mercredi 12 septembre 2012

P.S.A. - la nationalisation pour bien faire - lettre au président de la République


Reniac, le soir du mercredi 12 Septembre 2012

Monsieur le Président de la République,

je ne réfléchis ci-dessous qu’à propos des décisions de P.S.A. que valideraient l’expert désigné par le gouvernement et le gouvernement lui-même suivant cet expert, et cherche l’alternative.

Je laisse donc de côté sans les développer beaucoup d’éléments. Vous les avez à l’esprit.

Le contexte n’est pas à négliger car il produirt des analogies désavantageuses pour le commencement d’exercice de votre mandat : Vilvorde-Aulnay, les Roms en 2012 comme en 2010, le président de la République en « prelière ligne » comme son prédécesseur à Florange et pour l’ensemble d’Arcelor. Des évolutions, dans d’autres domaines, qui peuvent changer la donne fiscale (la nouvelle manière de taxer les revenus du capital, les mises en commun des deux entreprises européennes de défense). L’enjeu politique et éthique enfin pouvant donner ou refuser une identité de gauche – à la fois de gouvernement et de révolution. L’enjeu économique et social : fermeture ou pas du site, obsolescence d’un outil qui pourra manquer en cas de reprise du marché automobile, casse de milliers de vie désormais subventionnées par des retraites anticipées ou des formations sans sens pour des ouvriers hautement spécialisés, au lieu de la considération que signifie une rémunération pour travail fait.

Or, contrairement à Vilvorde et à Florange, la décision finale peut être prise dans des logiques différentes des premiers examens – ceux de la direction de l’entreprise, ceux de l’expert gouvernemental en attendant l’expertise demandée par les syndicats – parce que diverses étapes sont encore à parcourir et peuvent changer l’ambiance.

Vous avez demandé pour Doux de savoir la vérité. Il faut la connaître pour P.S.A. et Aulnay : 1° historique des stratégies depuis vingt ans, tel que le suggère Sartorius, et donc mise en évidence des responsabilités d’un patronat, d’un actionnariat et d’une direction ensemble cupide, peu visionnaire, peu concertant avec les pouvoirs publics et avec les salariés ; 2° responsabilité du gouvernement précédent et de votre prédécesseur dans le camouflage des échéances ; 3° l’usage fait des concours publics à la filière automobile.

Cette vérité ne peut que mettre en cause – au moins dans ce cas particulier – le système capitaliste, pas seulement comme aptitude de l’entreprise à surmonter une crise économique et financère générale comme depuis 2008, mais comme automatisme d’adaptation à des conjonctures changeantes ou à des contraintes et des concurrences émergentes nouvelles. Modèle théorique, doctrine et références inadaptés. Le dogmatisme qu’invoquent paradoxalement les libéraux en économie et les chantres du moins d’Etat possible, aboutit à l’accaparement des bénéfices d’exploitation et pas du tout au réinvestissement. Ce n’est ni un moyen de discerner l’avenir propre à l’entreprise et les facteurs le déterminant, ni un mécanisme concourant automatiquement au bien commun d’un pays, d’une société et au moins de la communauté qu’est une entreprise avec son environnement territorial, humain, social et avec ses sous-traitants et ses satellites. Le capitalisme dans ses versions familiales et boursières a pu être fondateur et créatif, il est aujourd’hui destructeur.

En quelques semaines de clarté – tandis que se noueraient les négociations du moindre mal selon les habitudes (s’il y en a) de l’entreprise et selon les procédures légales, avec l’insistance, sinon le patronage du gouvernement – il pourrait s’établir dans l’opinion publique un jugement sévère sur les dirigeants permanents ou successifs de P.S.A., sur ses actionnaires fondamentaux, en même temps que se confirmerait l’intuition qu’il faut de tout autres manières de réfléchir et de conduire pour continuer et maintenir la vie et la rentabilité de nos grandes entreprises industrielles. En revanche, l’honnêteté intellectuelle, voire les risques pris par le gouvernement vis-à-vis de son électorat natif et naturel ne pourraient qu’être salués. Aucune recette a priori, respect du droit commun. C’est rare.

Les nationalisations de 1982 se fondaient sur le pari que l’Etat se donnerait par elles l’outil idéal pour l’emploi : la mise en œuvre a duré trop peu de temps pour que le bilan soit net, au contraire de celui des 35 heures dont le régime, pour l’essentiel, n’a pu être abrigé par la droite. Ces nationalisations étaient un engagement du Programme commun de gouvernement. Une ou plusieurs nationalisations aujourd’hui – un pan de notre industrie automobile, nos banques de dépôts – se fonderaient très différemment. Ce ne serait pas une initiative gouvernementale, exécutant une décision de parti politique antérieure à l’élection ayant conduit au pouvoir dans l’Etat, sinon dans l’opinion publique. Ce serait un constat d’évidence et une attente de l’esprit public général et une demande expresse des travailleurs.

La décision gouvernementale, l’arbitrage du président de la République : le vôtre, les débats parlementaires aboutissant aux textes nécessaires… seraient autant de réponses aux impasses auxquelles, très probablement, vont conduire les négociations que P.S.A. est priée de mener pour tout « reformater » de ses plans initiaux.

Contrairement à ce que prétendra la droite, il n’y aura rien d’idéologique dans cet aboutissement – alors que les privatisations à partir de 1986 ont été doctrinaires, révérentielles. Ce n’est que par voie de conséquences que l’Etat retrouverait des prérogatives qui actuellement lui manquent – bien plus que l’argent – pour pallier la crise et répondre de l’avenir.

