des ambassadeurs de la France
réflexions d’expérience à la haute attention du Président de la République
copie :
Monsieur le Premier ministre
Monsieur le ministre des Affaires étrangères et européennes 31 X 07
Une réponse efficace aux crises de toute nature suppose aussi que le ministère des Affaires étrangères et européennes se dote d'une capacité de gestion des crises lui permettant de remplir pleinement son rôle de coordination de l'action extérieure. Vous nous proposerez un dispositif conciliant les exigences d'une veille permanente et les nécessités d'une réaction immédiate en cas de crise. (Lettre de mission adressée au ministre des Affaitres étrangères et européennes – 27 Août 2007)
… que les fonctionnaires assument le risque de leur engagement politique (5 Avril 2006 – convention pour la France d’après)
Je veux que les nominations aux fonctions les plus importantes de l’Etat se fassent sur des critères de compétence et de hauteur de vue (Avril 2007 – tract pour l’élection présidentielle « Mon projet – Ensemble tout devient possible »)
La France a la chance de disposer d'un corps diplomatique de très grande qualité.
Je vous demande de vous engager pleinement dans votre mission.
(Conférence des ambassadeurs – 27 Août 2007)
Le président de la République souhaite des ambassadeurs de courage et d’initiative.
Pour être ainsi, les ambassadeurs qui en ont généralement la capacité, doivent être des héros. Sans compter leur ignorance des orientations gouvernementales ou l’observance obligée d’une relation entre les deux pays à un niveau qui lui échappe. Situation psychologique qui n’est pas exceptionnelle.
Pourquoi, d’ordinaire, la ressource humaine qui existe – pleinement – ne peut, dans des conditions qui ne sont pas nouvelles mais qui persistent, montrer ces deux qualités ?
L’expérience permet de répondre et aussi de suggérer quelques améliorations et ajustements. Cette expérience n’ayant – par force – pas été mise à jour depuis douze ans révolus, est peut-être dépassée. Ce qu’il vient de se passer au Tchad – ou le sourire de notre précédent représentant permanent aux Nations Unies rendant compte pour nos médias des décisions du Conseil de sécurité concernant le Liban bombardé par Israël il y a quinze mois – donnent à penser qu’elle n’est malheureusement pas encore périmée.
Remarques et remèdes.
N B La « corporation » souvent évoquée n’est pas de médiocre qualité ni professionnelle ni humaine, au contraire. C’est son comportement non transparent et difficilement saisissable qui est contreproductif. Elle tend à s’imposer au ministre [i], celui-ci est tenté en réponse de frapper des coups par des nominations non concertées ou se résignant à travailler sans ses services et au mieux en cabinet. Elle fait et défait les carrières, des réseaux et liens occultes, existent, n’ayant rien à voir avec le service. – Remarque qui n’est pas d’actualité, mais d’observation pendant des décennies. La symbiose ministre/services est rare. La relation ministre/président n’est exemplaire et confiante qu’exceptionnellement. Rencontrer les deux fait l’efficacité de notre diplomatie et produit des ambassadeurs qui sont de bons outils pour le gouvernement.
La corporation est menée selon des « leaders » et des ambiances qui changent, les meneurs peuvent devenir victimes. Elle tient essentiellement à deux faits : ceux qui déterminent nominations des personnes et orientations de notre action, sont plus écoutés par les gouvernants que par les chefs de mission au front ; ces derniers risquent constamment crédit et carrière sans possibilité de se justifier ni de se mettre à jour des cheminements du gouvernement ou des services.
1°
L’ambassadeur est choisi par un système corporatiste, il n’est – dans la grande majorité des cas – que formellement nommé par le président de la République et le ministre. S’il n’est pas de la carrière diplomatique strictement entendu, il est rejeté immédiatement ou à terme.
Remède.
Pour l’établir vis-à-vis de l’administration centrale et pour le poser prestigieusement auprès des autorités et de l’opinion publique du pays de son affectation, il faut que le ministre puis le président de la République le reçoive – chacun – en tête-à-tête quelques minutes avant son départ.
Il serait très intéressant qu’avant d’être proposé aux autorités du pays d’affectation, il ait été auditionné par la commission compétente au Parlement pour les hautes nominations.
L’ambassadeur doit – vraiment – représenter dans son pays d’affectation et vis-à-vis des services au Département le président de la République et le ministre, tout le temps qu’il exerce ses fonctions. C’est aujourd’hui fictif.
S’il tente de se comporter ainsi, il se « met à dos » les services.
2°
L’ambassadeur n’a pas la liberté pratique de rendre compte à Paris, de reprendre contact avec la France et ses intérêts, au contraire de certains de ses collaborateurs – comme le conseiller économique et commercial – et a fortiori comme les représentants de nos grandes affaires dans son pays d’affectation. Il est très rarement appelé par ordre, qu’il le sollicite ou non. Même pour la conférence annuelle des ambassadeurs, il n’est présent qu’à ses frais et selon ses droits à congé. Il est ainsi le moins visible dans les administrations centrales et au siège de nos intérêts économiques ou culturels que les représentants du privé.
Remède.
Un financement pour les déplacements à Paris. L’audience possible du ministre, voire du président de la République à cette occasion.
3°
Des sources de renseignement – autres que lui – sont privilégiées à son détriment.
Représentants d’affaires. Journalistes ou universitaires spécialistes du pays de son affectation.
Remède.
Le mettre réellement à la tête de ceux/celles que consultent le Département, le ministre et le président de la République. En tout cas, les lui faire rencontrer.
4°
La connaissance du pays d’affectation et les relations qu’apportent à la France un chef de mission ne sont pas transmises, ni même souhaitées par ses successeurs. Un capital est dissipé à chaque changement de personne.
La participation – intellectuelle et physique – de l’ambassadeur partant à la remise des instructions de l’ambassadeur prenant ses nouvelles fonctions paraît formelle. Surtout en cas de disgrâce du premier.
Remède.
Constitution virtuelle de la réunion – convocable physiquement à tous moments par le ministre et les services – des anciens ambassadeurs, opinant en permanence et collégialement sur la suite des événements, et pas seulement par l’archivage de leur rapport de fin de mission. A ce collège de soutien et de débat peuvent être adjoints les contacts d’affaires, de journalistes et d’universitaires, évoqués en 3°.
Avantages. Promotion pratique des ambassadeurs même quand ils sont sans affectation ou à la retraite – exploitation de la ressource humaine et de l’acquis d’expérience, sans limite d’âge et sans considération des époques de politique intérieure des nominations et missions antérieures.
Invitation des anciens aux manifestations bilatérales ayant lieu en France.
5°
Sécurisation de carrière des ambassadeurs.
Aussi bien vis-à-vis des gouvernants du moment que des services et de la corporation. Voire des autorités du pays d’affectation.
Les « placardisés » sont nombreux, se taisent dans l’espérance du changement de fortune.
Remède.
Concertation des rappels et de leurs conditions pratiques.
Motivation et discussion des motifs de disgrâce.
Appel possible au ministre.
