parfois aussi ceux  de nationalité autre, en situation subordonnée, voire anxieuse, de demandeurs. Je l’ai été pendant trente ans puisqu’issu de l’Ecole nationale d’administration, sorti en conclusion des « événements de Mai » et quand de Gaulle résigna le pouvoir, un vrai pouvoir tenant à lui presque davantage qu’à une fonction qu’il avait conçue, créée et enrichie par sa propre pratique, ma carrière a dépendu constamment du pouvoir politique, faute que je sois inféodé à la corporation – qui, en France, gouverne par cooptation la plupart des parcours individuels dans chaque ministère.

J’ai rencontré un seul souverain – hors naturellement le Comte de Paris ou son fils, pareillement nommé, chacun conscient d’une légitimité que ne confère ni la politesse du visiteur ni l’équation personnelle, celle-ci très différente du fils du duc de Guise, à la majesté affectueuse et attentive, innée, régulièrement reçu par de Gaulle au Comte de Clermont, son aîné, sensible, artiste, tout autant prétendant. Souverain… ce fut François Mitterrand, supportant en tête-à-tête, avant de recevoir le sacre définitif du 10 Mai 1981, un certain pied d’égalité avec le jeune homme que j’étais – mais publié plusieurs fois par mois en colonnes du journal Le Monde – puis à l’Elysée ou en voyages officiels à l’étranger auxquels il m’invita parfois à le suivre jusqu’à ce qu’à mon tour, je le reçoive en tant qu’ambassadeur, oui… souverain parmi tous et même seul à seul. Avec en sus, ce que Jean-Marcel Jeanneney appelait « une mystérieuse courtoisie » allant bien avec cette qualification de François Mitterrand par Pierre Chabrand, conseiller judiciaire du gouvernement dans les années 1980 : « l’adversaire le plus fidèle du général de Gaulle ». La correspondance que j’entretins avec l’opposant décisif puis avec le président de la République, suivit notre premier entretien, quand le Parti socialiste avait encore domicile place du Palais-Bourbon : je fus donc constamment lu et parfois reçu. Situation honorable mais qui ne fut jamais celle que j’ambitionnais donc depuis toujours, c’est-à-dire mon adolescence – avec plus de réalisme que de modestie – la place de conseiller du prince, fut-ce hors organigramme. Pouvoir écrire au détenteur du pouvoir, notamment du pouvoir d’initiative, donc la créativité en politique, en sachant ses interrogations ou ses disponibilités du moment. Le pacte conclu entre Napoléon et Fiévée. Voir et entendre, et le rapporter à celui qu’agenda, entourage, hiérarchie enferment si intuitif et de bon sens intime qu’il soit. Je l’avais proposé, auparavant, à Valéry Giscard d’Estaing qui me fit recevoir par Jean Sérisé, l’un de ses trois amis – selon ce que bien plus tard, rue Bénouville, l’y recevant, il me raconta d’entrée de jeu car j’avais obtenu cette première et tardive rencontre à la suite d’une émission télévisée où il avait avoué sa solitude, les ayant perdus chacun : Jean Sérisé donc, Michel d’Ornano, Michel Poniatowski.

D’emblée, ma liberté d’entendre, de voir et de penser offerte non au personnage mais à ce dont il est chargé par tous. Et à mesure de ce qu’apprennent l’intimité avec le pouvoir en mécanismes, organes et gens et les événements reçus, vécus dans cette ambiance, en association avec quelques autres, grandir en expérience, en bien plus que du réalisme, en savoir-faire. C’est un itinéraire, qui a l’apparence statique d’une fonction d’Etat ou de gouvernement, mais au vrai c’est une constante épousaille d’un temps, d’une époque, d’une envie collective.
De Gaulle était à soutenir, pas à éclairer, sinon sur le fait qu’il était soutenu. Depuis lui, dans ma génération, j’ai toujours constaté qu’il y avait à conseiller. Cela m’occupe depuis mes vingt-cinq ans. Le formuler à défaut d’un accès personnel, physique auprès du prince qu’a improvisé le plus récent de nos votes et qu’à tort aussitôt nous révérons bien plus que nos ancêtres n’honorèrent leurs rois, prend parfois toutes mes pensées et mon énergie. Des tiers, mis dans la confidence, se passionnent davantage pour les réponses appelées par mes messages. Il n’y en a pas. Tandis que j’avais l’honneur des colonnes du Monde, j’étais davantage reconnu pour le fait de les avoir que de ce que j’en faisais : étais-je plus lu que maintenant où ce journal comme tous les autres est pratiquement inaccessible ? et ne suis-je pas lu aujourd’hui par des inconnus tombant sur un blog. ou interceptant dans les palais et bureaux ce qui n’est pas lu par le « haut » destinataire ?

