jeudi 14 juillet 2016

ENTRETIEN DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE - texte en ligne sur le site de l'Elysée



AVEC DEUX JOURNALISTES
TF1 & France 2 – jeudi 14 juillet 2016 . 13 heures 15 à 14 heures


Gilles BOULEAU : Bonjour à tous.

LE PRESIDENT : Bonjour Gilles BOULEAU.

David PUJADAS : Bonjour Monsieur le Président.

LE PRESIDENT : Bonjour David PUJADAS.

Gilles BOULEAU : Merci de nous accueillir avec David PUJADAS. Cette interview du 14 juillet est la dernière du quinquennat, est-ce qu’en entrant dans cette pièce il y a un instant, vous vous êtes dit c’est peut-être la dernière tout court ?

LE PRESIDENT : Qu’est-ce que je me suis dit en arrivant ici ? D’abord que le défilé auquel j’ai assisté était magnifique. Pourquoi l’était-il ? Pas simplement sur le plan esthétique, parce qu’ont défilé des hommes et des femmes, militaires, policiers, pompiers, douaniers, de l’Administration pénitentiaire, qui ont défendu, qui défendent notre pays, et nous protègent.

Puis, il y avait des jeunes, ceux qui ont chanté « La Marseillaise », collégiens, lycéens, entourés, encadrés, par le Service civique et le Service militaire volontaire, et ils n’avaient qu’un mot à l’esprit, et même à la bouche : l’engagement. Et donc, celui qui me vient spontanément à l’esprit, lorsque je vous retrouve pour le dernier 14 juillet du quinquennat, c’est l’engagement, l’engagement que j’ai pour les Français et devant eux.

David PUJADAS : Alors, on va parler économie, on va parler terrorisme, mais d’abord quelques mots sur cette crise ouverte dans votre équipe, qui s’étale au grand jour, Emmanuel MACRON s’affranchit de votre autorité, de celle du gouvernement, il se pose même en rival, en vue éventuellement de 2017. Est-ce qu’il peut rester, Emmanuel MACRON, au gouvernement ?

LE PRESIDENT : Ce sujet, ce n’est pas le plus important de ce que nous avons à traiter, mais il est là, regardons-le. Emmanuel MACRON m’accompagne depuis 2012, comme conseiller, puis comme ministre de l’Economie. Il a mené des réformes, il en mène encore, il a des idées, il veut rencontrer les citoyens, et là-dessus c’est utile, il faut toujours aller à la rencontre des autres, toujours proposer des idées nouvelles.

David PUJADAS : Il va bien au-delà de cela…

LE PRESIDENT : Mais il y a des règles, il y a des règles dans un gouvernement.

Gilles BOULEAU : De cohérence, a minima.

LE PRESIDENT : La première règle c’est la solidarité, c’est l’esprit d’équipe, c’est de défendre le bilan, c’est d’être à plein temps dans sa tâche, et donc c’est une règle qu’il doit respecter. Et puis il y en a une deuxième. Dans un gouvernement il n’y a pas de démarche personnelle, encore moins présidentielle, il y a tout simplement servir, et servir jusqu’au bout. C’est une belle mission d’être au gouvernement de la France, c’est même la plus grande des missions pour un responsable, quel que soit son parcours, et donc…

David PUJADAS : Mais vous lui avez déjà lancé un avertissement, et il ne vous a pas écouté.

LE PRESIDENT : Ces deux règles, ces règles essentielles, sont celles de la composition d’un gouvernement, je n’en dirai pas plus. Respecter ces règles c’est rester au gouvernement, ne pas les respecter, c’est ne pas y rester.

Gilles BOULEAU : Mais, très concrètement, Manuel VALLS, Premier ministre, Emmanuel MACRON, ministre de l’Economie, peuvent travailler ensemble, il n’y a pas le moindre problème ?

LE PRESIDENT : Manuel VALLS je l’ai nommé pour diriger le gouvernement, et il le fait avec autorité, il le fait avec courage, il le fait aussi en ayant le sens de l’intérêt général. Alors, il le fait aussi avec sa personnalité, mais heureusement, et donc… qu’est-ce que c’est qu’une équipe, au moment où il y a tant de fractionnements, tant de fragmentations ? C’est d’être capable d’être ensemble pour le bien du pays. Je n’en dirai pas davantage, moi c’est ma seule ligne de conduite, je veux que le pays puisse être dirigé, fermement, dans la période que nous connaissons. Ai-je besoin de parler de ce qui s’est produit ? Donc, fermement, clairement, et je n’en dirai pas davantage sur ce sujet, chacun, maintenant, est informé.

David PUJADAS : Mais vous édictez une règle, mais elle n’est pas respectée de fait, on en reste là ?

LE PRESIDENT : Non, elle est la règle, et si elle n’est pas, respectée, il y aura les conséquences que je viens d’indiquer.

Gilles BOULEAU : Et lorsqu’Emmanuel MACRON, dans un meeting avant-hier, dit que les Français sont fatigués, usés par un système qui lui-même est usé par des promesses non tenues, vous ne le prenez pas pour vous, vous ne vous sentez pas visé ?

LE PRESIDENT : Je pense que ceux qui n’ont pas tenu leurs promesses ce sont ceux qui ont dû me précéder, parce que pour ce qui me concerne, j’ai tenu tous mes engagements. Mais il y a un résultat, celui qui compte le plus pour les Français, celui dont nous allons parler, c’est le chômage, celui qui détermine tout, c’est en l’occurrence l’emploi, et c’est non pas une page d’écritures qu’il faut faire sur l’emploi, la croissance et la lutte contre la précarité, c’est un devoir, et c’est le mien. Et c’est d’ailleurs là-dessus que j’ai demandé à être jugé.

David PUJADAS : Alors, on y vient, il y a 3 mois, sur France 2, vous disiez « cela va mieux », qu’est-ce que vous diriez aujourd'hui, cela va encore mieux, cela va bien ? C’est vrai que les indicateurs sont au vert, certains, dans toute la zone euro d’ailleurs. Que diriez-vous ?

LE PRESIDENT : Je pense que cela va effectivement mieux, et vous l’avez vous-même reconnu. Pourquoi ? Parce que nous avons retrouvé de la croissance. Cela veut dire quoi la croissance pour les Français ? Cela veut dire que la production s’est améliorée, elle est repartie, cela veut dire qu’il y a un peu plus de pouvoir d’achat, cela veut dire qu’il y a des créations d’emplois. Mais, nous sommes encore fragiles.

La meilleure preuve, on va en parler, le Brexit, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Cela ne dépend pas de nous, ce sont les Britanniques qui l’ont décidé, et pourtant cela a des conséquences.

David PUJADAS : Vous redoutez ses effets ?

