Le 22 Septembre 2001
ennemi indéterminé
essai d’une réflexion
sur les attentats du mardi 11 Septembre 2001
et les suites à leur donner
La question est la moitié du savoir
adage arabo-musulman
Tout est duel,
à tous les sens du mot, c’est-à-dire apparemment matière à interrogations
binaires. La prise de parti est obligée :
. le fait-même
de l’attaque anonyme des Etats-Unis le 11 Septembre dernier est-il un événement
en soi ? ou son importance tient-il aux pertes humaines, dont le bilan
semble évolutif ? ou à ce qu’une image tutélaire est brisée autant dans
l’esprit de l’entité reflétée que dans le regard et bientôt les analyses des
tiers ?
. quel est le
plus signifiant, la solidarité compassionnelle affichée toute une première
semaine, ou l’enchaînement de crises que les attentats ont provoqué,
provoquent ou sont susceptibles de provoquer suivant les réponses données
et même suivant qu’il y a ou non réponse ou réplique : crise des
alliances, crise du droit applicable, crise boursière, récession économique,
crise sociale, fracture spirituelle entre plusieurs morales ?
. l’ensemble
des attentats et tentatives d’attentats du 11 est-il un fait brut (et brutal),
œuvre d’un fou ou d’une organisation folle, et donc, en tant que tel, non
susceptible d’interprêtation, ni même d’interrogation du genre comment cela
a-t-il été possible ? pourquoi cela a-t-il été commis ? ou bien
introduit-il, force-t-il à une réflexion sur le monde actuel ?
. l’absence de
revendication et l’indétermination de ce qui est évidemment inamical au suprême
degré isolent-elles la séquence d’événement ? sont-elles en rapport avec
les cibles choisies pour faire de celles-ci la véritable identification de ces
actions ?
. les
attentats du 11 font se rencontrer une victime et un agresseur dont la jonction
était hors du raisonnement commun, et sur le terrain le plus symbolique pour la
victime et pour les tiers. En cela, il n’y a de précédent, qu’en fiction,
notamment en jeux-vidéos. lesquels ont le même support que les images diffusées
des diverses catastrophes ; réalité ? fiction ? scenario
inspirant un crime ?
. au paroxysme
de la technique et des avancées scientifiques qui semblaient provoquer les
débats les plus âpres de notre époque (couche d’ozone et climats, génome humain
et clonage, pluralisme de la réalité depuis que sont apparus des univers, des
objets, des lieux virtuels donnant matière à économie et psychologie propres)
une action anonyme et de très simple exécution met bien davantage en cause le
fonctionnement mondial ;
. à la guerre
punitive « zéro mort » au bénéfice de celui qui la mène succède
imprévisiblement, mais non sans logique, une forme de réponse dont avaient été
incapables les Etats soumis à punition : l’agression à coût humain très
faible pour l’agression et à effet matériel et financier comparable à celui des
dernières guerres mondiales conventionnelles ;
. la fin, le
11, du sanctuaire, que constituait le territoire des Etats-Unis ouvre la
question des fondements de la fascination et de l’hégémonie exercées en tous
domaines par ceux-ci ;
. l’Union
européenne, placée devant le choix de conforter les institutions
internationales et les alliances existantes, les rapports de forces les
sous-tendant, pour la seconde fois depuis 1989 (fin du dogme de l’intangibilité
des options et du régime soviétiques, lequel fonder un duopole universel)
va-t-elle ouvertement souhaiter le maintien de la position centrale des
Etats-Unis, à la manière dont tout a été concerté pour éviter un krack boursier
à Wall Street le 17, et s’en remettre par avance aux décisions de représailles
ou de conduite de « guerre » prises à Washington sans concertation,
moyennant la sauvegarde rétrospective de quelques apparences comme pour les
guerres du Golfe et du Kosovo ;
. au modèle
culturel, financier, économique, scientifique américain qui engendrait une
dépendance du reste du monde succède la proposition d’un modèle de réaction
plus patriotique que civique, et à fortes consonnances piétites ; est-il
exportable ; ne va-t-il pas à l’encontre de ce qu’avait de contagieux le
modèle précédemment acquis qui était un modèle de réussite impériale ;
. le simplisme
du discours présidentiel américain montrant un recours à des schémas de
cohésion et de fierté nationales s’apparentant à celui des régimes
totalitaires : fascistes, communistes, fondamentalistes religieux,
contraste avec l’extrême précaution et les délais de préparation d’une éventuelle
riposte. Ce qui eût été universellement accepté dans les vingt-quatre ou
quarante-huit heures des attentats du 11 n’est plus faisable désormais sans
ménager des consultations, fournir des preuves, obtenir un aval des Nations
Unies ;
. la relation
habituelle gouvernants/gouvernés se fondait sur la foi des gouvernés dans les
capacités prévisionnelles et décisionnelles des gouvernants moyennant une
certaine intuition de la part de ceux-ci des mouvements de l’opinion générale
de ceux-là ; l’inattendu des attentats, la prise de conscience de
l’obsolescence ou de l’absence des mesures de précaution au cœur gégraphique et
politique des Etats-Unis, le discours compassionnel des dirigeants notamment
français et ne proposant aucune analyse ni des faits, ni des causes, ni des
conséquences dans le moment ont mis à égalité de matériau sur lequel réfléchir
les téléspectateurs et les gouvernants au plus haut niveau ;
. faut-il
considérer les attentats comme justiciables d’une appréciation, d’une riposte
et de mesures de sécurité pour l’avenir indépendamment de toute autre de
quelque ordre historique, juridique, moral, financier que ce soit ou doit-on
les regarder dans un ensemble de causes et de conséquences ?