En troupe scoute, pendant la campagne pour le referendum sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics en Algérie, je n’avais pas dix-huit ans, je pensais écrire au général de Gaulle et faire signer tous mes jeunes, je ne le fis pas. Je n’écrivis qu’au président de la République démissionnaire, dès le 28 Avril 1969, puis lui adressais un manuscrit le pleurant et interrogeant les Français qui de lui ou eux avaient donc démissionné. Il me répondit.

Pierre Bérégovoy, à peine ministre – d’abord des Affaires sociales – aussi et nous nous entretînmes souvent ; je lui dois l’ambassade qui me fut confiée à la fin de l’Union soviétique et à la fin aussi des gouvernements de la gauche. Avant de prendre mes fonctions, je voulus les troquer contre celles de son conseiller diplomatique : il  éluda. Quand il dût quitter Matignon – Edwyn Pennel autant que les électeurs l’y ayant acculé –, il eût certainement été moins seul avec moi, proche et sans ambition, qu’avec d’autres qui lui ont tout à fait survécu.

Jacques Chirac, je l’avais approché dans la période où j’enquêtais sur les voies et moyens d’une fidélité de la politique à celle du général de Gaulle. Marie-France Garaud me reçut. Passionnante à l’époque comme ces temps-ci, directive et assurée, courageuse ? pas autant qu’elle le paraît toujours tant elle se croit dans le vrai même isolé. Cela maintient. Ma candidature « indépendante » à la succession d’Edgar Faure dans le Haut-Doubs, à l’automne de 1980, quand l’affaire était de guerre entre « giscardiens » et « chiraquiens », qu’une élection partielle pouvait donc présager le premier de la prochaine élection présidentielle, me fit remarquer. Il s’ensuivit une relation chaleureuse et confiante, mais sans allégeance puisque je refusais une autre circonscription, désignée en compagnie de Jacques Toubon. Je rencontrai alors Alain Juppé aussi. Mes correspondances firent parfois l’intermédiaire entre l’Hôtel-de-Ville de Paris et l’Elysée, notamment à propos du bicentenaire de la Révolution française que devait naturellement célébrer, en sus de nos fêtes, l’exposition universelle comme en 1889. Jacques Chirac l’empêcha. Quand Alain Juppé – dont j’avais été comme ambassadeur au Kazakhstan, le premier visiteur dans ses nouvelles fonctions de ministre des Affaires étrangères, flanqué de Dominique de Villepin – m’expulsa du Quai d’Orsay et par ricochet me fit mettre au placard rue de Bercy, je pensais que Jacques Chirac devenu président de la République m’emploierait au moins en remédiant banalement à l’interruption de carrière qui n’avait rien de sensationnel, mais m’intéressait. Je ne reçus aucune réponse pendant sept ans, soit à mes appels, soit à mes conseils de portée générale ou sur un point de mon expérience diplomatique ou de mon attachement au legs du général de Gaulle. Quand un contact – ménagé par un monastère cistercien – me fut offert avec un nouveau directeur du cabinet présidentiel, j’appris que mes lettres étaient, à leur arrivée, frappées d’interdit. J’en déduisis que Dominique de Villepin, n’aimant aucune présence de tiers, en avait donné l’ordre.