LE PRESIDENT : Je fais très attention. Je ne voudrais pas qu’une malencontreuse décision, parce que quand même, elle est malencontreuse…

David PUJADAS : Mais souveraine.

LE PRESIDENT : Mais souveraine, c’est leur choix, mais le choix ils doivent l’assumer. On voit d’ailleurs que c’est le cas, la Livre sterling a perdu beaucoup de sa valeur, leur activité économique se rétracte ; bon, c’est leur choix, mais il ne faut pas que l’on en ait des traductions sur notre propre économie. Donc, plus tôt la Première ministre, puisqu’elle vient d’être choisie, madame MAY, engagera la procédure de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, meilleure sera la relation future entre l’Europe et le Royaume-Uni, et meilleure sera notre propre situation.

Mais je reviens à nous. Face à cette incertitude, il y a une incertitude à cause du Brexit, je dois, avec le gouvernement, faire tout pour qu’il n’y ait pas de conséquence, pour qu’il y ait la moindre incertitude sur notre propre pays.

David PUJADAS : Alors comment ?

LE PRESIDENT : Comment ? Cela veut dire que, par exemple, sur l’emploi j’ai mis en place un dispositif pour l’embauche PME, et vous en voyez les résultats, 500 000. J’ai fait en sorte que nous puissions faire moins d’économies budgétaires qu’il était prévu, parce qu’il y avait des charges supplémentaires…

David PUJADAS : On va en parler.

LE PRESIDENT : On y reviendra.

Gilles BOULEAU : On en parlera dans un instant.

LE PRESIDENT : Parce que j’estimais que nous devions baisser le déficit public, il le sera, mais en même temps nous donner plus de marge pour l’emploi, pour l’éducation, pour l’action économique, et faire en sorte que nous puissions, avec nos partenaires européens -et ce sera l’initiative que je vais préparer avec notamment la chancelière MERKEL- relancer l’investissement à l’échelle de l’Europe.

Donc, je suis effectivement conscient que cela va mieux en France, mais que cela peut se dégrader si nous ne faisons rien. Alors j’agis.

Gilles BOULEAU : Concernant l’économie française, trois chiffres importants. A quelques milliers près il n’y a jamais eu autant de chômage en France qu’aujourd’hui, jamais les Français n’ont payé autant d’impôts…

LE PRESIDENT : Non, ce n’est pas vrai.

Gilles BOULEAU : Ce sont les statistiques de l’Europe qui nous disent que le taux d’impôt, de taxes et de prélèvements, 44,7%, est un record d’Europe. Nous sommes les premiers, on vient de dépasser le Danemark, et jamais la France n’a été aussi endettée. Est-ce que « on va mieux » veut dire « nous avions 40 de fièvre et nous avons aujourd’hui 39.5 ? »

LE PRESIDENT : J’ai hérité d’un pays qui avait effectivement 40 de fièvre, et on se posait même la question de savoir s’il ne fallait pas l’hospitaliser, en urgence.

Gilles BOULEAU : Et vous disiez « au bout de 4 ans il aurait 37. »

LE PRESIDENT : 37, c’est la température normale, si je puis dire. Donc, qu’est-ce qu’il y avait ? La dette publique, vous m’en parlez, avait augmenté de 600 milliards d’euros. 600 milliards d’euros… Elle était passée de 60 % à 90 % de la richesse nationale.

Gilles BOULEAU : Mais c’était la plus grande crise économique depuis 1929.

LE PRESIDENT : C’était la plus grande crise, mais la crise, vous croyez qu’elle s’est terminée le jour où je suis arrivé ?

Gilles BOULEAU : Mais la dette a augmenté.

LE PRESIDENT : Elle a augmenté de 90 % à 95 %. Faites la différence entre 60 et 90, et 90 et 95.
Les impôts ; le niveau le plus important de prélèvements a été en 2013, puisqu’il fallait assumer les conséquences d’une dégradation des comptes publics, ce que j’ai fait, et il fallait le faire. Je l’ai fait dans l’intérêt du pays, mais depuis nous avons diminué les impôts. Les impôts des entreprises, cela ne vous a pas échappé, puisqu’il y a le Pacte de responsabilité, - cela m’a été suffisamment critiqué par certains, 40 milliards, mais on va continuer…

Gilles BOULEAU : Vous allez continuer sur cette voie, oui.

LE PRESIDENT : Les impôts des entreprises, pourquoi ? Parce que c’est de l’emploi pour les Français. Avec le gouvernement, de Manuel VALLS -je l’avais commencé avant, mais c’est le gouvernement de Manuel VALLS- j’ai baissé les prélèvements des ménages.
Prenez l’exemple de cette année. Cette année nous allons faire une baisse d’impôts, pour l’été, qui va représenter de 200 à 300 euros pour les célibataires, 500 euros pour les ménages, 8 millions de foyers fiscaux sont concernés. 8 millions.

Gilles BOULEAU : Les moins imposés aujourd’hui, les classes moyennes ?

LE PRESIDENT : Moyennes. Vous savez, vous auriez pu me donner ce chiffre, parce qu’il est intéressant, c’est que jamais il y a eu aussi peu de Français qui paient l’impôt sur le revenu.

Gilles BOULEAU : Est-ce une bonne nouvelle ?

LE PRESIDENT : Pour ceux qui ne le paient pas oui, je peux vous l’assurer.

Gilles BOULEAU : Pour l’économie globale du pays, le fait que seuls 45 % des Français, des ménages français, paient l’impôt, n’est-ce pas dangereux, n’est-ce pas faire reposer sur une toute petite population le fardeau de l’impôt ?

LE PRESIDENT : Mais les autres paient l’impôt, d’une autre façon, comme tout le monde d’ailleurs. La TVA, la contribution sociale généralisée, les cotisations sociales… Mais j’ai fait en sorte que ce soit justement les classes moyennes qui puissent avoir, ce que j’appelle le dividende, c'est-à-dire ce que l’on a pu obtenir par le redressement.

David PUJADAS : Mais pour que ce soit clair, pour 2017, il y aura une nouvelle baisse d’impôts pour les ménages ? Vous aviez dit, « si la croissance le permet on le fera. » Combien et pour qui ?

LE PRESIDENT : Je le redis, si nous pouvons avoir cette perspective de croissance de 1,7 % l’année prochaine…

David PUJADAS : Il n’y a toujours pas de certitude ?

LE PRESIDENT : Il n’y a pas de certitude. Là nous sommes le 14 juillet, ce serait commode pour moi - nous sommes à quelques mois d’une élection présidentielle - de dire « voilà, je vais ici vous faire une promesse ». Non. Je ne ferai de baisse d’impôt pour l’année prochaine que si nous avons la certitude d’avoir une croissance supérieure encore à celle de cette année.

