Sébastien Maillard, le 12/10/2016 à 20h55
La Conférence des évêques de France sort vendredi 14 octobre un
livre adressé aux « habitants » du pays pour « retrouver le sens
du politique ». Posant un regard inquiet sur la dégradation du moral des
Français, les évêques invitent à une « refondation » par un nouveau
« contrat social » plus inclusif. Ils défendent aussi la place des
religions dans la société à travers « une laïcité ouverte ».
Rencontres
nationales de l'association Coexister, à Lille, en juin dernier. / Corinne
Simon/Ciric
« Il y a
de la tristesse dans notre pays aujourd’hui. » C’est ce qu’observent les évêques de France, qui au
contact de concitoyens le plus souvent déçus voire désabusés par la politique,
veulent aider le pays à se ressaisir et à « retrouver le sens du
politique » dans un livre rendu public jeudi 13 octobre (1),
signé du Conseil permanent de la conférence épiscopale. Un texte court,
accessible et général, avec très peu de références religieuses car il ne
s’adresse pas qu’aux catholiques, ni aux seuls Français mais à tous les « habitants
de France ».
Ce n’est pas la
première fois que les évêques français abordent la politique. Ils avaient déjà
communiqué, en juin, en vue des scrutins de 2017. Mais un nouveau texte a été
jugé nécessaire tant la société française paraît « inquiète, anxieuse,
insatisfaite », comme l’a dépeinte Mgr Georges Pontier,
archevêque de Marseille et président de la conférence des évêques de France
(CEF), en présentant l’ouvrage à la presse.
« Notre
société semble comme à fleur de peau, à vif », décrivent les évêques dans ce livre où ils
s’inquiètent des postures toujours plus contestataires, raides, parfois
violentes, ou à l’inverse une attitude de désenchantement allant jusqu’au rejet
désabusé de la politique.
Un « pays généreux mais en attente »
À la base de ce
climat pesant, les évêques relèvent d’abord le « discrédit »
dans lequel est jetée la classe politique aujourd’hui. Ils déplorent le
comportement d’élus aux antipodes de l’idéal du service désintéressé,
qu’incarne la figure citée de Robert Schuman.
> Lire aussi : Sortie d’une édition commentée d’« Amoris laetitia »
Mais les Français
sont aussi renvoyés à leurs propres contradictions. Ils veulent des autorités
publiques plus présentes mais se plaignent dès qu’elles se font intrusives. Le
désir du risque zéro engendre une surproduction de normes jugées ensuite trop
contraignantes. « La difficulté de réformer est une autre bonne
illustration des paradoxes de notre pays », relèvent les
évêques, impressionnés en même temps par « la générosité, la
créativité et l’inventivité » dont la France fait preuve.
Dans ce « pays
généreux mais en attente », qui a besoin de « se
retrouver » pour reprendre « élan et unité », les
évêques estiment venu le temps d’une « refondation ».
Celle-ci exige pas moins que de « repenser le contrat social »,
une référence inhabituelle dans le vocabulaire ecclésial mais incontournable en
philosophie politique (lire page 4).
Redonner un sens à la vie ensemble
De fait, des parts
entières de la population (chômeurs en fin de droits, SDF, étrangers) échappent
aujourd’hui au rapport entre gouvernés et gouvernants tandis que d’autres
redoutent d’y être relégués dans un état général « d’insécurité
sociétale », selon l’expression des évêques.
> Lire aussi : Dominique Potier, un catholique en terre socialiste
Plus largement, la
réduction de la politique à des tâches gestionnaires ou des arbitrages entre
intérêts la détourne de son rôle originel qui est de donner du sens à la vie
ensemble : « Le “je” semble pris en compte mais il a du mal à trouver
sa place dans un “nous” sans véritable projet et horizon. »
Pour que le
contrat social soit « renoué, retissé, réaffirmé », les
évêques de France posent quatre principes. Le premier est d’accepter la
« différence culturelle ». « Notre tête est travaillée
par le risque de l’islam en France sans voir ce qu’une population nouvelle peut
apporter comme richesse », a regretté Mgr Pontier, refusant le « repli
sur soi ».