Application à la haute fonction publique du droit du travail en entreprises. Indemnités de licenciement. Compétence des prudhommes en contentieux. Mon expérience personnelle est qu’une décision en Conseil d’Etat (Novembre 1997) révolutionnant la matière des décisions d’emploi « à la discrétion » du gouvernement, ne rétablit ni juridiquement ni matériellement son bénéficiaire.
6°
Moindre préparation que les représentants d’autres grands Etats.
En immersion dans la langue du pays d’affectation, en connaissance des affaires en cours, et en rencontre des milieux et intérêts nationaux concernés, l’ambassadeur de France n’a pas les délais de préavis de ses homologues.
Remèdes.
Un temps plus long pour pressentir les nominations et mutations. Existence du collège des prédécesseurs, cf. 4°
Nécessité pour le point suivant.
Mise en place d’un circuit de préparation professionnelle et pratique.
7°
Choix de l’équipe rapprochée.
L’ambassadeur ne l’a pas. Ses collaborateurs – malgré le décret de principe pris par Raymond Barre – lui sont imposés. Il ne peut non plus les faire rappeler. Il est isolé. Beaucoup sont syndiqués ou disposent de réseaux de soutien. Lui-même ne peut, dans l’exercice de ses fonctions, avoir cette sécurité.
Remède.
L’ambassadeur propose au Département – et aux ministères ayant la ressource des conseillers spécialisés –, des noms de collaborateurs, y compris du premier d’entre eux et son personnel de secrétariat. Ses demandes sont appréciées avec lui par les autorités de nomination de ces agents. Objectif : aboutir à un consensus entre l’ambassadeur et les services sur ces nominations. Et sur la gestion de la carrière de ces collaborateurs pendant le temps que ceux-ci travaillent avec lui.
8°
Le cœur est-il possible dans un climat où la prudence tient lieu de sécurité pour l’ambassadeur.
La compassion pour les gens et choses du pays d’affectation, une intelligence libre de tout a priori (et de toutes instructions quand il y en a…) conditionnent un supplément de regard – au-delà des dossiers ou des acquis. C’est ce supplément qui fait la valeur d’une ambassade dans le pays d’affectation et devrait le faire à Paris. Un point de vue, pas parmi d’autres… En regard, notre cécité sur des théâtres décisifs [ii].
9°
L’initiative est difficile car les instructions de départ sont tardives – en pays nouveau ou en succession précipitée de chefs de mission – et les demandes d’instructions ponctuelles en cours d’exercice ne reçoivent pas toujours réponse. Ou elles sont soit dilatoires, soit castrantes.
Remèdes
L’osmose avec les gouvernants par la certitude de les représenter personnellement et directement.
Délibération des instructions de départ, puis du point d’applicabvilité de celles au bout du semestre de rigueur – autre que formelle, mais vraiment en travail à plusieurs et accompagné-validé par le collège, cf. 4°
10°
Le courage vient naturellement s’il est non seulement un trait de caractère, mais est salué par les gouvernants – sans que l’ostentation soit nécessaire.
« Je n’ai fait que mon devoir » - alors que les ambassadeurs sont trop souvent acculés à « Je n’ai fait qu’obéir ». Or, souvent ils n’avaient pas même d’ordres à exécuter.
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La énième réforme du Département – appelée par la lettre de mission au ministre (27 Août) – peut innover si elle fait le lien entre les orientations traditionnelles ou nouvelles de notre diplomatie et la ressource humaine, comme il a été fait en conférence des ambassadeurs.
Elle doit être documentée et débattue – sans crible – avec l’ensemble des intervenants – agents en service ou à la retraite, usagers de tous ordres. Les souhaits, les expériences – et aussi ce qui est su, sur le terrain et par les agents et usagers, des pratiques de nos grands partenaires – doivent être sollicités ouvertement et sans a priori. Faute de quoi ils ne s’exprimeront que partiellement ou selon les habitudes et réseaux qui actuellement nous entravent.
Notre diplomatie – enfin – doit être très concrètement interministérielle, en ce sens que l’ambassadeur doit avoir accès personnel et direct auprès de tous les membres du gouvernement, sans le crible des services au Département, mais en rendant, évidemment, compte à ceux-ci.
Le Premier ministre doit pouvoir – lui aussi – être son correspondant, en tant que tel./.
Bertrand Fessard de FoucaultAmbassadeur d’ouverture du poste et des relations au Kazakhstan 1992-1995
[i] - Illustrations – Caillaux détruit en 1911 par le Quai, l’affaire des frégates et Roland Dumas, - A l’inverse, Vergennes et Couve de Murville, non en tant que ministres, mais ambassadeurs, leurs équipes respectives de Constantinople et de Washington à leur cabinet quand ils sont au pouvoir : la perfection de leur relation de gouvernement avec le roi, Louis XVI, de Gaulle.
[ii] - Iran 1978 – Côte d’Ivoire depuis 1995 (ou avant) notamment – actualité.
pour la revue DEFENSE NATIONALE 16-18 Janvier 1999
L'AMBASSADEUR ET LE RENSEIGNEMENT
Entendons ici l'Ambassadeur comme le chef de mission diplomatique personnellement et sans délégation. Le renseignement comme l'information, codifiée ou non, qui lui est demandée par le Gouvernement ou qu'il recueille et transmet spontanément, par quelque voie que ce soit.
Les relations entre Etats, la protection des ressortissants, l'évaluation du relais local pour notre rayonnement ou pour la prise en considération de nos intérêts exigent une information non seulement exacte et à jour, mais qui soit autonome, à peine soit d'être intoxiqués soit que nos partenaires ou nos concurrents disposent de nos propres éléments en sus des leurs.
S'ils pratiquent le libre examen en sus des analyses qui lui sont présentées par ses collaborateurs criblant ou exploitant les flux courants d'information, le responsable politique, militaire, administratif, le chef d'entreprise aussi, l'homme de communications et de medias enfin, prisent d'ordinaire soit le fait leur donnant de pénétrer un pays, une organisation, une mentalité qu'ils ne connaissent pas de première main, ou dont ils recoupent la connaissance a priori ou antérieure qu'ils en avaient, soit la psychologie d'un partenaire, personne physique, avec lequel ils auront à s'accorder ou à s'opposer.
Sauf à avoir lui-même la responsabilité de définir une stratégie de la France dans le pays où il est affecté et vis-à-vis des autorités auprès desquelles il est accrédité, ce qui supposerait qu'il ait également à sa discrétion les moyens de la mettre en oeuvre - situation qui est parfois le cas du représentant de certains de nos concurrents -, l'Ambassadeur n'est aujourd'hui que le correspondant pouvant fournir les éléments de cette stratégie, d'une pénétration locale et la connaissance des faits situant cette stratégie et permettant d'évaluer à mesure cette évaluation. C'est un fait que les diplomates, nos diplomates plus particulièrement que ceux d'autres de nos partenaires ou concurrents, sont davantage considérés à Paris selon l'exécution d'instructions ou de gestions prescrites au jour le jour, que selon l'accomplissement de la lettre et de l'esprit des instructions données au commencement de leur mission et dont il leur est demandé de dire, passé un délai assez court de prise de fonctions, si elles correspondent ou non aux réalités locales ambiantes. Renseigner ultra petita n'est généralement pas reçu à Paris avec faveur. Pourquoi ?
