samedi 15 octobre 2016

réflexion sur les Français, dans les circonstances actuelles, et leur classe politique


 
échange de courriels avec un de nos plus hauts fonctionnaires d’autorité

BFF – Quant à notre pays...  et pourtant dès qu'on dialogue ou approche, surtout des inconnus, on perçoit fortement que nous restons cohérents et conscients de nous-mêmes.

Lui - Je ressens la même chose dans mes contacts sur cette proximité possible entre les gens au quotidien(ce que Mgr Pontier qualifiait il y a quelques jours dans le Monde si je me souviens bien  la vitalité du "vivre ensemble" ) mais il faut la personnalité qui puisse à la tête du pays déclencher et accompagner ce mouvement de rapprochement ...


Le monde et l’époque de maintenant font clairement connaître ce qu’ils sont.

Les décolonisations et les indépendances des années 1948-1960, les progrès fulgurants des techniques de diffusion et de communication virtuelles ont complètement changé la vie des personnes et l’emprise des Etats. Les dictatures de la première moitié du siècle précédent se fondaient sur de l’organisation et sur un culte de la personnalité dominant l’appareil d’Etat : Staline, Hitler principalement. Ce système persiste dans beaucoup de pays d’Afrique et, passagèrement (j’en suis convaincu), dans la Russie de Poutine. Ce monisme est devenu l’exception. C’est la diversité ethnique et sociale qui aujourd’hui constitue la « matière » à orienter et à administrer par la politique. La plupart des peuples démocratiques, notamment ceux de toute l’Europe et ceux de l’Amérique anglo-saxonne, sont aux prises avec une option libérale les dépossédant du principal outil de leur protection et de leur détermination propre : leur Etat national, dont les dirigeants et les textes sont soumis à votation. Le civisme, bien compris, est implicitement révolutionnaire au regard de cet ordre économique et social établi sur une atomisation que l’on fait passer pour de l’individualisme. Les corps intermédiaires et les Etats sont la cible d’un système qui ne peut se maintenir qu’en prospérant et en allant à sa conséquence la plus ultime le nivellement, dont très peu profitent.
La France ne fait pas exception mais ce qui est nouveau, c’est qu’au lieu de contester cette évolution, elle la sert, en son sein – tout le gouvernement d’un président censément élu à gauche, y concourt depuis 2012, alors que les mandats précédents avaient seulement manqué d’anticipation – et dans les relations internationales, en ne contribuant plus à l’entreprise européenne, en n’imaginant pas l’antidote démocratique qui réconcilierait l’Union européenne et ses ressortissants, une Union ainsi nouvelle qui a la capacité potentielle de provoquer une nouvelle « donne » mondiale, dans tous les registres de la stratégie, de la sécurité, des échanges, de la monnaie et même de la « gouvernance » mondiale, encore à attendre.

Les institutions voulues et pratiquées par le général de Gaulle sont méconnues : l’omnipotence présidentielle n’est sanctionnée que par l’éventuelle non-redoublement du mandat, elle n’a prise que sur les procédures publiques et n’a plus ni rayonnement à l’intérieur comme à l’extérieur, ni effectivité sur le patrimoine, notamment, industriel des Français. Les élites ne sont plus discernées, elles ne sont plus formées selon un modèle qui nous soit propre, c’est-à-dire adapté à notre nature qui est très particulière par l’ancienneté de notre nation, par son fondement davantage spirituel que territorial ou ethnique, par un Etat synonyme de bien commun et de service public.

Le résultat que nous vivons à l’approche d’une nouvelle élection générale quinquennale – puisque très malheureusement le choix d’un président ou d’une présidente de notre République emporte le renouvellement de l’Assemblée nationale – est un conformisme des familles politiques et un dysfonctionnement des animations de la vie publique nationale. Tout est figé pour cinq ans. L’ensemble de ces dérives et de ces contraintes produit un découplage total entre les nécessités, les sentiments, la vie quotidienne et l’expérience que chacun en a d’une part et celles et ceux que, certes, nous élisons mais qui ne sont plus en mesure d’en imposer aux faits et aux esprits.