. de même
qu’on avait tendu à considérer l’arme nucléaire comme une novation de tout
conflit à partir de 1945, le seuil atteint le 11 Septembre 2001 ouvre-t-il en
soi une nouvelle période de la polémologie ? durant laquelle toutes les
relations internationales, le système interne et relationnel des Etats et les
fonctionnements des sociétés devront être revus, généralement dans un sens
restreignant les libertés personnelles ou associatives et rehaussant au
contraire le primat étatique (HOBBES l’emportant sur LOCKE) ?
. la religion,
élément d’équilibre et de cohésion d’une société agressée et déplorative ?
ou référence suscitant une élite qu’elle référencerait pour une prise de parole
agressive au nom de majorités frustrées ou méprisées ? dans les deux cas,
les sociétés du XXIème siècle dépasseraient les clergés et les pratiques
cultuelles pour se réapproprier à titre public et collectif tous les
instruments du sacré. Ce qui était de l’ordre privé en « Occident »
redevient démonstratif, unanimitaire, ciment collectif, et ce qui, en
« Orient », était identité nationale et sociale aurait à se
nuancer d’une évaluation et d’une pratique appropriative, personnelle et intime
;
.
l’Etat-nation débordé par la mondialisation économique, financière et
techno-culturelle et amputé par les privatisations et les dérèglementations de
ses instruments d’arbitrage et d’intervention dans la vie économique et
sociale, retrouverait son rôle traditionnel du fait qu’aucune entreprise ne
fonctionnant que suivant le rendement de son activité ou de ses placements, ne
peut assumer à un tel niveau les frais de la sécurité ni les dommages-intérêts
à servir aux victimes autant qu’aux
groupes économiques, commerciaux et financiers sinistrés.
L’ensemble de
ces questions semble hétéroclite ; il paraît surtout peu soluble faute de
référents et faute d’autorité morale. L’absence de saisine des Nations Unies et
le silence du Vatican soulignent ces deux lacunes de ce qui n’est pas –
explicitement – débattu mais de ce qui sous-tend l’attentisme général.
Comme chaque
événement, quand il est aussitôt et unanimement reconnu pour important, et
qu’est ainsi introduite une nouvelle référence historiquet atoujours dans
l’Histoire de l’humanité, et par le retentissement même de celui-ci d’autant
plus grand qu’il est plus localisé dans le temps et dans la géographie, l’ensemble
des attentats du mardi 11 Septembre 2001 révèle
un état du monde. Il ne s’agit ici ni de la réalisation d’une prophétie ni
de la somme de probabilités déjà analysées, mais d’un matériau brut s’imposant
instantanément autant dans l’ordre de l’herméneutique que dans celui du
passionnel et de l’affectif. En ce sens aucune réponse ne peut lui être donné à
un niveau égal que celui auquel il place le plus simple des hommes ou des
enfants comme le plus avisé et réfléchi des analystes. D’un coup nous sont montrées
des dérives à enrayer et des brèches à colmater, dont le souci était peu
répandu faute qu’elles suscitent un sentiment de nécessité ou d’urgence. Autant
dans l’opinion que chez ceux qui censément conceptualisent et décident. On se
résigne à l’imparfait, à la confiscation mais l’imprévisible, surtout s’il est à l’évidence susceptible de se répéter
en tant qu’imprévisible, impose une mûe de la réflexion (ou enfin son
apparition désintéressée, parce que nulle pensée n’élucide son objet si par
avance elle s’est domestiquée dans les mimétismes, modèles, échelles de valeurs
et paramètres dont les sociétés humaines contemporaines ont été bardées,
aveuglées). Le politique peut y retrouver son domaine et sa noblesse propres,
ses outils et sa finalité.
*
* *
1° les relations
partenariales internationales et à l’intérieur des Etats sont modifiées,
et leurs structures sont donc appelées à changer
Le fait-même
des attentats, leur échelle, leur localisation, leur visée symbolique, le mode
de propagation de leur connaissance et de leur évaluation à travers le monde
ont placé à égalité de vulnérabilité physique et psychique les Etats, et pour
ce qui est des émotions, de la réflexion et de la réaction à égalité les
dirigeants et les dirigés. Il s’est instantanément, par le truchement des
medias, retrouvant la fonction de leur étymologie, établi un dialogue entre
chaque individu et un fait porté à la connaissance de tous les habitants de la
planète : l’homme de la rue, sur le coup, n’était pas moins intelligent ou
à même de comprendre ou de se sentir dépassé, que l’homme d’Etat le plus
entouré de conseils et de données. D’ailleurs, pour s’en tenir aux Etats-Unis
et à la France seulement, les dirigeants ne pouvaient s’exprimer dans une
langue compréhensible et acceptable que selon les émotions et les données du
commun. Sans le crible des sondages d’opinion, il a fallu aux dirigeants une
intuitive perception de cette opinion et des réflexes de masses sur le moment,
puis à mesure du déblai des dommages, puis de la question des ripostes et de la
sécurisation, enfin quand vient le moment d’analyser les causes de l’événement,
les conséquences des ripostes éventuelles, les modes d’éradication à terme de
la menace terroriste.
