vendredi 13 septembre 2013

le mal-être précédent ... 2005



Réflexions sur la situation française et le malaise des Français




Depuis 1981, une novation s’est accomplie dans la dialectique politique française et le fonctionnement des institutions : aucune majorité sortante de l’Assemblée nationale n’a été reconduite, que ce soit au terme normal d’une législature ou à la suite d’une dissolution. La France vit donc selon un rythme quinquennal et chaque législature est appelée à se démarquer de la précédente et des gouvernements qui étaient précédemment soutenus. Il en résulte que même si la prérogative du Président de la République semble inentamable, quels que soient les scrutins intervenant au cours de son mandat, l’action gouvernementale est doublement conditionnée : son horizon dans le temps est de cinq ans, sa référence est la gestion, par hypothèse inadéquate, du gouvernement précédent.

En regard, les questions à résoudre sont toutes fondamentales, aussi bien dans l’agenda des gouvernants que dans la conscience des gouvernés. Soit qu’elles se posent objectivement et en termes contraignants (financement des retraites et de la sécurité sociale, par exemple), soit qu’elles soient pensées comme urgentes et  de fond (réforme de l’école, problèmes du financement de la recherche, violence péri-urbaine, par exemple), ces questions sont d’autant plus difficiles à énoncer et à résoudre qu’elles sont affectées d’un fort coefficient philosophique : c’est toujours d’un changement de société qu’il s’agit, d’une rupture avec un passé où les structures faisaient l’objet d’un consensus (le modèle français) sans qu’un modèle alternatif soit en tant que tel et globalement proposé. Ainsi, va-t-on de ravaudements en ravaudements, aucune réforme n’étant décisive, même son intitulé est audacieux et le plus souvent les remèdes apportées aux quadratures de cercle sont insuffisantes en sorte que la question est appelée à se reposer, que ceux qui voient en cause les acquis sont mécontents, mais qui ceux qui voulaient une mûe le sont aussi. Si les questions sont fondamentales – de fait ou dans la conscience des gouvernants comme des gouvernés – leur traitement suppose un consensus et la durée. La durée n’est que quinquennale, telles qu’elles sont exposées les questions et les réformes appellent des clivages et des camps, ceux du refus en fait résigné, ceux d’un réalisme prétendu ; les campagnes électorales se font sur le thème du changement de cours et d’une reprise des réformes opérées sous la législature qui s’achève. Ainsi, la politique est affaire de polémique, les gestions et les plans de réforme sont difficilement discutés tant sont puissants les a-priori. L’œuvre fondatrice est donc difficile.

La communication gouvernementale ne convainc pas, les chantiers sont abandonnés en cours ou ne sont pas poussés au bout de leur plan initial. L’ensemble donne la sensation d’être parcellaire et manque de perspective. En regard, la société n’est plus gouvernée, elle n’est pas pour autant libre, ses structures sont devenues fragiles. Les deux thèmes majeurs d’un mandat présidentiel et de la législature en cours sont la décentralisation et l’équilibre des comptes publics, mais le contexte vêcu par le grand nombre est le chômage dont il apparaît depuis plusieurs années et à chaque reprise économique qu’il ne dépend pas que du rythme de la croissance. Le décalage est donc entre une obsession citoyenne pour l’emploi, et partant pour la prise en considération du facteur travail et un souci de la dignité humaine qui ne soit pas qu’un discours, et une démarche gouvernementale qui répond à côté. La décentralisation est perçue comme une défausse de l’Etat et non comme une réorganisation du service public ; elle n’est pas vêcue en termes d’extension du camp de la démocratie. L’équilibre des comptes est d’autant moins compris qu’il ne correspond à une baisse significative des charges et de la fiscalité mais qu’il accompagne un amenuisement du service public et une baisse de la protection sociale. C’est en tout cas la projection d’un système laissant les individus nus devant les circonstances et les évolutions, sans recours électoral ni politique, qui prévaut et qui inquiète donc. L’attente générale serait que l’Etat et le gouvernement enrayent ces abandons et répondent de l’avenir ; la réponse d’Etat et de gouvernement n’est nullement l’invention de nouvelles structures, elle est l’abandon de celles qui existent. C’est cette déception-même qui fait censurer chaque majorité sortante depuis 1981.Le gouvernement de Lionel Jospin n’a pas eu un discours réformateur, sauf à propos du temps de travail, il a paru subir, comme tous les gouvernés, le cours du temps et il a ajourné les décisions difficiles. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a un discours positif et dont une bonne part pourrait être entraînant si les décisions imposées au corps social étaient de véritables remèdes faisant conclure qu’une question est traitée (décentralisation, sécurité sociale, retraites notamment). Pour opposés qu’ils puissent sembler, les deux gouvernements successifs de la droite et de la gauche se sont trouvés en face d’un fort consensus hostile sur des sujets éminemment d’avenir : l’éducation et la recherche. Consensuels, marqués d’urgence, significatifs de la capacité décisionnelle pour maintenir la France à un certain rang et en bonne espérance de son futur, ces sujets sont pis que traités de façon partisane ; ils heurtent ou déçoivent ceux qui sont concernés, directement (réforme du baccalauréat, personnels dans l’éducation, crédits de la recherche) ; ils ne peuvent donc être aboutis.