Je ne suis pas seul à constater notre propension intacte à comprendre le monde actuel et ses défis, ses obligations aussi, et notre capacité civique et sociale. Mais il manque le ressort pour que chacun soit employé, en même temps qu’à ses devoirs personnels, familiaux et de convictions, au progrès du pays. La pédagogie des dirigeants politiques est un paternalisme qui n’est pas efficace et qui méprise notre maturité, et même – pour ce qui est des porientations nationales ou le développement de beaucoup de nos entreprises – notre lucidité sur les voies et moyens salvateurs. Nous sommes stérilisés, inemployés. Ce qui nous unit, quelles que soient nos origines ou notre historicité, est méconnu, gaspillé par les médias et par les dirigeants nationaux. Beaucoup d’élus locaux et de syndicalistes désespèrent au contraire que de telles forces, un tel acquis, de telles novations et adoptions soient enfin consacrées, appliquées à notre avenir ensemble et au rayonnement de la France. Notre image est enlaidie, trahie depuis une quinzaine d’années. L’ambiance est aussi débilitante pour les gouvernés que pour les gouvernants, ceux-ci s’avérant incapables de changer et leur propre manière et l’ambiance déterminant l’acte de gouvernement et d’orientation publique. Chacun note qu’il faut changer mais en est incapable.

L’élection, dans sa forme présente, avec ses quatre tours, comme il vient d’être observé (les primaires dans chaque famille d’idées, les deux étapes du scrutin présidentiel), n’appelle manifestement pas la ou les personnalités suscitant le consensus national. La bonne volonté est banale. La crédibilité n’est nulle part. Notre crise n’est ni économique, ni financière, ni sociale, elle n’est pas même morale. Elle est proprement politique. Le pays et les dirigeants qu’il se donne par défaut depuis 1995, sont comme prisonniers. Il n’y a plus d’élan parce que personne ne l’incarne, mais cependant tout le monde l’attend.

Je crois les circonstances actuelles et notre pays tels que l’imprévu est probable. Sans doute, l’équation est exigeante. Personne à première vue, dans l’encombrement, la prolifération et le conformisme médiatiques, ne se distingue – candidat ou pas – par une expérience, des propositions, un passé hors de pair. Georges Clemenceau, Pierre Mendès France, Charles de Gaulle ne sont plus. Des précédents plus à notre portée ne sont pas invoqués. Qu’ils aient exercé les fonctions dont il s’agit ces mois-ci, ou pas. Jacques Delors, Simone Veil sortaient « du lot » par de grandes responsabilités, vécues avec succès, par eux-mêmes et selon notre opinion publique. Et auraient pu nous présider convenablement. Sérieusement. François Mitterrand, sans rien perdre d’un talent et d’une présence, d’un style innés, n’aurait été, à la longue, qu’un banal président du conseil sans de Gaulle. La campagne de 1965 a été son sacre et l’a distingué de tous autres dans l’opposition, puis dans la gauche. Cette situation a des paramètres qui peuvent se retrouver aujourd’hui, même s’il y a du gâchis : ainsi Arnaud Montebourg, s’il avait clairement mis en balance sa démission faute que Florange soit nationalisé, aurait capitalisé sur l’originalité sinon le culot dont il avait fait preuve à l’Assemblée nationale en cherchant à placer Jacques Chirac, président de la République, devant la Haute Cour… ainsi Emmanuel Macron, si – au-delà de tout procès en loyauté envers celui qui l’a mis en place au gouvernement et dans notre opinion – il avait résolu quelques-uns de nos dilemmes dont le sort de plusieurs fleurons industriels. Ni l’un ni l’autre n’a acquis de titre, puisqu’ils n’ont pas fait ce qu’ils étaient en situation de faire. François Fillon est le premier qui nous ait alerté sur notre situation comptable, c’est un mérite. L’acquis le plus net et qui confirme un beau parcours antérieur et une incontestable autorité de parole, de savoir et de plume, est sans doute Christiane Taubira. Son titre, ses titres sont forts. Assez analogues à ceux de Simone Veil, dans les décennies 1980 et 1990, qui la virent présider le Parlement européen.

