mardi 2 août 2016

cinq idées reçues sur l’islam et le terrorisme - Le Monde.fr 25 Novembre 2015



Le Monde | 25.11.2015 à 15h30 • Mis à jour le 25.11.2015 à 17h18 | Par Madjid Zerrouky, Mathilde Damgé, Samuel Laurent et William Audureau
 
Le Coran, livre sacré de l'islam.

Beaucoup de préjugés ou de contre-vérités circulent sur l’islam depuis les attentats du 13 novembre revendiqués par l’Etat islamique. Décryptage.

1. Un salafiste n’est pas forcément un terroriste en puissance

Nombre de discours se concentrent en ce moment sur l’islamisme, et particulièrement sur le salafisme, courant traditionaliste, qui veut revenir à l’islam des origines. Sa montée en puissance dans l’Hexagone date des années 1990, grâce notamment au prosélytisme d’étudiants diplômés revenus d’Arabie saoudite où ils étaient allés suivre une formation en sciences religieuses. Il est associé à une vision de l’islam qui choque en France : port du voile ou d’un habit spécifique, de la barbe pour les hommes, pratique très rigoriste…
Néanmoins, dire que le salafisme est en soi un vecteur de terrorisme serait un raccourci abusif : la majorité des salafistes ne se reconnaissent pas dans le djihadisme et la plupart appartiennent à ce que l’on appelle la branche quiétiste, non violente, qui se refuse à tout engagement politique, source de « fitna » (« division »), et se concentre sur la pratique religieuse.
Il existe cependant une branche « révolutionnaire » du salafisme, le takfirisme, qui vise l’instauration par la force d’un Etat gouverné selon les règles de l’islam radical.
Si on observe les profils des terroristes djihadistes qui ont frappé la France, de Mohamed Merah à Abdelhamid Abaaoud, on constate par ailleurs qu’ils ne correspondent pas au cliché du « salafiste » barbu, étudiant l’islam pendant des années. Ce sont de jeunes délinquants, radicalisés suite à des rencontres, notamment en prison, qui ont souvent fait des voyages en Syrie, mais qui n’avaient pas un passé de religieux fervents.

2. L’islam n’est pas un critère ethnique, c’est une pratique religieuse

« Les musulmans doivent se désolidariser des terroristes », « les musulmans français ne doivent pas céder au communautarisme »… Depuis plusieurs années, on observe dans le discours une essentialisation de l’islam, comme dans ce tweet de Marion Maréchal-Le Pen, candidate du Front national aux élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
"Dans les banlieues, ce n'est parfois plus la loi de la République mais la loi de l'Imam !" #AixenProvence https://t.co/dH73hAwN8F
— Marion_M_Le_Pen (@Marion Le Pen)
A travers ce discours, les « musulmans » sont assimilés à une sorte de « bloc » unique, à qui on reproche son communautarisme… tout en le considérant d’emblée comme une communauté. Au point, d’ailleurs, de donner à penser que toutes les personnes de culture musulmane sont des croyants.
Or rien n’est plus faux : d’une part, l’islam, comme le christianisme ou le bouddhisme, est une religion. On ne naît pas musulman, on le devient, ou non. On peut être maghrébin et athée, être Syrien et chrétien…. Et même si l’on se dit croyant, la pratique peut être plus ou moins régulière, l’observation des dogmes et des règles également.
Sans compter qu’il n’y a pas une seule pratique mais des pratiques : chiites ou sunnites n’observent pas tout à fait les mêmes rites, et d’une mosquée à l’autre, prêches et vision de l’islam peuvent fortement changer, comme c’est le cas d’ailleurs de toutes les religions.