Gilles BOULEAU : A la lumière de quel indice ?

LE PRESIDENT : Nous le saurons en septembre. C’est vrai que ce que nous aurons pu faire pour régler la question du Brexit aura des conséquences sur l’économie française et donc sur la possibilité de distribuer sous forme de baisse d’impôts supplémentaire en 2017.

David PUJADAS : Le chômage, oui cela va mieux. Mais il ne reviendra pas, on le sait maintenant, à son niveau de 2012. Est-ce que vous n’avez pas perdu votre fameux pari d’inverser la courbe qui conditionne votre avenir.

LE PRESIDENT : J’avais demandé aux Français du temps pour arriver à remettre l’économie sur ses pieds et notamment sur les pieds de la compétitivité. Parce que si nous ne sommes pas compétitifs nous ne pouvons pas créer d’emplois.

David PUJADAS : Mais là on parle de l’engagement sur le chômage.

LE PRESIDENT : J’en parle. Donc pour créer des emplois il fallait redonner des marges aux entreprises et il fallait aussi stimuler l’emploi, ce que nous avons fait dans ce que l’on appelle les emplois aidés, les contrats pour les jeunes. Il fallait faire l’ensemble.
Nous aurons une inversion de la courbe du chômage, mais c’est vrai que le chômage reste à un niveau élevé.

Gilles BOULEAU : Quand votre quinquennat se terminera il y aura vraisemblablement 600 000 chômeurs de plus en France.

LE PRESIDENT : Oui. Je pourrais dire sous le quinquennat précédent il y en avait eu un million, mais cela n’excuse rien.

David PUJADAS : Et vous dites « on est sûr, on aura à ce stade, je considère que l’on aura une inversion… »

LE PRESIDENT : Nous aurons une baisse du chômage à la fin de l’année, mais un chômage qui restera encore trop élevé. Cela veut dire qu’il va falloir continuer la politique que j’ai engagée. Il va falloir la poursuivre, parce que si nous remettons en cause tout ce que nous avons pu acquérir durant ce quinquennat, en l’occurrence ces quatre premières années, nous aurons à ce moment-là de nouveau les déficits, de nouveau l’absence de compétitivité ; et pire pour les Français.
Il y aura des mises en cause si j’ai bien compris, de ceux qui veulent se présenter au scrutin en 2017 : remettre en cause le droit à la retraite, remettre en cause le contrat de travail, remettre en cause le SMIC, remettre en cause le droit du travail. Et on pense que c’est avec ces solutions-là que l’on va diminuer le chômage ?

David PUJADAS : Mais ce que l’on comprend c’est que vous considérez que votre pari, celui que vous aviez fait, est d’ores et déjà gagné. Ou qu’il sera gagné avant la fin de l’année. Vous avez dit « on aura une inversion ».

LE PRESIDENT : Non. Ce que je pense c’est que les choix que j’ai faits étaient les bons. Ce que je pense c’est que la stratégie que j’ai donnée au pays améliorait la situation des entreprises : ne rien faire qui puisse altérer le modèle social, ne pas prendre sur les droits des salariés, tout en permettant aux entreprises d’investir. Oui c’était le bon cap et je pense qu’il faut le suivre.

Gilles BOULEAU : Vous parliez à l’instant de la modification du code du Travail que promettent les candidats de droite, vous avez décidé de modifier le code du Travail – c’est la loi EL KHOMRI qui a été adoptée dans la douleur à l’Assemblée nationale. Pour que cette loi entre dans les faits, il faut je crois rédiger 127 décrets d’application tout de suite, ou presque tout de suite. Est-ce que ce sera possible ? Et donc pour poser la question simplement cette loi sera-t-elle un jour appliquée ?

LE PRESIDENT : D’abord pourquoi une loi Travail ? Beaucoup de Français se sont posé cette question ….

Gilles BOULEAU : Violemment parfois.

LE PRESIDENT : Oui, y compris ceux qui l’ont contestée. Pourquoi là au bout de quatre ans faire une loi de plus sur le droit du travail, sur les accords d’entreprise….

Gilles BOULEAU : Sachant que cela ne figurait aucunement dans vos 60 engagements.

LE PRESIDENT : Si, ce qui figurait dans mes 60 engagements…

Gilles BOULEAU : Il n’y avait pas « je modifierai le code du travail ».

LE PRESIDENT : Il y avait « je vais favoriser le dialogue social et la négociation collective dans notre pays ». J’y reviens.
La loi c’est quoi ? Je vais prendre trois exemples. Pour un salarié, cette loi Travail cela va changer quoi pour lui ? Il va avoir, dès que les décrets d’application seront pris….

Gilles BOULEAU : Parce qu’ils vont être pris ?

LE PRESIDENT : Parce qu’ils vont l’être immédiatement. Il va avoir un compte personnel d’activité à lui, qui va lui appartenir, où tous ses droits à la formation pourront être cumulés, pourront être sauvegardés, même s’il change d’entreprise ; pourront même être améliorés tout au long de sa vie professionnelle. Grâce à cela, quand il voudra une promotion, quand il voudra un changement d’emploi, quand il voudra une amélioration de sa situation, il pourra utiliser ce capital. Voilà un droit supplémentaire, à lui, ce n’est pas un droit que l’on va chercher dans un guichet, c’est un droit qui lui est personnel.

Je prends un autre exemple. L’entreprise, l’entrepreneur, qui aujourd'hui hésite à embaucher, il se dit « on me dit que cela va mieux, mais est-ce que cela va durer, et puis il y a encore le Brexit, est-ce que je prends le risque d’embaucher ? » La loi fixe très clairement les règles pour le licenciement, donc c’est connu.

David PUJADAS : Elle les précise un peu plus.

LE PRESIDENT : Elle les précise, évitant tout malentendu, tout contentieux. L’entrepreneur, la PME, peut donc décider, non plus de prendre un intérimaire, ou un contrat à durée déterminée, mais d’embaucher avec un contrat à durée indéterminée. C’est mieux pour l’entreprise, c’est mieux pour le salarié.

Troisième exemple, le jeune, celui qui a peut-être chanté « La Marseillaise », qui était là en blanc, en bleu ou en rouge…

Gilles BOULEAU : Et qui était peut-être…

LE PRESIDENT : Et qui est peut-être en recherche d’emploi.

Gilles BOULEAU : Et qui était peut-être dans les manifestations il y a 1 mois.

LE PRESIDENT : Mais alors ?

Gilles BOULEAU : Statistiquement il l’était sans doute.