Il y a des choses qui tiennent encore chez nous. Le corps préfectoral, nos trois armes, la gendarmerie, beaucoup de nos administrations régaliennes ou territoriales sont fiables, civiques, idéalistes même : être commandés, ces agents publics, ces soldats l’attendent et savent aussi bien obéir qu’imaginer. De même, notre magistrature et l’ensemble de l’appareil pénitentiaire et judiciaire, mais les moyens manquent, cruellement et bêtement. Le corps enseignant n’est plus formé, les personnels d’autorité ou d’animation censés les encadrer n’ont de rayonnement et donc d’efficacité morale, pédagogique à raison de qualités propres mais non d’un système les discernant. La fonction publique, variable d’ajustement budgétaire lors de chaque campagne présidentielle, reste un de nos équipements nationaux majeurs. Les agents de nos grandes entreprises, naguère publiques, et demeurant perçues comme chargées d’un service pour tous : les trains, la poste, constituent un exemple de ce que pourraient être une réappropriation publique du crédit, de l’eau, des grandes infrastructures routières.

Enfin, les drames et les lacunes coincidant avec le quinquennat en voie de conclusion ont mis en évidence la « francité » des cadres religieux musulmans et convoqué à la réflexion publique l’Eglise de France, plus sereinement qu’à l’occasion des débats en bio-ééthique ou en droit familial. Le martyre du Père Hamel est fécond pour l’ensemble de nos familles de foi et même d’incroyance. L’ensemble de ces richesses est rare. Notre image dans le monde, très diminuée du fait de nos dirigeants ne défendant pas notre patrimoine industriel ni agricole, ni surtout notre longue tradition d’intégration de l’étranger, reste potentiellement belle et forte : elle hiberne mais reste latente.
Je crois la France de braises. Il faut peu pour qu’elle s’anime, s’enflamme chaleureusement, sans façon, au besoin sans ses dirigeants en titre. Les rassemblements d’affirmation nationale et libertaire, à la suite des attentats que nous avons subis depuis deux ans, ont été spontanés. Ils appelaient leur reconnaissance pratique par la constitution de gouvernements d’union et de consensus, ouverts à toutes les formations politiques, représentées ou non au Parlement. Cela n’a pas été fait.

Nous n’avons pas besoin d’un audit de nos finances publiques, mais d’un inventaire de nos cessions de patrimoine. Nous n’avons pas besoin de textes sur l’immigration ou d’un débat sur nos appartenances de fondation à l’Union européenne et à la monnaie unique. Nous avons besoin de correspondre à ce que nous sentons fortement que nous sommes, actuellement et naturellement, dans nos villes et campagnes. Notre production littéraire et artistique ne correspond plus à nos capacités. Les volontés politiques sont de petit objet. La croissance économique, la cohésion sociale, l’éclat et les émergences culturelles postulent que nous avancions, sans préalables. Si la classe politique, si les représentations patronales, si nos médias sont si peu représentatifs de notre potentiel, personne ne se sent considéré dans sa classe d’âge, c’est-à-dire dans la place qu’il croit avoir au sein du cortège national contemporain.

Par mon âge et selon notre fille de pas encore douze ans, je sais l’exigence morale et la comparaison mémorielle dont la vieillesse est dépositaire, et j’expérimente la structuration naturelle, agile et assoiffée de logique et de sincérité qui est le fait de notre jeunesse. Nous sommes bâtis pour l’épreuve, celle qui n’a commencé que par oubli de nous-mêmes, peuple et dirigeants confondus.

Je ne sais pas – et cela me manque, nous manque – l’état moral, bien plus qu’économique, financier ou politique, de chacun de nos partenaires et compagnons d’Europe. Il y a certainement à nous connaître bien mieux et plus directement que par les médias ou le tourisme. Le remède qui me paraît convenir, en ce moment, à presque tout et à nous tous, en Europe et entre Français, c’est la confiance mutuelle sans aucune sorte de hiérarchie, c’est donc la démocratie. Vraie, voulue, conséquente. J’en vois deux moyens pour lesquels je milite depuis des années : l’élection au suffrage direct du président ou de la présidente de l’Europe, l’établissement d’un service militaire et civique, obligatoire, universel, pour garçons et filles, assorti d’échanges de localisation pour accomplir ce service, dans le territoire de l’Union et aussi parmi les peuples frères et voisins d’Afrique.

Bertrand Fessard de Foucault

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