dimanche 10 mai 2009

journal d'il y a vingt-huit ans - dimanche 10 mai 1981

Paris, encore, le dimanche 10 mai 1981, au matin.



Le temps gris et pluvieux, la même ambiance blafarde que le 27 avril 1969. J’ai voté dans la certitude et l’émotion : l’émotion d’un tournant et toujours le pressentiment qui ne m’a pas qu
itté de toute la semaine – malgré les sondages non publiés mais circulant qui donnent à FM 52% des suffrages – que Giscard sera réélu. Deux indications dans mon esprit : la remontée à 29% au premier tour alors que les sondages ne disaient que 25% ; le comportement autour de moi, notamment en famille. Quand je parle des tanks soviétiques[1], on me croit sérieux, et l’on juge que j’ai donc moi aussi basculé (« Plus j’y pense, plus c’est Giscard »). L’abstention et le bulletin nul gagnant ceux que j’aurais cru voter FM ; et l’argument effarant – car il justifie les communistes dans leur analyse de lutte des classrs demeurant malgré tous les changements technologiques et sociaux de ce siècle finissant – : que veux-tu, dans notre milieu, nous avons des responsabilités, nous ne pouvons voter autrement que pour Giscard… C’est pour moi un argumentaire très simple que de voter FM : Giscard, il est certain qu’il ne changera pas, et qu’au mieux le prochain septennat ne fera que poursuivre ce qui s’est défait et manqué depuis 1974, ce qui en soi est déjà un désastre ; Mitterrand c’est simplement la page blanche ouverte, la possibilité de tous les possibles, et je crois vraiment le moment venu que tous ces possibles soient explorés avec maturité et calme. Bien sûr, presqu’aucun point de « mon » programme ne s’en trouveront réalisés : mais les soubassements au moins seront prêts, notamment en matière socio-économique et d’alternance démocratique. Contrairement à l’argument de Giscard, et je suis en cela saint Paul sur celui qui sème et l’autre qui récolte, ce ne sont pas les mêmes – dans une histoire millénaire comme la nôtre – font les fondations et qui achèvent la maison. Nos cathédrales, nos institutions, tout notre esprit national le montrent.

Quand je déploie la carte d’état-major pour le 11 mai, les deux scenarii sont ainsi. FM élu a tous les moyens constitutionnels de dire non à qui il veut et de choisir sa politique et ses appuis. Sans doute, la bataille législative sera-t-elle très dure, surtout si comme comme il est à craindre, l’appétit socialiste est immense, qu’aucune place n’est donéne au tiers-parti, mais il est de jurisprudence constante sous la Vème République que le Président en place – s’il s’engage clairement dans la bataille législative – obtient de l’électeur confirmation du vote aux présidentielles ou au referendum qui précèdent : il n’y a donc pas de troisième tour aux présidentielles, et je vais tâcher de le faire publier dans Le Monde. Il faut évidemment exclure qu’il garde l’actuelle Assemblée jusqu’à ce que celle-ci fasse la preuve de son hostilité : la seule inconnue est la composition du Gouvernement, socialistes-communiste ? technique ? Si FM est battu, c’est non seulement le triomphe immédiat de VGE, mais la liquidation de toute l’opposition, d’abord dans la majorité actuelle puisque Chirac sera abandonné de tous et n’aura vraiment plus que sa mairie, ensuite au PS puisque les « rocardiens » auront désormais tout l’espace voulu, collaboration éventuelle avec VGE et préparation d’une succession en 1988 éventuellement de connivence avec VGE, et c’est le triomphe du PC, seule force dure vis-à-vis du pouvoir reconduit (en partie grâce à une abstention PC ou même à des votes hostiles à FM). Si VGE est battu, c’est soit la volonté de revanche tous azimuts et immédiate, c’est-à-dire VGE se présentant lui-même à la députation et damant le pion au Parlement à Barre et à Chirac. Dans tous les cas de figure, c’est une situation très difficile pour Chirac.

. . . Au cinéma, ce soir jusqu’à 22 heures : « Les ailes de la colombe », superbes paysages vénitiens, intrigue assez mince, mièvrerie d’Isabelle Huppert, beauté camarade de Dominique Sanda. J’ai reculé devant le supplice des fourchettes, et rentre dans un XVIème désert et silencieux. Je donne FM pour battu. Je me trompe. La TV annonce depuis 20 heures l’écrasante victoire, près de quatre points d’écart, seul Giraud – c’est à son honneur – fait face sur le petit écran à la défaite ; Delors parle en futur Premier ministre. Déjà la campagne des législatives s’amorce et le procès des ministres ou de l’influence communiste demeure le principal argument de ce qu’on appelle encore « la majorité » puisqu’elle demeure telle au Parlement.

J’ai déposé dans la soirée de jeudi, rue de Bièvre, déserte, mais avec deux policiers m’interrogeant sur ce que je glisse dans la boîte aux lettres, une lettre à FM lui donnant quelques « conseils » de gaullisme pour sa dernière émission, et lui demandant carrément de faire partie de son équipe. Il ne me reste plus ce soir qu’à attendre. D’un seul coup, les temps ont changé, je n’y aurai jamais cru, mais la déclaration du Président élu, depuis Château-Chinon, est exactement la bonne : « et nous avons tant à faire ensemble . . . la France retrouvera sa voix », et l’humour glacé : « J’ai une autre déclaration à vous faire . . . »
[2].


[1] - notamment à un repas familial autour d’un de mes neveux premier communiant, j’essaie la facétie suivante. De Munich, alors proche du « rideau de fer », j’entends dire que sitôt l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, les chars soviétiques seront à la frontière et circuleront dès lundi autour de l’Arc de Triomphe. On me répondit : tu crois ? Une de mes tantes téléphona le lundi matin à ma mère : « ils vont me prendre Saint-Cast », résidence secondaire au bord de la Manche. Le père d’une de mes amies, alors intime, était convaincu que les retraites complémentaires seraient sucrées. Enfin, Claude Fauvet, l’épouse du directeur du journal Le Monde, se faisait prendre à partie chez ses commerçants de l’avenue Mozart à Paris. Le silence de mort dans les beaux quartiers quand je sortis du cinéma, aurait dû tout me dire…


[2] - elle est adressée à Val’ry Giscard d’Estaing, écho appuyé à la prononciation : François Mit’ran de Christian Bonnet, ministre de l’Intérieur, proclamant au soir de chacun des deux tours, les résultats du scrutin, prononciation identifiant tous ceux qui n’ont pas aimé l’opposant et n’aimeront pas le président, ne l’admettront pas. Il y avait et il y a encore ceux qui prononcent de Gol – comme rigole – et ceux qui écrivent le général De Gaulle et voudraient même y mettre le trait d’union néerlandais ou flamand

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