Éloge du compromis
Sur ce thème, le
livre prend part au débat, en cours durant la campagne présidentielle, sur
l’identité nationale, le jugeant important tant « il devient plus
difficile de définir clairement ce que c’est d’être citoyen français ». Dans
un éloge de la diversité et de la cohésion, les évêques rappellent la tradition
d’intégration des populations étrangères inhérente au christianisme. Sans
dénoncer l’instrumentalisation politique de ce dernier à des fins contraires.
Mais les
différences que doit conjuguer la France ne sont pas seulement culturelles.
Elles touchent aussi aux fondamentaux de la société, s’inquiètent les évêques. « Il
n’y a plus, ou de moins en moins, de vision anthropologique commune dans notre
société », déplorent-ils, en allusion explicite aux débats sur le
mariage homosexuel et sur l’euthanasie.
Le principe-clé
ici est la vraie recherche du compromis. Alors qu’il n’est considéré que comme
un boiteux « entre-deux », le compromis retrouve
dans ce livre toute sa noblesse politique.
Les catholiques doivent prendre leur place politique
Et les catholiques
doivent avoir toute leur place dans sa quête. Refonder la politique exige, pour
l’Église, que notre République sache développer une « laïcité ouverte »,
c’est-à-dire qui ne prive pas les croyants d’exprimer leur conviction au nom
d’une « neutralisation religieuse de la société ».
> Lire aussi : La laïcité de la France au crible de l’Histoire
Sans attendre la
sortie du livre, les évêques reçus avant-hier à Matignon autour de Manuel
Valls, dans le cadre de l’instance nationale de dialogue, ont redit également « leur
conviction qu’une société qui éliminerait les religions de la sphère publique
se priverait d’indispensables régulateurs sociaux et sociétaux ».
À l’adresse aussi
des fidèles toutefois, l’ouvrage insiste sur l’importance de faire preuve sans
relâche d’un « véritable respect pour ceux qui ne pensent pas de la
même manière » qu’eux : « S’il faut parfois donner un
témoignage de fermeté, que celle-ci ne devienne jamais raideur et
blocage », tempèrent les évêques, qui n’avaient pas tous le
même positionnement à l’égard de la « Manif pour tous ».
Amorcer la refondation
Au final, c’est à « l’engagement
de tous » qu’incitent les évêques français. Une invitation à
s’impliquer pour la collectivité à divers niveaux (associatif, local, national,
européen) afin de ne pas tout attendre du chef de l’État, autre principe-clé :
« Retrouver la vraie nature du politique et sa nécessité pour une vie
ensemble suppose de s’y disposer, de le choisir, de le permettre. Cela ne
tombera pas du ciel ou par l’arrivée au pouvoir d’une personnalité
providentielle. » Une mise en garde qui tombe à point avant
l’élection présidentielle.
Mais ce livre vise
au-delà de cette seule échéance. Le questionnaire concluant les 71 pages de
réflexion sert à poursuivre celle-ci au sein des paroisses, des mouvements
d’Église et parmi tous les « habitants de France » qui l’auront
en main.
Pour sa part,
Mgr Pontier compte l’offrir « aux élus avec lesquels il
travaille ». Une manière pour les évêques non pas de jeter un pavé
dans la mare mais d’amorcer une dynamique de patiente
« refondation ».
> Le questionnaire : « Retrouver le sens du politique », donnez votre avis
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Les
évêques de France et la politique
• En 1991, la
commission sociale de la Conférence des évêques de France publie le document Politique :
affaire de tous, qui s’adresse à « des Français qui vivent un
temps de désillusion et de reflux des grandes idéologies ».
• En 1999, la même
commission publie une nouvelle déclaration, Réhabiliter la politique,
dans laquelle les évêques constatent déjà que « le sens du politique
tend à s’émousser et à se dégrader ».
• Publié en juin
dernier, le texte 2017, année électorale : quelques éléments de réflexion se
penche plus précisément sur les élections à venir. Appelant de leurs vœux un « authentique
débat démocratique », ils mettent notamment en garde contre « une
sorte d’hystérie de la vie publique ».
Sébastien
Maillard
Dans un monde
qui change, retrouver le sens du politique, par le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France,
coédition Bayard, Cerf, Mame, 90 p, 4 € en vente à partir du
14 octobre.
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