En s’opposant à l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA), le ministre-président de la Wallonie est devenu un véritable symbole.
LE MONDE ECONOMIE | 27.10.2016 à 06h38 • Mis à jour le
27.10.2016 à 10h52 | Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant)
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les tractations se poursuivent en Belgique
« Ce type m’était totalement inconnu, mais c’est un coriace, une
machine de guerre », confesse l’un des négociateurs qui ont eu
affaire à lui durant les interminables tractations sur le CETA, ce traité
euro-canadien de libre-échange devenu l’ultime cauchemar de l’Union en crise. « En
plus, il est mignon, non ?… », risque une porte-parole espérant
– en vain – alléger l’atmosphère pesante de la Commission, empêtrée dans ce
feuilleton inattendu.« Chef du dernier village gaulois », « Magnettix », « Monsieur Non » ? Il déteste les surnoms dont une presse internationale découvrant l’existence de la « petite Wallonie » (qui compte plus d’habitants que sept Etats membres de l’Union) a cru devoir l’affubler.
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: le quart d’heure wallonien
« Victoire sur un plateau »
« Paul qui ? » Son patronyme, jusque-là inconnu du monde – ou presque –, s’est très vite répandu dans la vaste salle de presse du sommet européen, vendredi 21 octobre, lorsqu’une ministre canadienne a annoncé, à Namur, qu’elle mettait un terme à ses négociations avec le ministre-président, avant de s’effondrer devant les caméras. Emotion ? Cinéma ? Un fameux symbole, en tout cas, pour ceux qui doutaient de la fermeté du Wallon.Sur les réseaux sociaux espagnols, danois ou français, il est illico devenu le croisé de l’altermondialisme et l’adversaire du libre-échange. Il s’en défend. Il aurait toujours voulu un accord avec le Canada, mais à ses conditions : pas de concessions aux multinationales, aux tribunaux privés d’arbitrage, à un ultralibéralisme qui menacerait le modèle social, agricole ou environnemental européen. Et tant pis pour les « gentils Canadiens » qui n’auraient, explique-t-il, pas pu empêcher que des sociétés américaines installées sur leur territoire profitent de l’aubaine pour anticiper, en quelque sorte, le TTIP, ce traité transatlantique qui fait peur.
Les objections des Wallons, M. Magnette les avait fait connaître depuis plus d’un an – c’est désormais démontré – à la commissaire Cecilia Malmström, au gouvernement fédéral belge et à toutes les autorités européennes qu’il croisait. A l’évidence, par paresse ou par méconnaissance des réalités de la complexe Belgique, on ne les a pas prises au sérieux. Ce qui a eu le don d’agacer cet intellectuel, entré il y a moins de dix ans en politique, mais blindé de convictions. « Il y a vu du mépris pour un niveau de pouvoir jugé subalterne et son ardeur s’en est trouvée décuplée », commente un membre du parti centriste CDH, son allié du gouvernement wallon.
« On lui a offert la victoire sur un plateau : il est clair qu’il connaissait son sujet sur le bout des doigts. Son seul problème, ensuite, c’était d’atterrir », estime Isabelle Ory, correspondante de médias francophones à Bruxelles et frappée par ce qu’elle qualifie de « sans-faute » de l’intéressé.
Héritier naturel
Dans la partie francophone du royaume (Bruxelles s’est, elle aussi, opposée au CETA), M. Magnette réalise, en tout cas, une performance assez rare en ces temps de désaveu du politique : selon un sondage publié mardi 25 octobre, quelque 70 % de ses concitoyens approuvent sa démarche. Son opposition au projet initial de traité, très argumentée, semble avoir redonné de la fierté à des citoyens qui doutent depuis longtemps de l’avenir de leur région. Et du leur.Meurtrie par une crise qui s’éternise, jamais remise de l’évaporation de sa splendeur industrielle, en butte aux critiques incessantes d’une partie du monde politique flamand, la Wallonie s’est sentie ragaillardie par le combat de M. Magnette. Il y a longtemps qu’on n’avait pas vu, à Liège ou Namur, des syndicalistes, des agriculteurs ou des étudiants descendre spontanément dans la rue pour remercier leurs dirigeants…
On disait l’intéressé un peu à l’étroit dans son cabinet de Namur (baptisée « l’Elysette », en référence au comportement mitterrandien de son premier occupant) et cette fonction de ministre-président qui risquait de brider son talent et ses hautes ambitions. Il l’avait, estime un commentateur, acceptée « faute de mieux », son parti ayant été éjecté du niveau fédéral et la présidence du PS – une fonction-clé dans le système particratique belge – récupérée par l’ex-premier ministre Elio Di Rupo, 65 ans, qui écarte toute allusion à sa succession.
