vendredi 26 août 2016

le 26 Août 1944 - de Gaulle et la mer . les Français et la France - témoignages recueillis par la Fondation Charles-de-Gaulle


Geoffroy de COURCEL : Le 26 août 1944


Témoignage de Geoffroy de COURCEL


Né le 11 septembre 1912 à Tours, dans une famille de militaires et de diplomates. Il entre en 1937 au Quai d'Orsay. Mobilisé en 1939, ancien élève de Saumur, il est nommé, le 6 juin 1940, aide de camp du général Charles de Gaulle, alors sous-secrétaire d'État à la guerre. Le 17 juin, il part avec lui pour Londres et y organise l'installation du siège de la France libre.


L’arrivée dans la capitale du modeste cortège du Général s’était faite dans l’après-midi du 25 août au milieu d’une foule déchaînée d’enthousiasme. Descendant de voiture ainsi que les autres membres du petit groupe qui l’accompagnait et allumant une cigarette, il m’interpella en me disant : " Courcel, nous avons bouclé la boucle. "

Le peuple de Paris allait avoir l’occasion de lui rendre directement hommage dès le lendemain 26 août. La libération de la capitale était à peine achevée et des combats se déroulaient encore dans la banlieue au nord de Paris. Mais de Gaulle décida de se rendre de l’Étoile à Notre-Dame et y donna rendez-vous à la population parisienne tout entière.

A trois heure de l’après-midi, il arrivait de l’Arc de Triomphe, un immense drapeau tricolore flottant sous sa voûte. Accompagné d’André Le Troquer et d’Alexandre Parodi, de Gaulle ranima la flamme, entouré de Georges Bidault et des membres du Conseil national de la Résistance, d’André Tollet et des membres du Comité Parisien de la Libération, des officiers généraux Juin, Kœnig, Leclerc, d ‘Argenlieu, Vallin et Bloch-Dassault, des préfets Flouret et Luizet. Les honneur lui étaient rendus par le Régiment de Marche du Tchad. Après cette brève cérémonie, le général de Gaulle descendit à pied les Champs-Élysées escorté par ces personnalités et d’autres que je n’ai pas citées.

Le spectacle était extraordinaire. " C’est la mer ", écrira de Gaulle. En fait, une foule immense se pressait à la fois sur les trottoirs et aux fenêtres ou sur les toits des immeubles qui bordent les Champs-Élysées ; des grappes humaines s’accrochaient aux arbres et aux réverbères. Tous ces gens donnaient le spectacle de leur joie en acclamant Charles de Gaulle, qui les saluait majestueusement de ses bras, ne réussissant pas tout à fait à cacher son émotion. Et pourtant, malgré son caractère improvisé, malgré la présence de l’ennemi aux portes de Paris, ce défilé se déroula comme s’il avait été organisé longtemps à l’avance. L’hommage de ce bon ordre doit être rendu à la police parisienne, aux détachements de la 2è DB et au service d’ordre de la Résistance qui avaient uni leurs efforts pour qu’il en fût ainsi. Mais le mérite en revenait aussi au peuple de Paris : conscient de vivre un grand moment de son Histoire, il avait su rester maître de son enthousiasme. Pas un seul instant pendant la descente des Champs-Élysées, qui fut faite entièrement à pied au milieu des acclamations, la foule ne déborda le service d’ordre avant le passage du Général et du groupe de personnes qui marchaient avec lui.

La journée du 26 août fut aux yeux du monde entier la consécration définitive par le peuple français de la légitimité du gouvernement provisoire et de son Président, bien que les grands Alliés ne le reconnussent toujours pas. De Gaulle, non sans raison, attachait beaucoup d’importance à cette légitimité, qu’il considérait avoir toujours représentée. C’est ce qui l’avait amené, la veille au soir à l’Hôtel de Ville, à répondre à Georges Bidault, qui en tant que président du CNR le pressait de proclamer solennellement la République : " La République n’a jamais cessé d’être. La France Libre, la France Combattante, le Comité français de la Libération nationale l’ont tour à tour incorporée. Vichy fut et demeure nul et non avenu. Moi-même suis le président du Gouvernement de la République. "

Il l’était plus que jamais au soir du 26 août.


Georges GORSE
Extrait de l'ouvrage Avec de Gaulle (tome 1) de la Fondation Charles de Gaulle, Nouveau-Monde Editions, 2003.

