échange
de courriels avec un de nos plus hauts fonctionnaires d’autorité
BFF – Quant à notre pays... et
pourtant dès qu'on dialogue ou approche, surtout des inconnus, on perçoit
fortement que nous restons cohérents et conscients de nous-mêmes.
Lui - Je ressens la même chose dans mes contacts
sur cette proximité possible entre les gens au quotidien(ce que Mgr Pontier
qualifiait il y a quelques jours dans le Monde si je me souviens bien la
vitalité du "vivre ensemble" ) mais il faut la personnalité qui
puisse à la tête du pays déclencher et accompagner ce mouvement de
rapprochement ...
Le monde et l’époque de maintenant font
clairement connaître ce qu’ils sont.
Les décolonisations et les indépendances
des années 1948-1960, les progrès fulgurants des techniques de diffusion et de
communication virtuelles ont complètement changé la vie des personnes et
l’emprise des Etats. Les dictatures de la première moitié du siècle précédent
se fondaient sur de l’organisation et sur un culte de la personnalité dominant
l’appareil d’Etat : Staline, Hitler principalement. Ce système persiste
dans beaucoup de pays d’Afrique et, passagèrement (j’en suis convaincu), dans
la Russie de Poutine. Ce monisme est devenu l’exception. C’est la diversité
ethnique et sociale qui aujourd’hui constitue la « matière » à
orienter et à administrer par la politique. La plupart des peuples
démocratiques, notamment ceux de toute l’Europe et ceux de l’Amérique
anglo-saxonne, sont aux prises avec une option libérale les dépossédant du
principal outil de leur protection et de leur détermination propre : leur
Etat national, dont les dirigeants et les textes sont soumis à votation. Le
civisme, bien compris, est implicitement révolutionnaire au regard de cet ordre
économique et social établi sur une atomisation que l’on fait passer pour de
l’individualisme. Les corps intermédiaires et les Etats sont la cible d’un
système qui ne peut se maintenir qu’en prospérant et en allant à sa conséquence
la plus ultime le nivellement, dont très peu profitent.
La France ne fait pas exception mais ce
qui est nouveau, c’est qu’au lieu de contester cette évolution, elle la sert,
en son sein – tout le gouvernement d’un président censément élu à gauche, y
concourt depuis 2012, alors que les mandats précédents avaient seulement manqué
d’anticipation – et dans les relations internationales, en ne contribuant plus
à l’entreprise européenne, en n’imaginant pas l’antidote démocratique qui
réconcilierait l’Union européenne et ses ressortissants, une Union ainsi
nouvelle qui a la capacité potentielle de provoquer une nouvelle
« donne » mondiale, dans tous les registres de la stratégie, de la
sécurité, des échanges, de la monnaie et même de la « gouvernance »
mondiale, encore à attendre.
Les institutions voulues et pratiquées
par le général de Gaulle sont méconnues : l’omnipotence présidentielle
n’est sanctionnée que par l’éventuelle non-redoublement du mandat, elle n’a
prise que sur les procédures publiques et n’a plus ni rayonnement à l’intérieur
comme à l’extérieur, ni effectivité sur le patrimoine, notamment, industriel
des Français. Les élites ne sont plus discernées, elles ne sont plus formées
selon un modèle qui nous soit propre, c’est-à-dire adapté à notre nature qui
est très particulière par l’ancienneté de notre nation, par son fondement
davantage spirituel que territorial ou ethnique, par un Etat synonyme de bien
commun et de service public.
Le résultat que nous vivons à l’approche
d’une nouvelle élection générale quinquennale – puisque très malheureusement le
choix d’un président ou d’une présidente de notre République emporte le
renouvellement de l’Assemblée nationale – est un conformisme des familles
politiques et un dysfonctionnement des animations de la vie publique nationale.
Tout est figé pour cinq ans. L’ensemble de ces dérives et de ces contraintes
produit un découplage total entre les nécessités, les sentiments, la vie
quotidienne et l’expérience que chacun en a d’une part et celles et ceux que,
certes, nous élisons mais qui ne sont plus en mesure d’en imposer aux faits et
aux esprits.