3. Tous les musulmans ne sont pas arabes, et réciproquement

En raison de son héritage colonial et de l’important contingent de Français d’origine marocaine, algérienne et tunisienne présents sur le territoire national, il est fréquent d’assimiler en France musulmans et arabes. L’idée est triplement absurde.
D’abord, à strictement parler, le terme « arabe » renvoie aux populations originaires de la péninsule arabique (Arabie saoudite, Qatar, Emirats arabes unis…) et est donc inadéquat pour les populations d’origine maghrébine.
Ensuite, la confession et l’origine géographique ne préjugent évidemment pas l’une de l’autre. De même qu’il existe des Marocains juifs et chrétiens, il existe des musulmans français de longue date : à Saint-Denis à la Réunion, la première mosquée a été construite en 1905.
Enfin, le visage de l’islam change considérablement d’un pays à l’autre, selon son histoire. Au Royaume-Uni, par exemple, la plus grande partie de la population musulmane est d’origine pakistanaise ; en Allemagne, elle est d’origine turque. Au niveau mondial, le pays musulman le plus peuplé se situe en Asie : il s’agit de l’Indonésie, avec plus de 200 millions de fidèles, devant l’Inde et le Pakistan.

4. La France n’est pas « envahie » par les mosquées

Contrairement à ce qu’avancent plusieurs personnalités ou médias comme Valeurs actuelles, la France n’est pas « envahie » par les mosquées.
Le nombre des lieux de culte n’est pas facile à quantifier, notamment en raison du manque de centralisme de l’islam en France. Contrairement au catholicisme, qui dispose d’une organisation claire et structurée, l’islam, est très peu hiérarchisé.
En 2012, le ministère de l’intérieur estimait qu’il y avait dans le pays 2 449 lieux de culte musulman, dont seulement 2,5 % de mosquées avec minaret. Ce nombre a fortement augmenté durant la dernière décennie : le précédent recensement faisait état de 1 536 lieux de culte en 2000.
Mais, rapporté au nombre de fidèles, ce chiffre reste très inférieur aux lieux de culte catholique. Si on estime qu’il y a en France 2 millions de pratiquants musulmans, on parvient au ratio d’un lieu de culte pour 816 fidèles. Si on reprend le chiffre de 3 millions de catholiques pratiquants (qui fréquentent au moins une messe par mois), et qu’on le rapporte aux 40 000 églises consacrées en France, on arrive à un ratio d’1 église pour 75 fidèles.

5. Le Coran n’appelle pas explicitement au djihad armé

Après les attentats du 13 novembre, comme après ceux de janvier, les ventes de Coran se sont envolées (7 des 20 meilleures ventes de livres religieux sur Amazon France concernent l’islam, dont le Coran en première place), comme s’il s’agissait de trouver dans le livre l’origine de cet appel à la violence.
A l’instar de la Bible ou de la Torah, le Coran a parfois des conceptions très datées de la justice et certaines sourates prônent la violence vis-à-vis des autres confessions, tout comme d’autres appellent au contraire à la tolérance.
Par exemple, dans la sourate 47, dite sourate de Mohammed, il est écrit :
« Quand vous êtes en guerre avec les impies, passez-les au fil de l’épée jusqu’à leur reddition. »
Mais dans la sourate 3, dite sourate de la famille d’Imran, il est aussi écrit :
« Le fait qu’ils soient coupables ne te permet pas de décider de leur sort. C’est à Dieu seul qu’il appartient de leur pardonner ou de les punir. »
Néanmoins, le djihad n’y est nullement décrit comme l’un des piliers de l’islam. Le concept de « djihad » (littéralement « l’effort ») s’applique avant tout au travail du pratiquant pour se conformer aux règles dictées par sa croyance. Ce n’est pas un appel au combat armé.
« Aucun livre sacré n’est aujourd’hui aussi souvent invoqué à l’appui de la violence ou de l’oppression, affirment Faker Korchane, professeur de philosophie, et Sophie Gherardi, fondatrice du site d’information Fait-religieux.com. Au point qu’il est légitime de se demander ce qui, dans ses versets ou dans son statut même, peut prêter à une telle instrumentalisation politique et religieuse ».
L’alternance entre explicite et ambigu dans le livre lui-même autorise de fait beaucoup d’interprétations. Pour Faker Korchane et Sophie Gherardi, l’interprétation est une véritable « passion » dans l’islam. Ils citent d’ailleurs Youssef Seddik, philosophe et anthropologue : « Le Coran a aboli toute interprétation imposée par une Eglise. En islam, chacun peut interpréter selon ses moyens, même le plus simple des croyants. Seule compte l’intention. »
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