Voici le premier jet....
Mercredi 11 Novembre 2009, Surzur - Morbihan
Les chiens sur la banquette arrière, une vitre descendue un peu, la voiture garée entre la médiathèque et la mairie, nous avons marché – notre fille sur mes épaules, ma femme demeurée à la maison, six kilomètres du centre-bourg, en pleins prés, un rentrant de mer après les arbres, on y voit la marée changer tout puis laisser tout. Devant la place de la poste qui fut celle, anciennement de la mairie, où fut donc la première car l’inauguration était récente quand une nouvelle, l’actuelle fut entreprise, une petite foule, la centaine de personnes, trois drapeaux, chacun est dressé et les bavardages sont machinaux. Nous nous sommes placés directement derrière les deux files de quatre pompiers, képis, vêtements bleus ajustés aux tailles qui sont bien prises. Marguerite a amené un petit livre qu’elle avait prêté à sa maîtresse en grande section, depuis la visite commentée de la cidrerie locale. J’ai fait partie des parents accompagnants, mon écriteau d’ambiance pour super-marchés, sur le ventre : je ne suis pas le papy, et sur le dos : je suis le papa.
J’ai soixante-six ans et demi. Monument aux morts devant la préfecture de Loir-et-Cher. Depuis, a été érigée une belle statue à la mémoire des martyrs de la déportation. Nous sommes à mon époque en 1966. Au garde-à-vous, élus, préfet, évêque et stagiaire de l’E.N.A. entendent, transmis en direct, le général de Gaulle évoquer la bataille de Verdun… la voix est si connue… ces qualités de chef, Pétain… la clameur à des centaines de kilomètres de là des poilus encore nombreux pour le cinquantenaire de la bataille, dont on ne sait plus si elle était décisive ou symbolique – j’entre dans mon sujet, Monsieur le Président de la République : le symbole fait la décision, incarner un pays le change avec une force qu’aucune contraintre, aucune loi, aucune circonstance ne saurait conférer à quiconque. Se reconnaître en quelqu’un qui – tout autrement que dans notre ancienne monarchie – cristallise la vie, le passé, l’élan du pays, d’un peuple en un moment ou en plusieurs moments de son actualité, ce qui sera plus tard son Histoire. J’ai vêcu de Gaulle, à notre tête, en actualité. Pas de secrets, pas de scandales, pas d’informations particulières, tout se voyait et tout se comprit. Pour la France, et encore beaucoup de Français dans les années 1960, c’était la seconde fois, il y avait eu le 18 Juin 1940 … je dis l’honneur… je dis le bon sens… je dis l’intérêt supérieur de la patrie, et 1944… mais Paris… Paris martyrisé, Paris libéré, libéré par son peuple… dans cette seconde fois, il n’y avait pas encore eu, après la lente journée à remonter vers Montréal, non loin du si large Saint-Laurent, le Chemin du roy, l’indicible – et pas forcément feinte – hésitation : vive le Québec… vive le Québec… libre ! Le r avait été roulé. L’articulation avait été lente, comme au soir du 22 Avril 1961 … un pronunciamento militaire… elle ne le serait pas le 30 Mai 1968 … il faut que partout et tout de suite… Pas une guerre, c’était la fin des guerres, une sorte de vie normale où la France et les Français faisaient bon ménage. Il y avait l’opposition – ce fut nouveau – et la majorité, c’était une trouvaille de publiciste, Bongrand, je crois. Il y avait la gauche grâce à François Mitterrand, concluant son premier passage A armes égales, à la suite de son score inouï à la première élection présidentielle, directement au suffrage universel, inouï, parce qu’avaient voté contre de Gaulle les agriculteurs, pour lesquels le Général averti dûment de tous risques par Couve de Murville exerçait un chantage total à Bruxelles, les chrétiens en grand nombre enveloppés par le maire de Rouen et une Europe utopique, et les haineux depuis, précisément, 1940 : si je n’ai pas su dire que la gauche, c’est…
Le maire s’est avancé, ma fille et son livre : Les fruits du jardin, se plante à son côté, pas musique, un texte d’un ancien combattant en Afrique du nord, les garde-à-vous, la lecture du message d’un secrétaire d’Etat interchangeable, identifiable seulement en cas de profanation de cimetière. Le « pot de l’amitié ». Ma fille reçoit son jus de fruit et me tend le Kir breton, l’un de ceux qui me donnent mon prénom commente les chasses autour de chez nous, selon les règles que j’impose, car les sangliers, ce n’est pas moi qui en ai peuplé la France, il y a une quinzaine d’années, au point qu’ils prolifèrent, et que ma femme et moi nous détestons ces canarsdages, ces tenues de combat, ces matamores d’école maternelle qui tire des laies pleines ou suités, qui laisse même un chevreuil pourrir à l’orée d’une de nos