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Avec vingt ans de moins, un bagage intellectuel qui pèse lourd et une
conviction résumée par le titre du dernier livre qu’il a publié, La gauche
ne meurt jamais, Paul Magnette apparaissait un peu comme l’héritier
naturel pour un poste dont il a déjà exercé l’intérim. « On parle de
lui pour la présidence mais aussi pour la direction du gouvernement fédéral, du
moins si une majorité de centre-gauche devait advenir », explique
David Coppi.
Un autre de ses livres, publié
en 2008, était titré « L’Union européenne : la fin d’une
crise »
Pour cela, il lui faudra peut-être « tuer le père ». Or, fidèle
d’abord à son parti, il a toujours fait passer l’intérêt général du PS avant le
sien, comme quand il a « nettoyé », façon Kärcher, sa fédération et
sa ville, Charleroi – dont il est devenu maire en 2012. Gangrené par les
scandales et le paternalisme, le socialisme y apparaissait comme un laboratoire
de tous les travers énumérés par les nationalistes flamands. Il y a mis bon
ordre et, en 2014, il devenait le député wallon le plus populaire.Cet homme qui n’aurait que des qualités, n’aime pas le foot, cite Antonio Gramsci en faisant (très bien) la cuisine et recommande la lecture de Judith Shklar, une philosophe lettone (non traduite…) adepte du libéralisme social, a aussi un côté rassurant : un autre de ses livres, publié en 2008, était titré L’Union européenne : la fin d’une crise. Ouf, lui aussi se trompe parfois.
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Vos réactions (42) Réagir
Graphisto Hier
Chapeau Monsieur Paul Magnette. On voit, on sent bien comment tous ces
technocrates de Bruxelles se laissent acheter pour un plat de lentilles. Des
minus bureaucrates qui sont très heureux de palper leurs beaux salaires et
évitent de faire des vagues. Il serait temps que ces pratiques d'influence des
groupes de pression, venant des entreprises, soient bien plus règlementées. Je
serais curieux de savoir combien de temps les fonctionnaires de Bruxelles
passent avec les "avocats d'entreprises".
garder raison Hier
Pas si irréductible que ça, vu le compromis enfin accepté ! il serait temps
de cesser de se chercher des homme providentiels - Tsipras, Varoufakis,
Magnette, etc. - on voit où ça a mené...
JACOB SCHMUTZ Hier
N'en rajoutez pas à la fin: Judith Shklar n'est pas une philosophe
"lettone" inconnue, mais une des grandes philosophes du politique
américaines, certes non ou peu traduite. Elle est née en Lettonie, comme tant
d'immigrés juifs aux Etats-Unis, mais n'a rien à voir avec ce pays. C'est une
grande voix de la pensée libérale américaine, point.
La Corrèze avant le Péloponnèse Hier
Le parlement européen a tout pouvoir pour décider dans ce type de situation
et il est démocratiquement élu. La vendetta entre Wallons et Flamands se
poursuit au niveau européen : elle se terminera mal pour les Wallons (informés
depuis des mois du contenu du projet d'accord) mais ne présente aucun intérêt
pour les Français.
Magnette président ! il y a 2 jours
Paul Magnette, J’ai vu sa vidéo du 16/10, franchement j’ai trouvé son
discours clair, limpide, argumenté, quel contraste avec nos politiciens, une
vraie leçon de démocratie
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