L'instantanéité des communications, la médiatisation et la fréquence des rencontres entre responsables soit au plus haut niveau des Etats, soit au niveau de la décision à prendre, la conviction des hiérarchies dans la capitale d'être davantage au fait qu'un diplomate isolé sur le terrain et ne disposant donc pas d'une vue d'ensemble des orientations, des relations et des contraintes françaises, n'expliquent pas - seules - ce dédain fréquent. C'est notre organisation administrative et un scepticisme presque général quant aux possibilités d'initiatives proprement françaises vers l'étranger qui, actuellement, l'entretiennent et rendent donc périlleuse cette responsabilité que se reconnaîtrait professionnellement et en conscience l'Ambassadeur. De quoi se mêle-t-il ? Nous le savions déjà ! C'est inutile. C'est surtout encombrant, eu égard à tout ce qu'il y a déjà exploiter et comprendre. Au reste, nous n'avons pas les moyens ou nous n'avons jamais eu l'intention de saisir l'occasion apportée par ce renseignement-ci. A ce point de vue, cette situation prévalant à Paris et le minorant le plus souvent, à la préférence que lui opposent souvent ses autorités-mêmes, de spécialistes, de sources étrangères de données, d'universitaires voire de relations inopinées ou financièrement intéressées et dont il ne lui est pas donnée réelle connaissance, l'Ambassadeur fait face pour trois raisons, en sus de ses penchants personnels, s'il en a, pour le renseignement.
Deux au moins de ses collaborateurs sont d'ordinaire preneurs d'informations précises et renouvelées, et également collecteurs : l'Attaché de Défense et le Conseiller économique et commercial. Pour le premier, connaître au mieux la disposition, la doctrine d'utilisation et l'état d'esprit des forces militaires locales et en substratum le tissu industriel et les élites pouvant répondre du pays en passe dangereuse, fait partie de sa mission. Il est accrédité pour cela et dispose des correspondants nécessaires à Paris et localement, à charge de réciprocité entre les Etats. Pour le second, l'identification des décideurs, le circuit de la décision depuis qu'apparaît une nécessité à l'achat, à la vente, en finance jusqu'à son homologation définitive, fait autant partie de son métier quotidien que le renseignement de notoriété locale ou l'assurance du crédit octroyé par un organisme français. L'Ambassadeur, de par son niveau d'accréditation et de relation usuelle, entraine l'un et l'autre vers des confirmations ou des interrogations sur ce qu'ils savent déjà professionnellement. C'est ainsi que quotidiennement se constituent un fichier, des réseaux, une connaissance qui ont cependant leur a priori : ils ne sont qu'utilitaires et qu'en correspondance avec des demandes d'utilisateurs. Ils ne font émerger que très accidentellement un réseau ou une chaine de conjectures hors du sujet originel. Or, c'est ce sujet-là qui fonde une novation de la relation d'Etat à Etat ou qui présage une évolution locale. Là, est l'Ambassadeur.
Ainsi comprise, la recherche de l'information tient autant de la reconstitution, à notre usage, du mode de fonctionnement concret de l'ensemble d'une organisation étatique et économique étrangère qu'à la prévision de ce qui peut modifier ou empêcher ce fonctionnement ; de là, naissent l'évaluation de ce que viseront nos partenaires et concurrents localement, aussi le repérage de ce qu'il importe que la France soit la première, sinon la seule, à atteindre dans le pays d'accrédition, dans l'esprit de ses dirigeants, dans la mentalité ambiante (exprimée ou non selon une vie et des voies démocratiques) faisant la matrice des raisonnements et réactions de ces dirigeants.
D'epérience, quatre moyens au moins sont utilisables par tout chef de mission diplomatique.
Le premier tient à son rang hiérarchique lui permettant de mobiliser le fruit des relations françaises et locale de ses collaborateurs : en principe, et plus encore selon son tempérament et sa capacité à animer son équipe et ses chefs de service, même si les administrations centrales de ceux-ci sont peu révérentes à Paris du Quai d'Orsay. A son rang protocolaire aussi puisqu'il peut, à cette première synthèse, apporter la contre-épreuve de ce que lui confient, ou échangent avec lui, ou laissent échapper soit ses homologues soit les plus hautes autorités locales. Le représentant d'intérêts français, de passage ou résident, se confiera d'autant plus au chef de mission qu'il saura ce dernier à même de l'introduire où il n'aurait pu entrer seul, ou avec seulement son interlocuteur habituel de l'Ambassade, et qu'il le croira directement écoûté aux bons niveaux tant à Paris que sur place. Une relation fructueuse, une situation efficace ne sont pas le fruit d'un seul moment. L'Ambassadeur est, selon sa mission-même, résidant. Inversement, les partenaires locaux se fonderont d'autant plus sur l'Ambassade et l'Ambassadeur qu'ils les sauront efficaces au-dehors, dans leur capitale parmi les représentants des Etats-tiers (d'où l'importance du décanat du corps diplomatique) qu'estimés ou redoutés par les autorités de leur propre pays. La multiplicité des organismes et circuits de financement ajoute encore aux cartes détenues par l'Ambassadeur seul. Le multilatéral lui donne un pas sur ses collaborateurs tentés, selon l'esprit de leurs maisons respectives, de garder l'entrée des circuits nationaux. Es qualité, l'Ambassadeur est donc informé et peut s'informer. Sur la relation courante, officielle, entre les deux Etats et leurs ressortissants. Les états périodiques de nos assureurs-crédits et le fichier des demandeurs ou porteurs de visas donnent à cette connaissance un semblant de statistique et d'exhaustivité. C'est un critère d'appréciation et de relativisation de l'intensité des relations entre les pays et du rang qu'occupe localement la France. Cette manière est courante chez nos chefs de mission diplomatique.
Elle peut se doubler d'une documentation augmentée et recoupée quotidiennement, susceptible de donner une mémoire des faits et des dires : l'analyse des médias locaux. Mais celle-ci suppose une entrée dans la logique propre de la vie locale, le contraire d'un esprit de supériorité ou de la permanente comparaison entre ce qui se vit chez nous et ce qui vit là où l'on est. En fait, rien ne s'apprend sans ce qui est bien plus qu'une expatriation temporaire, un passage d'une affectation à l'autre, et qui est une résidence de coeur, de culture et de moeurs. L'osmose peut autant intoxiquer et déformer, que l'absence de sympathie ou le point de vue seulement parisien peuvent empêcher de discerner si à ce qui est vu et recueilli n'est appliqué un libre examen. Au moment de l'analyse, il faut idéalement faire abstraction, autant de l'habitude française de penser et de voir, qui cependant donne seule l'oreille de la hiérarchie à Paris, que du penchant à faire partager ce que l'on a compris, qu'on voit quotidiennement et dont on apprécie la cohérence. Ne pas plaquer sur le pays d'affectation les critères et les grilles de nos bureaux en France, mais ne pas s'imaginer non plus que la manière de voir et de vivre à l'étranger sera soudainement prisée, voire préférée, à Paris. La pétition française, et notamment de nos politiques et de nos administrations centrales, d'une attente universelle et bienveillante vis-à-vis de la France est dès le premier instant d'immersion à l'étranger démentie, mais elle continue de fonder, non pas la stratégie française dans le monde, marquée de nos jours par la prudence et l'esprit de groupe, mais le jugement quotidiennement apostillé sur la communication diplomatique. A rapporter ce qu'il perçoit et comprend de l'étranger, l'Ambassadeur, ses collaborateurs paraissent aussitôt contempteurs de la qualité française et de ce qu'il y a de judicieux, par hypthèse (c'est-à-dire par hiérarchie) dans les décisions et les a priori de Paris.
