Reniac, le matin du samedi 8 Septembre 2012
Monsieur le Président de la République ,
il est indiqué que vous allez intervenir demain soir au journal télévisé de la première chaîne.
La communication ne crée pas les faits. Ce sont les faits, une action en cours qui peuvent motiver – en annonce, en précision, en explication – une communication. Plus celle-ci est rare et sans intermédiaire que le support médiatique, entre le président de la République et les Français, plus elle est forte. Exemple : le général de Gaulle. Croire remédier à une désaffection ou à un décrochage de l’opinion publique par du remplissage, faire de la communication l’action et le fait-même de la geste des dirigeants, c’est donner dans la forme raison à votre prédécesseur et en devenir le clone.
Dans le fond, depuis votre prise des manettes, vous êtes également en train de donner raison à Nicolas Sarkozy. Il n’y a donc pas d’alternative à sa politique face à la crise et dans les conjonctures internationales actuelles ?
Ratification du traité de discipline budgétaire. Ratification du traité avec l’Afghanistan. Le « volet croissance » est un leurre, les fonds existaient bien avant l’énoncé de leur disponibilité et la Commission les avait assemblés dès Octobre 2011. Notre présence demeure en Afghanistan et il y aura après le 31 Décembre 2012 des morts françaises avec encore moins de raison qu’avant, les talibans ne distingueront pas entre troupes de combat et troupes de maintenance.
Jeu de ces années-ci entre dépenses publiques et fiscalité. Sans doute, votre gouvernement rééquilibre-t-il les efforts et les ponctions. Cela mérite un exposé, mais pas par vous, et qui soit bien fait. Eriger la rue Cambon en Palais-Bourbon n’est pas convenable constitutionnellement, sauf à mettre politiquement en valeur le fait que vous êtes issu de ce corps de magistrats et en avez donc la compétence et la rigueur, à titre personnel (les comptes-rendus et les extraits n’en ont pas fait mention). Faire taire les rumeurs à propos de la tranche imposable à 75% était du seul ressort du ministre délégué au Budget. Fresque sur la crise et son exceptionnalité : morceaux choisis pour l’après 2017, sinon un exhorde – une nouvelle fois à la de Gaulle – en conférence de presse bi-annuelle, c’est ce que vous aviez laissé attendre comme forme principale de votre communication présidentielle pendant votre campagne.
Vous ne tranchez pas, au sens d’être profondément différent – et efficace – dans votre dessein pour nous et pour l’Europe Celle-ci est bien présente dans vos agendas, mais en bilatéral et elle demeure dans la manière intergouvernementale, privilégiée par votre prédécesseur et qui a fait fiasco, tout en étant une contre-démonstration au point de la vue de la démocratie : vos précautions pour éviter le referendum à propos du traité budgétaire sont celles de Nicolas Sarkozy pour le traité de Lisbonne.
Ce dessein est en même temps un moyen. Il rend à la France son grand rôle, il change toutes les données stratégiques et économiques dans le monde parce que l’Europe apparaît enfin comme acteur crédible et d’une voix propre et unique, au lieu d’être le marché commun à tout le monde et l’homme malade au point de vue de la monnaie, de l’industrie et surtout de la vitalité.
Je me suis permis de l’énoncer puis de vous le répéter depuis Octobre dernier. L’élection au suffrage direct du président de l’Union européenne par tous les citoyens européens, celui-ci recevant la prérogative de convoquer le referendum européen dans les matières prévues par le traité, le Parlement européen à renouveler en 2014 élu avec une compétence constituante et le texte qu’il proposera sera soumis au referendum dans chacun des Etats-membres.
