Ce que l’on sait de la tentative de coup d’Etat en Turquie
LE MONDE | 15.07.2016 à 22h21 • Mis à jour le 16.07.2016
à 09h00 | Par Allan
Kaval (à Paris) et Le Monde.fr
Annonçant avoir pris le pouvoir, les putschistes ont publié un communiqué
sur internet de l’état-major des armées . Il ont annoncé avoir
effectué « une prise de pouvoir totale dans le pays ».
YASIN AKGUL / AFP
La situation restait encore confuse samedi 16 juillet au matin en Turquie, après une tentative de coup d’Etat d’une partie de l’armée. Les putschistes ont annoncé dans la soirée, par le biais d’un communiqué, avoir pris le pouvoir dans le pays. Des affrontements et des manifestations ont eu lieu dans plusieurs grandes villes. Selon le procureur d’Ankara, quarante-deux personnes ont trouvé la mort dans la capitale turque.
Après plusieurs heures d’incertitude, l’avion du président Recep Tayyip Erdogan a finalement atterri à Istanbul, peu après 2 h 30 (heure de Paris). Il a été accueilli par une foule nombreuse à l’aéroport Atatürk. Le chef de l’Etat a dénoncé « une trahison » menée depuis plusieurs heures par des soldats putschistes, qu’il a accusés d’être liés à son ennemi juré, Fethullah Gülen, un imam exilé depuis des années aux Etats-Unis.Samedi, les télévisions montraient, en direct, une cinquantaine de soldats rebelles se rendant aux forces de sécurité à Istanbul, alors que des F-16 bombardaient des chars de rebelles aux abords du palais présidentiel. Quelques heures auparavant, le premier ministre turc, Binali Yildirim avait assuré que la tentative de coup d’Etat était « largement sous contrôle ». La tentative de putsch a donné lieu à 130 interpellations, selon le chef du gouvernement. Mais la situation se semblait pas stabilisée pour autant.
· L’annonce du coup d’Etat
Dans la soirée de vendredi, le premier ministre turc avait fait état d’une tentative de coup d’Etat menée par un groupe au sein de l’armée. Peu de temps après, les forces militaires annonçaient dans un communiqué publié sur le site Internet de l’état-major avoir pris le pouvoir pour « restaurer la liberté et la démocratie ». Dans leur texte, elles assuraient que les accords internationaux signés par le pays seront respectés et affirmaient retenir en otage le chef de l’état-major, Hulusi Akar.Binali Yildirim avait alors averti ceux impliqués dans cette action « illégale » qu’ils paieraient « le prix le plus élevé » :
« Un groupe de militaires agissant sans l’autorité de leurs
supérieurs a commis une attaque illégale. Notre peuple doit savoir que nous
n’autoriserons aucune action antidémocratique. »
Un premier temps silencieux, le président Recep Tayyp Erdogan s’était
exprimé quelques heures plus tard par téléphone sur la chaîne d’information
CNN-Türk. Il a appellé les Turcs à descendre dans les rues pour résister à cette
tentative de coup d’Etat, fruit à ses yeux du « soulèvement d’une
minorité au sein de l’armée ». Et l’homme fort du pays de lancé :
« Je ne pense absolument pas que ces putschistes
réussiront. »
Avant d’être reprise aux putschistes vers 2 heures (heure de Paris), la
chaîne publique turque de télévision a diffusé un communiqué signé du « Conseil
de la paix dans le pays » faisant état de la proclamation de la loi martiale et
d’un couvre-feu sur l’ensemble du territoire.· Mise en cause des partisans de Fethullah Gülen
« C’est un soulèvement dans lequel “l’Etat parallèle” a également une part », a affirmé le président Erdogan, en référence au prédicateur Fethullah Gülen, son ancien allié devenu ennemi, aujourd’hui en exil aux Etats-Unis. Dans la nuit, son mouvement de Fethullah Gülen a condamné « toute intervention armée dans les affaires intérieures de la Turquie ».· Affrontements à Ankara, des personnes dans la rue
De nombreuses personnes semblaient avoir répondu à l’appel du président Erdogan de descendre dans la rue. Des heurts ont éclaté au cours de la nuit entre ses partisans et des militaires, notamment devant les locaux du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir. Des affrontements autour du siège des services de renseignement à Ankara ont également été rapportés.A Istanbul, de grandes artères menant notamment à la place Taksim, dans le centre de la première métropole de Turquie, étaient bloquées par les forces de l’ordre et la présence policière était importante dans les rues. Plusieurs chars de l’armée ont été déployés autour du Parlement à Ankara. Plusieurs violentes explosions ont été entendues dans la capitale turque, accompagnées de coups de feu, alors que des avions de chasse survolaient la ville incessamment à basse altitude.