LE PRESIDENT : Et alors. Heureusement qu’il va s’intéresser à son propre avenir, ce n’est pas moi qui vais aller le blâmer, parce que quand on est jeune on a envie quand même, d’avoir un espoir dans les années qui viennent. Donc, ce jeune, qui n’a ni formation, ni emploi, on va lui apporter la Garantie jeunes. 150 000 vont être concernés. Alors oui, il faut prendre les décrets d’application rapidement, parce que c’est une loi qui va être utile.

J’en termine, parce que cela a été le point le plus difficile de compréhension, je crois, peut-être de malentendus, les accords d’entreprise. Une entreprise, fait face à une situation, bonne, moins bonne, elle veut signer un accord avec des syndicats. Ce n’est pas possible aujourd'hui. Il y a des règles qui s’imposent, la branche, etc. Nous, on va permettre, avec cette loi, et c’est ce que j’ai voulu dans le dialogue social, qu’il puisse y avoir des accords sur le temps de travail, sur l’organisation du travail, sur les conditions de travail qui permettent de donner un mieux à l’entreprise, qui va lui permettre de créer des emplois, et un mieux pour le salarié.

Un exemple, PEUGEOT, 14 juillet 2012, nous n’étions pas ensemble, c’était d’autres journalistes. La seule question qui m’était posée c’était PEUGEOT, qui venait de supprimer, ou qui annonçait supprimer 8 000 emplois, 8 000 emplois. J’arrivais, je n’étais responsable aucunement de cette situation, 8 000 emplois, et des fermetures de sites. Aujourd'hui, PEUGEOT vient de se redresser, va signer un accord de groupe qui va permettre de créer
1 000 CDI, 1 000 contrats à durée indéterminée.

David PUJADAS : Monsieur le Président, à quel prix cette loi ? Votre autorité n’a-t-elle pas été terriblement entamée par cette loi, des manifestations à répétition avec des violences que l’on n’a pas pu éviter, une majorité fracturée, est-ce que, au final, vous n’en n’avez pas durement souffert ?

LE PRESIDENT : Vous savez, agir ce n’est pas se protéger. Peut-être la meilleure façon pour n’encourir aucune impopularité et aucune manifestation…

David PUJADAS : Agir sur une loi qui avait déjà été revue, et dont la portée a été nettement baissée par rapport à la première version.

LE PRESIDENT : peut-être, pour ne pas être impopulaire, ou pour ne pas encourir de manifestation, mieux vaut ne rien faire. Telle n’est pas ma conception de l’action. Alors peut-être y a-t-il eu une mauvaise présentation initiale, j’en conviens, mais ce que je pensais c’est que cette loi allait être bonne pour le pays, et conforme à mes valeurs, je dis bien conforme à mes valeurs.

Je suis un homme de gauche, j’ai toujours eu cet engagement. Je me souviens que, en 36, le Front populaire, -on va en fêter l’anniversaire-, la grande loi c’était les conventions collectives, et donc je m’inscris dans cette démarche-là, parce qu’il va y avoir des accords d’entreprise, avec des syndicats qui vont voir leur place renforcée, puisque c’est eux qui vont négocier dans les entreprises. Il faudra qu’ils représentent la majorité des salariés.

Gilles BOULEAU : Mais Monsieur le Président, quel échec de pédagogie, parce que vous nous…

LE PRESIDENT : C’est toujours difficile…

Gilles BOULEAU : Les bienfaits d’une loi, contre laquelle, apparemment, 70 % des Français sont vent debout, et qui a paralysé la France pendant 4 mois.

LE PRESIDENT : Mais qui n’a pas paralysé la France au sens où…

Gilles BOULEAU : Les centrales nucléaires, les centrales thermiques, les usines de retraitement, la Tour Eiffel...

LE PRESIDENT : Mais enfin, vous avez eu le sentiment que…

Gilles BOULEAU : Mais des millions de banlieusards n’ont pas pu prendre le train pendant des semaines entières.

LE PRESIDENT : Pour d’autres raisons que la loi Travail.

Gilles BOULEAU : Officiellement pour la loi Travail.

LE PRESIDENT : Non, c’était le conflit à la SNCF. Mais, Monsieur BOULEAU, cela voudrait dire que, parce qu’il y a des grèves, cela peut arriver ; elles n’ont pas mis en cause le fonctionnement du pays ; des manifestations ; qui n’ont rien, d’ailleurs, à voir avec les violences qui s’y sont produites, ce ne sont pas les syndicats qui les ont organisées, ils en ont même été victimes ; donc il faudrait que l’on dise on arrête, on ne fait rien, parce que l’on s’est peut-être mal expliqué, que l’on a été mal compris, alors on retire. Mais, qu’est-ce que signifierait la responsabilité politique, et la mienne ?

Moi je préfère, quand je vais terminer mon mandat, pouvoir dire que j’ai fait avancer sur un sujet essentiel, le travail, sur un sujet majeur, l’emploi, la vie de mon pays, plutôt que de simplement satisfaire à la passivité et l’immobilisme.

David PUJADAS : Vous aviez pris un autre engagement, il y a 2 ans, celui d’une baisse des dépenses publiques de 50 milliards sur 3 ans. Aujourd'hui vous renoncez à cet engagement, les dépenses publiques repartent à la hausse…

LE PRESIDENT : Non, non, non…

David PUJADAS : Il n’y aura pas les 50 milliards, c’est remis à plus tard.

LE PRESIDENT : Non.

David PUJADAS : Est-ce que la France peut se le permettre parce qu’elle a fait suffisamment d’efforts, ou bien c’est parce que l’on est en année préélectorale et qu’il faut distribuer ?

LE PRESIDENT : On ne fera pas 50 milliards d’économies, c’était sur plusieurs années…

Gilles BOULEAU : Vous vous y étiez engagé solennellement.

LE PRESIDENT : Absolument, on en fera 46. 46.

Gilles BOULEAU : Sur 4 000 milliards de dépenses.

LE PRESIDENT : On fera 46 milliards. Pourquoi ai-je fait cette entorse…

David PUJADAS : Inflexion.

LE PRESIDENT : Inflexion ? Parce qu’il s’est produit les attentats du 13 novembre, d’abord. Je suis allé, au lendemain de ces attentats, faire un discours au Congrès à Versailles, et je me suis engagé, premièrement, à cesser toute diminution d’effectifs dans les armées, cela a un coût. Je me suis engagé, ensuite, à augmenter le budget des armées, 600 millions d’euros. Je me suis engagé à augmenter les effectifs de police et de gendarmerie, ce n’était pas prévu, je l’ai fait, cela représente 600 millions d’euros. Je me suis engagé, aussi, à faire en sorte que nous puissions équiper nos forces, c’était nécessaire. Qui va me faire le reproche de ne pas avoir, de ce point de vue, pris mes responsabilités ? J’y arrive.

David PUJADAS : Les réponses elles ne sont pas seulement là, Monsieur le Président.