Même réflexe : la démocratie comme moyen, pour régler nos affaires budgétaires et notre endettement, ce qui peut être exemplaire en Europe, être fait par nous seuls, ou par beaucoup ou au plan européen. L’emprunt citoyen, les obligations et bons du Trésor achetés par tout un chacun au bureau de poste, au bureau de tabac et évidemment au guichet de banque. Garanties à trouver ? mais pourquoi ne pas les coupler avec la mise en œuvre de ces grands travaux d’infrastucture devant lesquels hésite votre gouvernement : quelques 150 milliards d’euros pour des lignes de chemin de fer et d’autres voies de communication (à peu près les montants dégagés pour le « volet croissance » de l’accord européen dont vous vous réjouissez pour faire admettre le traité budgétaire). Défiscaliser les revenus de ces obligations d’Etat et même rendre déductible de tout impôt ce qui est preté par le citoyen à l’Etat et à son Trésor. Novation technique ? il me semble qu’on trouverait des précédents dans les systèmes de financements, sous prétexte de Défense nationale, entre les deux guerres.
Dettes souveraines. Sans doute les mutualiser, sans doute une partie du futur traité européen consacré à la politique monétaire et au crédit donc à l’articulation entre la Banque centrale et le Conseil européen. Mais tout de suite, le moratoire au lieu du tonneau des Danaïdes et des manipulations successives du marché, la relation directe entre la Banque centrale et les Etats, comme en France avant la loi de 1973 (qui n’était une manière de stranguler par avance la gauche si elle avait gagné les législatives d’alors) et comme aux Etats-Unis depuis des décennies. Vous auriez dû recevoir le Premier ministre grec selon ses espérances en vous personnellement, au lieu de rester sur la ligne d’Angela Merkel comme si c’était devenu la vôtre : le communiqué était sec pour le peuple d’Athènes et ne mentionnait pas que vous gardiez votre homologue à déjeuner. C’est en tout cas la sensation donnée.
Ces deux actes décisifs : la proposition européenne aux opinions nationales diverses par-dessus la tête des dirigeantset les dialogues avec vos homologues dans l’Union, l’emprunt citoyen national ou européen ont des débouchés logiques par la dialectique qu’ils engendrent.
Vous avez argumenté en 2008 – au Palais-Bourbon contre notre renforcement en Afghanistan et et contre notre retour dans l’O.T.A.N. L’exercice confié à Hubert Védrine qui – déjà en tant que ministre des Affaires Etrangères de Lionel Jospin avait su arrêter le mouvement qu’opéraient Jacques Chirac et Alain Juppé vers cette réintégration – n’a de sens que s’il s’agit de proposer une novation complète de l’Alliance atlantique en compétences matérielles et territoriales, et – partant – des outils militaires et de coercition mis à la disposition d’une Organisation des Nations Unies, elle aussi rénovée en recevant enfin le pendant démocratique et représentatif des peuples face au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale qui ne sont composés que des Etats, à la légitimité parfois émolliente.
Les grands débats, les trancher désormais par referendum.
Liberté de conscience pour les grands votes au Parlement : les Verts sont réticents comme une partie de la majorité présidentielle face au traité budgétaire. Ce traité est une contrainte, pas un moyen, c’est un appel évident aux contre-performances de la plupart des gouvernements quels que soient leurs efforts (c’est-à-dire ceux des contribuables et ceux des travailleurs licenciés faute de politique keynésienne) : vos engagements chiffrés, notamment les 3% de déficit budgétaire à la fin de 2013 peuvent être des objectifs pour votre gouvernement, pas un engagement personnel. En revanche, la remise à l’honneur et comme outil efficace de prévision et de mise en commun de tous les projets et de tous les moyens par tous les acteurs économiques et sociaux, de la planification à la française – qui fit notre fortune et notre relative paix sociale pendant les « glorieuses » – ferait l’objet d’un referendum certainement conclusif et au résultat consensuel.
C’est avec cet outil et dans ces contextes de moyens radicaux pour résoudre notre endettement et augmenter nos financements, qu’il faut nationaliser les banques de dépôt – le temps de les remettre à leurs métiers et à leurs praticiens que ne sont manifestement pas leurs dirigeants depuis des décennies. Cela surtout marquera un changement de manière. Nos grands partenaires l’ont fait coup par coup, nous pouvons le faire en ensemble pour rendre ensuite au capital – mais un capital citoyen, pourquoi pas des petits porteurs à la manière dont seraient contractés les emprunts de l’Etat – le système bancaire rénové et recentré sur sa vocation économique première.