Georges Gorse, alors chargé de mission au cabinet du Chef du G.P.R.F, suit le retour de De Gaulle en France à partir du 20 août de Cherbourg à Paris. Voici son témoignage à chaud sur l’arrivée du Général, le 25 août, dans la capitale insurgée et sa réinstallation au Ministère de la Guerre :


« On a dit à de Gaulle que tout de même, il vaudrait mieux qu'il se mette dans un véhicule blindé et fermé. Il était dans sa voiture découverte avec fanions. Nous arrivons donc dans Paris, Paris avec l'enthousiasme que vous savez. Nous passons par la gare Montparnasse et nous arrivons juste au moment où Leclerc arrive portant la capitulation de von Choltitz. A ce moment là, il y avait un bref conciliabule, j'étais dans l'auto qui suivait, et on s'est dit : "Où va -t-on ? " Quelqu'un a dit : "A l'Elysée, certainement pas ; à Matignon ? " " Non ", a dit de Gaulle. "Écoutez, j'ai quitté le ministère de la Guerre il y a cinq ans. Allons rue Saint- Dominique !".

Nous sommes donc arrivés rue Saint-Dominique après une petite escale au coin du boulevard Saint-Germain – au moins pour ma voiture, pour celle du Général je ne sais pas – parce que ça tiraillait pas mal et on a dû s'arrêter en attendant que les choses se calment.

Je suis donc arrivé cinq minutes après, rue Saint-Dominique où de Gaulle était pressé par un certain nombre de gens dont Morandat, je crois, qui lui disait : "Mais qu'est-ce que vous faites là ? Vous vous êtes mis dans le dernier coin de Paris qui est encore plus ou moins encerclé par les Allemands, alors qu'on vous attend à l'Hôtel de Ville. Il faut absolument aller à l'Hôtel de Ville! ". Alors tout le monde est allé à l'Hôtel de Ville, naturellement pas en voitures blindées mais en voitures découvertes. Et je suis arrivé, peu à sa suite, sur cette place de l'Hôtel de Ville qui était noire de monde. Je me suis accroché aux basques d'un type qui essayait de fendre la foule, en disant : " Mais laissez- moi passer, je suis le Préfet de Police ". C'était Luizet, à quoi les braves Parisiens disaient : " Le Préfet de Police, mon œil ! " Je suis tout de même arrivé au moment où on essayait de retenir de Gaulle par les pans de sa veste, car il avait grimpé de manière un peu dangereuse sur le balcon, pour faire son discours. »



Jean DONNEDIEU de VABRES
Extrait de l'ouvrage Avec de Gaulle (tome 1) de la Fondation Charles de Gaulle, Nouveau-Monde Editions, 2003.

Jean Donnedieu de Vabres, qui avait dans la clandestinité participé au Comité général d’études, était, en août 1944, chef de cabinet d’Emile Laffon, secrétaire général provisoire du ministère de l’Intérieur. Voici selon lui comment la Libération fut perçue de la Place Beauvau :


« La seconde étape a été l’insurrection parisienne à la mi-août. Nous nous sommes installés place Beauvau, qui était autrefois le ministère de l’Intérieur et qui allait le redevenir. Nous avons poussé notre exploration jusqu’à la rue des Saussaies, voisine de la place Beauvau et nous avons découvert les restes de la Gestapo qui venait de partir, avec les instruments de torture qui étaient encore là, les baignoires de triste mémoire. Notre petite équipe est placée sous l’autorité d’Emile Laffon, qui est un ancien de la Résistance qui prend le titre de secrétaire général provisoire à l’Intérieur en attendant – on attendait beaucoup de choses à cette époque – l’arrivée du ministre de l’Intérieur qui sera pendant quelques semaines seulement Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Nous sommes les témoins des combats de rue, nous apercevons le Grand Palais qui brûle. Les forces de Leclerc sont à la porte d’Orléans, le général de Gaulle n’est pas encore arrivé, notre pouvoir ne s’exerce pas encore dans un grand rayon d’action. Nous nous efforçons dans un premier temps de mettre de l’ordre dans les mairies de Paris où règne une anarchie complète. On voit apparaître un nouveau préfet de police, Luizet, un préfet de la Seine, Flouret, avec auprès de lui Jean Mons dont j’ai bien connu la carrière qui était secrétaire général de la préfecture de la Seine. »

Roger GOETZE
Extrait de l'ouvrage Avec de Gaulle (tome 1) de la Fondation Charles de Gaulle, Nouveau-Monde Editions, 2003.