Traiter Aulnay et P.S.A. comme si le temps était calme et le plan social banal – compétence des prudhommes, pourquoi pas du tribunal de commerce s’il doit s’agit d’extraire la fabrication d’amortisseurs encastrée dans les périmètres de Sochaux – n’aura d’impact économique que négatif et d’effet financier que passager. 

Nationaliser pour maintenir l’outil – autant que l’emploi – et donner à l’entreprise l’imagination et le discernement que la direction de ces vingt ans n’a manifestement pas, peut se faire dans le consensus. P.S.A., si le gouvernement sait devenir diplomate, avant de redevenir industriel, peut trouver qu’une fin de ce genre est de son intérêt. De famille et d’actionnariat.

La matière bancaire est tout autre, le concours à l’ensemble de l’économie du pays et à notre vie sociale bien plus étendu, mais la façon de conduire l’opinion à souhaiter vivement du gouvernement la nationalisation contribuera aussi à poser, dans l’esprit public, de nouveaux fondements pour la démocratie. Ce n’est pas le gouvernement qui est pédagogue, mais le peuple auquel auront été donnés les éléments d’appréciation.

Cette démarche a été initiée ces mois-ci par votre gouvernement : rapport d’expert. Elle va être soutenue par vous personnellement : l’exigence de vérité, le rendez-vous promis aux représentants du salariat à Aulnay quand, en campagne, vous les avez visités. Elle sera accompagnée par le travail de Michel Sapin : le rééquilibrage des droits et devoirs du capital et du travail dans l’entreprise. La référence – à dire ou à ne pas dire ? – est à mon sens la participation dont de Gaulle sentait qu’elle serait la forme à venir de notre démocratie, sans qu’il pût vraiment ouvrir le chantier ni a fortiori le mener à terme.

Vous ne pouvez pas être docile, alors qu’intimement vous êtes scandalisé.

Sans doute, nos compatriotes ne sont pas encore à courir vers Versailles ou vers les symboles tels que la Bastille. En ce sens, l’entreprise commencée depuis longtemps pour désarmer le travail par l’individualisme et détruire le dialogue social en périmant, faute d’adhérents, les syndicats a partiellement réussi : plus de mobilisation, pas de jusqu’au-boutisme. C’est rendre la main au gouvernement, à vous. Le mouvement social pour que soient positivement acceptés les sacrifices fiscaux, les solidarités européennes peut être suscité par vous. Le capitalisme est peureux, les plus expérimentés et convaincus des militants et des représentants syndicaux savent qu’un rapport de force change une négociation et rend soudainement ductile les plus obstinés d’en face : accords Matignon, discussions de la rue de Grenelle, Juin 1936 et Mai 1968, et personne n’en est mort. Le pays était et demeure capable de changer de régime économique et social par des décisions précises. Il le souhaite, parce qu’au travail ou au chômage, à la retraite ou encore à étudier, il évalue mal la pertinence d’une politique macro-économique – en fait plus cohérente technique et plus philosophée éthiquement que depuis très longtemps, chez nous – et a l’instinct qu’à une crise qui déstructure, la réponse ne peut être que l’invention et la mise en place de nouvelles structures.

BMW enregistre une croissance de 8% de ses ventes et davantage encore de ses résultats depuis le début de l’année et annonçait la semaine dernière un recrutement d’ici la fin de 2013 de trois mille cinq cent personnes. Visitant Augsbourg en 1980, j’avais trouvé les chaînes bien moins vivantes et les ouvriers moins inventifs que chez Renault et j’avais un souvenir plus impressionné de ce que j’avais vu, en compagnie de quelques-uns entrainés par la fondation Elf Air France à étudier ce qui fait ailleurs que chez nous « la nouvelle société » et le succès économique. Il pleut depuis quinze ans des rapports de grands patrons sur notre politique industrielle souhaitable. Louis Gallois vous donne le sien. Mais l’Etat ne peut-il montrer le possible ? sans rien démonter ni périmer d’autre que la sélection des dirigeants et la veille d’un nouvel esprit d’entreprise, d’abord imaginatif et social. Les résultats financiers arriveront d’ailleurs aussi. Un autre rapport – commandé par le MEDEF – analyse avec inquiétude le « désengagement » des salariés qui ne sont plus au travail que pour l’argent (comme leurs dirigeants) tout simplement parce que la vie de l’entreprise, ils sentent qu’elle leur échappe et qu’ils ne sont plus appelés à en répondre. Les vocations s’étiolent, la compétivité exigée entre les personnels au lieu que soit travaillée celle de l’entreprise-même défait tout le corps social. L’actionnaire unique puis principal, tout le temps nécessaire que la mentalité des dirigeants se structure autrement et que la confiance renaissent chez les agents, les collaborateurs, les ouvriers, les salariés, peut remodeler ce qu’il nous reste d’industrie, de services financiers. Il rendra au privé – théorie du « secteur privé » à réécrire et à enseigner – l’outil rénové et sauvé, mais le privé selon un capital populaire quand l’intérêt est stratégique, national ou social : les deux vont le plus souvent de pair. Nous avons vécu le scandale et le très grand risque chez EADS – aujourd’hui en possibles et décisives alliances pour l’Europe de la défense – nous avons, avec P.S.A. l’occasion d’un nouveau départ. Et pour la gauche, dont vous avez la responsabilité pour l’histoire et pour l’honneur, c’est aussi un cours enfin différent que la seule alternance des personnes et des tempéraments au pouvoir.

Vous savez, Monsieur le Président de la République, toute ma très déférente confiance.

Bertrand Fessard de Foucault






à Monsieur François HOLLANDE, président de la République,
aux bons soins de Pierre-René LEMAS, secrétaire général
présidence de la République – Palais de l’Elysée . 55 rue du Fbg. Saint-Honoré

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