Il est scandaleux que la banque publique d’investissement soit montée par une banque d’affaires. La haute fonction publique à Bercy a toutes les capacités pour cette fondation.
Les investisseurs étrangers pour « reprendre » nos outils en difficulté : pétrole, divers pans résiduels de notre industrie, sont à terme dangereux. On le voit bien aujourd’hui avec Ford à Bordeaux. Vous vous rappelez la surenchère Servan-Schreiber Chaban-Delmas pour localiser dans leur circonsciption : Lorraine contre Aquitaine, cet investissement américain.
Vous n’avez malheureusement pas pris ab initio ces moyens.
Le changement aurait pu aussi se manifester par la formation d’un gouvernement très restreint : une dizaine de ministres, permettant un dialogue libre et naturel en conseil des ministres, et engendrant de tout autres habitudes de travail pour chacun, les entourages à l’Elysée et à Matignon n’étant pas autant de gouvernements bis, les gouvernants travaillant directement avec les directeurs d’administrations centrales compétents. Novation qui aurait frappé nos concitoyens. Je vous avais suggéré de prendre parmi ces dix ministres, les « perdants » apparents de ce printemps : Ségolène Royal, François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon. Michel Sapin qui aurait pu être votre Premier ministre, a été le combattant le plus percutant et le plus sobre des politiques économiques, financières et sociales de votre prédécesseur. Il a un portefeuille trop exigu et Arnaud Montebourg qui n’est toujours pas créatif, lui « pique » la négociation avec le patronat à propos des licenciements. Pierre Moscovici, champion de D.S.K. avant de diriger votre campagne présidentielle, parcours qui m’intrigue, n’est pas le communicant ni la personnalité talentueuse pour l’exposé qui sont nécessaires à Bercy puisqu’il s’agit d’une politique économique tellement contrainte par le budget.
Il y a enfin des ressemblances, heureusement pas très relevées, avec le cours précédent. Je suppose que vous ne les recherchez pas, mais il faut les éviter méthodiquement.
Je me permets la liberté de comparer la geste Cécilia-Carla des premiers mois du mandat précédent, avec le « trio infernal » qui donne matière à un livre ces jours-ci et je maintiens qu’un arrangement depuis 2007 ou enfin maintenant avec Ségolène Royal, sur le modèle (s’il en faut un entre ambitieux) des Clinton, eût été et sera l’idéal. Sans compter que la mère de vos enfants est l’incarnation parfaite de Marianne sur une planète qui aime les images et l’élégance, et que celle-ci aurait certainement mieux soin de votre propre image physique que Valérie Trierweiler qui semble ne pas s’y attacher : vous êtes engoncé et cela ne vous pas. Les Français veulent être fier de vous, y compris physiquement. Je me souviens de la majesté autant que de l’aisance princière dont François Mitterrand, quoique de petite taille et de peu de cou, revêtait chacune de ses apparitions en voyages offciiels à l’étranger : j’y ai participé souvent. Vous le pouvez, avec une charge émotive en plus, qui peut être vôtre. Habiter en moine à l’Elysée, à plein temps, serait très significatif et éviterait aussi des contorsions pour la télécommunication et la sécurité présidentielles que l’on peut supposer aléatoires et dispendieuses.
La réflexion sur nos institutions et leur sincérité, confiée par votre prédécesseur à un ancien Premier ministre, et par vous aussi à un ancien Premier ministre. Votre discours de Châlons et les deux de Toulon prononcés en 2008 et 2011 par Nicolas Sarkozy, parfaits tous trois de lucidité et d’ampleur, mais se ressemblant tellement. Enfin, votre « chute » dans les sondages du même ordre et encore plus rapide que celle de votre prédécesseur. Une élection présidentielle – alors – pour seulement changer les gens, mais pas le fond ni les paramètres ? ni même beaucoup de rythmes et d’événements qui sont jumeaux (la prochaine conférence sur l’environnement et l’écologie, pendant du « Grenelle » d’Octobre 2007). L’interrogation est là. La nont-différenciation, la foi apparente dans des manières et des moyens déjà éprouvés avec échec, les cinq années de votre prédécesseur. C’est vous qui nourrissez cette interrogation. Ni la conjoncture, ni l’opinion, ni les commentateurs. Interrogation et perplexité ne sont – heureusement – pas encore un verdict.