L'erreur d'appréciation sur la solidité et le péril inhérent dde la main-mise d'HITLER sur l'Allemagne de son temps, ou rituellement depuis le début des années 1980 sur le maître censé régner au Kremlin, tient à cette impuissance de notre représentation locale à faire sortir de leur a priori nos dirigeants et nos commentateurs.
Une vie de quatre ans en Autriche au moment où fut renversé le mur de Berlin, où se divisa la Tchécoslovaquie et commença la guerre de Yougoslavie montrait que deux germanités sont possibles en Europe, ce dont devraient nous avoir convaincus depuis des siècles nos compatriotes d'Alsace et de Lorraine, qu'une analyse et une pénétration en Europe centrale de l'Est ou vers les Balkans pouvaient se fonder sur un fort pluralisme ethnique et géo-stratégique mais aussi sur une grande unité mentale par rapport à une Europe occidentale préservée de tant de schismes, d'occupations et dépendances. La France n'y discerna que les points d'appuis d'une pénétration de cette Allemagne dont pourtant elle se targuait d'avoir fait son truchement pour inspirer l'entreprise d'union européenne : contradiction entre une manière de faire l'Europe et une peur défaisant celle-ci à ses frontières. Le débat sur la reconnaissance des indépendances croate et slovène maintint longtemps une logique de souveraineté intérieure de fait serbe interdisant autant des interventions militaires que l'imagination d'adhésion à l'Union européenne, les uns et l'autre étant seules, le reconnaît-on maintenant de nature à faire se rencontrer et se retrouver en termes les belligérants. La question yougoslave fit négliger les conséquences de la partition slovaque et donc du retour, sans contre-poids, de la Bohême-Moravie dans l'hinterland industriel et financier allemand. Mais à l'inverse, un point de vue trop autrichien pouvait faire croire à une survie possible de la République démocratique allemande, historiquement porteuse de davantage d'Allemagne qu'une Bavière-Rhénanie, apparemment dépossédée mentalement des siècles et de la culture passés, par l'emprise sécuritaire américaine. Le débat ne pouvait se trancher que si l'immersion de nos diplomates pour comprendre ce qui était sans précédent mais avait de fortes racines dans un passé millénaire autant que récent aboutissait à se libérer des deux points de vue, également peu relativistes et attentifs à la réalité du jour le jour, et également hypnotisés par une idée de l'Allemagne, tributaire du passé.
L'observation, qui n'a pu se faire que d'Asie centrale où avaient été poussés de force par STALINE les Allemands établis sur la Volga depuis Catherine et Frédéric, d'un mouvement de rapatriement de ces populations encore partiellement germanophones, non vers l'Allemagne actuelle mais vers l'ancienne Prusse orientale, aujourd'hui région de souveraineté russe mais isolée frontalièrement entre Pologne et Etats baltes du territoire de la Fédération, a pour l'avenir une bien autre portée. Le voisinage germano-russe et l'éventuelle confrontation sont là. La considération et le raisonnement n'étant pas parisiens, n'ont pu jusqu'à présent être retenus, quoiqu'une rencontre tripartite entre les dirigeants allemand, français et russe, chacun étant donc témoin de l'autre sur des sujets vitaux et ataviques, aurait pu la traiter. La rencontre eut lieu, mais sans ce point d'ordre du jour.
Le second moyen d'apprendre est autant une manière de vivre qu'une curiosité constamment à l'affût ; comportement et état d'esprit qui contredisent une priorité fonctionnellement donnée aux gestions d'intérêts français. Tout simplement, en nouant relation, amitié, intimité avec des interlocuteurs du crû, sans distinguer leur place dans les hiérarchies ou leur simple, et presqu'anonyme exemplarité, nous pouvons parvenir à pénétrer la mémoire, le jugement et jusqu'à l'imprévisibilité d'une collectivité humaine. Les affinités ne se commandent pas, elles s'attirent, à condition que chacun tienne en vue de l'opinion locale, puis des partenaires qu'il se trouve, son drapeau, son identité bien en vue. La littérature orale, le séjour sur le site établissent seuls le fait : le fait brut, ou la consistance, les causes, peut-être les conséquences de la rumeur. La citation, la presse, le fond du dossier à la chancellerie sont toujours de seconde main. Est-ce du journalisme inaapproprié ? est-ce de l'espionnage ? est-ce pour le collaborateur de énième rang outrepasser sa place dans la hiérarchie de l'Ambassade ? est-ce en tout état de cause risqué et sujet à caution ? Non, si rien n'est ajouté au brut de l'information recueillie, si le commentaire et la mise bout à bout sont laissés à l'appréciation d'autorités délocalisées (celle de la hiérarchie à Paris), si la relation obtenue puis suivie par un agent du bas bout de la table de réunion est rapportée, connue dans son développement du chef de mission, et si réciproquement ce dernier entretient son entourage de service de ce qu'il entreprend, noue ou tente : l'Ambassade de l'extérieur est localement présumée en bon ordre de fonctionnement, donc en bonne intelligence et partage internes, alors que depuis Paris chaque administration centrale croit avoir dans son agent sur place le seul interlocuteur fiable, parce que le seul sur lequel elle ait barre, le payant, le déplaçant, finançant ses moyens et son rayonnement.