reboisements. Mais j’aime bien ce visage aux yeux clairs, le front carré. L’ostréïculteur qu’il a fallu amputer, en rajoute sur cette maison de quatre mètres sur quatre qui fut démontée pierre à pierre, juste avant que j’achète, ce qui m’a privé d’un permis de réhabiliation splendide, toute l’enfilade de la rivière et des marais jusqu’à Penerf, la tour des Anglais et le large au delà de Quiberon et de Belle-Ile. Le maire et notre jumelage avec un bourg de Haute-Silésie, il ajoute au discours gouvernemental le souvenir du récent voyage là-bas en municipalité. Elu à huit contre un en « papillon », dès la fin forcée de ma carrière diplomatique – j’avais ouvert notre ambassade au Kazakhstan sur l’insistance de Pierre Bérégovoy auprès de François Miterrand, en 1992, mais en 1995 les temps n’étaient plus à ces signataires – j’ai été conseiller municipal ici, puis, candidat à la succession, j’ai été archi-battu, puis trahi, au sein de la petite association que j’avais fondé pour occuper ceux de notre liste qui ne passeraient pas, et les assoccier donc à notre victoire. Les commémorations par de Gaulle, les candidatures à l’Assemblée nationale, à la mairie ici ou naguère dans le Haut-Doubs, ne me sont plus présents, ce n’est que de la chair qui ne vieillit pas, qui fait muscle mais ne me donne aucune libido. Le chef du service qui m’accueillit dans l’administration – celle des Relations Economiques Extérieures aux Finances alors quai Branly où maintenant se visite le musée voulu par votre prédédécesseur immédiat, Monsieur le Président de la République (quel sera le vôtre ? seulement les maquettes du Grand Paris ? Linz et Berlin expliqués en maquettes par Albert Speer jusqu’aux débuts de 1945, autres personnages et autres époques) – Antoine-Jean Hullo, à l’accent inimitable, qui avait choisi la carrière d’attaché commercial dans nos ambassades au lieu de l’inspection des finances, à laquelle, major de sa promotion de l’E.N.A., il pouvait prétendre, me dit assez vite : on me dit que vous êtes très ambitieux, mais si vous l’étiez vous vous y seriez pris autrement. Je n’avais pas trois-quatre ans encore de vie professionnelle.
Marie-Claire qui tenait avec sa mère le Café des voyageurs me hèle quand nous partons, et, de sa voiture, veut m’acheter les photos. que je n’ai pu prendre, ayant oublié de charger mon appareil. Elle n’était que gérante, elle a perdu des points de retraite quand la propriétaire a voulu faire de l’argent, elle aimait ce métier où l’on venait, chacun, lui raconter ses misères.
La petite route au pays perdu, d’un côté des prés vallonnés, une chapelle, sainte Marguerite y a sa statue, la station d’épuration dont notre fille distingue l’ôdeur de celle des épandages, à droite, les avancées de la mer par l’étier de Caden, à très fortes marées. Nous rencontrons à la maison. France Infos. Hervé Morin refuse que le 11-Novembre devienne une journée franco-allemande, festive, pour la paix. Sans doute, la relation entre la France et l’Allemagne est-elle exemplaire, prometteuse aussi d’une intégration européenne, mais à venir, dans trente ans… Le ministre est tonique pour ceux qui, depuis près de soixante ans, espèrent que quelque chose se fasse qui soit grand et adéquat.
Nous avons dépassé sur la droite le remblai avec le petit pré où une chèvre naine, à la chaîne, mais souvent dépaysée o quelques kilomètres de là, pas malheureuse semble-t-il, une petite niche, puis une pâture, des chevaux avec leur couverture de pluie. Présentation-dialogue d’un film A l’origine de Xavier Gianolli – je ne suis pas sûr de comprendre le nom, qui m’est tout à fait inconnu. Je ne vais plus guère au cinéma depuis notre mariage : notre fille que nous ne pouvons laisser seule, et le gardiennage compliqué et triplant le prix de notre escapadae. Célibataire ou adolescent, les ciné-clubs, les salles d’art et d’essai, les cahier du cinémas. On y est, une friche d’autoroute, un escroc fait croire à toute une agglomération que les travaux vont reprendre, fait-divers il y a dix ans. Le réalisateur est allé rencontrer le type en prison, qu’il a ensuite perdu de vue, aujourd’hui introuvable. J’écoute… Cet homme qui ment croit à son mensonge et y fait croire … Une route, cela mène toujours quelque part … Comment une histoire aussi extraordinaire peut arriver en France, aujourd’hui… Se conquérir, l’humain… Voilà ce que j’ai ressenti en lui parlant, quelqu’un de banal et de terne, pas du tout hâbleur. Rencontrer un fait divers aussi extraordinaire, aussi romanesque, quelque chose vibre, quelque chose qui ne demande qu’à se déployer…. A l’origine, ce qui m’intéresse ce sont les rapports humains. Je suis saisi.