L’aéroport international d’Istanbul était bloqué et les vols internationaux annulés. Selon les chaînes de télévision locales, les ponts sur le Bosphore ont été partiellement fermés dans le sens Asie-Europe. Une source officielle turque a précisé à l’agence Reuters que des soldats étaient également déployés dans d’autres villes du pays, sans toutefois préciser lesquelles.
L’accès aux réseaux sociaux Twitter, Facebook et YouTube a été suspendu, d’après le compte Twitter Turkey Blocks, spécialisé dans la censure en ligne.
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· Un contexte politique extrêmement tendu
Depuis la fin juillet 2015, la guerre a repris dans le sud-est kurde du pays. L’armée s’est massivement impliquée dans le soutien aux forces de police dans les villes insurgées, passées sous le contrôle des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). En plus des affrontements dans ces zones, les grandes villes du pays ont été frappées par des attentats orchestrés par les rebelles kurdes contre les forces de sécurités.D’autres attentats visant des cibles civiles ont été attribués à l’organisation Etat islamique (EI) dont le dernier en date est survenu à l’aéroport Atatürk, à Istanbul, le 28 juin provoquant la mort de 44 personnes.
La Turquie a aussi été confrontée à un effondrement de sa politique régionale. Comptant parmi les principaux soutiens des rebelles syriens, elle est, cinq ans après le début du conflit, voisine d’une Syrie où Bachar Al-Assad est toujours au pouvoir et où des forces kurdes liées à ses ennemis du PKK contrôlent la plupart des régions du nord du pays, frontalières de la Turquie.
Recep Tayyip Erdogan, l’homme fort de la Turquie depuis son accession au poste de premier ministre en 2003, a construit l’hégémonie de son parti, l’AKP sur le pouvoir politique et les institutions. Après avoir remporté les premières élections présidentielles au suffrage universel en 2014, il était sur la voie de formaliser son emprise en faisant prendre au pays la voie d’un régime présidentiel.
La domination de l’AKP a cependant été remise en cause par les résultats des élections législatives de juin 2015. L’impossibilité de former un gouvernement de coalition avait donné lieu à l’organisation d’un nouveau scrutin en novembre, qui donnait cette fois-ci à l’AKP la majorité nécessaire pour gouverner.
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· L’inquiétude à l’international
La Turquie est l’un des piliers de l’Alliance Atlantique (OTAN) et a ouvert des négociations pour adhérer à l’Union européenne (UE). Cette tentative de coup d’Etat est suivie avec beaucoup d’attention au plan international. Le président américain, Barack Obama, a exhorté toutes les parties en Turquie à soutenir le gouvernement « démocratiquement élu » du président Recep Tayyip Erdogan.« En contact constant avec la délégation de l’UE à Anakara et Bruxelles depuis la Mongolie. Appel à la retenue et au respect des institutions démocratiques », a tweeté la chef de la diplomatie européenne, l’Italienne Federica Mogherini.
Le gouvernement grec « suit la situation » chez son voisin avec « attention et sang-froid », a confié dans la soirée une source gouvernementale à Athènes à l’Agence France-Presse. Selon The Wall Street Journal, une réunion d’urgence de l’état-major grec est en cours. Les Etats-Unis, la Russie ou encore Israël se tiennent également informés des évolutions de la situation.
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- Le
Monde.fr
Journaliste au Monde
- Allan
Kaval (à Paris)
Journaliste au Monde
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