Extraits de « Dans un monde qui change,
retrouver le sens du politique », un texte général sur la politique publié
jeudi par le conseil permanent de la CEF.
LE MONDE | 12.10.2016 à 20h11 • Mis à jour le 13.10.2016 à
12h13
(…) Plus que jamais, nous sentons que le vivre-ensemble est fragilisé, fracturé, attaqué. Ce qui fonde la vie en société est remis en cause. Les notions traditionnelles et fondamentales de nation, patrie, République sont bousculées et ne représentent plus la même chose pour tous. Alors même que l’aspiration au débat est forte, il semble devenu de plus en plus difficile de se parler, les sensibilités sont exacerbées, et la violence, sous une forme ou sous une autre, n’est jamais très loin. Au-delà des échéances politiques à venir où les débats de fond risquent toujours de devenir otages de calculs électoraux, c’est à une réflexion plus fondamentale sur le politique en lui-même qu’il nous semble urgent d’inviter. (…)
Retrouver le politique
Depuis plusieurs années, la politique dans notre pays ne cesse de voir son discrédit grandir, provoquant au mieux du désintérêt, au pire de la colère. Le temps qui passe voit le fossé se creuser entre les citoyens et leurs représentants et gouvernants. La crise de la politique est d’abord une crise de confiance envers ceux qui sont chargés de veiller au bien commun et à l’intérêt général. Des ambitions personnelles démesurées, des manœuvres et calculs électoraux, des paroles non tenues, le sentiment d’un personnel politique coupé des réalités, l’absence de projet ou de vision à long terme, des comportements partisans et démagogiques… sont injustifiables et sont devenus insupportables. (…)Si la politique au sens d’un fonctionnement et d’une pratique connaît un grave malaise aujourd’hui, c’est que quelque chose d’essentiel s’est perdu ou perverti. (…) Aujourd’hui, la parole a trop souvent été pervertie, utilisée, disqualifiée. Beaucoup veulent la reprendre, au risque de la violence, parce qu’ils ont l’impression qu’elle leur a échappé, et ne se retrouvent plus dans ceux qui, censés les représenter, l’ont confisquée. (…)
Le bien commun semble difficile à dessiner et plus encore les moyens pour s’en rapprocher. L’autorité de l’Etat se disqualifie peu à peu, et beaucoup de gens ont le sentiment de n’avoir plus prise sur le cours des événements. Le contrat social, le contrat républicain permettant de vivre ensemble sur le sol du territoire national ne semble donc plus aller de soi. Pourquoi ? Parce que les promesses du contrat ne sont plus tenues. Il a besoin d’être renoué, retissé, réaffirmé. Il a besoin d’être redéfini.
Un contrat social à repenser
(…) Il y a une insécurité sociétale chez les Français qui redoutent, plus que tous les autres Européens, de subir un déclassement dans leur niveau de vie. (…)Sentiment d’insécurité mais aussi sentiment d’injustice. (…) Une France inquiète des injustices, et qui comprend mal, par exemple, le salaire indécent de certains grands patrons pendant que l’immense majorité des petits entrepreneurs se battent pour que leur entreprise vive et se développe. Mais la grande injustice – qui devrait être davantage la priorité absolue de notre vie en société – est le chômage. Le dernier rapport annuel du Secours catholique est alarmant sur ce point avec le constat d’une pauvreté qui ne cesse d’augmenter dans notre pays, et les conséquences que cela entraîne en termes d’exclusion et de déstructuration de vie, en termes aussi de stigmatisation des pauvres. Dans cette insécurité sociétale, l’avenir semble indéchiffrable. (…)
Enfin, parmi les catégories de ceux qui ont du mal à se sentir partie prenante au contrat social, il y a évidemment les personnes d’origine étrangère, en France depuis peu ou depuis plusieurs années, qui n’arrivent pas à trouver leur place. Ainsi, dans toutes ces situations, les valeurs républicaines de « Liberté, Egalité, Fraternité », souvent brandies de manière incantatoire, semblent sonner creux pour beaucoup de nos contemporains sur le sol national.
