vendredi 29 juin 2012

actualité et réflexion d'il y a trente six- ans - article oublié par le journal Le Monde . 2 Novembre 1976

1976… 2012… L’Europe d’alors est à neuf, l’Anglettre y fait déjà bande à part alors que son adhésion n’a pas quatre ans, l’entente personnelle vive et imaginative du président français et du chacelier allemand n’a pas encore mis au point le « système monétaire européen » de philosophie très différente de celle de la « zone euro ». Le monde et l’Europe reste marqué par la division Est-Ouest, le processus d’Helsinki commence à peine, la Grèce, l’Espagne et le Portugal sortent à peine de dictatures qui sauf à Zthènes, ont duré des décennies et les économies viennent de subir le « premier choc pétrolier ». Il manque un fil conducteur. Les institutions et les mécanismes des Communautés européennes sont alors très populaires mais n’ont pas encore toute leur emprise. Les réunions « au sommet » pour les Européens, et aussi entre principales puissances occidentales, Japon compris, commencent de s’inventer, en grand partie à l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing.

Je donne ici autant une perspective européenne différente de celle en cours – que me dictent mon affectation dans les services économiques et commerciaux de notre ambassade à Lisbonne et mon intimité avec la Mauritanie afro-arabe de Moktar Ould Daddah – qu’un inventaire des possibilités françaises.

L’époque n’est pourtant pas si différente qu’elle le paraît de ce que nous vivons aujourd’hui, et le même manque d’un souffle historique, d’une dimension au plus large, au plus profond, au plus lointain s’y fait ressentir. La sensation est cependant que la France et l’Europe peuvent encore se conduire tandis qu’aujourd’hui elles ne peuvent plus que réagir, faute de voir. Le processus de Barcelone comme celui d’Oslo sont moribonds, les « printemps arabes » et les questions d’immigration sont traités séparément, peureusement. L’économie et la démographie pourraient tout faire bouger, actuellement elles enferment.                                  

Pour une Communauté latine

La France pourrait avoir une diplomatie autre que celle des amitiés personnelles du président de la République, qu’il s’agisse de la péninsule ibérique ou grecque, autre que celle des combinaisons de politique intérieur, qu’il s’agisse de doubler le communisme en France ou en Italie par les élections prétendûment européennes.

Cette diplomatie constaterait qu’il importe autant à la France d’établir des solidarités méditerranéennes que de renouveler la solidarité européenne [1]. Pourquoi s’engager dans la voie compliquée de ouvelles adhésions au Marché commun ? Pourquoi flatter l’illusion des Européens du Sud que les institutions de Bruxelles régleront leurs difficultés économiques ? Pourquoi augmenter encore al clientèle de l’Europe du Nord, l’osmose hanséatique qui fait renier aujourd’hui aux Latins et leur solidarité naturelle avec l’autre rivage de la Méditerranée et une civilisation du soleil et du verbe qui n’est celle ni de Copenhague, ni de Hambourg, ni de Rotterdam ?

La France, « empire du juste milieu », a, bien sûr, une part dfe son âme et de sintérêts sur le Rhin et sur la Manche ; mais elle ne peut se confondre tout entière avec un seul des téâtres qui la bordent. La crise de l’économie et de la démocratie européenne devrait inspirer à Paris une autre initiative sans doute aussi « historique » que celle de Robert Schuman. La France proposerait aux Etats de l’Europe du Sud, qu’ils soient ou non déjà membres du Marché commun, qu’ils soient ou non en régime libéral, d’explorer les voies d’une – nouvelle Communauté.

Celle-ci se ferait sur trois données :
– Quel que soit le régime économique nominal des Etats d’Europe méridionale, le secreur étatisé ou socialisé y est important, sinon excessif. Mais l’initiative privée garde une place, même si l’étiquette « collectiviste » est affichée ou proposée ;
– Quel que soit leur degré d’avancement technologique, ces peuples préfèrent la civilisation agraire et le grand air à celle de l’ordinateur. L’agriculture y a encore une grande place, et l’apparente concurrence en ce domaine pour faire place à de grandes complémentarités si une politique commerciale commune, un plan d’équipement, étaient délibérés de concert, surtout dans un monde qui a faim…
– Ces Etats ont surtout en commun des évidences politiques et nationales – c’est chez eux qu’ont été inventés l’Etat, la démocratie, le droit écrit, – et ils n’ont pas attendu les diatribes de M. Kissinger pour établir chez eux la justice. Ils ont en commun de subir la même agression des Nordites d’Europe et d’Amérique ; le chancelier Schmidt, oubliant un de ses prédécesseurs, sinon deux, brocarde publiquement leurs régimes et leur histoire. M. Kissinger ne les considère que par rapport à une entreprise subversive communiste.

Ces Etats ont en commun surtout de posséder ensemble une des clés les plus sûres du demi-siècle à venir : la érconciliation et l’œuvre commune de tous les riverains de la Méditerranée, mariant enfin sous l’olivier, qui oartout y trouve son terreau, ressources énergétiques et démographie, mystique monothéiste, capacité industrielle et technologique. C’est l’Europe du Nord, l’Allemagne et les Pays-Bas, qui à l’automne de 1973 ont empêché que la solidarité européenne soit celle des producteurs et des consommateurs, au lieu des antagonismes nourris depuis, malgré les apparents rendez-vous Nord-Sud.

Madrid, Rome, Paris, ont trop d’attaches, de souvenirs, d’affections, de cimetières aussi en Afrique du Nord. Belgrade, Athènes, Istanbul connaissent trop l’Islam et les rives du Nil. Venise, Marseille, Gênes, Barcelone, sont trop jumelles de Carthage, Tyr, Sidon, Alexandrie, pour que ne recoommence pas une histoire commune seulement interrompue quelques siècles par la falsification des éphémérides et des religions, par d’illusoires tentatives de domination réciproque, par de très nouveaux et artificiels racismes aujourd’hui…

De quel poids évident la France ne pèserait-elle pas dans cette Communauté dont elle aurait eu l’initiative ? Quelle influence n’y gagnerait-elle pas dans l’autre entreprise, celle de l’Europe continentale, qu’elle fortifierait et ouvrirait ainsi ? Quel décisif changement de la pllanète après Yalta, quand tous les riverains de la Méditerranée feraient de cette mer leur propre lac : à Naples, à La Rota, à Canjuers, au Piréen descendrait la bannière étoilée. L’Eurafrique ne se diluerait plus en coopération mondiale et chiche, et l’indépendance énergétique ne se négocierait plus sous les auspices de Washington.

Descendant chacun, même si c’est par une main différente, des mêmes rois de France… le président de la République et le roi d’Espagne pourraient peut-être inventer et dire ensemble cette politique avant que, d’ici à Noël, M. Giscard d’Estaing s’envole pour Rome et peut-être pour Lisbonne.

Le Monde . 2 Novembre 1976



[1] - résolutions adoptées par le deuxième rassemblement du Mouvement des démocrates de Michel Jobert, qui s’est tenu à Marseille les 23 et 24 Octobre 1976

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