Si l'Ambassadeur ne partage pas ce qu'il obtient de relations personnelles, s'il n'accompagne pas ce que peuvent lui rapporter ses collaborateurs, l'information ne sera pas exploitée. Les pays en cours de révolution se fondent, en personnels éligibles au pouvoir, pour des décennies. Il est des moments qui ne se représenteront jamais, la généralité étant que les peuples longtemps comprimés ont conservé - lumière ou vestige fossiles - des visions des rapports de force dans le monde qui datent. La France, pour son image, pour la pénétration de ses intérêts, pour sa langue a tout à y gagner, à condition que l'ouverture ou le retour au monde du pays considéré se fassent en compagnie de quelques confidents français. C'est rarement le lot d'entrepreneurs ne pouvant financer à perte le long terme : ceux-ci sont liés à un cours politique, mais l'Ambassade si elle sait avoir des apparences humaines, pluralistes, sympathisantes, voire admiratives pour les improvisations ou les naissances, peut pénétrer loin parce que rien n'est encore constitué. Le langage commun est toujours l'indépendance et une certaine ambition de pureté. Idéologique, financière ou vis-à-vis des corruptions politiques et économiques courantes. Le moment dure peu, mais c'est la matrice de relations durables, à condition que le relais soit passé, que la mémoire en soit cultivée. Fernando Henrique CARDOSO est un indépendant, un intellectuel de la gauche brésilienne quand les militaires passent la main à l'automne de 1985. Le hasard et sa parfaite francophonie le font recevoir à l'Ambassade, nous en obtenons l'escale inespérée du Président élu de l'époque à Latché. Puis, Tancredo NEVES mort, l'homme est isolé. Au Carnaval suivant, le gestionnaire pour l'Itamaraty des crédits sur protocole au ministère du Plan, défile parmi les ravissantes et leurs "boum-boum" sous des pancartes anti-FMI. Dix ans plus tard, les deux hommes sont respectivement Président de la République fédérative du Brésil et ministre des Affaires Etrangères. La France a la main, si elle se souvient des individualités. Un obscur directeur d'un des organismes du crédit-export à Rio-de-Janeiro est sollicité par le Conseiller commercial de l'Ambassade pour comprendre le circuit des licences d'importation. Il se révèle intime du Président régnant, devient le ministre des Finances de la stabilisation à l'époque, le voyage du Président français peu après tourne d'autant plus autour de lui que la première cohabitation s'esquissant à l'avance, l'occasion est donnée d'en définir le cadre économique conceptuel devant l'un des patronats les plus concrets, sinon expéditifs, qui soit, celui de Sao Paulo. Une relation banale pour concourir au remodelage d'un ensemble pétrolier à l'embouchure du Tage fait courir un des plus jeunes attachés de l'Ambassade vers une amourette, il est reçu au domicile à plusieurs reprises de celui qui, sans autre préavis, devient le Premier Ministre de rechange aux ambitions plus classiques du chef local des socialistes. Le portrait de l'impétrant, tel que télégraphié à Paris, est tout autre que celui véhiculé par la presse. Mais le chevau-léger n'est fiable que par recoupements et dans la durée. Le mentor, retiré des affaires mais y ayant encore toutes ses entrées, dans chaque pays, existe et à plusieurs exemplaires. Dans une de nos anciennes possessions sahariennes, le brillant Ambassadeur joue aux échecs avec ceux qui auraient le secret - tribal ? ou querelle des origines - du pouvoir dont nous avons mis en place le chef mais qui désormais nous échappe. Le jeu est muet autant avec les vieilles barbes qu'avec le jeune Président, tout simplement parce que la nuit l'Ambassadeur insomniaque sait partager la passion de ses partenaires mais qu'au (modeste) palais présidentiel, il est incapable d'admettre qu'on peut aimer son pays sans être ni communiste, ni francophobe, ni dictateur. Le silence des vieux lui paraît naturel, l'impossibilité d'un langage commun qu'en revanche constate le Chef d'Etat vis-à-vis, produit un silence qui lui paraît, et donc aussi à Paris, de la dissimulation. La clé était de considérer le pays, d'oublier la France et on y serait revenu mais après avoir compris, ce qui est le propre de toute relation d'Etat à Etat, que nous avons intérêt à l'indépendance, même vis-à-vis de nous, de chacun de nos interlocuteurs quel que soit leur passé, ce qui nous permet, en cas, le plus fréquent, d'une forte concurrence d'un pays tiers à notre influence ou à nos intérêts, d'en appeler précisément à cette pétition originale, la personnalité propre de chacun des peuples constitués en Etat dans le monde actuel. A n'avoir généralement au Vatican que des personnalités peu pratiquantes et ne considérant leur séjour villa Bonaparte que comme une ligne de leur biographie, la France a souvent, après de GAULLE et Paul VI, manqué l'évidence : une convergence d'expression diplomatique sur les questions qui ne sont, aujourd'hui insolubles, que parce que d'énoncé reçu ou atlantique, c'est-à-dire désespérant de quelque novation que ce soit. L'Indochine, le Golfe, Jérusalem, le droit de l'espace.
C'est le mentor, souvent âgé, si possible amoureux de notre culture, de notre langue et quelques-uns de nos personnages, qui introduit le mieux au pays. Longtemps ministre de la Sécurité intérieure, idéologue du coup d'Etat militaire au Brésil, en voici un qui fait aussi rencontrer Helder CAMARA dont le récit recoupe les chances qui ne purent éclore du Cardinal KöNIG d'accéder au trône de Pierre, et les trois quarts de siècle où l'Europe, en chacune de ses nations, passa la main aux seuls Etats-Unis, sont revus. Accessoirement, l'échec de nos pétroliers en Amazonie ou en mer est compris. Une nuit parisienne que René LEVESQUE, encore rien ou presque, passe à Paris au début des années 1970, montre qu'il est Américain de langue française, et qu'ainsi l'indépendance du Québec ne sera jamais préférée à un environnement économique pourtant dissolvant ; c'est un hasard qui produit ces heures seul à seul au Quartier Latin. Ces rencontres, beaucoup en font fonctionnellement ou à des moments de leur vie hors hiérarchie. Les exploiter ? Les cibles en Europe centrale de l'Est sont ainsi désignées. Skoda, Ikarus, telles banques, les Allemands n'y sont pas encore, le Gouvernement français est réaliste mais conçoit le dirigisme ; les crédits à l'exportation restent tributaires de l'assurance publique qu'on en donne ; nos entreprises, si demandeuses de connaître les circuits de décision quand un pays s'organise à nouveau, pourraient être convaincues, contraintes d'une priorité politique, de vivre une synergie nationale, comme la pratique sans incitation administrative, quelques de nos concurrents. Le voyage du Général à Moscou nous conféra pendant quatre ans la première place dans les échanges de l'Union Soviétique avec l'Occident. Renault s'associe à Volvo, avec les résultats aujourd'hui connus, Skoda passe à Volkswagen. L'Etat de droit est une des missions données aux Ambassadeurs ouvrant nos représentations dans l'ex-Union Soviétique. S'agit-il d'une consultation de droit constitutionnel donnée dans la capitale d'un pays tiers au Président du pays d'affectation ? alors que les anglo-saxons véhiculent aussitôt à force de bourses, de stages et aussi d'une capacité de traduction presque simultanée des textes des deux Etats en la matière, une vision ouvrant à une pratique juridique propre à nous mettre bientôt en minorité aux Nations-Unis ou dans les organismes, aujourd'hui proliférant de sécurité en Europe ? S'agit-il de sécuriser les tenants d'une opposition démocratique en leur tenant lieu de témoins de leurs efforts, de leur sincérité, et aussi du respect de la lettre-même de textes pourtant très peu favorables ? Peut-on donner nos manières de nous organiser en sécurité et en information à ceux qui, au niveau suprême, doivent faire le nouvel Etat ? Rien de cela n'est en instructions officielles, les financements ne sont pas apparents, le sujet même n'affleure qu'à l'épreuve d'une familiarité déjà établie. Très vite, les nouveaux venus à la souveraineté constatent la concurrence des propositions étrangères, le crible ne se fera que selon des valorisations personnelles et aussi la durée confirmant la fiabilité et la sincérité. Ce qui suppose de notre part des continuités dépassant le cycle des affectations et transcendant souvent les partages habituels de compétences matérielles ou territoriales, qui nous satisfont sans doute mais ne répondent pas aux besoins de nos interlocuteurs. Notre Histoire nationale est pleine de ces amitiés ou de ces opportunités saisies et qui ont fondé pour plusieurs siècles des affinités et aussi des points d'appui : le lycée français d'Istanbul, le Canal de Suez, la déclaration universelle des droits de l'homme, la préparation du Concile Vatican II mais aussi le montage des financements budgétaires bilatéraux d'Airbus à ses débuts, l'accès à la mer Caspienne de nos pétroliers par exemple. Quel Etat n'a pas bénéficié de hasards devenant fondations ? Accessoirement donc naturellement, se trouve une documentation dont le recueil avait entretemps été prescrit.