Roger Goetze, directeur du commissariat aux finances, était resté à Alger et bataillait contre la diffusion de dollars d’occupation dans l’empire français considéré par nos alliés comme passé sous leur mouvance depuis le débarquement de novembre 1942. Il témoigne de l’écho de la Libération outre-mer et de sa découverte début septembre d’un Paris libéré :


« On ne savait pas quel était le degré de libération : on avait su que Paris était libéré, mais pas plus. La Libération de Paris, quel souvenir quand on l’a vécue justement du balcon du lycée Fromentin ! C’était vraiment un jour extraordinaire. Bref, nous étions tout de même encore là et nous étions partis pour arriver, finalement, tout simplement au Bourget, le seul point d’atterrissage qu’on n’avait pas prévu : on avait envisagé Orléans, Reims, autre chose, mais on ne pensait pas arriver finalement à Paris, étant donné la brièveté du temps écoulé depuis sa libération effective, puisque c’était le 3 ou 4 septembre. L’arrivée à Paris a été extraordinaire, car nous n’avions rien du tout, nous étions au bord de la route, puis il est passé des camions américains qui nous ont embarqués et ça a été le défilé par Aubervilliers et toutes ces villes qui se sont pavoisées, il y avait une espèce de courant qui précédait nos camions et qui entraînait les gens à venir voir ce qui se passait et qui nous ont fait des ovations vraiment inoubliables. Et puis naturellement ils nous ont lâchés place de la Concorde. Et là, qu’est-ce que nous pouvions faire ? Moi j’ai été simplement voir le métro qui fonctionnait et j’ai pris le métro pour aller voir ma mère qui habitait porte de Pantin. C’est comme ça que j’ai pris contact au retour avec Paris. »
Edgar PISANI
Extrait de l'ouvrage Avec de Gaulle (tome 1) de la Fondation Charles de Gaulle, Nouveau-Monde Editions, 2003.

Edgar Pisani, chef de cabinet du nouveau préfet de Police de Paris, il fut un des rares parisiens à ne pas assister aux scènes inoubliables des 25 et 26 août du Général à l’Hôtel de Ville et sur les Champs-Elysées, parce qu’il devait « garder la maison ». Mais grâce aux récits que lui en ont faits ses collègues, dans son souvenir, c’est comme s’il avait été au premier rang !


« J’étais à la préfecture de police chef de cabinet de Luizet, lui-même très proche du Général. Luizet m’en avait beaucoup parlé. Et le 24 août, il est venu. Et je ne l’ai pas vu le 24 août car il a paru nécessaire que je garde la maison pendant que se déroulait le grand défilé des Champs Elysées et l’arrivée à l’Hôtel de Ville .
Les tireurs des toits. Deux anecdotes à ce propos, auxquelles je n’ai pas été mêlé mais qui m’ont été directement rapportées. Lorsqu’il était au balcon de l’Hôtel de Ville, quelqu’un lui a dit : « Proclamez la République ». Il a refusé de le faire parce que, selon lui, la République n’avait pas été abolie puisque l’acte qui avait prétendu la supprimer était illégitime et illégal. Deuxième image intéressante, et l’une et l’autre m’ont été rapportées par des témoins directs. C’est dans Notre-Dame, les fusils se mettent à pétarader et une grande partie de la foule se couche ou s’accroupit pour ne pas servir de cible. Il est l’un des seuls à rester debout… Je l’ai vu ensuite finalement beaucoup, parce que j’étais chargé à l’Hôtel de Ville d’organiser ses cortèges, ses déplacements.
Un souvenir de cette époque : le jour de la Libération, ou plutôt le jour de la victoire de la France, des Alliés sur l’Allemagne, il est allé à l’Etoile célébrer. Il y avait une foule immense et folle qui a débordé les forces de police. Il y avait là des gardes républicains à cheval. Il avait le sentiment d’une espèce d’absence. Il n’avait rien à faire avec le brouhaha, il ne pouvait pas le maîtriser lui-même, ce n’était pas son métier. Alors il s’est enfermé comme en sa dignité, comme en sa raideur car il lui arrivait d’être raide. Il a attendu qu’on le dégage, alors il est monté dans sa voiture et il est parti. »


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