Les lignes de conduite gouvernementales pourraient être le suivantes :

   les questions et sujets à traiter par priorité devraient obéir à un agenda dont les gouvernants n’auraient pas le monopole. Comment en France se discernent les questions faisant l’objet du gouvernement ? selon les circonstances quand celles-ci sont catastrophiques, selon les pétitions sociales et de la rue. Le résultat est une proposition de réponse dans l’urgence et un retard dans la prise de conscience par le gouvernement d’un problème qui se pose. Les citoyens et les administrés souffrent doublement de ce qui n’est pas traité, selon le bon sens ou le besoin qu’ils en ont, et de ce qui est traité, qui paraît détruire des acquis ou des habitudes sans remplacer. Aucun consensus ne peut naître, tant pour l’énoncé d’un sujet que pour son traitement, si celui-ci n’est pas généralement ressenti comme une réforme nécessaire. Le referendum d’initiative populaire marquerait la confiance des gouvernants dans les gouvernés ; il permettrait de faire débattre non ce que discerne le gouvernement des urgences et des questions, mais bien ce que les citoyens jugent souhaitable et nécessaire.

          la façon de débattre est inadéquate, y compris à l’Assemblée nationale. Le régime est de contrainte, l’exercice du pouvoir n’est pas partagé, les majorités d’idées ne sont pas recherchées et le régime politique, tel qu’il est vêcu, rabaisse à la façon d’un rite sans incidence sur leur issue les discussions parlementaires et même celles entre les gouvernants et les partenaires sociaux. La comparaison peut se faire avec le fonctionnement des institutions européennes, au sein de laquelle l’effort tant des délégations nationales que des institutions communautaires est de recherche avec constance, et imagination, la matière du consensus. La clé étant la considération autant des intérêts spécifiques de chacun que de l’objectif d’intégration des Etats-membres. La même dialectique pourrait valoir en France sur tout sujet difficile et touchant aux structures de la société.

         la façon d’écoûter, celle des citoyens vis-à-vis des gouvernants, celle des gouvernants vis-à-vis des gouvernés, est défiante. On parle plus que l’on entend. La campagne qui va commencer à propos du traité instituant une Constitution européenne est marquée par la timidité et la banalité des argumentaires pour le oui. Le referendum sur le quinquennat a montré l’inaptitude des politiques à mobiliser, sur un sujet que pourtant ils croyaient consensuel. L’exemple du referendum corse indique au contraire qu’une campagne tranchée permet une décision fondatrice, même si en l’occurrence la décision pour le statu quo l’a emporté. Donner la parole ne vaut que peu si la réponse est redoutée ou si d’avance celui qui la reçoit croit qu’il ne sera pas écouté. La démocratie ne peut être formelle, pour qu’elle soit vivante il faut que les scrutins aient du poids. La déroute de la majorité parlementaire aux élections régionales et européennes de l’an dernier a évidemment été causée par un détournement du vote, devenu « sanction » au lieu de rester décisionnel. Deux scrutins seulement garde leur importance dans l’esprit des élections : l’élection du maire et celle du député. L’un des effets du premier tour des élections présidentielles de 2001 a été de minorer la décision du second tour qui a été réactive et non pas élective. Le résultat n’a pas été pris pour ce qu’il était : une constatation qu’une certaine manière en politique était rejetée ; cette réponse aurait pu être fondatrice de même que le déplorable record des abstentions à propos du quinquennat si la résolution avait été pour l’avenir de se comporter autrement en politique. En 2000 comme en 2002, les partis ont été mis en cause, à cause d’un consensus dans les esprits qu’ils ne sont pas parvenus à transformer en bulletins de vote. Le prochain referendum à propos de la Constitution européenne peut être le troisième scrutin du genre et répondra à côté de la question posée.