Le troisième moyen est le déplacement, motif déclaré et objectif visé ou pressenti. La dépaysement, hors de la chancellerie, est double. Sur place, l'opinion publique, même par le truchement des cadres locaux, est autre que celle des cercles gouvernementaux. Le flux des télégrammes et des devoirs de gestion vis-à-vis de Paris est stocké ou servi autrement. Le but du voyage c'est cela. L'accidentel vient à notre rencontre. Un cimetière de malgré-nous, correspondant d'ailleurs aux instructions nominatives à l'Ambassadeur de repérer les lieux du souvenir français, voisin de surcroît d'une base logistique jusques là inaperçue. La localisation, à 2.000 kilomètres de l'endroit jusques là marqué sur les cartes aériennes, d'un site pourtant d'importance planétaire, celui des lanceurs spatiaux soviétiques, nullement en zone interdite, visible d'une route transcontinentale, et pour cause. L'évidence d'une perméabilité de la frontière chinoise et des transhumances coûtumières pouvant donner corps à la rumeur de primes extérieures au mariage local, donc à l'implantation. Si la fréquentation du Parlement fait entendre des propos spontanés du Chef de l'Etat quant à une révision de la frontière avec un tel voisin, ou si un interlocuteur habituel a émis des doutes sur la garantie nucléaire de Moscou en cas de menace de Pékin, les démarches prescrites pour faire adhérer le pays en question au traité de non-prolifération prennent un autre sens. Accomplies de concert avec le représentant allemand, dont la presse nationale bruît de saisies en Bavière de matériaux fissiles pouvant provenir du lieu d'accréditation, les démarches ne sont plus l'exécution d'une instruction, elles mesurent l'éventualité qu'outre-Rhin on garde le souvenir des accords de Rapallo. Aucun de ces éléments ne fait pourtant partie de la mission reçue au départ de Paris.
Couvrant son Attaché de Défense lors de déplacements ensemble à proximité de sites présumés stratégiques, l'Ambassadeur, réputé amateur de photographie et de video culturelles ou folkloriques, se fait avertir, en présence de son collaborateur, par le chef de la diplomatie du lieu. Il répond avoir l'habitude, que rien ne prescrit ni dans l'usage local ni selon les conventions internationales, d'indiquer à l'avance les dates et itinéraires de ses déplacements hors la capitale ; courtoisie à laquelle répondent les autorités administratives et souvent militaires locales, en le recevant et en lui parlant. Quoi d'occulte que de syntéthiser ensuite ce qui à l'évidence était ouvert ? Et le texte-même, noté verbatim, du Ministre des Affaires Etrangères tenant ce propos et évoquant une pratique d'espion, ne donne-t-il pas, de soi, de précieuses informations sur ce qui n'était pas, au début de l'entretien, de la connaissance de l'Ambassadeur ? Quoi donc ? Vous rendez compte, Monsieur le Ministre, de telle réunion ou de telle position de votre Gouvernement : manifestement, vous parlez selon un mode prescrit, convenu, puis nous échangeons des nouvelles personnelles et familiales depuis la dernière audience que vous m'avez accordée, et vous voilà à opiner sur certains de vos homologues dans la région, ou sur l'agenda de votre Président ou sur des contraintes climatiques, en sorte que je vois vos amitiés personnelles, vos défiances et que des déplacements présidentiels non publiés ont eu lieu ou sont en projets. Vous répondez à des questions que je n'avais pas matière de poser ; j'espionne devant vous, dans votre bureau ?
S'imposant à accompagner une mission de coopération technique d'un de nos organismes nucléaires sur un site de la mer Caspienne où ils n'avaient pu pénétrer, l'Ambassadeur et son collaborateur constatent d'une part que les experts français n'ont pas la familiarité des lieux qu'ils prétendent, ce qui précarise tout le savoir antérieur français, et d'autre part que la République souveraine et indépendante depuis plusieurs années déjà, ne participe qu'à un des segments du processus que nous cherchons à contrôler au titre d'accords de non-prolifération. C'est en s'abandonnant à philosopher sur le ciel étoilé, le clapotis de la grande mer intérieure, ses surprenantes baisses de niveaux et sur la qualité de notre coopréation que, loin de nos experts, mais nous détendant avec les administratifs du site, nous comprenons ce qu'il se passa sur la mer voisine, celle d'Aral, ou la rivalité de propositions russes et américaines émancipant ou vassalisant définitivement, par des arguments plus économiques que militaires ou stratégiques, ce que nous venons de visiter. Nous rendant selon des fragments d'information mot-à-mot extorqués à d'autres de nos experts, jamais humbles ni résidant, sur un site jusques là impénétré par des politiques et des militaires autres que soviétiques, nous apprenons que l'établissement est dirigé par des personnels de séculaire origine allemande et que ceux-ci, faute que la Russie continue d'investir ou d'acheter, cherchent des partenaires de rechange. Ils ont la loyauté du site et non de l'ancien employeur. La France a la maturité scientifique, c'est un marché, et depuis de GAULLE venu presque jusques-là lors de son voyage de Juin 1966, elle présente encore, si c'est bien confirmé par le ton de la conversation en cours, un profil indépendant. Nous pouvons donc être ce partenaire. Environs, sont aussi les métaux rares que nécessite l'astronautique et que l'Europe achète à l'Amérique et aux prix de celle-ci. Nous sauvons financièrement et commercialement ce potentiel que ne délaissent les Russes que provisoirement, du fait de leur propre crise, et nous nous émancipons, l'Europe avec nous, de la tutelle atlantique. Le Président local, sans concertation avec les ingénieurs et administratifs du lieu, qu'il présume d'obédience russe, croit pouvoir, comme il l'a fait des têtes nuéclaires précédemment soviétiques, négocier ce potentiel aux Etats-Unis. N'y va-t-il pas, en tant que Président de l'une des quatre Républiques "nucléaires" issues de l'ex-URSS pour précisément signer en forme le traité de non-prolifération ? Les services à Paris considèrent le pays sous revue comme intéressant pour quelques marchés banaux, mais postulent que toute coopération sur ce territoire est à clé russe. L'Ambassadeur convainc le Président de la République que son homologue asiate souhaite sortir du cercle soviétique, au moins en termes de marchés sur ce que son territoire recèle, des matières premières, les sites nucléaire et spatial, et il convainc le local que la France est désireuse, que ce sera son avantage à Washington d'avoir une alternative aux offres américaines qu'il compte provoquer. Le renseignement recueilli pour avoir raison d'un recel d'information de nos opérations et curiosité piquée de l'Ambassadeur et de son principal collaborateur en ce domaine ont abouti au seuil de la décision politique. L'escale, retour des Etats-Unis, a lieu et le repas présidentiel a peu de témoins. Mais entretemps, nos administrations ont arrêté que la routine vaut mieux que la décision. Une mission du ministère de l'Industrie explore des potentiels sur lesquels les anglo-saxons par leurs truchements sud-africain et australien prennent position ; ceux-là seuls y demeurent. Depuis, les responsables des sites stratégiques sont passés par le gouvernement, puis ont été démis, et l'Union Soviétique se reconstitue avec la meilleure façade possible, celle de l'incapacité physique de son président et celle de la déliquescence de son pouvoir central. Le propre du renseignement et d'une première phase de son exploitation n'est-il pas de baliser l'Histoire en termes d'occasions manquées ?