Les dirigeants
des pays proches des Etats-Unis par les alliances et l’économie commune depuis
soixante ans n’ont pas pu et ne pourront plus fonder la solitude ou ou le
secret de leurs délibérations et de leurs décisions sur une supériorité de leur
information à raison de leur fonction ou de leur capacité intellectuelle
propre. La prise au dépourvu a été générale. Il faut une circonstance plus
spectaculaire encore que tragique, assimilable visuellement et mentalement sans
commentaire, pour périmer une « gouvernance » des Etats, des entreprises,
des communautés humaines qui depuis la fin des guerres entre pays européens ou
entre pays développés et la maîtrise apparemment acquise des cycles et crises
économiques et financiers, étaient le monopole d’initiés et de cooptés :
régime des cabinets ministériels et de l’accession à la tête des groupes
privatisés en France, système interétatique du G 8 notamment. Technocratie et
mondialisation faisaient l’objet de critiques ou de manifestations hostiles
mais tenaient bon aussi bien dans l’imprévu politique (1989 puis 1991) que dans
la secousse financière (1987 et 1998). Sans doute, la France notamment faisait
l’expérience des problèmes sans solution à court terme : les banlieues
interdites, la violence dans les transports publics moins supportés et faisant
davantage scandale que les « licenciements boursiers » ou les
simplismes de stratégies de groupes abandonnant leurs métiers originels pour
investir dans des filons saturés par excessive grégarité de ces comportements
aux échelons national et international.
Derrière une
interprétation moderniste de la complexité apparente des agrégats économiques,
des processus de décision publics et privés était une réalité bien humaine : la libido personnelle des chefs
d’entreprises, la loi d’ouverture à la concurrence pour établir rapidement
l’oligopole entre personnes physiques autant qu’entre personnes morales. Un
empire très centralisé et simple s’était établi du consentement d’élites ne
s’ouvrant qu’à leurs « clones ». Les symboles de la puissance
politique, militaire et financière, parce qu’ils ont été atteints dans leurs
bâtiments et non dans la personne de leurs détenteurs provisoires (les
assassinats du P.D.G. de Renault ou du président du patronat allemand) ont
montré non seulement la vulnérabilité des Etats-Unis à l’instar de n’importe
quel Etat dans le monde et même davantage puisque le pouvoir est très concentré
géographiquement, mais le risque couru par l’ensemble des tenants du système
mondial : la tête, la centralisation, les référents, les valeurs sous-jacentes
sont en cause, donc les vassalités également.
Les dirigeants
des pays développés, à partir du moment où la substance interne des sociétés et
des économies sont physiquement en cause, ne peuvent plus décider pour une
collectivité que des opérations extérieures, sinon confortables, ne mobilisait
pas. La solidarité des premières heures et des premiers jours avec la
population américaine physiquement touchée a appelé, puis toléré les discours
les plus simplistes, les plus manichéens, les plus automatique des dirigeants
administrant des thérapies collectives ainsi que leur faire-valoir propre
(contestation rémannente de l’élection et de la capacité du président
américain, proximité de l’élection présidentielle en France) ; elle eût,
dans le monde entier, fait accepter dans les premières heures n’importe quelle
réaction militaire des Etats-Unis. Une semaine passée, l’opinion demande
comptes, consultations, preuves, analyses et perspectives. Parce que
contrairement à toutes les crises survenues antérieurement, et qui ne mettaient
en jeu apparemment que les Etats, les attentats ne suggèrent pas par eux-mêmes
un parallélisme, une symétrie dans la réponse. Les guerres se déclarent ou se
subissent, elles se préparent ou sont fuies, leur objectif est décalé dans le temps,
il n’est atteint que par un changement que consacre la durée (l’ocupation des
territoires occupés en Palestine, les partages de l’Allemagne ou de la Corée)
ou le consentement du vaincu (traité de paix ou armistice), tandis qu’un
attentat atteint son objectif dans l’instant même où il est perpétré. Il
n’appelle donc qu’une réciprocité, qui est celle du talion ou de la vengeance,
donc d’ordre passionnel ; cette réciprocité tend à assimiler la victime qui se venge à l’agresseur-même puisqu’à son tour
elle use des mêmes méthodes.
Dans un jeu de
logique qui peut être déploré par les manichéens ou par les nostalgiques des
puissances conventionnelles ou nucléaires, bien analogues aux puissances
d’argent qui ont, elles surtout, leurs moyens d’invasion et d’annihilation, les
Etats-Unis rentrent dans le lot commun et sont désarmés de chacun des avantages
qui concouraient à leur hégémonie, à la fascination exercée sur les entreprises
et sur les individus de beaucoup de pays dits riches ou développés. Combiner réussite et vulnérabilité expose au
risque démocratique. Le discours présudentiel américain de la semaine écoulé a
pu sembler un messianisme fascisant, peu présentable en tant que modèle à
reproduire par d’autres Etats dans leur propre manière de s’interprêter et de
se représenter à eux-mêmes. L’isolement
américain est stratégique et psychologique dès qu’apparaît l’opinion publique
mondiale.