Monsieur le Président de la République, vous êtes un fait-divers dans notre histoire, dans la vie nationale, et la France donne au monde et à l’Europe qui demandent autre chose ou rien, fournit un fait divers. Culot, boniment, brèves de comptoir, données avec tutoiement pour le premier rang du parterre, car vous parlez surélevé et d’estrade, un coude sur le plat du pupitre. Mais vous êtes le Président de la République et vous gouvernez personnellement, directement. Vous nous avez habitués à être tous les jours présentés dans les journaux télévisés, pas seulement un avis sur tout, mais vous tranchez de tout, d’absolument tout. Pas de débat dans le pays qui ne soit le vôtre, que vous l’ayez initié – les présentations de maintenant pour ce genre d’exercice sont des propositions, des pistes après que le début de votre mandat vous ait fait écrire, avec parfois le contreseing du Premier ministre, des dizaines de lettres de mission, débats et lettres préjugeant toujours issue et résultat – ou qu’un fait divers, dramatique ou pitoyable mais frappant l’opinion publique, vous donne l’occasion d’une décision. Le prix des cigarettes, la publicité sur les ondes publiques, la suppression de la taxe professionnelle ou de la fonction de juge d’instruction, les multiples amendements du Code pénal et du Code de procédure pénale, la question de confiance sans la forme pour le travail dominical, pour la protection des propriétés intellectuelles sur la « toile », pour le maintien en détention des personnes dangereuses même si leur peine est purgée, pour des mesures fiscales limitant l’imposition des plus gros revenus et fortunes (le « bouclier fiscal »), une ou deux décisions de fond par semaine, à fort impact sur le corps de nos législations, sur les principes les plus ancrés, sur des habitudes jusques là tranquilles et légitimes. Vous traitez de l’avenir de l’industrie, de la viabilité de l’agriculture, vous désignez les coupables, Daniel Bouton ou Dominique de Villepin que l’instance de décision soit un conseil d’administration ou un tribunal correcionnel. Vous vous étranglez d’indignation sur les bonus, vous dictez spontanément l’exposé des motifs et les principales dispositions d’un projet de loi pour répondre en entreetien radio-télévisé à la question d’un journaliste vous priant de faire le bilan d’un conflit social (celui sur les régimes de retraite). Je ne pose ici que des exemples, ils foisonnent depuis trente mois.
Vous cumulez rôles, fonctions, tâches, responsabilités, Président de la République mais assurant la communication gouvernementale à vous seul, la coordination interministérielle et les ajustements réglementaires, en lieux et place du Premier ministre, qualifié de collaborateur. Vous accaparez les annonces qui étaient jusqu’à vous du ressort d’un secrétaire d’Etat ou d’un directeur d’administration centrale. Vous mettez à pied le préfet de Saint-Lô parce que de loin l’on vous a sifflé, le préfet du Var parce que l’assainissement de la résidence du Cap-Nègre en syndicat de voisinage ne s’établit pas assez vite. Vous privez de toutes décorations les militaires parce que par malheur – et, nous l’admettons, pare négligence – un dramatique accident en démonstration d’armes a lieu à Carcassonne. L’histoire de Neuilly est devenue familiale, votre fils en sera député-maire à titre viager et à peine plus tard que conjecturé, il présidera l’un des établissements publics qui a en France le plus fort pouvoir d’entrainement en financements, en emplois discrétionnaires, en prestige en sorte que le contrôle de la machine électorale qu’est l’U.M.P. sera héréditairement acquis. Vous êtes juge et partie. Timidement, des constitutionnalistes firent remarquer au premier automne de votre mandat que le Président de la République ne peut divorcer que par consentement mutuel puisqu’il ne saurait être attrait devant un tribunal s’il faut le départager avec son épouse. Aujourd’hui, vous êtes partie civile dans l’affaire Clearstream et il est soutenu que vous ne pouvez, du fait que vous êtes le Président de la République, avoir moins de droits qu’un autre citoyen, de même on ne saurait contester le droit, à l’égal de tout Français, qu’a votre fils de se faire élire conseiller municipal, conseiller général, chaque fois chef de la majorité locale, puis dès que possible à l’Assemblée nationale, pour être en situation de postuler votre succession présidentielle, sans doute de votre vivant, comme les Capétiens instaurèrent l’hérédité par l’élection de leur progéniture pendant les trois premiers siècles de notre ancienne monarchie, à une place qui n’était originellement que viagère.