Le moyen le moins préparé est apparemment le plus artificiel. Il est risqué intellectuellement car il consiste à arriver dans un pays avec un pré-supposé et à collationner systématiquement ce qui le dément et ce qui le conforte. Une sorte d'enquête, au prix d'une investigation, encore plus risquée, de la possibilité ou pas qu'un étranger, que mène un tiers, ayant mission officielle mais se faisant aussi passer (en l'occurence, c'est le cas) pour sympathisant d'une geste en train de se faire. Sous nos monarchies, ce comportement fut souvent prescrit à l'Ambassadeur, une alliance était à nouer ou une opposition à nourrir, un partenaire à protéger ou à renverser. Aux époques de notre décolonisation, nous abusâmes de cet ordre de mission, qui fut presque partout pris en défaut, d'abord parce que nos interlocuteurs en connurent jusqu'à la lettre. Des intermédiaires, financièrement intéressés et en fait de double jeu, jouent encore, sur beaucoup de nos théâtres, de ce dévoilement, donc de l'intimidation de l'Ambassadeur par imprudence ou par complaisance parisiennes. Mieux vaut que ce soit l'initiative de l'Ambassadeur, non dite sauf pour ses fruits.
Certains pays se prêtent à une interrogation laissant libre la réponse, d'autres à une pluralité de questions. Pour être féconde, cette maïeutique suppose des termes binaires dans la formulation in petto et une grande docilité à l'agencement que les relations locales (les événements aussi, survenant ou appris pendant la mission) vont produire à mesure. Chaque peuple est cependant lourd d'une blessure, d'une contradiction née ou ravivée dans un passé récent : la dialectique démocratie-corruption-dictature, celle des tendances annexionnistes ou hégémoniques d'un ensemble régional ou d'un voisin ou encore le double mouvement fusionnant ou séparant des ethnies et des ensembles gouvernés dans le moment sous un même chef étatique. Tchécoslovaquie et Yougoslavie à l'évidence ont supposé cette interrogation et appelé enquête sur place autant que choix de notre part, surtout quand nous y avions un crédit historique. Les découpages artificiels des administrations coloniales ou des armistices de la seconde moitié de ce siècle, l'implosion soviétique, la dominance américaine dans le Nouveau Monde, les principales diasporas reflétant toutes des situations locales difficiles pour la patrie ou le rameau d'origine mais se prêtant aussi à un rôle modérateur : ainsi au Proche-Orient, au Caucase dans presque toute l'Europe centrale de l'Est. Là, le savoir ne peut en être seulement universitaire. L'affectif a aussi son aboutissement intellectuel. Des intimités à titre personnel donnent soudain le tréfonds d'une mentalité avant-coureuse des compromis ou des éclatements : le sentiment fait plus les conflits ou la révolution que l'intérêt économique, il renverse des fronts qu'on croyait établis, du moins des relations qui ne sont plus de service commandé ni même d'intérêt précis, fournissent une ligne de compréhension qui sera peut-être l'officielle peu après, tout simplement parce qu'une mentalité ou des hantises courantes ne se manifestent ni dans une presse usuelle ni aux heures de bureau. Ce qui est de notoriété, mais pas dans le cercle diplomatique ou des Attachés de défense et de leurs correspondants locaux, se sait ainsi : l'événement qui déclencha un processus historique désormais anniversaire fêté ou redouté, mais dont tout fut à l'époque étouffé, le népotisme en train de s'établir, la fuite devant une monnaie et le choix de son substitut, le prestige ou le discrédit réels de tel gouvernant ou opposant selon un fait ou une origine qui ne sont pas aux archives, une hospitalisation, un voyage, une visite, ce sont encore des faits publics mais non publiés. L'important à l'improviste : une mise en relation, un papier ignoré, le fondement d'une statistique, d'une position, on ne s'y attendait pas, c'était une rencontre comme on la vit chez soi, mais d'être tout simplement soi-même quoiqu'à l'étranger, de l'Ambassade ou Ambassadeur, nous a fait entrer dans ce que d'ailleurs nos interlocuteurs les plus officiels et professionnels supposent que nous savons. Le sachant dès lors, n'allons-nous pas les conduire à nous offrir d'autres ouvertures ?
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NOTE POUR LE MINISTRE
ROLE DES AMBASSADEURS
DANS LE DOMAINE ECONOMIQUE ET COMMERCIAL
Le sujet devient sensible
quand
1 - Les Ambassadeurs, par décret, reçoivent autorité sur l'ensemble des services extérieurs de l'Etat, dans la circonscription de leur ressort, quelle qu'en soit l'administration centrale (Décret BARRE de 1979).
2 - Les chefs de service, et notamment le Conseiller économique et commercial, sont priés de contribuer à l'information du Département par des télégrammes diplomatiques, et en récioprocité, doivent avoir connaissance de ceux concernant leur mission (Instructions BEREGOVOY de 1992).
3 - L'amenuisement des ressources budgétaires de l'Etat apparaît palliable par les ressources nouvelles dont disposent les collevctivités locales, et notamment les Régions.
4 - Les jumelages de villes, de collectivités prennent un tour plus économique que par le passé
Ainsi, le rôle de l'Ambassadeur auquel la négociation des protocoles, l'appréciation du risque-pays, la mise en relation dans l'Etat de sa résidence des intervenants français et locaux pouvaient échapper - en rganigramme ou en intelligence - est maintenant reconnu et loisible.
La manière dont nos concurrents notamment occidentaux font "donner" leurs Ambassadeurs, et surtout l'habitude prise notamment par le Président MITTERRAND et confirmée par le Président de la République d'entrainer avec soi les milieux d'affaires territorialement concernés par ses déplacements officiels à l'étranger, renforcent la prise de conscience chez les Ambassadeurs qu'ils ont ce rôle à jouer.
Disposent-ils des moyens nécessaires ?