Différence culturelle et intégration
Parmi les difficultés d’établir un nouveau contrat social, il y a celle que pose aujourd’hui la différence culturelle. En effet, si la mondialisation a créé un nouvel espace économique et un nouveau rapport au temps et à l’espace, elle a également fait apparaître une réalité complexe où l’interpénétration croissante des sociétés a permis à la fois des croisements intéressants et enrichissants, mais a contribué aussi à une insécurité culturelle et des malaises identitaires, pouvant aller jusqu’au rejet de l’autre différent.La France a eu longtemps une conception assez précise de ce qu’est l’identité nationale, qui supposait de façonner un citoyen français dans le creuset républicain où il s’appropriait l’idée d’un pays avec des références historiques et culturelles partagées. Cette idée d’une nation homogène, construction politique constituée souvent à marche forcée, en centralisant et unifiant de manière autoritaire et en gommant souvent les références, s’est trouvée bousculée par la mondialisation. Elle impliquait que les particularités communautaires et surtout religieuses ne soient pas mises en avant.
Mais aujourd’hui, non seulement ce creuset, qui a plutôt bien fonctionné pendant des siècles, n’intègre plus ou pas assez vite, mais l’idée même d’un « récit national » unifiant est largement contestée et remise en cause. Les identités et différences sont affichées, et la revendication communautaire met à mal l’idée d’une nation homogène. Il devient dès lors plus difficile de définir clairement ce que c’est d’être citoyen français, un citoyen qui s’approprie et partage une histoire, des valeurs, un projet. Certains restent ainsi en dehors du modèle français, étrangers à une communauté de destin. D’autres vivent mal ce sentiment de perte d’identité. C’est le terreau de postures racistes réciproques.
Le monde arabo-musulman est devenu de plus en plus une source de dangers pour beaucoup de nos concitoyens : terrorisme, prosélytisme, tensions internationales, mais aussi statut des femmes, situation des chrétiens d’Orient, etc. Et le risque est de n’appréhender les questions légitimes de sécurité qu’à travers un prisme culturel. Incivisme, violence, communautarisme, embrigadement, etc., tous ces éléments se confondent dans le visage de l’étranger. Il convient donc pour l’avenir de notre société de redéfinir ce que c’est d’être citoyen français, et de promouvoir une manière d’être ensemble qui fasse sens. En d’autres termes, comment gérer la diversité dans notre société ? Comment l’identité nationale peut-elle perdurer avec des revendications d’appartenances plurielles et des identités particulières ? (…)
L’éducation face à des identités fragiles et revendiquées
(…) Cette question de l’identité travaille notre société française. Et beaucoup de nos concitoyens, confusément ou non, s’interrogent : qui suis-je vraiment ? A quoi est-ce que je crois ? Quelles sont les valeurs qui m’ont façonné et qui comptent pour moi ? D’où viennent-elles ? Quelles sont mes appartenances, mes fidélités ? Plus largement, au niveau de tout un peuple, ce sont les mêmes interrogations : quelle est notre véritable identité ? De quoi se nourrit une identité nationale ? Mais aussi, quel sens y a-t-il à vivre ensemble, quelle reconnaissance, quelle utilité sociale ?Ce sont des questions importantes parce que nous savons que l’identité donne des racines, inscrit dans une histoire, et en même temps permet d’accéder à un groupe. Il est très important que notre société s’empare de ces questions, à la fois pour percevoir ce qui a construit et forgé notre pays, mais aussi pour prendre la mesure de la richesse que des identités plurielles peuvent lui apporter en faisant émerger les liens d’unité au cœur même de cette diversité. Il ne faudrait pas que les recherches et affirmations d’identités débouchent sur des enfermements identitaires. Plus que d’armure, c’est de charpente que nos contemporains ont besoin pour vivre dans le monde d’aujourd’hui.
A cet égard, le parcours de ces jeunes de nationalité française, le plus souvent d’origine arabe mais pas tous, qui sont partis combattre en Syrie ou en Irak pour Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique], ne peut que nous interpeller. On peut apporter différents éléments d’explication. Mais il semble assez clair qu’il s’agit de jeunes déstructurés qui n’ont pas trouvé leur place dans la société, et qui, pour certains, avaient déjà basculé dans de la petite délinquance. Ils vont trouver dans un discours clé en main et un engagement radical, l’opportunité de donner immédiatement un sens à leur existence, de la faire sortir de la médiocrité, et de contester la société dans laquelle ils n’ont pas su s’insérer. Sans minimiser en aucune façon leur responsabilité ni celle des commanditaires qui ont manipulé leur destin, il convient de se demander pourquoi l’intégration n’a pu s’opérer, et comment notre société a laissé une partie de sa jeunesse se perdre dans de telles aventures mortifères et meurtrières.