Face aux Etats
totalitaires, aux guerres civiles ou mondiales de la première moitié du XXème
siècle, était apparue une première forme de mondialisation, très
universellement souhaitée : celle d’une conscience morale
universelle ; les internationales ouvrières et communistes, les églises
chrétiennes, surtout la catholique, les grandes idéologies souhaitaient cette
unicité, en leur sens, d’une manière mondiale telle qu’on puisse y faire appel
contre des violences ou des dérangements locaux. Quand à cette conscience qui
postulait un amenuisement des clivages nationaux : les tentatives de
citoyenneté du monde, succéda un tout autre concept, celui d’une communauté
internationale fondée de plus en plus sur la densité sinon la liberté des
échanges et des communications, on alla vers deux mondialisations
antagonistes : celle de l’économie et de la culture, d’une part, celle de
l’écologie d’autre part. Apparurent en même temps les institutions
internationales préfigurant des juridictions, des parlements ou des exécutifs
mondiaux, ainsi que des organisations non gouvernementales. A mesure que se
développent le droit pénal international, le devoir d’ingérence humanitaire,
les valeurs qui les produisent contestaient la construction d’un système
donnant prime à l’économie par consentement des Etats, seules institutions
susceptibles de démocratie. L’Etat acceptant de se dépouiller de ses prérogatives
nationales, consentait en fait à un dessaisissement pas tant en faveur des
entreprises de sa nationalité ou de l’ensemble du système mondial des
entreprises, mais en faveur de l’Etat où sont localisés les référents de ces
entreprises.
Ce dessaisissement
produisait aussi un transfert de modèle culturel, une centralisation et l’unicité à terme des critères
d’appréciation d’une réussite d’individu, d’entreprise, d’Etat ou de
communauté quelle qu’elle soit, et donc une échelle de pondération des valeurs
pour les personnes et pour les Etats. En retour, cette projection sur un centre
unique produit un réflexe de
reconstitution de ce centre, à tout prix et même si les rapports de force ou
les circonstances l’ayant suscité, n’existent plus ou sont modifiés.
L’Alliance atlantique confortée en 1989.1991 alors que son adversaire nominal
implose, le respect du primat de Moscou de la part de tous les Etats
« occidentaux » tel que les Républiques anciennement soviétiques
n’ont pu s’émanciper faute de réelle alternative à leur relation avec leur
ancienne métropole, et ces jours-ci le choix d’une solidarité d’abord
inconditionnelle, pas tant dans le malheur que dans l’acceptation d’une
riposte.
Antagoniste de
ce réflexe, qui est celui des dirigeants mais beaucoup moins celui des opinions
publiques, la prise de conscience que la consultation, qui ne soit pas que de
forme, est nécessaire. Les Etats-Unis ont fait voter leur Congrès, les
Allemands le Bundestag, le Premier Ministre s’est engagé à une consultation parlementaire.
Par force peuvent se retrouver une culture et des procédures démocratiques au
sein des Etats et entre les Etats. L’élection présidentielle américaine
récente, l’abstentionnisme record lors du dernier referendum organisé en France
et d’une manière générale l’expérience faite de ce que les élections changent
peut-être les acteurs mais pas les manières ni les orientations pour gouverner
sont du même ordre spirituel et sociologique que le poids des seules décisions
américaines.
Les organisations non gouvernementales se sont
imposées par défaut de réactions gouvernementales jugées adéquates par des
personnes n’ayant pas de statut gouvernemental, ni même – le plus souvent – à
l’époque de l’acte fondateur, une réelle notoriét. Quel qu’en soit le domaine,
elles sont apparues pour combler des lacunes dans la vie internationale tenant
à l’incompétence dans laquelle se sont déclarées les Etats ou à leur refus de
ce qui les mettrait en cause dans l’exercice des compétences qu’ils se
reconnaissent. Paradoxalement, autant en droit interne les associations sont
bienvenues et constituent fréquemment des alternatives ou des relais commodes
pour les politiques d’inspiration gouvernementale, autant en droit
international, les organisations non gouvernementales sont perçues comme des
dérangements, des risques d’avoir à répondre étatiquement de comportements
irresponsables dont on n’aurait eu ni l’initiative ni le contrôle. C’était le
débat sur la confusion en Albanie des missions humanitaires avec celles que
d’autorité s’attribuaient certaines des forces de l’O.T.A.N. La double pétition
d’une autonomie d’action et d’identité indépendamment des actions et décisions
d’Etat, et d’avoir cependant voix au chapitre dans les enceintes où se
concertent les Etats, n’est toujours pas acceptée. Des personnalités morales
apatrides, mondialistes au sens d’une unique citoyenneté du monde, constituent
des manières d’être et de faire trop en avance sur l’Etat-nation ou sur la
réunion d’Etats n’acceptant, à la rigueur, de partager leurs divers monopoles,
à commencer par celui d’écrire la loi internationale. Ces organisations, dont
les modes de fonctionnement et les référents sont divers, souhaitent toutes
participer à ce que concertent les Etats ; constituent-elles sur la scène
internationale le pendant de ce qu’est la société civile par rapport aux partis
politiques et aux syndicats sur la scène intérieure des Etats ? Leur
donner la parole et le droit de cité est-il une avancée démocratique,
puisqu’elles ne sont pas tenues à la même responsabilité que les Etats dans
leur comportement ? Le débat se tranche dans les faits ; ce sont
elles qui font valoir des points de vue dont sont incapables les Etats. Le
mardi 11 Septembre, c’est bien une organisation non gouvernementale qui prend
spectaculairement initiative et parole, et depuis ce sont bien les
organisations non gouvernementales qui donnent à des individus, isolés si elles
n’avaient pas existé, la possibilité (et la responsabilité) de témoigner en
faveur d’une population et d’un Etat a priori pris pour cible par la coalition
putative de tous les autres Etats censément solidaires des Etats-Unis.