LE PRESIDENT : Attendez, elles ne sont pas seulement là, je vais continuer. L’agriculture : il s’est trouvé qu’il y a une crise agricole - sans doute l’une des plus graves que l’on ait traversée. Cela nous a conduit à faire 1,5 milliard de dépenses en plus pour l’agriculture. J’aurais dit aux agriculteurs, « écoutez, ce n’est pas le moment, ce n’est pas la saison, je ne peux pas » ? Non.

David PUJADAS : Et les fonctionnaires.

LE PRESIDENT : Et les fonctionnaires, qui n’avaient pas été augmentés depuis 6 ans.

Gilles BOULEAU : Et le monde de la culture, et les jeunes. La Cour des comptes chiffre à 10 milliards d’euros ces dépenses, elles ne seront payées qu’en 2017-2018, peut-être par vous, peut-être par votre successeur. 10 milliards d’euros, c’est la Cour des comptes qui le dit.

LE PRESIDENT : Ce que moi j’aurai fait c’est que, non seulement j’aurai répondu aux exigences de la période, j’aurai fait 46 milliards d’économies quand mes prédécesseurs n’en n’avaient pas fait, et j’aurai fait diminuer le déficit public conformément à l’engagement que j’ai pris devant nos partenaires européens et devant les Français.

David PUJADAS : Pas votre engagement initial, devant les Français, c’était zéro en 2017.

LE PRESIDENT : Non, non, mais c’était de faire moins de 3 %. J’ai, quand je suis arrivé aux responsabilités, hérité d’une situation où il y avait 5,2 % de la richesse nationale qui était en déficit budgétaire. Donc, je vais laisser une situation où il y aura moins de déficit, où il y aura moins d’impôts, où il y aura des économies qui auront été faites…

David PUJADAS : Pas moins d’impôts.

LE PRESIDENT : Si, moins d’impôts, moins d’impôts pour les Français, moins d’impôts pour les entreprises.

David PUJADAS : Pas par rapport à 2012.

LE PRESIDENT : Si, par rapport à 2012. Si, si, absolument. Par rapport aux entreprises, et par rapport aux ménages. Et donc, j’aurai permis, à notre pays, d’être dans une meilleure situation en 2017, plutôt qu’en 2012.

Gilles BOULEAU : Monsieur le Président, avant de vous interroger sur l’état d’urgence, sur la menace terroriste, je voudrais vous poser une question que vous allez peut-être trouver futile, ou anecdotique. Le premier sujet de conversation depuis 48 heures des Français, sur les réseaux sociaux, c’est le coiffeur de l’Elysée. Trouvez-vous normal que les contribuables paient pour les frais de coiffure du chef de l’Etat ?

LE PRESIDENT : J’ai vu ça.

David PUJADAS : Qu’ils payent aussi cher.

LE PRESIDENT : Je vais vous donner…

Gilles BOULEAU : 10 000 euros par mois, 9 950 euros par mois.

LE PRESIDENT : Non, mais je peux là aussi entendre ce que cela peut représenter. J’ai fait diminuer le budget de l’Elysée, qui était de 109 millions en 2012, à 100 millions. J’ai supprimé 10 % des effectifs de l’Elysée. Pour ce qui concerne les frais de coiffure, comme vous dites, il y avait des prestations extérieures jusqu’à présent, j’ai préféré que ce soit assuré d’ici. Le budget de l’Elysée a baissé, les effectifs ont baissé, mon salaire a baissé de 30 %, et on viendrait me chercher sur un sujet, dont je ne suis pas d’ailleurs le premier responsable, mais qu’importe…

Gilles BOULEAU : Vous comprenez la déconnexion entre les responsables politiques et les Français.

LE PRESIDENT : Mais bien sûr. Je suis le premier des responsables politiques. Je suis suffisamment conscient pour avoir, dès que je suis arrivé ici, diminué mon salaire – je ne veux pas parler de ce qui s’était passé avant – j’ai diminué mon salaire, j’ai diminué les effectifs de cette maison, et j’ai diminué le budget de 109 millions à 100 millions d’euros. Alors, on peut me faire tous les reproches sauf celui-là.

David PUJADAS : Alors l’Europe. Situation nouvelle, le Brexit. On entend tout le monde et vous le dites aussi, il faut relancer l’Europe, il faut montrer que l’on a entendu le message des Européens, pas seulement le Brexit mais le scepticisme, la défiance généralisée qui monte en Europe, et on entend beaucoup d’intention, mais concrètement que va-t-il se passer alors qu’on le voit bien l’Europe est fracturée ne serait-ce qu’entre l’Europe de l’ouest et l’Europe centrale.

LE PRESIDENT : D’abord il y a une décision que les Britanniques ont prise. C’est de sortir. C’est leur choix, cela doit être maintenant la décision.

David PUJADAS : Cela on l’a compris.

LE PRESIDENT : Oui mais il faut donc que la Première ministre, Theresa MAY dépose cette notification indispensable pour la négociation. Réduire l’incertitude. Je lui ai encore dit.

Gilles BOULEAU : Et elle compte prendre son temps.

LE PRESIDENT : Je lui ai encore dit au téléphone. C’était notre premier contact, et avec toute la courtoisie nécessaire, en la félicitant pour sa désignation, je lui ai dit « voilà, vous avez fait un choix, vous le confirmez, vous nommez même celui qui a été le partisan de la sortie du Royaume-Uni, de l’Europe, monsieur JOHNSON, ministre des Affaires étrangères…

David PUJADAS : Vous le regrettez ?

LE PRESIDENT : Non, mais c’est son choix là aussi, on ne va pas faire aussi la composition du gouvernement britannique, vous me demandez déjà de faire…..

Gilles BOULEAU : La vôtre.

LE PRESIDENT : … du gouvernement français, c’est bien légitime, enfin là non. Donc, c’est leur choix mais je ne veux pas que cela ait des conséquences.

David PUJADAS : Mais quelle initiative concrètement, parce que ce mot d’initiative européenne on l’a beaucoup entendu…

LE PRESIDENT : Alors cela est très important parce que c’est l’avenir de l’Europe qui se décide. Si l’Europe est paralysée parce que l’on a un Royaume-Uni qui ne dépose pas sa demande, qui fait des négociations… Il faut être clair, le Royaume-Uni ne peut pas avoir dehors ce qu’il avait dedans. C’est fini. Quand vous n’y êtes plus, vous n’avez plus les avantages de la situation. L’Europe. J’ai proposé une nouvelle impulsion. Pour moi l’essentiel c’est la protection des Européens. Pourquoi l’Europe suscite cette défiance ? C‘est parce qu’elle ne protège pas. Elle ne protège pas ses frontières ; elle ne protège pas suffisamment par rapport à la menace terroriste; elle ne protège pas par rapport à ce que sont les mouvements de circulation de certaines personnes ; et parce qu’elle ne protège pas les salariés non plus ; et ne protège pas forcément les entreprises par rapport à certaines négociations commerciales. La première initiative que j’ai prise c’est une initiative pour la défense, la protection et la sécurité. Et ce que je vais demander à nos partenaires c’est que nous puissions dégager un budget où les dépenses supplémentaires de l’Europe sur cette question de la protection.