Je ne critique pas, je constate la tolérance universelle de cette manière de faire. Elle va de pair avec l’acceptation de votre manière d’être. Une déclaration d’amour en livre de candidature présidentielle, il s’agit de votre seconde épouse – les maîtresses ne sont pas dans ce compte, et la place des femmes dans votre vie avec leur impact dans votre carrière et dans votre gouvernement ne seront à analyser qu’une fois dit pourquoi je vous écris – une mise en valeur de l’héroïne à propos d’un véritable fait d’armes, une libération d’otages, puis un changement d’héroïne littéralement à vue que vous poussez entre vous et le président des Etats-Unis aux commémorations du débarquement de 1944, entre vous et la chancelière allemande sous l’Arc-de-Triomphe pour la commémoration de l’armistice de 1918, chez les parents de qui vous résidez au lieu d’habiter la villégiature présidentielle de Brégançon, organisée dûment pour l’accomplissement de vos fonctions. Vous soufflez au Premier ministre l’agréable pavillon de la Lanterne. Vous entrez chez le pape, un portable à l’oreille et l’écoutez main à la chaussure, jambes croisées – je me souviens à Simonos Petra où l’office quotidien commence à minuit pour faire passer les participants de la nuit du Vendredi Saint à l’aurore de Pâques et donc les amener au chant du Notre Père et à la communion sous les deux espèces, quand point le jour, en sorte qu’à l’heure de Byzance on dort toute la matinée, sans s’en porter plus mal, un moine me fit, fermement, signe que dans une église, on n’a pas les jambes croisées – et vous quittez avant le café la reine d’Angleterre qui vous traitait officiellement à dîner, chez elle, à Windsor. Magnifical, auriez-vous asséné pour marquer votre appréciation du décor et des choses, ignorant que la souveraine est plus francophone (et francophile) que la plupart de nous : les égards et même l’affection dont la famille royale entoura le général de Gaulle, si souvent bléessé au duel avec Churchill. Egards, courtoisie, politesse plus encore que politique – je veux n’y venir que plus loin, car il s’agit avec vous de comprendre que votre manière de faire et d’être ne produit rien et perd même sa puissance de scandale – quand vous n’accordez au Dalaï-Lama qu’une demi-heure, traduction comprise.
Vous imposer dans le commentaire quotidien des gens de métier et des élus, courir après la vignette et l’image, les photographies avec le nouveau président des Etats-Unis en sorte que la couverture des magazines soit un supplément d’affichage électorale à date précise. La vulgarité stupéfiant les témoins – ainsi le prince ne Monaco vous entendant tancer le récent maire de Nice, ancien ministre de l’Outre-Mer et futur ministre de l’Industrie – de vos dialogues avec quelques-uns de vos suiveurs quand vous avez commencé de faire un sillage. Une place constamment revendiquée, et obtenue.
Les bouleversements, souhaités par personne ou presque, de la carte judiciaire, de la carte hospitalière, de la carte militaire, la fusion des administrations fiscales pour l’assiette et le recouvrement, la mise sous la même obédience ministérielle de la gendarmerie et de la police nationale, l’unification des services de renseignements et d’action à l’intérieur et à l’extérieur du territoire et le rattachement de ces services directement à la présidence de la République, sont opérés autoritairement, sans consultations des usagers ou des personnels concernés ou au mieux selon un rapport justifiant la lettre de mission le commandant : le fait du prince appliqué à ce qui structure le pays et son Etat, appliqué aussi à soi-même puisque vos émoluments sont, dès votre entrée en fonctions, très sensiblement augmentés et que, même s’ils restent ainsi dans la moyenne de ceux perçus par vos homologues, leur ajustement [1]choque dans un moment où le chômage s’accroît et où les dirigeants d’entreprises sont stigmatisés pour leurs propres gratifications, il est vrai bien supérieures aux vôtres.
Bref, vous ne donnez pas l’exemple d’une dignité de vie, d’une retenue d’expression et d’une culture de la collégialité, de la consultation, d’une répartition des compétences.