L’émergence
des organisations non gouvernementales, bienfaitrices, intéressées ou
idéologiques (comme le sont les sectes et les diverses internationales quelles
que soient leurs fins), terroristes appellent en fait un système international
moins uniforme, davantage pluraliste que l’actuel : un droit pour leur
naissance, leur reconnaissance, leur patrimonialité d’une part, mais aussi pour
leur articulation avec le niveau ou la sphère des Etats, et enfin pour
d’éventuelles sanctions à des manquements ou à des nuisances. Il manque donc un
espace juridique englobant le droit international et les usages et règles
militaires et économiques actuels.
*
* *
2° les processus d’intégration,
d’assimilation et de décision atteignent leurs limites
Il est faux de
dire que « nous sommes tous Américains ». La pétition d’identité
affaiblit la déclaration de solidarité et ne repose pas sur les faits. Le discours
présidentiel américain ne peut être compris en dehors de son contexte national
américain, et ne l’a pas été. Ce discours a au contraire assimilé aux auteurs
des attentats du 11 toute organisation, tout pays, toute personne qui les
auraient abrités ou aidés. L’Allemagne et la Grande-Bretagne font l’objet
d’autant d’investigations américaines que le Pakistan et l’Afghanistan de mises
en demeure soit de servir d’intermédiaire et de base arrière, soit de livrer un
suspect explicitement identifié. Les compagnies aériennes non américaines ont
été pénalisées dans le calendrier de reprise des trafics aériens. Les
partenaires de l’Alliance atlantique ont été priés pour cette seule espèce de
mettre en œuvre l’article 5 du Pacte et selon l’interprêtation innovante de
1999, alors qu’il n’en avait pas été question pour des territoires en butte au
terrorisme ou à des actions équivalentes telles que la guerre d’Algérie pour la
France ou l’érection du mur de Berlin pour l’Allemagne ou même le conflit des
Malouines pour la Grande-Bretagne. La concertation pour qualifier juridiquement
les événements n’a pas introduit une concertation sur la nécessité ou pas d’une
réplique, ni sur la nature ou les objectifs de celle-ci ; alors que les
mesures pouvant constituer cette réplique ont été manifestement étudiées les 15
et 16, elles n’ont pas fait l’objet d’une communication aux alliés, même quand
ceux-ci viennent sur les lieux à leur plus haut niveau (la France les 18-19, la
Grande-Bretagne le 21). L’Alliance atlantique soumet les Alliés, elles ne les
fait pas participer à ce qui conduit à des décisions ou à des indécisions.
L’Union Européenne, censée s’être dotée d’une
identité de défense et de sécurité, n’a eu d’expression à ce niveau que le 19 ; ce n’est que le 17
qu’a été publié un calendrier de réunions aux niveaux de certains des ministres
techniquement concernés par le terrorisme, sa prévention et sa poursuite puis à
celui de ses Chefs d’Etat ou de gouvernement. Rien n’a paru publiquement d’une
concertation au moins téléphonique entre les Quinze, en tout cas il n’a pas été
jugé nécessaire ni par les Etats membres ni par Javier SOLANA d’en faire état
pour que l’Union, en tant que telle, apparaisse dans l’analyse et dans la
consultation. D’ailleurs à s’en tenir à l’expérience française, la semaine
écoulée a plus illustré une solidarité bilatérale voulue et exprimée dans le
sens France-Amérique, que par une solidarité entre Etats européens tant à
propos de la mise en cause de la plupart des composants de l’hégémonie américaine
que des risques que feraient courir au reste du monde, et notamment aux autres
Etats occidentaux des frappes américaines en Asie centrale. Or, et en sus de ce
à quoi elle paraît aboutir en Macédoine, l’Union peut se targuer, par une
répartition circonstancielle mais heureuse des rôles entre Etats-membres,
d’avancées décisives dans ce qui va pouvoir constituer une réponse commune aux
Etats-Unis et à l’Europe aux attentats du 11 : réponse de paix que
présagent l’ingéniosité belge à la conférence de Durban, le courage allemand
dans l’intermédiation entre Shimon PERES et Yasser ARAFAT, le voyage maintenant
du Président français outre-Atlantique. Ce qui apparaît est tout autre. La
relation anglo-américaine est privilégiée : donnant seul le sentiment d’être
informé de l’évolution de la pensée américaine, le Premier ministre britannique
parle de « notre riposte » devant un public français. Les Etats-Unis
ne font pas part des alternatives ou des ripostes qu’ils ont envisagées, ou sur
lesquelles ils travaillent. Penser tout
haut et avec plusieurs partenaires, si proches soient-ils, n’est pas possible
pour un pays qui joue sa crédibilité mondiale face au reste du monde. C’est
dire que la consultation est impossible et qu’elle n’aura pas lieu : il y
aura annonce, négociation, contrainte et figuration, ou bien, acceptant
implicitement que leur statut mondial a changé, les Etats-Unis cessant
d’envisager leur démonstration d’une force inentamée parleront de tout autre
chose : la prévention du terrorisme en droit, en finance, en collaboration
des services, tous points sur lesquels ils sont en retard par rapport à
l’Europe.