Lionel Jospin, Premier ministre me fit recevoir par son conseiller diplomatique mais il ne s’agissait que de donner suite à la décision du Conseil d’Etat cassant mon éviction du Kazakhstan. Comme mon successeur, homonyme du nouveau ministre de la Défense, était de la promotion de Jean-Maurice Ripert, le souci de ce dernier ne fut pas mon sort injuste mais ce qui pouvait menacer celui de l’autre – heureux homonyme du ministre de la Défense d’alors. Démissionnaire de la vie publique le 21 Avril 2002, Lionel Jospin que j’avais rencontré premier secrétaire du Parti socialiste en 1988 pour obtenir l’investiture locale à Pontarlier, comme « candidat d’ouverture » avec un excellent suppléant, secrétaire de section, m’écrivit manuscrit à deux reprises pendant l’interrègne, regrettant que nous ne soyons pas rencontrés. Cela n’avait pas dépendu de moi. En campagne par une série périodique d’analyses diffusées sur la toile et documentée seulement par l’air du temps en Bretagne méridionale où je réside depuis mon retour d’Almaty, j’ai suivi Ségolène Royal comme je suis François Hollande. La France présidente comme j’ai aimé l’appeler, m’accusa parfois réception mais n’organisa jamais de me recevoir. Le candidat de maintenant et moi, nous nous traitons de la même façon : je souhaite sa victoire, je lui fais part de ce que je crois et pense, plus spécialement à présent mais en même temps qu’à la première secrétaire, Martine Aubry, que j’eusse préférée pour la course, je lui communiquais mes notes depuis 2007 et copie parfois de ce que j’adressais à l’Elysée... il ne m’a répondu qu’une fois, quand le Parti avait logis provisoire rue de Vaugirard : il avait le projet de m’y recevoir mais ne donna pas suite. Aurai-je réponse à ma proposition inspirée de Fiévée, correspondant de l’Empereur ?

Nicolas Sarkozy et François Fillon, mûs par la même haine méprisante pour Jacques Chirac, sont parvenus entretemps au pouvoir. Ils y sont encore.

Du second, je n’ai que deux références, sa participation comme ministre de second rang et de cohabitation, à la visite d’Etat de François Mitterrand au Kazakhstan en Septembre 1993, sa base politique personnelle comme intime à Sablé de Joël Le Theule avec résidence à Solesmes, non loin de la prestigieuse abbaye dont j’ai été très familier. Ce qui me permet de lui écrire à sa permanence, d’en recevoir la promesse signée d’un entretien sous peu. Son cabinet m’interroge à la veille de son voyage au Kazakhstan, faisant attendre celui du président de la République plus tard. Je m’exécute sans recevoir d’accusé de réception, ni a fortiori faire partie de l’excursion : cela m’eût fait plaisir, et ce n’eût pas été impolitique localement. Cherchant – hors la limite d’âge des universités européennes sans exception – quelque enseignement au Québec (Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et Philippe Séguin m’y ont précédé…), je mets à jour, avec le correspondant parisien du Devoir de Montréal, ce que je crois la bonne parole à tenir par le Premier ministre : le président ayant au contraire banalisé la grande relation promise par de Gaulle en Juillet 1967. Ni accusé de réception, ni siège dans l’avion du gouvernement. En 1987, j’avais accompagné François Mitterrand dans ses deux voyages canadiens, la visite officielle « vingt ans après » en Mai, et le sommet francophone en Septembre.

Depuis, et pour tout sujet, je persévère par la messagerie du chef de son cabinet, Franck Robine. J’en avais le télécopieur depuis Lionel Jospin, pas plus qu’à l’Elysée, le numéro n’a pas changé. Faute des colonnes du Monde, je courielle ce que je pense – rarement approbatif, parfois scandalisé, mais faisant toujours la différence entre le Premier ministre et Nicolas Sarkozy, même si tout du quinquennat qui s’achève, aura été signé de François Fillon…

Du premier, j’ai reçu quelques réponses, pas tout à fait conventionnelles mais n’engageant rien,  quand en Février 2002, j’avais auguré de l’avenir au maire de Neuilly. Dans les derniers jours de la campagne de son élection, je lui adresse en même temps qu’à la candidate de mon suffrage, des notes de politique étrangère. Dès son élection, aux bons soins de Claude Guéant, un jeu de notes sur des sujets divers mais toujours généraux. Enfin, au premier automne, j’entreprends le nouveau président de la République sur ses projets de révision constitutionnelle que j’estime inutiles et dangereux. Internet est commode. Pour combattre le quinquennat, j’avais dû passer par la poste – onéreuse et matériellement complexe pour entretenir 577 députés – alors qu’aujourd’hui déclarations annotées et copieux argumentaires se diffusent dans l’instant. Naguère – le projet de Georges Pompidou en Octobre 1993 – les colonnes du Monde sur ce sujet contribuèrent à enlever les quelques voix faisant manquer au pouvoir d’alors, infidèle à de Gaulle, la majorité constitutionnelle requise. Guy Mollet m’avait cité en séance, le compte-rendu analytique m’omit. Je reçus un opuscule sur la réforme de l’éducation nationale et fus honoré d’une circulaire autographe sur la question constitutionnelle comme si j’en avais félicité le président de la République : je demandais à le convaincre ou au moins à ce qu’il me mette en position de suivre physiquement les travaux de la commission Balladur, une seconde lettre éluda.