De ce point de vue, vous êtes une exception dans l’histoire de notre pays et dans celle des Etats comparables, en Europe, en Amérique du nord, même au Japon ou en Inde. La « Françafrique » et ses pratiques – dont vous m’avez permis d’être un témoin privilégié à l’occasion du putsch mauritanien : je vous en ai beaucoup entretenu, depuis un an, par des lettres précédant celle-ci – qui ne datent pas de vous, semblent depuis votre élection avoir déteint sur notre mode de gouvernement. Cumul des fonctions, confusion des pouvoirs, propension à l’hérédité, soupçons de corruption dans votre entourage, culture de réseaux mis en place à mesure des étapes d’une prise de contrôle de l’outil électoral de votre prédécesseur en même temps que de votre carrière ministérielle et extension de ceux-ci. Cela se voit – et nous en faisons remontrance, depuis le discours prononcé par François Mitterrand à La Baule devant ses pairs africains – mais au sud du Sahara : pas en Europe où le plus proche des mœurs auxquelles vous nous habituez, Silvio Berlusconi, ne bénéficie pas d’immunité juridictionnelle.
Si je me mets à vous écrire, diplomate retraité depuis que les adversaires de ceux qui l’avaient nommé l’ont emporté, soit plus de quinze ans aujourd’hui, ex-chroniqueur dans de prestigieux quotidiens qui ne lui sont plus ouverts parce que l’époque a changé et qu’il n’est sans doute plus dans le ton ou dans le coup, enseignant d’occasion que l’autonomie des universités aujourd’hui assurée par la loi ne permet pas de maintenir, même pour une soixantaine d’heures par an, vu l’âge qu’il a atteint, mais jeune marié et père de famille, s’éveillant à la nuit encore noire en hiver pour lire les textes de la messe du jour et tenter, par l’internet, de les faire partager, bousillant débroussailleuse et autres outils pour éviter la friche autour de longères bretonnes en bordure de l’océan, compilant les dépêches de l’Agence France Presse sur de Gaulle de son arrivée à Paris en 1944 à sa mort chez lui en 1970, ce qui donne une impression – dépaysante au possible et à tous points de vue, relativement à la vie publique que vous déterminez en ce moment – c’est parce que je veux étudier avec vous pourquoi vous nous gouvernez comme vous le faites, comment il se fait que vous êtes qui vous êtes et en raison de quoi les Français, leurs élites de tous bords, de toutes spécialités, de toutes fonctions, et leur masse statistique, vous supportent. Comment il peut se faire que le commentaire ou déjà l’historiograhie de votre premier mandat présidentiel traite votre action et votre personnage, selon les mêmes méthodes et dans le même ton que l’on rapporte communément ce qu’ont fait et ce qu’étaient vos prédécesseurs ? comment votre exceptionnalité n’inspire-t-elle pas une explication, un commentaire et – faut-il l’écrire – une opposition aussi exceptionnelles ?
La façon dont vous nous traitez, le pays, l’Etat, nos affaires, nos habitudes, nos souhaits n’a pas de précédent chez nous. Et que vous puissiez vous conduire et nous conduire comme vous le faites doit avoir son explication. C’est cette explication que je cherche, crois avoir trouvée, et qu’à l’écrire, je pense pouvoir approfondir ou discuter. Elle tient en deux points.
Le besoin de revanche sur le manque de père – en famille et que vous avez vêcu également en politique, quand vous avez choisi cette voie pour vous affirmer – a développé, pathologiquement ou monstrueusement une créance sur la société où le hasard vous a fait naître et grandir, telle que vous ne devez rien qu’à vous-même, à votre entregent, à votre ténacité, à votre culot. Pour arriver, « la dernière marche », avez-vous murmuré, en temps d’arrêt, à la Réunion, pendant votre campagne présidentielle. Ce qui a donné une évaluation asez juste de votre parcours et de vos capacités par Jean-Pierre Raffarin, qui, au contraire de vous, fut incapable de transformer l’essai et d’exploiter la place qui, imprévisiblement, lui avait été donnée. Parvenu ainsi, vous gouvernez de la même façon, imperméable à tous usages et à toute expérience qui ne sont pas les vôtres. Autiste, mais cela vous a réussi.