Je ne suis pas seul à constater notre
propension intacte à comprendre le monde actuel et ses défis, ses obligations
aussi, et notre capacité civique et sociale. Mais il manque le ressort pour que
chacun soit employé, en même temps qu’à ses devoirs personnels, familiaux et de
convictions, au progrès du pays. La pédagogie des dirigeants politiques est un
paternalisme qui n’est pas efficace et qui méprise notre maturité, et même –
pour ce qui est des porientations nationales ou le développement de beaucoup de
nos entreprises – notre lucidité sur les voies et moyens salvateurs. Nous
sommes stérilisés, inemployés. Ce qui nous unit, quelles que soient nos
origines ou notre historicité, est méconnu, gaspillé par les médias et par les
dirigeants nationaux. Beaucoup d’élus locaux et de syndicalistes désespèrent au
contraire que de telles forces, un tel acquis, de telles novations et adoptions
soient enfin consacrées, appliquées à notre avenir ensemble et au rayonnement
de la France. Notre image est enlaidie, trahie depuis une quinzaine d’années.
L’ambiance est aussi débilitante pour les gouvernés que pour les gouvernants,
ceux-ci s’avérant incapables de changer et leur propre manière et l’ambiance
déterminant l’acte de gouvernement et d’orientation publique. Chacun note qu’il
faut changer mais en est incapable.
L’élection, dans sa forme présente, avec
ses quatre tours, comme il vient d’être observé (les primaires dans chaque
famille d’idées, les deux étapes du scrutin présidentiel), n’appelle
manifestement pas la ou les personnalités suscitant le consensus national. La
bonne volonté est banale. La crédibilité n’est nulle part. Notre crise n’est ni
économique, ni financière, ni sociale, elle n’est pas même morale. Elle est
proprement politique. Le pays et les dirigeants qu’il se donne par défaut
depuis 1995, sont comme prisonniers. Il n’y a plus d’élan parce que personne ne
l’incarne, mais cependant tout le monde l’attend.
Je crois les circonstances actuelles et
notre pays tels que l’imprévu est probable. Sans doute, l’équation est
exigeante. Personne à première vue, dans l’encombrement, la prolifération et le
conformisme médiatiques, ne se distingue – candidat ou pas – par une
expérience, des propositions, un passé hors de pair. Georges Clemenceau, Pierre
Mendès France, Charles de Gaulle ne sont plus. Des précédents plus à notre
portée ne sont pas invoqués. Qu’ils aient exercé les fonctions dont il s’agit
ces mois-ci, ou pas. Jacques Delors, Simone Veil sortaient « du lot »
par de grandes responsabilités, vécues avec succès, par eux-mêmes et selon
notre opinion publique. Et auraient pu nous présider convenablement. Sérieusement.
François Mitterrand, sans rien perdre d’un talent et d’une présence, d’un style
innés, n’aurait été, à la longue, qu’un banal président du conseil sans de
Gaulle. La campagne de 1965 a
été son sacre et l’a distingué de tous autres dans l’opposition, puis dans la
gauche. Cette situation a des paramètres qui peuvent se retrouver aujourd’hui,
même s’il y a du gâchis : ainsi Arnaud Montebourg, s’il avait clairement
mis en balance sa démission faute que Florange soit nationalisé, aurait
capitalisé sur l’originalité sinon le culot dont il avait fait preuve à
l’Assemblée nationale en cherchant à placer Jacques Chirac, président de la
République, devant la Haute Cour… ainsi Emmanuel Macron, si – au-delà de tout
procès en loyauté envers celui qui l’a mis en place au gouvernement et dans
notre opinion – il avait résolu quelques-uns de nos dilemmes dont le sort de
plusieurs fleurons industriels. Ni l’un ni l’autre n’a acquis de titre,
puisqu’ils n’ont pas fait ce qu’ils étaient en situation de faire. François
Fillon est le premier qui nous ait alerté sur notre situation comptable, c’est
un mérite. L’acquis le plus net et qui confirme un beau parcours antérieur et
une incontestable autorité de parole, de savoir et de plume, est sans doute
Christiane Taubira. Son titre, ses titres sont forts. Assez analogues à ceux de
Simone Veil, dans les décennies 1980 et 1990, qui la virent présider le
Parlement européen.