La correspondance cessa d’être neutre inopinément. La Mauritanie avait subi un énième coup militaire alors que son président depuis quinze mois, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, avait été le seul chef de cet Etat, élu selon un scrutin pluraliste tenu à deux tours en présence de très nombreux observateurs européens et africains, à la suite d’une mise à plat des procédures et des listes électorales avec l’aide d’experts internationaux. Je n’étais jamais intervenu dans les affaires intérieures de ce pays dont le fondateur m’avait profondément séduit au point que mon intérêt pour cette République islamique, saharienne et multi-ethnique est une des principales continuités de ma vie et de ma réflexion. Il apparut dès les premières semaines du putsch que l’Elysée avait une vue bienveillante pour les militaires au contraire du Quai d’Orsay et même de la propre cellule diplomatique du Président. Je tentais l’influence dans les cabinets concernés, y parvins presque puis l’Elysée l’emporta : le secrétaire général, Claude Guéant qui n’avait accusé réception d’aucune de mes correspondances en début de règne, service par le ministre de la Coopération, Alain Joyandet. A la fin de Mars 2009, dans un autobus parisien du côté de Levallois, je reçois un appel téléphonique du président déchu mais pas démissionnaire. Radio France International a diffusé un entretien de presse du président français visitant Niamey : il y est soutenu que Nicolas Sarkozy a appelé au téléphone la victime du putsch mais qu’ensuite il s’est avéré qu’aucune résistance n’était opposé aux militaires.  Ces deux assertions étaient également fausses, le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi n’avait jamais reçu d’appel de son homologue français et la résistance avec des manifestations de rue et la mobilisation des « réseaux soxciaux » étaient puissantes, continues avec occupation même de l’Assemblée nationale par la contestation. Que faire ? je me susbtituais au président mauritanien que j’avais connu étudiant à Paris quand j’arrivais en coopération à Nouakchott quarante ans auparavant, puis ministre de l’Economie du fondateur, Moktar Ould Daddah, et couriellais au directeur du cabinet à l’Elysée. Christian Frémont, grand préfet, m’est connu depuis plusieurs rencontres et échanges quand il dirigea les stages de l’E.N.A. en second – j’étais alors en poste à Lisbonne – puis en chef – je me trouvais à Brasilia. Fermement, j’assurais le président de la République aux bons soins de son cabinet des contre-vérités qu’on lui avait fait proférées. Il m’en fut accusé réception, ma messagerie et celle de ma femme furent détruites, notre téléphone écouté : la France depuis n’a cessé de soutenir le putschiste et les apparences de sa légitimation par un scrutin très contesté. Suivirent des opérations franco-mauritaniennes contre Al Qaïda au Maghreb avec incursion dans un Mali souhaitant rester neutre.

Depuis, tout me déplut dans la geste présidentielle réduisant son parti à une assimilation progressive par le gouvernement des thèmes et simplismes du Front national. Mes courriels,¸toujours déférents, se succédèrent donc, j’introduisis la protestation de deux évêques contre le traitement infligé aux gens du voyage, je fis redondance auprès du Premier ministre quand celui-ci crut devoir répliquer au métrpopolitain de Toulouse très sévère dans une homélie donnée à Lourdes : le prélat étant de la congrégation bénédictine de Solesmes, l’élu de Sablé devait n’être pas offensif.

Les différentes dérives du mandat présidentiel, le cynisme avec lequel la réforme des retraites fut forcée, l’évidence d’une nécessaire novation m’ont finalement fait résumer mes griefs – civiques – en une lettre conclusive, comme je l’avais fait en fin de règne de Jacques Chirac, puis militer pour une anticipation de l’élection présidentielle. Chaque fois, je prends à témoin, par communication décalée de ces courriels, l’ensemble des députés mais aussi ceux qui furent mes étudiants, des rencontres de métro, de plage, de sortie d’école, de train. Parmi ses destinataires que – par égard pour ceux-ci – je dissimule : les grands du Parti socialiste, d’anciens ministres du général de Gaulle et de François Mitterrand, des préfets et des ambasadeurs en place, des évêques…