Les deux
communautés atlantique et européenne censées produire de l’intégration ne sont
toujours ni les lieux de décision privilégiés par les Alliés et par les
Etats-membres, ni le cadre d’une assimilation et d’un brassage des populations
composantes. L’impossibilité-même de concerter des décisions que les Etats-Unis
estiment ne concerner qu’eux-mêmes, parce que c’est dans dans leur substance et
dans leur image qu’ils sont frappés, vient d’ailleurs d’être –
soumission ? ou réalisme ? – comprise sinon acceptée par les Quinze
qui ont simplifié le matin pour le soir leur ordre du jour au
« sommet ». Et qu’il ne s’agisse que de terrorisme et non plus d’une
concertation des mesures de riposte satisfait certainement Washington qui
depuis qu’y a été voté, à la demande européenne, le Pacte Atlantique, n’a plus
jamais envisagé ni permis que soit délibérée hors la présence la moindre action
militaire, qu’ils soient d’ailleurs appelés ou non à y participer :
l’exception ayant fait la règle a été l’équipée franco-britannique à Suez.
L’impossibilité
mentale d’une solidarité dépassant la compassion et engageant la réflexion
ensemble montre surtout que l’assimilation, quel que soit le désir de celui des
protagonistes qui doit aller à l’autre parce qu’il n’a pas souffert lui-même,
rencontre vite sa limite. L’argument de reconnaissance ou de réciprocité (La Fayette nous voilà ! aurait-il
été convenu que crieraient les premiers Américains rejoignant le front en 1917)
ne peut se répéter : le voyage du Président français une semaine après la
destruction de bâtiments emblématiques aux Etats-Unis ne peut se fonder sur une
évocation des plages d’Arromanches. L’explosion, le 21, d’une usine
pétro-chimique à Toulouse, si nombreux relativement que soient morts et
blessés, dans un climat de surprise aussi grand pour la population mitoyenne
que celui créé par le second impact sur le World Trade Center, ne peut nous
faire vivre ce qui a été vécu là-bas, et quand bien même. Les
« révélations » selon lesquelles le détournement d’avion de Décembre
1994 était en réalité la première tentative du scenario de mardi, la Tour
Eiffel étant chez nous visée (ce qui montre d’ailleurs combien est préféré par
le terrorisme le symbole parlant à l’opinion plutôt que le tenant du pouvoir
toujours remplacé d’office à son décès en fonction) opèrent même une
dictinction entre la France et l’Amérique. D’une part, parce qu’au lieu du
discours présidentiel dont ont gratifiés les Américains dans les heures suivant
les attentats, la campagne présidentielle déjà virtuellement engagée en France
a dissuadé aussitôt les politiques d’alors d’une explication approfondie, au
point que les attentats de l’été de 1995 ne furent pas rapprochés du
détournement d’avion précédent, au point aussi que l’analogie franco-américaine
rétrospective ne rappelle pas pour autant à nos voisins d’outre-Manche qu’ils
ont toujours chez eux, sans que nous puissions le juger, le commanditaire de ces
crimes. La France est toujours sans droit de suite alors qu’elle a les preuves,
et l’Amérique, elle, est dispensée de montrer ses preuves pour autant être
interdite de représailles. D’ailleurs même Israël n’est parvenu à faire
admettre sa propre analogie par les Américains.
Ainsi
existe-il pour les décisions ayant le plus de conséquences sur la gestion du
monde et sur son avenir, un espace de
non-droit et à jurisprudence unique : aucune des organisations ou
communautés internationales ou pluri-étatiques n’est choisie comme enceinte de
réflexions ou de pourparlers quand les Etats-Unis ont choisi de s’impliquer
dans un conflit ou que ce conflit les atteint directement.
*
* *
3° les valeurs gouvernant
les comportements collectifs et sociaux exigent que soient complétés ou créés
les espaces, institutions, procédures les identifiant, les défendant, les
propageant et en sanctionnant éventuellement le respect ou la transgression
Faute qu’un
discours prospectif ait été articulé par quelque acteur que ce soit, y compris
par une revendication commentée des attentats, une dialectique est née de la succession des sujets s’imposant à la
conscience générale et à la prise de décision politique. Elle échappe pour le
moment à tout vouloir et même à toute concertation des Etats.