Il y a des choses qui tiennent encore
chez nous. Le corps préfectoral, nos trois armes, la gendarmerie, beaucoup de
nos administrations régaliennes ou territoriales sont fiables, civiques,
idéalistes même : être commandés, ces agents publics, ces soldats
l’attendent et savent aussi bien obéir qu’imaginer. De même, notre magistrature
et l’ensemble de l’appareil pénitentiaire et judiciaire, mais les moyens
manquent, cruellement et bêtement. Le corps enseignant n’est plus formé, les
personnels d’autorité ou d’animation censés les encadrer n’ont de rayonnement
et donc d’efficacité morale, pédagogique à raison de qualités propres mais non
d’un système les discernant. La fonction publique, variable d’ajustement
budgétaire lors de chaque campagne présidentielle, reste un de nos équipements
nationaux majeurs. Les agents de nos grandes entreprises, naguère publiques, et
demeurant perçues comme chargées d’un service pour tous : les trains, la
poste, constituent un exemple de ce que pourraient être une réappropriation
publique du crédit, de l’eau, des grandes infrastructures routières.
Enfin, les drames et les lacunes
coincidant avec le quinquennat en voie de conclusion ont mis en évidence la
« francité » des cadres religieux musulmans et convoqué à la
réflexion publique l’Eglise de France, plus sereinement qu’à l’occasion des
débats en bio-ééthique ou en droit familial. Le martyre du Père Hamel est
fécond pour l’ensemble de nos familles de foi et même d’incroyance. L’ensemble
de ces richesses est rare. Notre image dans le monde, très diminuée du fait de
nos dirigeants ne défendant pas notre patrimoine industriel ni agricole, ni surtout
notre longue tradition d’intégration de l’étranger, reste potentiellement belle
et forte : elle hiberne mais reste latente.
Je crois la France de braises. Il faut
peu pour qu’elle s’anime, s’enflamme chaleureusement, sans façon, au besoin
sans ses dirigeants en titre. Les rassemblements d’affirmation nationale et
libertaire, à la suite des attentats que nous avons subis depuis deux ans, ont
été spontanés. Ils appelaient leur reconnaissance pratique par la constitution
de gouvernements d’union et de consensus, ouverts à toutes les formations
politiques, représentées ou non au Parlement. Cela n’a pas été fait.
Nous n’avons pas besoin d’un audit de
nos finances publiques, mais d’un inventaire de nos cessions de patrimoine.
Nous n’avons pas besoin de textes sur l’immigration ou d’un débat sur nos
appartenances de fondation à l’Union européenne et à la monnaie unique. Nous
avons besoin de correspondre à ce que nous sentons fortement que nous sommes,
actuellement et naturellement, dans nos villes et campagnes. Notre production
littéraire et artistique ne correspond plus à nos capacités. Les volontés
politiques sont de petit objet. La croissance économique, la cohésion sociale,
l’éclat et les émergences culturelles postulent que nous avancions, sans
préalables. Si la classe politique, si les représentations patronales, si nos
médias sont si peu représentatifs de notre potentiel, personne ne se sent
considéré dans sa classe d’âge, c’est-à-dire dans la place qu’il croit avoir au
sein du cortège national contemporain.
Par mon âge et selon notre fille de pas
encore douze ans, je sais l’exigence morale et la comparaison mémorielle dont
la vieillesse est dépositaire, et j’expérimente la structuration naturelle,
agile et assoiffée de logique et de sincérité qui est le fait de notre
jeunesse. Nous sommes bâtis pour l’épreuve, celle qui n’a commencé que par
oubli de nous-mêmes, peuple et dirigeants confondus.
Je ne sais pas – et cela me manque, nous
manque – l’état moral, bien plus qu’économique, financier ou politique, de
chacun de nos partenaires et compagnons d’Europe. Il y a certainement à nous
connaître bien mieux et plus directement que par les médias ou le tourisme. Le
remède qui me paraît convenir, en ce moment, à presque tout et à nous tous, en
Europe et entre Français, c’est la confiance mutuelle sans aucune sorte de
hiérarchie, c’est donc la démocratie. Vraie, voulue, conséquente. J’en vois
deux moyens pour lesquels je milite depuis des années : l’élection au
suffrage direct du président ou de la présidente de l’Europe, l’établissement
d’un service militaire et civique, obligatoire, universel, pour garçons et
filles, assorti d’échanges de localisation pour accomplir ce service, dans le
territoire de l’Union et aussi parmi les peuples frères et voisins d’Afrique.
Bertrand Fessard de Foucault
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