          le rythme quinquennal n’est pas exploité. Le plan pourrait valoir pour la durée d’une législature, les engagements budgétaires pourraient être décidées pour cette même période et en liaison explicite avec le mandat des députés. La campagne exprimerait dès lors des projets de plans et de budget. Les partis l’emportant sur la personne des candidats, parleraient moins flou et de manière polémique si leurs propositions aux citoyens avaient un cadre identique pour tous. L’INSEE, voire l’OFCE, par leur capacité scientifique et leur indépendance intellectuelle pourraient être mobilisés afin que les partis puissent au moment des campagnes électorales ou en réponse à des initiatives gouvernementales réunir la matière d’une alternative et la présenter d’une manière aussi cohérente, sinon plus, que le gouvernement en place. Se résoudrait alors la question de savoir ce qui est commun et sans alternative dans l’ensemble des projets qui se comparent, et ce qui donne lieu à option.

          il manque de grandes autorités morales dont ne peuvent tenir lieu des philosophes ou intellectuels plus en moins engagés en tant que tels et que les médias superficialisent. Les principaux partis manquent aussi de références et d’enracinement dans une histoire qui ait sa densité : la référence à de Gaulle a disparu du discours de l’UMP pourtant en partie héritière du fondateur de la Cinquième République ; la gauche est timide qui s’en tient à la défense et illustration du dernier gouvernement qu’elle ait eu, et ignore le legs de François Mitterand, que ce soit en échec ou en succès. Il n’y a donc de référence ni à des personnes ni à des œuvres, mais il existe des sages, des gens de réflexion ou d’expérience, chacune ayant leur vertu d’application et les gouvernants, plus encore que les citoyens, les sollicitent. L’ensemble ne produit pas pourtant de véritables repères pour l’évaluation par les gouvernés de l’ouvrage des gouvernants, et pour un discernement par les gouvernants du souhaitable et du possible. Le vrai recul, fondant une sérénité et permettant des projections dans le temps et selon les sujets, est donc très malaisé à prendre. Ni les grandes juridictions existantes (Conseil d’Etat, Cour de cassation, Cour de justice de la République, Haute Cour), ni des institutions particulières dans leur mission et dans leur composition (telles que le Conseil constitutionnel) ne peuvent être ces autorités, parce que les premières ont des missions autant de contentieux que de conseil ou ne siègent qu’ad hoc pour une cause et un procès particuliers et parce que les secondes ont un champ limité, celui des relations entre les pouvoirs publics. Sans doute, des jurisprudences se sont formées qui permettent par exemple à l’opposition parlementaire de tenter devant le Conseil constitutionnel ce qu’elle n’était pas en mesure numérique d’obtenir dans un hémicycle ; sans doute aussi des constructions des hautes juridictions administrative et judiciaire ont-elles force de loi, voire même valeur constitutionnelle (le statut pénal du Président de la République). Mais aucune décision, ni aucune célébrité ne confère une autorité morale telle que quelle que soit la question, pourvu qu’elle soit d’ordre public, gouvernants et gouvernés puissent s’y référer. La fonction présidentielle permet d’acquérir certains des éléments constitutifs de cette autorité, mais elle ne suffit pas, surtout si elle ne s’assortit pas d’un type de communication sacralisant son expression.