Comprendre et
faire comprendre que chacun de ces sujets n’est pas lié aux autres par de
simples coincidences, c’est se donner l’ordre du jour d’un rétablissement de
notre monde et de ses pratiques du même ordre réparateur ou cautérisant que
l’ensemble des décisions qui furent prises et des institutions inventées ou
perfectionnées qui furent mises en place au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale et quand l’univers géo-stratégique était dominé par la division en
deux blocs socio-culturels et dominé par le fait nucléaire. L’analogie vaut
aujourd’hui : la possibilité terroriste est désormais d’extension
territoriale universelle et imparable dans l’état actuel des lacunes civiques,
juridiques, financières de nos systèmes d’enquête et de prévention. Et ce
risque s’est développé par manque de
finesse général de ceux qui étaient mieux pourvus que les autres. Les
Etats-Unis ont trop contraint le monde entier, y compris leurs alliés de sang
ou de pacte pour n’être pas aujourd’hui freinés ou encadrés dans une réaction
aux attentats dont ils étaient victimes, et qui si elle avait été immédiate et
instinctive eût probablement été admise, sinon comprise, de tous, mais qui
décalée dans le temps, comme elle le sera forcément si elle a lieu d’une manière
conventionnelle militaire, ressemblera dangereusement, pour la cote vraie du
président américain, au système d’administration de la peine capitale dans tant
d’Etats américains, à commencer par le Texas. Un découplage tel que le droit de punir se perd et que le procès est
faussé qui n’a pas servi à réécrire entre agressé et agresseur l’histoire du
tort subi ou infligé. Et les pays développés, sinon riches, ont trop manqué les
deux grandes évolutions, d’essence si bénéfique, qui au siècle dernier avaient
été la décolonisation et la chute du communisme. La troisième qui se dessinait,
celles des pays émergents, a été bâclée au point que le seul pays
économiquement riche et autonome : le Japon, en a été durablement
endommagé, handicapé. Les antagonismes nord-sud et ouest-est sont d’ordre
moral, spirituel et les forces de l’âme peuvent conduire au racisme le plus
insidieux et aussi le plus mobilisateur.
Il faut donc
réformer l’existant et inventer, au besoin, ce qui permettrait de corriger
fondamentalement et en permanence les comportements des nantis et d’ouvrir leur
dialogue avec les frustrés, avec en sus une nuance ou une difficulté
décisives : que l’ordre du jour des
institutions réformées ou nouvelles soit, très durablement, inspiré, donné,
articulé par les frustrés. Trop longtemps, les riches ont eu, pas seulement
le bénéfice des accumulations, spoliations ou abus, mais le monopole de la
parole, et de la confection des modèles et du droit ; ils ont confisqué le
langage des intelligences censées régir le monde moderne (on le voit
particulièrement bien dans le vocabulaire, les concepts et les logiques de
l’économie, de la finance et partant des organisations sociales du futur).
D’une certaine manière, les Etats et les peuples se considérant eux-mêmes comme
libéraux et faiseurs de liberté et de démocratie, sont totalitaires puisque
chacun et ensemble ils sont autistes. En tout cas sourds à la logique des
peuples dépourvus et frustrés (jusqu’au vrai du sourire de ceux-ci, capté et
acheté par le « tourisme sexuel », dont la carte et les courants
commerciaux en exportation de sujets et en importation de consommateurs sur
place recouvrent exactement les deux zones historiques et ethniques de l’échec
du XXème siècle, les pays slaves et les pays émergents d’extrême-orient).
Les
imaginations et novations à articuler, incessamment, constitueraient la réponse
concertée, en forme de déclaration de paix au contraire exact de celle de
guerre formulée par les terroristes, des Etats-Unis et de leurs alliés,
traditionnels ou qu’apporteraient à ceux-ci le double choc des attentats du 11
et de l’inattendu d’une réplique qui ne soit pas guerrière. La crise boursière
qu’accentue et caractérise désormais l’attaque du 11 tient, à présent, en
grande partie à cette indécision quant à la nature et à la globalité de la
justice qu’entend faire passer le gouvernement américain. La « justice sans limite » ne peut
être que la retenue du plus fort et que l’invention de toutes sortes de remèdes
mettant fin à l’iniquité dans le monde. Alors, la lutte anti-terroriste
englobera effectivement tous les Etats, tous les peuples et atteindra peut-être
même les « kamikazes », les « desperados ». Ce type de
réponse s’adressant partout à tout l’humain est en tout cas seul de nature à ne
pas accentuer les fractures et antagonismes existants, et à ne pas en créer
d’autres, immédiatement plus redoutables encore. Qui n’en est maintenant
conscient ?