Ce n’est pas la France qui fera le plus d’efforts, la France fait plus que son devoir en matière de Défense et de Sécurité. Et l’Allemagne vient de décider - c’est un point très important - vient de décider de s’engager davantage pour la Défense.

David PUJADAS : Pour sa Défense.

LE PRESIDENT : Pour la nôtre puisque nous sommes alliés et que nous ferons ensemble. Y compris pour une projection extérieure. Ce qui compte, on ne va faire une armée européenne, on va faire des armées nationales qui auront des objectifs communs. Y compris pour des interventions extérieures.

Deuxième initiative, c’est l’investissement et l’emploi ; et la jeunesse qui, forcément, attend de l’Europe -on l’a bien vu- les jeunes Britanniques, c’étaient eux qui voulaient rester dans l’Union européenne. Donc ce que l’on doit faire : c’est que ce qu’a été le plan Juncker, ces investissements qui ont été faits, on doit les doubler dans les cinq prochaines années, pour qu’il y ait davantage de soutien de l’activité, de l’emploi, et notamment pour les jeunes.

La troisième initiative, c’est que la zone euro -qui est vraiment notre patrimoine, la monnaie que nous avons- c’est que nous puissions avoir un budget de la zone euro, un gouvernement de la zone euro, le ministre des Finances de la zone euro, et cette capacité, là-encore, pour faire des investissements. Et ce qui a manqué le plus à l’Europe –et il faut en être conscient– c’est le contrôle démocratique. Et là-aussi, je ferai des propositions pour que les parlements nationaux soient davantage associés, et les citoyens aussi. Il faut qu’il y ait de grands débats sur l’Europe.

Gilles BOULEAU : Vous dites qu’un ancien président de la Commission européenne, José Manuel BARROSO par exemple, qui se fait embaucher par GOLDMAN SACHS dix-huit mois plus tard ou deux ans plus tard, ce n’est plus possible ?

LE PRESIDENT : Ça, cela ne relève pas de l’Europe ! Cela relève de…

Gilles BOULEAU : Cela relève des intérêts… des autorisations…

LE PRESIDENT : Cela relève de la morale !

Gilles BOULEAU : Ce qu’il fait est totalement légal…

LE PRESIDENT : Bien sûr ! Mais je ne vous parle pas de légalité. Je vous parle de morale.

Gilles BOULEAU : mais pourquoi ne pas changer cela ? Pourquoi l’Europe s’occupe-t-elle des pommeaux de douche, du fromage de chèvre et pas de cela ? Là, c’est l’éthique, c’est la morale, c’est le comportement des élus !

LE PRESIDENT : L’éthique, la morale, ce n’est pas lié à une institution ! C’est lié à la personne. Monsieur BARROSO a été président pendant dix ans. Ce n’est pas moi qui l’ai choisi, monsieur BARROSO - certains se reconnaîtront dans ce choix. Monsieur BARROSO a été pendant dix ans, à la tête de la Commission européenne, au moment où il y a eu cette crise provoquée parce que l’on appelle les « Subprimes », dont GOLDMAN SACHS était un des établissements « phare », si je puis dire. GOLDMAN SACHS que l’on retrouve dans l’affaire grecque, puisque c’est GOLDMAN SACHS qui conseillait les Grecs et qui maquillait les chiffres que la Grèce, il y a quelques années, avait donnés à l’Union européenne. Et on apprend, quelques années plus tard, que monsieur BARROSO va rejoindre GOLDMAN SACHS. Juridiquement, c’est possible, mais moralement, cela touche la personne, c’est moralement inacceptable.

David PUJADAS : La lutte contre le terrorisme, Gilles…

Gilles BOULEAU : Je voudrais que l’on aborde précisément cette menace. L’état d’urgence va prendre fin le 26 juillet. Est-ce que vous le confirmez ?

LE PRESIDENT : Oui.

Gilles BOULEAU : Est-ce qu’il va être éventuellement prorogé le 15 septembre ? Autrement dit, le fait qu’il n’y ait plus d’état d’urgence dans quelques jours signifie-t-il que la menace terroriste est moins importante qu’il y a quinze jours ou qu’aujourd’hui ?

LE PRESIDENT : Non. Qu’est-ce qui a justifié l’état d’urgence, que j’ai pris dans cette maison même, ici à l’Élysée, dans la nuit du 13 au 14 ? Les attentats, 130 morts ! Et la crainte qu’il puisse y avoir des répliques. D’une certaine façon, il y a eu des répliques, que nous avons déjouées ! Et il y a eu ce qui s’est produit aussi à Bruxelles. Cet état d’urgence, j’ai considéré qu’il fallait le prolonger jusqu’au moment où nous puissions être sûrs que la loi pouvait nous donner des moyens nous permettant de prévenir la menace terroriste avec efficacité. J’ai donc, avec le gouvernement et le Parlement, qui d’ailleurs a voté à une très large majorité, presqu’à l’unanimité, une loi qui va nous donner des instruments d’action, qui sont, non pas comparables à l’état d’urgence, mais qui nous donnent des moyens de contrôle administratif de certains individus. Je veux donc dire très clairement aux Français que l’on ne peut pas prolonger l’état d’urgence éternellement ! Cela n’aurait aucun sens ! Cela voudrait dire que nous ne serions plus une République avec un droit qui pourrait s’appliquer en toutes circonstances. L’état d’urgence, cela fait partie des situations exceptionnelles ; là, nous avons une loi qui nous donne les garanties pour l’action contre le terrorisme. Est-ce que la menace est là ? Oui, elle est là.

David PUJADAS : La même ?... Aussi forte.

LE PRESIDENT : La même parce que nous avons le même adversaire. Cet adversaire est en Syrie et en Irak, et il a ses prolongements, ici, en Europe. L’adversaire, c’est l’islamiste fondamentaliste, c’est le fanatisme. Cet adversaire peut utiliser des individus qui n’ont quelquefois même pas de lien avec la Syrie et l’Irak ; il y a encore quelques semaines, ce couple de policiers égorgés. On voit qu’il y a des ramifications, mais ce n’est pas un réseau. Donc il nous faut faire preuve, à la fois, d’une très grande fermeté par rapport aux actions que nous conduisons en Irak et en Syrie, et j’ai annoncé que nous allions renforcer l’appui que nous apportons aux Irakiens pour la prise de Mossoul.