Est-ce parce que j’ai changé, n’étant tout simplement plus de la génération au pouvoir ou en possibilité ? probabilité de la suite ? alors que j’avais été reçu, lu, publié exactement sur les mêmes thèmes et dans la ligne de mes protestations, suggestions, scandales, approbations de maintenant ? ou est-ce la politique qui a changé ? ceux qui s’y adonnent encouragés de toutes parts à se croire prédestinées et tout permis ? tranquillement autistes. Pas un pour cent des élus à chercher explicitement contact et dialogue. Les journaux affichent quotidiennement complets. Restent les manifestations de rue : on y parle autant au chef-lieu de mon département et avec la même bonne humeur sans animosité pour les dirigeants qu’on conspue nommément qu’il y a quinze ans sur les Grands Boulevards et jusqu’à la place de la Nation. Accompagné d’une chienne ramenée du Kazakhstan, ma future femme et moi virent un soir dans la lumière faisant feu de camp scout, un quidam spectaculaire, faisant tourner à la chinoise un immense drapeau rouge : vive la sociale ! Il fumait la pipe comme – ont rapporté des observateurs de l’époque – un Parisien sans nom avait accoutumé d’en bourrer une, assis sans sourire sur le trône impérial ou royal, aux Tuileries chaque quinze ans ou à peine plus : 1815, 1830, 1848. C’étaient la France, le pouvoir, des héréditaires qu’on faisait fuir assez facilement. Aujourd’hui, ce n’est plus possible, ils se reproduisent surtout élus, chacun contre son prédécesseur… quoiqu’on proteste ou conseille depuis le parterre.

L’exercice du prochain mandat présidentiel innovera-t-il pour la relation pratique entre les principaux tenants du pouvoir et leurs concitoyens ?

Ces lettres et messages en témoignent. Ils écrivent aussi l’anti-histoire du premier mandat présidentiel qu’ait exercé Nicolas Sarkozy.


Que faire ?

Si l’on est. Soi et les circonstances.

Suivre son instinct, son âme. Attendre cependant le réflexe. Ne pas préparer, c’est la vie qui nous prépare s’il y a quelque chose de particulier à faire, à donner.

Je suis frappé de ce que d’excellents hommes – pour les femmes, c’est plus complexe, le père en modèle joue un rôle dans leur ambition qui est toujours bivalente, en ascension ou en exercice : comme les hommes, elles ne changent pas la politique ni en manière ni en fond (la libéralisation de l’avortement doit apparemment tout à une femme : Simone Veil, mais en réalité le projet était prêt avec Jean Taittinger, garde des Sceaux de Georges Pompidou et de Pierre Messmer, seul manquait le moment de l’apporter sur le devant de la scène, on attendait) mais en sus elles veulent séduire et être désirée comme une femme qui ne serait pas de pouvoir mais de simple disponibilité au regard et à l’écoûte du sexe viril (il y a de remarquables exceptions, ainsi Marie-France Garaud : jamais je n’ai rencontré une telle force intellectuelle et une telle simplicité) – d’excellents hommes ou de braves gens ou des quelconques gâchent la vie des leurs, entrent dans l’endogamie et le concubinage de la politique et des médias, attendent des années, s’emprisonnent par précaution, s’usent le cou à porter collier et sont, parfois…, deux ans ministres ou sous-ministres, médiocrement si le président est méprisant ou inerte, ce qui est le cas depuis deux décennies. Surentourés, surconseillés mais à grands frais d’entretien des loyautés et de rétribution – scandaleusement et de plus en élevées aujourd’hui – par des professionnels de la communication et du gogo., les principaux arrivent intellectuellement émasculés, n’ont plus de réflexe que pour leur propre sauvegarde et finalement n’ont rien à dire. Une nouvelle gestion commence avec eux, parfois convenable, mais le cours des choses est dominé par les ambiances, les spectateurs quittent la salle et notre pays l’Histoire. C’est nous maintenant.

De Gaulle ne s’était préparé à rien, et pourtant il était prêt. L’expertise militaire, sujet du moment. Le caractère, la plume, l’art de penser. Le discernement des gens, la tripe patriotique et le bon sens intacts lui faisant ressentir non du tout la circonstance de ce qu’on a titré après coup : l’appel, mais la nécessité d’une réponse à tous ceux qui n’acceptaient de baisser les bras et précisément voulaient qu’on fasse appel. L’homme est resté constamment libre de ses entourages, n’a pas eu besoin de conseils en communication ou de plumes en substitut, à peine quelques leçons de diction pour la télévision données, sans que cela soit caché par le Père Riquet, conférencier des carêmes de Notre-Dame de Paris. Il a donc exercé le pouvoir librement et son emprise sur les événements et sur la nation ont tenu à la perception que les Français eurent aussitôt de sa totale indépendance vis-à-vis de tout intérêt et même vis-à-vis de lui-même.