Ailleurs ? dans un autre temps ? l’auriez-vous pu ? Je ne le crois pas. Il faut que cette sorte d’escroc – le sympathique héros du film que je n’ai pas encore vu, et qui est à l’origine de cette lettre – ait ses crédules et ses faire-valoirs, il faut qu’il corresponde à une attente, mais ce ne serait que l’intelligence des conditions à réunir pour se faire élire Président de la République. Incarner une espérance pour une majorité de votants et d’abord pour des militants, des propagandistes, des premiers témoins pour vos débuts et pour votre méthode ne suffirait pas à désarmer les adversaires et à imposer la forme d’exercice du pouvoir, une fois intronisé. Le héros du film n’est jamais à l’œuvre, c’est en cela que c’est un escroc. Vous, vous êtes à l’œuvre, parce que nous l’avons voulu – en majorité non contestable – et peut-être parce que nous le voudrions encore – en 2012 – par votre réélection, seule sanction, seule mise en jeu que vous acceptiez puisqu’il n’a pas été question de referendum ni sur le grand sujet européen, ni sur vos projets de révision constitutionnelle et que les dispositions organiques permettant l’initiative populaire du referendum selon cette révision, ne seront pas prises en temps utile pour que nous décidions exemplaire du maintien d’un service public (La Poste), et par extension du service public en général.
Il y a donc un autre élément que vous dans l’exceptionnalité (ou l’aberration) que nous vivons, subissons. Il y a notre soumission, notre impuissance à nous révolter, à vous contester efficacement. D’où vient cette langueur ? d’où vient cette impotence ? comment les oppositions restent-elles classiques en politique, pourquoi n’y a-t-il pas de mouvement social plus de quelques semaines et dans un domaine particulier et pourquoi n’êtes vous mis en question par personne qui dispose d’assez de voix – François Bayrou serait cette personne – et assez de potentiel en voix, en suffrages, en appuis, en coalitions de groupes et de partis – équation que sut poser et résoudre naguère François Mitterrand – mis en question au nom de la démocratie, de la République, de nos valeurs, de nos progrès, de notre image, de la conscience que nous avons, sans le moindre débat, d’être ce que nous sommes à l’arrivée de tant de siècles et au seuil de la nécessaire mise en commun européenne ? Pourquoi n’est-il pas dit que vous êtes amoral et ne nous considérez pas. Sans référence et sans égard. Ni le fond ni la forme.
Certes, on peut argumenter en votre faveur. Je vais le faire. Paradoxalement, vous communiquez tellement et vos suiveurs tiennent un langage tellement calqué sur vous qu’il n’en ressort aucune vue d’ensemble, aucune dialectique, aucune perspective, aucun exposé des motifs répondant de la généralité de vos projets et de vos décisions. Seul fil conducteur, votre manière de faire et d’être. Pas de texte de fond, mais une grande continuité, vous nous détruisez – ce qui peut se réparer après vous – vous nous gaspillez en temps et en énergie – c’est irréparable, d’autant que nous nous portions déjà mal quand vous vous êtes porté candidat, c’est d’ailleurs parce que nous avons conscience de nous porter mal que beaucoup ont voté pour vous.
Nous vous tolérons, nous vous réélirons – sauf si vous avez décanillé avant le terme constitutionnel, ce qui me paraît probable et mais ce dont les circonstances sont imprévisibles et peut-être très dangereuses. Or, nous n’avons plus aucune autorité morale qui – à défaut du Président de la République, puisque c’est vous – nous ramènerait à des repères et nous suggèrerait voies et moyens. Nous n’avons plus de réserves, sauf ce silence des imaginations et de l’éthique qui peut tout promettre mais aussi signifier notre évanescence. Celle-ci – si aucun réveil ne vient contredire le diagnostic pessimiste – vient d’assez loin. Elle explique que personne ne vous résiste, ni parmi les vôtres au nom de quelque valeur dépassant vos dictons, ni chez vos adversaires que nos organisations politiques, économiques et sociales distinguent ou permettent. Syndicats, patronat, églises, personnalités notoires, personne ne s’inscrit en opposition frontale, en dénégation de légitmité pour manquements graves aux droits de l’homme et au bien commun, pour gaspillage de notre patrimoine moral et matériel. Le commerce avec vous est accepté. Moi-même je vous écris souvent. Parce que vous êtes le Président de la République.
Notre tolérance a donc plusieurs causes. La pratique de nos institutions s’est écartée de la norme démocratique, la psychologie de cour vous apporte à volonté des soutiens et des serviteurs, et peu importe que vous et vos suiveurs ne parlent plus avec les Français quotidiens, l’habitude s’est prise de ne pas même imaginer une alternative. Votre façon de faire et d’être ainsi acceptée, vos réformes et vos refus passent étonnamment bien.