Les éléments
de novations seraient au moins les suivants :
- Admettre de
nouveaux sujets de droit international, qui, au contraire des acteurs
économiques proprement dits, ou des Etats, ont besoin d’un soutien et d’une
reconnaissance en tant que tels. On aurait ainsi l’occasion de mieux articuler,
organiser et financer l’humanitaire, de mieux analyser les authenticités ou les
usurpations religieuses (donc d’arriver à distinguer confessions, églises et
sectes)
- Etendre les
concepts, les juridictions et les organisations et formes de la répression
d’actes ou de comportements de ces nouveaux sujets. Le commencement de justice
pénale internationale peut contribuer d’ailleurs à développer et à harmoniser
le droit constitutionnel interne des Etats (par exemple : la sanction de
la responsabilité des chefs de l’exécutif, ou bien la non-assistance à des
entités, pas forcément individuelles, en danger faute de législation prise à
temps au plan national) et, à l’inverse, peut aussi s’appuyer sur des prises de
conscience dans un Etat ou une union d’Etats (le droit de l’informatique et de
l’internet, celui de la concurrence, les médicaments génériques, le clonage,
les remèdes aux grandes endémies, le processus de Kyoto). Mais la novation
serait qu’un Etat pourrait être internationalement attrait pour la pollution
qui se dégage de son territoire autant qu’une entreprise ou une législation
nationales, qu’une spéculation boursière internationale ou ses fauteurs
pourraient être condamnés juridiquement et financièrement, voire dissous, par
une seule décision prise sans considération de quelque limite territoriale ou
matérielle que ce soit, enfin qu’une organisation terroriste n’auraient pas ses
acteurs et commanditaires justiciables de tribunaux nationaux (cas d’avoir à
livrer sans preuve à la justice américaine « le suspect n° 1 ») mais
bien de juridictions internationales
dont l’impartialité serait garantie par leur composition et par le droit et
les échelles de peines définis internationalement.
- La lecture
de la Charte des Nations Unies, l’étude psychologique et sociologique, pas
seulement financière et juridique, des « opérations de maintien de la
paix », la combinaison de ces ambitions avec ce que l’Union Européenne
tente de faire exister qui la représente en diplomatie et en défense pourraient
inspirer l’institution de forces militaires et policières permanentes, composées selon des modalités proches des détachements
de personnels nationaux dans les institutions internationales. La mise en œuvre
de ces forces suppléerait aux interventions nationales vengeresses ou
pluri-nationales réparatrices de dommages
certes internationalement reconnus, mais perdant de leur légitimité si
elles sont manifestement conduite par un seul esprit et un seul dispositif
politique et militaire. En tout état de cause, les juridictions étendues ou à
créer et le droit nouveau organisant ou réprimant à l’échelle mondiale, ont
besoin de forces de coercition et de financements propres et qui ne soient pas
aléatoires ou cas par cas, espèce par espèce. On voit que dans un tel système, la question d’entrer dans le sanctuaire
afghan pour en extraire un suspect se poserait tout différemment :
droit, procédure, forces en charge seraient par avance, et avant toute
infraction ou toute instruction, déjà connus, établis, acceptés.
- La tension
entre l’instinct d’identité et l’intuition d’universalité divise chaque être
humain et met en conflit les tenants du pratique et ceux de l’être :
parler la langue unique pour avoir l’oreille de tous, mais quel message retient
celle-ci s’il n’a pas le charme d’une authenticité faite d’expérience, de
racine, de poésie et de savoir-faire. Le cinéma, la musique, les mathématiques
sont internationaux au sens le plus étymologique. La culture pourrait l’être si
elle vécue et non pas enseignée, si elle est une envie, une projection et non
un bagage. Les échanges culturels devraient avoir une finalité cependant
intéressée : faire le respect mutuel, organiser la connaissance mutuelle
et la mise à jour constante de cet acquis, à reprendre à chaque génération, car
certaines intimités créent l’antagonisme (le conflit franco-allemand) ou une
dialectique dominant/soumis (la colonisation). Quand le choc de deux
civilisations, deux psychologie est proche, un prêche de néophyte ou de
politique quelque soit la chair d’où il est administré est trop simpliste pour
atteindre les esprits, c’est au contraire donner bonne conscience par un geste
isolé mais bien médiatisé au plus grand nombre à qui l’on voulait ôter l’instinct d’amalgame.
Il est déjà
éprouvé – très bénéfiquement – que les organisations et institutions
internationales, notamment dans les domaines financier, sanitaire, social
discernent et attirent en leur sein, pour les y promouvoir, certaines
individualités ressortissant de pays en voie de développement industriel ou en
en situation de négation ou d’asservissement : des élites gouvernementales
déchues par l’instauration de dictatures, des chercheurs ou des personnalités
syndicales ne pouvant disposer d’un espace suffisant dans leur pays de
nationalité. La consécration d’organisations non gouvernementales, l’étoffement
des juridictions et des polices supranationales, la naissance d’écoles et de
centres de formation en tous domaines correspondant aux critères de recrutement
et aux compétences de ces organisations, de ces juridictions, de ces forces et
de ces procédures aboutiraient en très peu de générations à ce que rêvaient, au
début de l’ère atomique, les premiers « citoyens du monde ». On voit
bien d’ailleurs, dans le cas de l’Union Européenne, comment se créent un esprit
commun et des carrières individueelles, transcendant les systèmes et les caractères
nationaux sans les nier.
Cette logique,
qui depuis près de soixante ans inspire à rythme et à réalisations divers et
variables l’entreprise d’unification européenne, pourrait valoir pour ce à quoi
la planète appelle d’elle-même tant grandit le risque que lui font courir le
désordre et l’égocentrisme humains : une progressive et inéluctable
unification des institutions et des activités de l’espèce dominante, à mesure
qu’elle se métisse dans sa biosphère et dans sa noosphère, et qu’elle se projette
dans la conquête du cosmos.
Alors, on
pourrait conclure que la réponse à l’horrible rend, de son fait-même,
compréhensible cette horreur puisqu’elle a été grosse d’un monde meilleur.
Impensable, le dialogue implicitement souhaité entre les assassins et les
victimes se nouerait…
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