          la posture des gouvernants est à la fois en demande d’adhésion et de compréhension de la part des administrés, et en supériorité prétendue dans la conscience et la connaissance de ce qu’est le bien commun. Elle met les premiers en mauvaise condition médiatique et en manque constant d’espace et de rythme de communication. Les projets ne manquent pas d’être discutés mais le plus souvent ils sont trop personnalisés, même quand leurs initiateurs s’en défendent : le fait d’en répondre et de les expliquer eux-mêmes dévalue la réponse apportée à une interrogation posant le principe d’une réforme ; il dévalue également le gouvernant. La médiatisation des actions et prises de positions gouvernementales empêche paradoxalement les débats, tant les situations sont aussitôt binaires et figées. La progression sur un sujet par étapes et entre partenaires égaux en légitimité que sont les uns pour les autres les gouvernés et les gouvernants, n’est pas possible dès lors qu’en exhorde est posé le principe qu’il n’y a qu’une analyse de la situation à laquelle remédier et qu’un seul remède. Rien n’est situé dans l’ensemble des questions connexes ni en perspective de l’histoire nationale ni dans le contexte des directives et des consensus au niveau de l’Union européenne.

La reprise des structures de la démocratie est donc une tâche de gouvernement plus urgente que le traitement des problèmes qui accaparent les gouvernants. La démocratie locale au niveau des municipalités fonctionne, de façon satisfaisante à condition que la mise en cause de la responsabilité des élus ne les paralysent sur certains sujets et que les transferts de compétence soient assortis de transferts de ressources. Il en est abondamment débattu, les départements et les régions se faisant davantage entendre, d’autant qu’à ces deux derniers niveaux, l’opposition de gauche est en force. La démocratie sociale avait été fondée à la Libération sur des gestions tripartites et sur une grande considération pour le service public, selon une conception très extensive du fait des nationalisations. Elle ne fonctionne plus parce que le secteur public diminue d’année en année dans des conditions qui déplaisent à la majorité des citoyens, parce que le patronat souhaite une nouvelle fondation dans laquelle l’Etat prendrait davantage de responsabilités financières mais sans pour autant légiférer sur les sujets touchant la marche des entreprises. C’est un projet d’ensemble que le MEDEF est seul à présenter comme tel et à développer. Il n’y a pas en regard une analyse propositive ni des syndicats ni de l’Etat. Les réflexions sont conduites séparément sur la réforme de l’Etat et sur le service public. Chacun a des présupposés, l’Etat ne définit pas, par la bouche des gouvernants, ce qu’il doit demeurer, et qui n’est pas uniquement ni forcément régalien, et les syndicats pensent aux acquis. La sensation produite est d’une geste gouvernementale passant d’un projet à un autre, comme on gère une course d’obstacles ; l’attention de l’opinion est portée sur la confrontation entre partenaires sociaux entre eux et avec l’Etat et ses gouvernants, et non sur le contenu des réformes et l’analyse des situations qui les appelées.

Il manque enfin un diagnostic d’ensemble sur la situation française. Il est entendu que l’Europe est désormais le contexte dans lequel prendre les décisions engageant un avenir commun pour toutes les nations européennes, mais il n’est pas acquis que chacune des nations y trouve réponse à toutes ses problématiques particulières. Le principe de subsidiarité n’est pas une sauvegarde pour la compétence nationale, il est surtout l’aveu que tout ne peut être analysé, compris, vêcu au niveau européen, quand il s’agit de faire vivre des individus en communauté. L’urgence française est sans doute que la France demeure une des principales inspiratrices du cours européen, en tous domaines, mais elle suppose que soit réglé par nous le problème de notre identité et de nos adaptations.