(…) Dans notre société, profondément redevable à l’égard de son histoire chrétienne pour des éléments fondamentaux de son héritage, la foi chrétienne coexiste avec une grande diversité de religions et d’attitudes spirituelles. Le danger serait d’oublier ce qui nous a construits, ou à l’inverse de rêver du retour à un âge d’or imaginaire ou d’aspirer à une Eglise de purs et à une contre-culture située en dehors du monde, en position de surplomb et de juge. (…)
Pour une juste compréhension de la laïcité
Il est très difficile dans l’espace public de parler paisiblement de religion. (…) La laïcité dans notre pays est au cœur d’un débat, car chacun met des conceptions différentes derrière cette notion. (…) Ce sujet est devenu un lieu de tension indéniable qui tient beaucoup au mouvement de réaffirmation des religions, particulièrement de l’islam, dans notre société. Une société où, de fait, les religions ne structurent plus la vie d’une majorité de la population.Notre pays est agité par un débat qui oppose les tenants d’une laïcité étroite qui voient dans toute religion un ennemi potentiel de la République et de la liberté humaine, et les partisans d’une laïcité ouverte qui considèrent la République comme la garante de la place des religions, de l’expression des convictions et des croyances, garante aussi de l’apport bénéfique qu’elles peuvent apporter à la vie de notre pays. La laïcité de l’Etat est un cadre juridique qui doit permettre à tous, croyants de toutes religions et non-croyants, de vivre ensemble. Elle ne doit pas dépasser son objectif en voulant faire de la laïcité un projet de société, qui envisagerait une sorte de neutralisation religieuse de cette société, en expulsant le religieux de la sphère publique vers le seul domaine privé où il devrait rester caché. (…)
Lire l’entretien avec Mgr Pontier : « Notre
société est devenue pluriculturelle »
Vos réactions (14) Réagir
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mdr 14/10/2016 - 10h56
euh oui la religion est nocive, elle enferme dans des croyances ridicules et
confere aux 'croyants' un sentiment de justesse et de verité. il faut le
rappeler ici, il n'existe pas d'homme dans le ciel qui nous aime tellement
qu'il a crée l'enfer pour nous punir d'un libre arbitre qui de facto n'existe
pas.
et? Hier
À lire les commentaires précédents, on voit bien de quoi, comme l'article le
souligne, " le terreau de postures racistes réciproques" est
constitué...
THOYOIS Hier
Rantanplan, vous imposés bien 'le spectacle de vos rites vestimentaires' aux
autres. Isn't?
Alain Hoyois Hier
Rantanplan, vous imposés bien 'le spectacle de vos rites vestimentaires' aux
autres. Isn't?
rantanplan Hier
L'analyse recense tout ce qui peut être dit sur la situation en France. La
conclusion, en revanche est un plaidoyer pro domo : la religion, quelle qu'elle
soit, est une entrave à la liberté personnelle. Certaines plus que d'autres,
mais le catholicisme préfère toujours des ouailles bien obéissantes. Certains
ont besoin de ce soutien, c'est leur droit, mais cela ne leur donne pas le
droit d'imposer le spectacle de leurs rites vestimentaires aux autres. C'est
juste un manque de respect d'autrui.
gagarine Youri Hier
J'ai du mal à voir comment une religion qui tend précisément à
l'existentialisme et au personnalisme (version Jaspers, Mounier) constitue une
entrave à la liberté personnelle. On peut ne pas avoir la foi, encore heureux!
mais essayons de connaître un minimum un sujet avant de s'exprimer dessus.
gagarine Youri Hier
J'ai du mal à voir comment une religion qui tend précisément à
l'existentialisme et au personnalisme (version Jaspers, Mounier) constitue une
entrave à la liberté personnelle. On peut ne pas avoir la foi, encore heureux!
mais essayons de connaître un minimum un sujet avant de s'exprimer dessus.
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