François Mitterrand était prêt, mais le pouvoir il l’avait souhaité, l’exerçait déjà sous le précédent régime. Avec le nouveau qui lui donna quatorze ans d’une emprise à éclipses sur notre devenir nationale, mais très grande dans l’esprit des Français, en négatif ou en positif – depuis la première campagne présidentielle qu’ait connue la France. Il sut rester libre des entourages, savait écouter les conseils et quoique cédant beaucoup à lui-même, il eut le très grand art d’établir des cloisons étanches. Il m’a attaché par une sincérité et une proximité (quand il me recevait tête-à-tête, ce qui fut cinq fois très approfondies) dont beaucoup, y compris de ses collaborateurs, ont douté.

Les autres présidents de notre Cinquième République ont, chacun, été marqués par leur brigue du pouvoir. Georges Pompidou a été gêné par sa trahison finale, dont beaucoup s’explique d’une manière l’exonérant en partie : il aimait certainement de Gaulle, et le connut mieux que quiconque, le servit aussi mieux que tous, sauf les Français dans leur ensemble de Bir Hakeim aux derniers bulletins de vote. Valéry Giscard d’Estaing eût voulu être gaulliste comme ceux dont il prit la place ; s’il n’avait été renvoyé des gouvernements du Général par un Premier ministre qu’il gênait dans sa propre ambition, il avait tous les titres pour garder cette étiquette et rendre impossible le parcours de Jacques Chirac. Ce dernier a apporté la haine en politique. Avant lui, c’était la détestation ou la caricature de certains gouvernants par l’opinion. Lui monta vers l’Elysée en haïssant Valéry Giscard d’Estaing puis François Mitterrand. Sa seule supériorité sur tous, y compris l’homme du 18 Juin, a été de contrôler de bout en bout son image : celle d’une jeunesse pérenne, généreuse, proche de chacun ; elle ne fut vraie que quelques années (je le connus alors mais sans adhérer). Nicolas Sarkozy n’est prisonnier que de lui-même et croit que c’est sa force.

Dans la place, que sera François Hollande ? Il a déjà l’exceptionnalité que, précisément, personne ne saurait dire ce qu’il sera.

Alors ? candidater soi-même rien que pour démontrer la possibilité d’être admis sans frais, sans antécédent, sans portage de machine petite ou grosse ? Tentative de l’immédiat pas du tout préparée.





Il est peu de questions politiques, administratives, peu de vairations dans la du gouvernement avec l’opinion publique que je n’aie été conduit à traiter. Livré au public, ce travail aura du moins le mérite de rappeler les circonstances qui entouraient les événements, et les sensations que ces événements produisaient au moment où ils éclaitaient ; il montrera Bonaparte sous un aspect nouveau, habituellement simple et quelquefois coquet dans es conversations ; voulant et acceptant la vérté dans sa plus sincère expression ; malgré des faiblesses et des caprices, traitant avec considération quiconque mettait la considération en première ligne, et fidèle jusqu’au dernier moment à l’engagement que je lui avais fait prendre, avant de m’engager moi-même, de ne jamais me sacrifier, même quand j’aurais tort, aux ennemis que devait nécessairement m’attirer la position que j’acceptais. (…) Si son cabinet lui a été fidèle, aucune de mes notes n’a dû être communiquée à quii que ce soit, et j’ai toujours été d’une réserve absolue à cet égard. On m’attribuait donc les pensées qu’il jetait quelque fois en avant et qui ne lui étaient pas habituelles ; ce qui n’était pas toujours une supposition.



J . Fiévée . correspondance publiée en trois volumes en 1836, chez Desrez et Beauvais . 1836 – soit 101 notes rédigées d’Octobre 1802 à Mars 1813 … j’ai le bonheur de posséder l’exemplaire de Stendhal

Général, malgré l’indépendance de mon caractère, indépendance qu’on exagère sans doute un peu, je crois qu’il me serait imposible de la conserver si je vous avais toujours présent à ma pensée en vous écrivant. Dorénavant, je ne vous adresserai que des Notes telles que je les ferais pour moi ; vous saurez qu’elles sont pour vous, et vous resterez maître de n’en prendre que la part qui vous conviendra. J’ai l’honneur, etc.

lettre accompagnant la note I au Premier consul – rédigée en Angleterre
              

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