David PUJADAS : Ce n’est pas une intervention au sol des Forces françaises…

LE PRESIDENT : Ce n’est pas une intervention au sol, mais il y aura des conseillers militaires français présents. C’est une décision suffisamment grave pour que je demande au Premier ministre, au ministre de la Défense, et au ministre des Affaires étrangères d’informer les commissions parlementaires. Parce que je considère que nous devons frapper, et frapper fort, au moment où Daech, le groupe de l’Etat islamique, commence à fléchir et à se retirer. Ensuite, il y a ce que nous devons faire ici.

David PUJADAS : Vigipirate sera allégé ?

LE PRESIDENT : Vigipirate sera maintenu au niveau maximum. Les militaires, qui étaient 10 000 à l’occasion de l’Euro… Nous n’avons pas parlé de l’Euro mais cela a été une réussite en termes de sécurité, en termes d’organisation. Tous ceux qui nous avaient dit « il ne faut pas faire les Fan Zone », il y en avait même qui nous disaient qu’il ne fallait même pas faire l’Euro ; comme ils nous disaient d’annuler la COP21 au mois de décembre parce qu’il y avait eu les attentats au mois de novembre. Cela n’aurait pas été la France ! La France n’aurait pas été à la hauteur ! Vous voyez le Président de la République française en train de dire « J’annule la COP21 », il n’y aurait pas eu l’accord. Et « j’annule les Fan zones, et j’annule l’Euro 2016 », quel que soit le parcours de l’Équipe de France que je ne pouvais pas connaître ! Cela n’avait pas de sens.

Mais le dispositif va être allégé. On n’est plus dans la préparation d’une compétition, ou l’organisation d’une compétition, jusqu’au Tour de France, qui va s’achever – donc nous aurons le même dispositif ; ensuite, cela va tomber, pour l’opération Sentinelle, à
10 000 soldats aujourd'hui, 7 000 ensuite. Mais les effectifs de policiers et de gendarmes seront maintenus ; et les dispositifs de Renseignement renforcés.

David PUJADAS : Il nous reste quelques minutes ; je voudrais que l’on parle de politique. On a bien compris que vous n’annonceriez pas votre décision sur 2017 avant le mois de décembre. Mais quels seraient, d’après vous, pour le futur candidat de la gauche social-démocrate, les axes d’une campagne, les axes d’un dessein pour la France ?

LE PRESIDENT : L’idée majeure, celle qui m’anime, mais qui pourrait justifier d’aller devant les Français -que je n’ai pas pris comme décision- c’est de faire en sorte que notre pays puisse être maître de son destin, qu’il y ait la cohésion, cohésion nationale –on voit qu’elle est menacée- cohésion sociale.

David PUJADAS : Elle est même ébréchée !

LE PRESIDENT : Cohésion sociale, et j’allais dire, cohésion culturelle. Parce que nous avons besoin d’être rassemblés.

David PUJADAS : C’est-à-dire ?

LE PRESIDENT : C'est-à-dire : aujourd’hui qu’est-ce qui nous menace ? La société est violente. La mondialisation est dure. La compétition est également particulièrement brûlante. Donc qu’est-ce qui nous menace ? Je regarde les propositions qui sont faites, face à la gauche, propositions de dislocation républicaine, de séparation, d’opposition des Français entre eux, autour d’une identité crispée…

David PUJADAS : Vous parlez du Front national…

LE PRESIDENT : Le Front national, vous l’avez reconnu… Que ce qui arrive en Grande-Bretagne puisse être la situation en France ? Que l’on quitte l’Union européenne ? Que l’on abandonne la monnaie unique ? Que l’on soit forcément enfermé dans des barrières, dans des barbelés ?

Gilles BOULEAU : Le Front national qui n’a jamais été aussi élevé depuis que vous êtes au pouvoir, monsieur le Président.

LE PRESIDENT : Oui, parce que vous voyez ce qui se passe en Europe. Cela ne vous a pas échappé ! Ce qui se passe en Grande-Bretagne, ce qui se passe aux États-Unis, avec la candidature de TRUMP, avec ce qui se passe en Autriche et avec ce qui se passe en Suisse…

Gilles BOULEAU : Et vous ne sentez pas plus responsable de la montée du Front national que de Donald TRUMP…

LE PRESIDENT : Mais si ! Mais je me sens…

Gilles BOULEAU : Les 6,8 millions d’électeurs du Front national aux élections régionales n’avaient pas Donald TRUMP en ligne de mire ! Ils se sont dit : « Je suis contre, violemment contre la politique de l’actuel gouvernement, et je n’en veux pas ! ». Vous ne vous dites pas « j’ai oublié de leur dire quelque chose. Je n’ai pas su parler à ces sept millions-là »…

LE PRESIDENT : Mais c’est à ces électeurs-là que je dois m’adresser, précisément, comme à d’autres, comme à tous, pour leur dire qu’ils font fausse route et que nous devons garder notre cohésion ! Que la France est un grand pays ! Qu’ils en soient fiers !

David PUJADAS : Mais vous n’avez pas réussi à leur parler …

Gilles BOULEAU : Vous n’êtes pas entendu …

David PUJADAS : Ou agir pour qu’ils comprennent que cela n’était pas selon vous la bonne route ?

LE PRESIDENT : Nous ne sommes pas dans un temps de campagne électorale. Nous sommes dans un temps d’action.

Gilles BOULEAU : Quoique …

LE PRESIDENT : Non, nous ne sommes pas dans un temps de campagne électorale, je viens de terminer la quatrième année, le mandat, c’est cinq ans.

David PUJADAS : Mais dans l’action …

LE PRESIDENT : Dans l’action, je dois m’adresser à eux pour leur dire que leur avenir, ce n’est pas une France rabougrie, ce n’est pas une France qui va se séparer de tous les autres.

David PUJADAS : Vous ne les avez pas convaincus là-dessus pendant quatre ans ? Par votre action ?

LE PRESIDENT : Pas encore et je ne désespère pas de les convaincre. Puis, il y a d’autres électeurs qui aujourd’hui se disent : est-ce que l’on ne devrait pas aller vers une alternance ? Retourner vers ce qui a été pendant dix ans l’action menée à la tête de notre pays avec, à ce moment-là un autre risque qui est le risque de la dislocation sociale, de la diminution des droits, de l’abandon d’un certain nombre de protections, retraite, droit du travail, SMIC ? Je vois même que l’on veut remettre en cause le temps de travail, abandonner les 35 heures ! Donc ce que je veux expliquer aux Français, c’est que bien sûr, il y a des impatiences, il y a des critiques, il y a des incompréhensions et elles portent sur ma personne. C’est forcé, je suis Président de la République, je ne vais pas me défausser sur les autres. Mais en même temps, il y aura, à un moment, nous verrons à quel moment et qui l’incarnera cette nécessité de faire que la France puisse avancer, être un grand pays et ne pas se remettre à abandonner ce qu’elle a été à travers son modèle social que nous avons construit ou, pire, à abandonner son modèle républicain.

