11 Septembre 2011
Que reste-t-il du 11-Septembre ?
Ce que je crois avoir aussitôt réfléchi et qu’ont confirmé
tous les événements depuis dix ans. Ce
qu’ajoutent aujourd’hui les événements de 2011.
Sur le moment et ensuite, il m’a semblé qu’une attitude
compassionnelle des amis et des alliés de l’Amérique n’aiderait pas à
comprendre les causes de l’attentat, ni à pénétrer ce qui fut une joie
revancharde dans beaucoup de pays arabes et/ou musulman, ni à distinguer ce qui
est de perpétration terroriste d’une profonde frustration éprouvée par une
grande partie des habitants de notre planète et à notre époque face à une
hégémonie qui a des aspects certainement pacifiants, mais qui en d’autres
belligènes, et qui au total de facilite pas l’organisation du monde
contemporain. La France
a donné le signal du « compassionnel » puisque Jacques Chirac, à
l’époque président de la
République, fut le premier à arriver à New-York et eut les
honneurs d’un survol de « ground zero » dans l’hélicoptère de George
Bush junior.
Il m’est très vite apparu qu’était trouvée ou enfin
trouvée la justification du resserrement d’une Alliance que la dissolution du
pacte de Varsovie au printemps de 1991 aurait dû frapper d’obsolescence. Le
11-Septembre prouvait l’existence, la véracité, la puissance de cet ennemi de
rechange très vite identifié sinon fabriqué (Oussama Ben Laden sinon les
talibans eux-mêmes, trouvaille américaine contre l’occupation soviétique en
Afghanistan) et la révision de l’article 5 du traité de 1949 assimilant le terrorisme
à un acte de guerre contre l’un quelconque des alliés. Non seulement,
l’Alliance maintenue, mais son champ et son mode d’emploi étendu comme jamais
les négociateurs – laborieux – du traité de Washington ne l’avait jamais
imaginé : extension géographique au monde entier par une guerre de l’ombre
et des « services », mode d’emploi déjà admis par le traité d’Union
européenne à Maastricht et confirmé par la résolution ad hoc des Nations Unies.
L’OTAN outil militaire de l’Union euroépenne, ainsi maintenue vassale, outil
militaire de l’organisation mondiale donnant donc aux Etats-Unis le
commandement de toute opération de « maintien de la paix ». Cette
posture déjà obtenue en Corée en 1950, non sollicitée au Vietnam en 1963,
demandée et manquée en 2002-2003 à propos de l’Irak.
Conséquences qui ne se prévoyaient pas aussitôt.
Une séparation thématique du monde dans ses relations
internationales, une « compartimentation » désastreuse pour une
réelle progression vers un ordre équitable et efficace. D’un côté, des systèmes
d’intervention militaire : Afghanistan, Irak, Libye avec des exercices
adjacents plus ou moins couverts par les Nations Unies ou par la
« communauté internationale », les crises du Darfour, de Côte
d’Ivoire. Ces systèmes et ces opérations réactualisent le concept et les
appellations d’ « Occident », d’ « Occidentaux »
– malheureusement, car c’est conflictuel à terme, et c’est très simpliste, donc
un empêchement à la réflexion et à la novation stratégique en politique et en
diplomatie. De l’autre, l’avancée d’une mondialisation transférant l’économie
réelle hors de cet « Occident », soumettant l’économie des pays de ce
groupe (Européens et Américains, mais pas le Japon, l’OECE avant l’OCDE) à la
« financiarisation » et donc à la spéculation, et « en
interne » créant un nouvceau type d’hommes, de carrières et de
réussite : l’individualisme de la feuille de paye, la cooptation des
parvenus. Cela fait deux mondes, d’un côté en gros les satellites des
Etats-Unis dans la guerre froide, augmentés des anciens satellites européens de
l’Union soviétique, de l’autre Chine et Russie, exclus pendant une quinzaine
d’années d’une réelle participation à la réorganisation du monde après la chute
de l’Union Soviétique et le drame de Tien An Men, mais revenus aujourd’hui à la
puissance et à une maturité qui communie peu aux valeurs démocratiques.
