25 avril 2016 à 20:21
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Des opposants allemands au Tafta (également
appelé TTIP) lors de la visite du président américain, Barack Obama, à Hanovre,
samedi. Photo Kai Pfaffen. Reuters
Le traité de libre-échange transatlantique, promu par Barack Obama, doit faire face à l’opposition de plusieurs Etats membres de l’UE, comme la France, et des opinions publiques européennes et américaine. Un accord qui a toutes les chances d’être mort-né.
Désormais, il suscite des réserves grandissantes de plusieurs Etats membres, à commencer par la France, mais aussi l’Allemagne. Alors que les négociateurs européens (emmenés par l’Espagnol Ignacio Garcia Bercero) et américains (dirigés par Dan Mullaney) ont entamé, lundi à New York, un treizième round de pourparlers, jamais l’avenir de cet accord n’a paru aussi compromis. Le président américain, Barack Obama, a profité de sa visite officielle au Royaume-Uni et en Allemagne pour lancer un vibrant plaidoyer en faveur du Tafta et d’une conclusion rapide d’ici la fin de l’année, avant la fin de son mandat (lire page 4). Un baroud d’honneur ?
Pourquoi ce raidissement en Europe ?
Après avoir appelé régulièrement à une conclusion rapide du Tafta, François Hollande (lire ci-dessus), a tourné casaque, le 14 avril, sur France 2 : «La France, elle a fixé ses conditions, la France, elle a dit s’il n’y a pas de réciprocité, s’il n’y a pas de transparence, si pour les agriculteurs il y a un danger, si on n’a pas accès aux marchés publics et si en revanche les Etats-Unis peuvent avoir accès à tout ce que l’on fait ici, je ne l’accepterai pas.» Le vice-chancelier allemand, le social-démocrate Sigmar Gabriel, a repris la même antienne, dimanche : «Les Américains ne veulent pas ouvrir leurs appels d’offres publics aux entreprises d’Europe. C’est tout le contraire du libre-échange, selon moi.» Pour lui, la position des Etats-Unis se résume à «acheter américain», ce qui condamne la négociation à l’échec.Une convergence qui n’a rien d’étonnant, puisque Berlin et Paris ont, vendredi, accordé leurs violons en listant leurs exigences minimales «sans quoi il n’y aura pas d’accord possible à la fin de cette année». En particulier, ils veulent que l’harmonisation des normes - la grande affaire de cette négociation destinée à créer l’équivalent du marché unique européen entre les deux principaux blocs commerciaux du monde - «se fonde sur les exigences les plus élevées, en matière sociale, environnementale et de sécurité, tout en maintenant notre droit à réglementer et à adopter des mesures selon nos processus administratifs et réglementaires respectifs».
De même, les deux rives du Rhin exigent un accès aux marchés publics des Etats fédérés ou encore la reconnaissance des appellations contrôlées de l’Union, un point dur de la négociation. Pour la Commission européenne, qui négocie au nom des Vingt-Huit, rien d’inquiétant : «Il est normal que les Etats membres rappellent leurs intérêts et augmentent la pression politique au moment où les négociations s’accélèrent. En particulier, la crise agricole rend Paris très attentive à cet aspect des négociations. Mais pour l’instant, aucun pays ne veut les arrêter.» D’autant qu’il ne s’est rien passé concrètement qui justifierait de stopper la machine diplomatique : «Je ne vois pas, en l’état, de raison de dire qu’on ne veut plus de cet accord, analyse un diplomate français. Ça sera une autre affaire lorsqu’il sera conclu et qu’il faudra le ratifier.»
Une conséquence de la menace du «Brexit» ?
La visite du président américain en Europe se situe dans le contexte du référendum du 23 juin sur un éventuel «Brexit», un départ du Royaume-Uni de l’Union européenne. Washington est, en effet, de plus en plus inquiet de la déstabilisation du Vieux Continent, qui renoue avec ses vieux démons du nationalisme, du populisme, de la xénophobie, du protectionnisme, comme viennent de le montrer coup sur coup le rejet par les électeurs néerlandais de l’accord d’association avec l’Ukraine ou encore la percée de l’extrême droite au premier tour de l’élection présidentielle en Autriche dimanche. Dans ce cadre, le Brexit pourrait sonner le début du délitement de l’Union européenne et la fin d’une longue période de paix. «Les Etats-Unis et le monde entier ont besoin d’une Europe forte, démocratique et unie», a plaidé le président américain, rappelant qu’au «siècle dernier, à deux reprises dans une période de trente ans, les forces des empires, celles de l’intolérance et du nationalisme extrême, ont consumé et largement réduit en ruines ce continent».Le Royaume-Uni étant particulièrement attaché au commerce et au libre-échange, Barack Obama a joué sans vergogne sur cette corde, renvoyant les tenants du Brexit au risque de l’isolationnisme : «Certains pensent peut-être qu’il y aura un accord de libre-échange Etats-Unis - Royaume-Uni, mais cela n’arrivera pas de sitôt», a-t-il déclaré à Londres : «le Royaume-Uni sera en queue de peloton», la priorité de Washington étant les «négociations avec les grands blocs», comme l’Union européenne ou la Chine. Et de donner comme exemple le… Tafta, qui est donc hissé au rang d’argument en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’UE. Bref, c’est moins cet accord qu’est venu défendre Barack Obama, que le maintien de Londres dans l’Union européenne.
Le Tafta verra-t-il le jour ?
La négociation était mal partie dès 2013, principalement à cause du président de la Commission de l’époque, José Manuel Barroso, qui a fait du Tafta la grande affaire de sa fin de mandat. Au lieu de préparer les opinions publiques, il s’est lancé dans des négociations secrètes qui ont donné l’impression qu’il s’agissait de mettre à bas une partie de la législation des Etats membres au profit des multinationales. Toutes les peurs de l’époque, avivées par la crise économique et financière de 2007-2008, qui a mis fin au mythe de la mondialisation heureuse, se sont cristallisées autour du Tafta : à terme, les Européens allaient être gavés de poulet au chlore, de bœuf aux hormones d’OGM ou de camemberts made in USA, et les entreprises américaines allaient empêcher l’UE de légiférer librement en ayant recours à des arbitres privés… Ce péché originel a empoisonné toute l’affaire, en dépit des efforts de transparence et d’explication de la Commission présidée par Jean-Claude Juncker qui n’a pas hésité à revoir plusieurs points clés du mandat de négociation, pourtant accepté à l’unanimité par les Etats membres (par exemple elle propose de créer une cour permanente composée de juges professionnels).La vigilance des opinions publiques ne faiblissant pas, la ratification, tant par le Parlement européen, que par les vingt-huit Parlements nationaux, est loin d’être acquise. D’autant qu’aux Pays-Bas les eurosceptiques, qui ont obtenu le rejet de l’accord avec l’Ukraine via un référendum d’initiative populaire, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils étaient prêts à recommencer avec le Tafta. Beaucoup de pays commencent à se demander si le jeu en vaut la chandelle. Si l’on ajoute à cela les réticences des principaux candidats à l’élection présidentielle américaine de poursuivre sur la voie du libre-échange général (lire ci-contre), l’avenir de ce traité, s’il est un jour conclu, est rien moins que rose.
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