Nous ne savons plus bien ce qui nous constitue ni qui nous sommes. Ce n’est pas affaire d’immigration ou d’intégration d’allogènes. La plupart des sujets de réforme des dix dernières années suppose connue la réponse à la question d’identité française ; comme elle n’est pas connue, des dispositifs encadrant la vie sociale, comme l’éducation, la prévoyance, la sécurité sont inréformables, si inadaptés qu’ils puissent paraître, parce que quittant un modèle, personne ne sait quel modèle édifier à la place. En ce sens, les défenseurs des acquis sociaux et les gouvernants tentant de réformer nos grands schémas de vie et de solidarité collectives devraient être, autant les uns que les autres, exonérés de tout procès d’intention. Ils sont à égalité d’ignorance des perspectives. Paradoxalement, le passé du modèle français n’a pas non plus été analysé tel qu’il avait été conçu, et plus encore tel qu’il a fonctionné pendant une cinquantaine d’années. Quelles en étaient les racines sociales et de quel legs de nos traditions immémoriales ou plus récentes provenait-il ? Longtemps, les réponses étaient historiques, le mouvement régionaliste depuis les années 1930 et qui a des résonnances d’Ancien régime et de constitution du pays par ajouts successifs de territoire, ne se confondant pas avec les politiques contemporaines de décentralisation et de déconcentration apporte une réponse géographique. Ces deux types de réflexion sur la France ne sont peut-être plus les pistes les plus pratiques pour qualifier les enjeux du présent et du proche avenir. Quelle voie s’ouvre alors : les tendances dans la société et dans la législation à la communautarisation, si critiquables qu’elles soient par rapport aux valeurs républicaines donnent peut-être une indication. Le débat entre jacobins et girondins est obsolète, il ne fait plus clivage entre plusieurs organisations publiques possibles du pays ni entre plusieurs analyses de notre histoire contemporaine : l’accord est fait sur la décentralisation et sur une évolution de la société davantage en termes de conflits et d’apaisements sociaux et en termes d’institutions politiques. Ce qui fait au contraire débat c’est la relation entre générations, entre cultures, entre territoires ; élucider ce dont nous sommes faits aujourd’hui en ne remontant au passé ou en ne recourant à la géographie qu’une fois faite l’analyse du présent doit nous conduire à des propositions d’intégration consensuelles. De là, sera possible la définition d’un nouveau modèle qui ne soit pas adaptation des gouvernés à un projet gouvernemental national ou européen, mais bien une réponse gouvernementale au besoin de cohésion et de cohérence des participants à la vie nationale. Aucune influence ou proposition au niveau européen ne peut se passer d’une assurance commençant chez soi à propos d’unité et de constitution nationales. Or, nous ne savons plus ce qui fait notre unité et nous ne discernons plus ce dont nous sommes fabriqués. Nous n’aurons pas valorisé et actualisé notre histoire et notre géographie, sans opérer une critique sociale, sans accepter (ou inventer) une autre lecture de l’ensemble de nos rapports avec nos voisins et plus largement avec l’ensemble des Etats-membres de l’Union européenne. Mais cette critique, cette actualisation, cette valorisation supposent un accord avec nous-mêmes.
La tâche gouvernementale est de provoquer l’énoncé de cette reprise de conscience de nous-mêmes. Tout projet de réforme fut-il excellent de finalité – c’est souvent le cas – et de contenu – ce l’est bien plus rarement, tant on agit à moitié pour satisfaire les uns et ne pas trop mécontenter les autres – est un empêchement de plus dans cet énoncé et cette conscience, chaque fois qu’il nous divise. Le gouvernement ne peut être seulement de gestion et de décision. Il doit catalyser les énergies, situer et résorber les conflits, il doit expliquer au pays ce que celui-ci est et doit être. Pour cela, il faut une autorité morale sinon de quelques personnes, du moins d’un certain collège ; cette autorité est ressentie de façon favorable si elle sait dire, autrement qu’en langue de bois contredite par les faits et les chiffres, une finalité de l’action gouvernementale, une finalité de la vie nationale et des mouvements sociaux. L’énergie gouvernementale doit opérer en profondeur dans l’opinion publique, susciter un esprit public au lieu de s’attacher à des réformes sectorielles qui souvent abîment la conscience nationale et incitent le civisme à la manifestation, à la pétition, à la protestation généralisée. Les réformes s’inscrivent dans un ensemble, elles sont ressenties comme nécessaires dans leur finalité, comme justes dans leur expression, sinon elles nuisent à l’unité nationale et à la cohésion qu’elles avaient pourtant comme but de renforcer. Quand un peuple pense dans sa majorité qu’il est gouverné contre ses vœux, à preuve telle ou telle réforme, tel abandon de structures qui avaient fait la preuve de leurs vertus, et que par ailleurs il se sent sans prises sur les gouvernants, quelque chose est proche qui n’est pas que désespérance et si la révolte n’éclate pas, c’est que le peuple souffre plus encore de son impuissance. Il faut ambitionner l’entente du gouvernement et des gouvernés. Ce qui est bien plus qu’une campagne électorale ou la bonne organisation d’une circonscription, et que n’épuise pas de bonnes prestations médiatiques. Il faut un retour.

                                     Bertrand Fessard de Foucault  13 II 05

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