Il me semble alors – à l’écrire ainsi – que l’antidote se trouve. A certains moments – celui des élections municipales proche de l’exhibition de votre changement d’épouse ou l’actuel quand se sont cumulés la mise en cause d’un de vos ministres les plus récemment nommés, l’éventualité réputée acquise d’une prise par votre fils d’une position névralgique dans les dispositifs publics et beaucoup de passages en force au Parlement – le remède explosif est à portée d’emploi. C’est votre majorité qui vous renversera pour excès d’imprévisibilité plus encore que pour impopularité, celle-ci est installée depuis Février 2008, huit mois à peine après votre élection. Mais cette impopularité est votre force, parce que le peu de faveur que vous marquent les sondages correspond à ce dont ne disposèrent jamais vos prédécesseurs – à commencer par le général de Gaulle. La minorité des Français admettant qu’ils sont satisfaits de vous, correspond à une intention de vote assurée. L’homme du 18 Juin, gratifié du non à sa proposition référendaire le 27 Avril 1969 par plus de 53% des suffrages exprimés, était, la même semaine, encore populaire à près de 57%. Avec 35% d’indice de satisfaction valant majorité relative au premier tour de l’élection présidentielle, vous l’emportez aisément au second. Vous avez des soutiens convaincus et indéfectibles depuis vos débuts – comme le furent longtemps la plupart des électeurs communistes pour leur parti ou les adeptes de Jean-Marie Le Pen, ce qui assure un premier tour respectable et parfois décisif pour le repoussoir au second tour où leur nombre n’augmentent pas. Qui sont-ils ? Vous payez assez d’études et de sondages [2] pour me dispenser de cette analyse, sauf à souligner leur fidélité tandis qu’au centre ou à gauche les attirances varient et ne sont que peu militantes. Mais ce ne sont pas vos électeurs qui vous permettent de gouverner et de décider (décréter), ce sont vos adversaires, vos critiques, nous tous. Vous en êtes fortement stimulé, la situation est inédite. L’impopularité de François Mitterrand se retrouvait dans les urnes, celle de Jacques Chirac aussi, la diminution du crédit initial de Georges Pompidou – grand en 1969 – ou de Valéry Giscard d’Estaing – faible mais pas contesté en 1974 [3] – se vit en Mars 1973 et en Mars 1978. la vôtre ne s’est pas retrouvée lors des élections européennes, et je doute qu’elle décide des élections régionales prochaines.
I
Notre désarmement démocratique vient d’une mauvaise pratique de nos institutions. Jacques Chirac, votre prédécesseur direct – votre apparent repoussoir, mais l’initiateur que vous avez dépassé en maître – en est le principal responsable. Edouard Balladur vous a conforté dans l’analyse complexe que vous faites du rapport que doit avoir le Président sous la Cinquième République avec le peuple, en tant que corps constitutionnel, bien plus qu’avec les Français, électeurs à gagner l’instant du scrutin. Le peuple, s’il est considéré comme la puissance souveraine qui délègue l’exercice du pouvoir, contraint l’élu à revenir vers lui, à gouverner en dépendance de lui et donc à solliciter fréquemment la confirmation du mandat reçu.
Les chiens sur la banquette arrière, une vitre descendue un peu, la voiture garée entre la médiathèque et la mairie, nous avons marché – notre fille sur mes épaules, ma femme demeurée à la maison, six kilomètres du centre-bourg, en pleins prés, un rentrant de mer après les arbres, on y voit la marée changer tout puis laisser tout. Devant la place de la poste qui fut celle, anciennement de la mairie, où fut donc la première car l’inauguration était récente quand une nouvelle, l’actuelle fut entreprise, une petite foule, la centaine de personnes, trois drapeaux, chacun est dressé et les bavardages sont machinaux. Nous nous sommes placés directement derrière les deux files de quatre pompiers, képis, vêtements bleus ajustés aux tailles qui sont bien prises. Marguerite a amené un petit livre qu’elle avait prêté à sa maîtresse en grande section, depuis la visite commentée de la cidrerie locale. J’ai fait partie des parents accompagnants, mon écriteau d’ambiance pour super-marchés, sur le ventre : je ne suis pas le papy, et sur le dos : je suis le papa.