Le concept de liberté est devenu dramatiquement
ambivalent, puisque ses pratiquants nient son application au social et au
politique : droit de l’homme, droit à l’emploi et au logement, contrôles
démocratiques de l’exécutif, et que ne le développent que dans le domaine
économique, les échanges, la licence pas seulement d’entreprendre, mais de
frauder et spéculer. L’enjeu démocratique est sans doute de faire participer
l’immense masse des exploités et des victimes, seule capable de départager
l’antagonisme qui apparaît entre les deux blocs, l’ « Occident »
et les « émergents ».
En ce sens, la diabolisation de l’Islam, de l’immigration,
de l’autre – résultant thématiquement du 11-septembre – a été efficace à courte
vue pour relayer la menace soviétique et donc conserver un manichéisme et
surtout une hégémonie et une fascination américaines qui ne se justifiaient
plus depuis déjà dix ans, quand les « twin towers » ont été abattues.
Elle a contribué à ce qui était – malheureusement – latent : le manque de
conscience européenne, probablement par crainte d’une surpuissance allemande à
la chute de l’Union soviétique, la tendance de beaucoup en Europe à s’expatrier
mentalement vers un modèle américain pourtant en crise. Le thème cultivé, grâce
au 11-septembre, a donc aveuglé Américains et Européens, a fait négliger
Russie, Chine et ceux qu’on allait ensuite appeler les « émergents »,
et a donc suscité pour l’avenir de nouveaux foyers conflictuels.
L’année 2011 est probablement fille de 2001 en ce qu’elle
est aussi aveugle que celle-ci. L’économie et la finance mondiale sont
détraquées, pas du tout par la faillite de quelques Etats perdant toute
crédibilité pour rembourser leur endettement public, mais parce que les
règles-mêmes de la mondialisation sont spéculatives, tuent l’économie réelle et
de proche en proche gangrènent les Etats. L’avertissement de l’automne de 2008
n’a pas été entendu. La monnaie unique (l’euro.), à peu près contemporaine du
11-septembre, n’a pas été gérée. Les principales économies de l’Union
européenne n’ont pas respecté le pacte de stabilité dès 2003 – année de
l’opération américaine en Irak. 2011 tire le trait de l’addition. 2001 avait
permis de camoufler que personne n’ait tiré parti de la fin de la guerre froide
et de la chute des systèmes soviétiques. 2011 et 2001 se ressembleent en ce que
nous traitons résolument ce qui est hors sujet.
La mondialisation – toujours pas mise en question et qui
ne porte que sur les échanges matériels ou financiers, mais pas sur la liberté
de circulation des idées ni des personnes et encore moins sur une
universalisation vérifiée des droits de l’homme – n’apporte toujours pas une
capacité ni d’organiser la planète en commun, ni d’assumer ensemble les grandes
circonstances politiques ou dramatiques. Le « printemps arabe », la
catastrophe de Fukushima, quelles que soient les réunions et les discours, sont
aussi mal assumés pratiquement que la crise boursière et le fiasco des systèmes
bancaires.
2011 appelle une mûe : le patriotisme européen,
l’organisation démocratique de la planète, le retour partout à une économie
concrète et à des solidarités actives entre les personnes et les peuples. 2001
appelle mais ne crée pas : manifestement, les révoltes arabes n’ont pas
encore abouti à ce que la décolonisation, en légitimant par le nationalisme des
régimes de fait autoritaires, n’a pas fait naître ; manifestement, faillites
de banques, d’Etats et même de l’euro.
(outil manqué de la réorganisation monétaire internationale attentue depuis
1971 : dénonciation des accords de Bretton Woods) n’inspirent pas encore
une nouvelle construction, ni même un début de nouvelles pratiques.
Le rythme décennal : 1989-1992, l’Europe ; 2001,
l’Amérique ; 2011, le monde arabe (printemps divers et exécution sommaire
de Ben Laden) et la finance, va-t-il se précipiter ? Déjà, 2011 inaugure
la pluralité des urgences. Aucun de ces trois crûs n’a provoqué ni de
novation : émergence d’une nouvelle conscience universelle, ni de
personnalités charismatiques. A l’ampleur des nécessités ne répond que la
médiocrité des dirigeants et des systèmes les secrétant ou les faisant tolérer.
Après le patriotisme européen manqué, le nationalisme américain exacerbé, ce
qui serait à suivre : implosion financière, explosion sociale ?
BFF
. 11 IX 11
Cf. « ennemi indéterminé » - 14.22 Septembre
2001
« menace
asymétrique » - 30 Septembre.22 Décembre 2001 . 6 Janvier 2002
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