Gilles BOULEAU : Vous semblez nous dire « il nous faut à moi, François HOLLANDE, cinq ans de plus pour expliquer cela encore plus clairement aux Français ? »

LE PRESIDENT : Non, il nous faut encore neuf mois qui me séparent la fin de mon mandat et je ne vais pas essayer de dire « vous savez, ce que je n’ai pas pu faire, je le ferai la fois suivante. » Non ! Mais l’idée de la cohésion, de la Maison France que je dois protéger parce que je dois protéger la Maison France, la Maison France, elle est fragile, elle peut à tout moment non pas se lézarder mais se séparer.

David PUJADAS : Monsieur le Président, est-ce que ce candidat devrait refaire une campagne un peu comme celle que vous avez menée en 2012, c’est-à-dire invoquer la finance ou les inégalités qui, c’est vrai, existent bien comme les principaux facteurs d’un malaise et finalement minimiser les difficultés ? Parce qu’au fond, cette campagne de 2012, c’est elle, est-ce que c’est l’analyse que vous en faites, ce n’est pas elle qui a largement hypothéqué votre mandat ?

LE PRESIDENT : Non, la finance …

David PUJADAS : Vous ne la regrettez pas ?

LE PRESIDENT : …vous pensez qu’elle a disparu ?

David PUJADAS : La compétitivité, elle était à peine mentionnée …

LE PRESIDENT : Ce n’est pas vrai.

David PUJADAS : Quasiment pas.

LE PRESIDENT : Dans le discours du Bourget, le fameux discours du Bourget où je m’en prends à la finance comme étant effectivement l’adversaire invisible -et on voit bien qu’il a quand même quelques capacités-, y compris d’aller prendre le Président de la Commission européenne ou l’ancien Président dans ses filets, la finance, elle est là, elle pèse, il faut la dominer, il faut la maitriser, ce que nous avons fait d’ailleurs pendant plusieurs années. Quant à la compétitivité, j’avais dit, d’abord redresser pour redistribuer. Mais je ferai une campagne par rapport à la situation si j’avais à la faire.

David PUJADAS : Mais votre mandat n’a pas été en décalage avec votre campagne ?

LE PRESIDENT : Non.

Gilles BOULEAU : « Je me fais élire à gauche toute et je gouverne au centre ».

LE PRESIDENT : Ce n’est pas vrai. Je ne me suis pas fait élire à gauche toute, je vous rappelle …

Gilles BOULEAU : Mais vos électeurs qui sont dans la rue …

LE PRESIDENT : J’ai fait une primaire au sein du Parti socialiste, je n’étais pas regardé comme celui qui faisait la campagne la plus incantatoire.

Gilles BOULEAU : La dernière impression qui reste c’est des impôts à 75% pour les riches et la détestation de la finance pour les électeurs de gauche qui aujourd’hui se disent « je me sens trahi par François HOLLANDE » !

LE PRESIDENT : Ce n’est pas vrai. Ils peuvent se sentir parfois floués mais sur les réductions des inégalités, -aujourd’hui, vous m’en faisiez la remarque- qui paye le plus d’impôts ? Qui a fait que l’on a plus de redistribution aujourd’hui qu’hier ? C’est le gouvernement ou les gouvernements que j’ai moi-même dirigés. Donc à partir de là, ce qui compte, c’est non pas de regarder simplement les paroles qui sont prononcées dans une campagne en 2012 que j’assume parce que j’avais dit devant les Français très clairement que si on ne se redressait pas, on ne pourrait pas redistribuer et je ne vais pas m’excuser par rapport à une situation internationale. C’est trop simple ! Je l’ai connue, j’ai eu des épreuves terribles, la crise, la Grèce, les banques, et puis bien sûr les attentats mais cela, je dois l’assumer.

Ce que je pense, c’est que l’enjeu de 2017, c’est un enjeu beaucoup plus important que celui de 2012. En 2012, il fallait que le pays se redresse. En 2017, il va falloir que le pays tienne debout, se lève et puisse parler au monde parce que ce qui est en cause en ce moment, en ce moment même dans le monde, je parle du monde occidental en dehors de tout ce que l’on sait des menaces terroristes, des guerres et de tout ce qui peut altérer notre vie, ce qui nous menace, c’est une atteinte grave à la démocratie. C’est la démocratie elle-même. Regardez la montée des populismes, partout. Alors, moi, je ne me laisserai pas dominer par, ni la peur, ni par l’utilisation de ce que la menace extérieure peut faire. Je ferai en sorte que notre pays puisse avoir confiance en lui-même parce que la France, -j’en ai fait pendant ces quatre ans la vérification- la France, elle est forte et elle doit être consciente de sa force. Et moi, c’est pour cela que j’ai confiance en la France.

David PUJADAS : Dernière question peut-être Gilles ?

Gilles BOULEAU : Je crains que nous n’ayons pas beaucoup de temps à moins que vous ne puissiez répondre très rapidement. Fort de votre expérience quels conseils donneriez-vous au futur Président de la République, celui qui sera choisi par les Français en 2017 ? Deux mots de conseil !

LE PRESIDENT : Oui. D’abord, je dirais de bien prendre conscience que le temps est court, cinq ans, c’est très court et ce qui est engagé au début va avoir des conséquences à la fin, parfois très longtemps après la décision.

Ce que je lui dirais aussi, c’est qu’il y a des décisions qu’il faut prendre dans l’urgence, très lourdes pour notre pays : engager les armées, prendre l’état d’urgence et qu’il doit prendre conscience que la France est un très grand pays, que la France est forte mais que l’Histoire est tragique. Qu’être Président de la République, c’est être confronté à la mort, c’est être confronté à la tragédie, c’est être confronté aux drames et si l’on n’est pas préparé et parfois on pense que la vie est tellement simple qu’il suffit d’être élu pour que tout s’arrange. Si l’on n’est pas préparé à la fois à la gravité, à la responsabilité, alors, on n’est pas à la hauteur du grand pays qu’est la France !

David PUJADAS : Merci Monsieur le Président d’avoir répondu à nos questions et bonne fête nationale !

LE PRESIDENT : Merci à vous et bonne fête à tous les Français.

David PUJADAS : Merci Gilles !

Gilles BOULEAU : Merci !

David PUJADAS : Merci à vous !

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