- Au regard de leur collaborateur Conseiller économique et commercial, ils souffrent de deux handicaps :
. le Poste d'expansion garde des moyens de communication propres avec la D.R .E.E, la Coface et les intervenants français. L'information complète de l'Ambassadeur est fonction de ses demandes et de sa relation personnelle avec son Conseiller. Elle n'est pas continue. Le Chef de mission aurait-il d'ailleurs le loisir d'en prendre connaissance si elle était continue et exhaustive ?
. les crédits d'appel par ordre au Département (au moins à la connaissance du rédacteur de cette note, dont l'expérience est interrompue en Février 1995) sont sans commune mesure avec ceux de la D.R .E.E. et encore moins avec ceux des intervenants français, voire locaux. L'Ambassadeur, dans la pratique, ne voyage qu'à ses frais personnels et rarement. La liaison entre la demande locale et l'offre française est donc - à son niveau - intellectuelle, elle n'est pas physique.
Mais il a localement un avantage. Il peut ouvrir des portes et accéder à des informations selon son statut et son accréditation, qui mettent le Conseiller en situation de solliciteur et placent souvent ce dernier dans la nécessité de conduire l'exportateur chez le Chef de mission.
- Au regard des entreprises françaises, parce qu'il reste dépourvu d'influence directe en Commission des garanties, parce qu'il ne rencontre que des subordonnés à compétence régionale, mais rarement les "décideurs", il n'est qu'une source d'information et d'orientation.
Les entreprises françaises persistent à se fier à des circuits locaux qui sont vénaux et qui ne leur sont pas exclusifs. A proportion du montant des contrats ou de leur caractère stratégique. Ainsi l'Ambassadeur est-il généralement considéré comme latéral, quand il n'est pas évité de peur d'indiscrétion ! ou que les intermédiaires locaux en prennent ombrage. L'observation vaut aussi pour les entreprises nationalisées, et même la Direction générale de l'Armement.
- Au regard des collectivités locales françaises, l'Ambassadeur représente un des circuits pour abonder les crédits locaux et une source d'information gratuite sur le pays ou les partenaires recherchés.
Il n'a d'ancrage que si une des entités du pays de sa résidence trouve un jumelage ou un écho dans une de nos collectivités locales.
L'expérience de l'humanitaire ou de la coopération en organisation - parce qu'elle naît du système associatif ou d'institutions, elles-mêmes, assez indépendantes des collectivités locales et de l'Etat, et parce qu'elle a des visées "gratuites" et non mercantiles a priori, est la plus probante pour notre image, et donc pour l'introduction d'autres initiatives.
Le meilleur outil étant la fréquentation réciproque est l'échange de jeunes et de stages au niveau local pour l'acquisition des langues
Trois erreurs sont couramment commises dans la politique générale de nos relations économiques et commerciales.
1 - La confusion des missions parlementaires à l'étranger avec l'introduction d'affaires françaises. La prétention de politiques ou anciens politiques à créer des réseaux parallèles.
2 - La négociation ou l'intéressement au sommet local, sans souci d'une présence permanente et préalable, d'une culture de l'ensemble du tissu destiné à recevoir la proposition française, d'une réelle écoûte de la demande locale ou des possibilités (le plus souvent exigences) de compensation locale.
3 - La mise à contribution des Ambassades, trop tardivement ou trop épisodiquement, ou pour un segment seulement de l'affaire. Les relations bilatérales sont toujours vues globalement et comparativement par nos partenaires. L'absence de cohérence ou de suivi, notamment du plan politique à celui du crédit ou du contrat, n'est pas pardonnée.
Les commissions mixtes et les instances périodiques bilatérales sont en général peu prisées des administrations centrales autres que celles du Département parce qu'elles privent celles-ci de leur quant-à-soi, et qu'elles n'en ont généralement pas la présidence. Ces instances sont cependant une échéance utile pour faire pression tant chez le partenaire que dans les cercles français.
Quelques dispositions pratiques
1 - Crédits de déplacement vers la France , puis en France, suivant un calendrier prévisible proposé en préparation du budget du Poste,
ou dotation personnelle au Chef de mission, à l'instar des frais de représentation, avec jusification en fin d'exercice ou sur demande, de manière à avoir une souplesse totale correspondant à la flexibilité et aux urgences qui caractérisent le domaine économique et commercial.
2 - Crédits de publication et de diffusion d'un bulletin commun à tous les services de l'Ambassade (diffusion aux collectivités locales visées ou souhaitées, diffusion aux entreprises par relais d'abonnement pris par celles-ci au Centre Français du Commerce Extérieur). Alimentation directe des banques de données françaises par nos Ambassades.
3 - Soutien du Département dans ses bureaux géographiques et à sa direction économique, pour l'organisation de manifestations pluri-disciplinaires mettant en synergie, par l'accueil logistique d'une collectivité locale française, de l'ensemble des intervenants publics et privés, culturels et économiques, administratifs et associatifs déjà en action sur le pays de résidence, ou souhaitant entrer en action. L'exercice étant zélé par les administrations centrales du Département et de la D.R .E.E. et par la présence conjointe des Ambassadeurs de chacun des deux pays dans l'autre, accompagné de ses principaux chefs de service. Relais médiatique, boîte à idées pour les banques et entreprises, exposés sur les opportunités et situations locales par le représentant en France du pays visé, appuyé par le témoignage a contrario de l'Ambassadeur de France dans ledit pays.
4 - Préférence accordée à l'accompagnement d'initiatives et de budgets de collectivités locales françaises, aux contrats assortis de coopération et d'échanges de missions et stagiaires pour diffuser la relation entre les deux pays dans l'ensemble de leurs générations et de leur aire géographique : la distinguer des seuls financements et livraisons.
C'est la bonne connaissance mutuelle qui fait la propension entre deux peuples à se préférer pour un travail ou une entreprise ensemble, quels que soient les autres paramètres notamment financiers, techniques ou de calendrier. Le commerce est un courant continu et vise le long terme.
Echanges d'hommes, d'idées et d'oeuvres - longévité en poste des Chefs de mission -, densité de la communication -, implantation locale des habitudes de pensée (jumelages également d'universités, de grandes écoles).
Deux évidences
1 - La relation avec le Conseiller économique et commercial doit être de complémentarité, et non de substitution. deux degrés d'information, de jugement, d'initiative - pourvu qu'ils soient concertés - sont un avantage pour l'administration autant que pour l'utilisateur. La possibilité pour le Conseiller de paraître hors du champ gouvernemental et politique, parfois même physiquement, peut - cas par cas - être décisive.
2 - L'interdisciplinarité et l'interministérialité des Ambassadeurs - plus nettes encore quand ils s'investissent dans la compétence économique et commerciale - induisent
. une pluralité de recrutement,
. une diversification des carrières,
. une réelle pénétration mutuelle des administrations centrales ayant part à la relation de la France avec l'extérieur.
Le tronc commun des formations par l'Ecole Nationale d'Administration et le régime juridique d'emplois pourvus discrétionnairement par décret en Conseil des Ministres permettent ce brassage, cette tolérance qui ne sont encore que très exceptionnels. Les usagers du service public les souhaitent et nos grands concurrents - au moins les Anglo-Saxons - les pratiquent. C'est une des conditions de l'efficacité de ce qui est en gestation./. (BFF - 27.X.96)
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