Votre force – qu’elle soit ou non commentée par les professionnels et ressenntie par nos concitoyens – reste votre sincérité, votre capacité personnelle de concentration au travail, votre honnêteté : j’y crois en tout cas. Le climat national en avait été changé dans les premièress emaines, en presque tout. Il y a aussi que vous ne pouvez pas échouer. Ce serait pour très longtemps, peut-être même structurellement, la disparition de la gauche en tant que telle alors que la droite devient extrême et qu’il importe absolument qu’apparaisse et triomphe une véritable alternative de doctrine et de pratique économique et sociale. La poltiique n’est qu’étiquette ou art, vous le savez en grand et efficace praticien, en homme direct. Ce serait aussi pour l’Europe l’accentuation de son déclin, peut-être sa disparition comme acteur indépendant et majeur, ce qui faillit lui arriver en 1945-1950.
Tout se joue en quelques mois. Mendès France et de Gaulle, en 1954 et en 1958, ont saisi l’opinion et répondu aux événements dans u délai aussi bref. La revendication du temps, de la patience, d’un mandat quinquennal ne correspond ni à la dialectique des mécanismes économiques et monétaires à l’œuvre en Europe, ni à l’attente des électeurs du 6 Mai et en fait de la majorité des Français.
Vous avez eu un discernement particulièrement heureux en choisissant Jean-Marc Ayrault pour Premier ministre. A la fois pour ce qu’il est – désormais manifestement – et pour la relation existant entre vous depuis quinze ans et parfaitement vécue maintenant. C’est un atout. La personnalité de Martine Aubry à la tête du Parti socialiste est nécessaire et sera favorable à l’accomplissement de votre mandat : les candidatures agitées ces temps-ci sont ou bien dangereuses pour l’image du Parti et de la gauche ou bien trop légère pour l’enjeu quelle que soit l’envergure que se prétend l’autre compétiteur. Il faut absolument la garder. Vous n’avez pas le ministre des Affaires Etrangètes d’intuition, de courage et de pratique qu’il vous faut, même si Laurent Fabius peut être chaleureux et n’a pas mal conduit l’exercuice : conférence des ambassadeurs, mais sans doute grâce à son secrétaire général, Pierre Sellal. Il vous faut d’urgence délibérer – à huis clos avec l’ensemble de nos ambassadeurs actuellement sur place –à propos de la « françafrique ». Les annonces si longtemps à l’avance de ce que vous direz ou ne direz pas à Kabila et aux autres pendant la rencontre de Kinshasa, sont décalées, ne vous servent pas et surtout ne concourent pas à votre proposition de campagne n° 56.
Je vous écouterai donc demain, vous rendrai sans doute compte de mon impression par l’amical intermédiaire de votre secrétaire général, Pierre-René Lemas à qui je confie la présente lettre – par courriel (votre lecture que je souhaite ce soir ou demain matin) et par la poste (l’autographe), mais j’aurai préféré une autre forme de communication, pas sous pression. C’est au président de la République de donner son rythme et sa substance, ses thèmes aux médias et d’abord à l’opinion citoyenne. Ce ne doit pas être le privilège non démocratique des sondages, des commentateurs ni l’effet de mauvaises communications antérieurement.
Permettez-moi de conclure cette lettre – trop longue mais commandée par cette sorte de bilan des quatre premiers mois de votre exercice présidentiel – par la redite de mon souhait d’un quart d’heure, seul en tête-à-tête avec vous, tous les quinze jours par exemple. « Boîte à idées », travail et investigation à la commande, mémoire de notre histoire nationale et de nos précédents plus immédiats, « françafrique ». Je l’espère vivement de votre part et vous ai écrit en toute franchise et en confiance sincère.
Avec toute ma très déférente confiance.
Bertrand Fessard de Foucault
à Monsieur François HOLLANDE, président de la République ,
aux bons soins de Pierre-René LEMAS, secrétaire général
présidence de la République – Palais de l’Elysée . 55 rue du Fbg. Saint-Honoré
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