J’ai soixante-six ans et demi. Monument aux morts devant la préfecture de Loir-et-Cher. Depuis, a été érigée une belle statue à la mémoire des martyrs de la déportation. Nous sommes à mon époque en 1966. Au garde-à-vous, élus, préfet, évêque et stagiaire de l’E.N.A. entendent, transmis en direct, le général de Gaulle évoquer la bataille de Verdun… la voix est si connue… ces qualités de chef, Pétain… la clameur à des centaines de kilomètres de là des poilus encore nombreux pour le cinquantenaire de la bataille, dont on ne sait plus si elle était décisive ou symbolique – j’entre dans mon sujet, Monsieur le Président de la République : le symbole fait la décision, incarner un pays le change avec une force qu’aucune contraintre, aucune loi, aucune circonstance ne saurait conférer à quiconque. Se reconnaître en quelqu’un qui – tout autrement que dans notre ancienne monarchie – cristallise la vie, le passé, l’élan du pays, d’un peuple en un moment ou en plusieurs moments de son actualité, ce qui sera plus tard son Histoire. J’ai vêcu de Gaulle, à notre tête, en actualité. Pas de secrets, pas de scandales, pas d’informations particulières, tout se voyait et tout se comprit. Pour la France, et encore beaucoup de Français dans les années 1960, c’était la seconde fois, il y avait eu le 18 Juin 1940 … je dis l’honneur… je dis le bon sens… je dis l’intérêt supérieur de la patrie, et 1944… mais Paris… Paris martyrisé, Paris libéré, libéré par son peuple… dans cette seconde fois, il n’y avait pas encore eu, après la lente journée à remonter vers Montréal, non loin du si large Saint-Laurent, le Chemin du roy, l’indicible – et pas forcément feinte – hésitation : vive le Québec… vive le Québec… libre ! Le r avait été roulé. L’articulation avait été lente, comme au soir du 22 Avril 1961 … un pronunciamento militaire… elle ne le serait pas le 30 Mai 1968 … il faut que partout et tout de suite… Pas une guerre, c’était la fin des guerres, une sorte de vie normale où la France et les Français faisaient bon ménage. Il y avait l’opposition – ce fut nouveau – et la majorité, c’était une trouvaille de publiciste, Bongrand, je crois. Il y avait la gauche grâce à François Mitterrand, concluant son premier passage A armes égales, à la suite de son score inouï à la première élection présidentielle, directement au suffrage universel, inouï, parce qu’avaient voté contre de Gaulle les agriculteurs, pour lesquels le Général averti dûment de tous risques par Couve de Murville exerçait un chantage total à Bruxelles, les chrétiens en grand nombre enveloppés par le maire de Rouen et une Europe utopique, et les haineux depuis, précisément, 1940 : si je n’ai pas su dire que la gauche, c’est…
Le maire s’est avancé, ma fille et son livre : Les fruits du jardin, se plante à son côté, pas musique, un texte d’un ancien combattant en Afrique du nord, les garde-à-vous, la lecture du message d’un secrétaire d’Etat interchangeable, identifiable seulement en cas de profanation de cimetière. Le « pot de l’amitié ». Ma fille reçoit son jus de fruit et me tend le Kir breton, l’un de ceux qui me donnent mon prénom commente les chasses autour de chez nous, selon les règles que j’impose, car les sangliers, ce n’est pas moi qui en ai peuplé la France, il y a une quinzaine d’années, au point qu’ils prolifèrent, et que ma femme et moi nous détestons ces canarsdages, ces tenues de combat, ces matamores d’école maternelle qui tire des laies pleines ou suités, qui laisse même un chevreuil pourrir à l’orée d’une de nos reboisements. Mais j’aime bien ce visage aux yeux clairs, le front carré. L’ostréïculteur qu’il a fallu amputer, en rajoute sur cette maison de quatre mètres sur quatre qui fut démontée pierre à pierre, juste avant que j’achète, ce qui m’a privé d’un permis de réhabiliation splendide, toute l’enfilade de la rivière et des marais jusqu’à Penerf, la tour des Anglais et le large au delà de Quiberon et de Belle-Ile. Le maire et notre jumelage avec un bourg de Haute-Silésie, il ajoute au discours gouvernemental le souvenir du récent voyage là-bas en municipalité. Elu à huit contre un en « papillon », dès la fin forcée de ma carrière diplomatique – j’avais ouvert notre ambassade au Kazakhstan sur l’insistance de Pierre Bérégovoy auprès de François Miterrand, en 1992, mais en 1995 les temps n’étaient plus à ces signataires – j’ai été conseiller municipal ici, puis, candidat à la succession, j’ai été archi-battu, puis trahi, au sein de la petite association que j’avais fondé pour occuper ceux de notre liste qui ne passeraient pas, et les assoccier donc à notre victoire. Les commémorations par de Gaulle, les candidatures à l’Assemblée nationale, à la mairie ici ou naguère dans le Haut-Doubs, ne me sont plus présents, ce n’est que de la chair qui ne vieillit pas, qui fait muscle mais ne me donne aucune libido. Le chef du service qui m’accueillit dans l’administration – celle des Relations Economiques Extérieures aux Finances alors quai Branly où maintenant se visite le musée voulu par votre prédédécesseur immédiat, Monsieur le Président de la République (quel sera le vôtre ? seulement les maquettes du Grand Paris ? Linz et Berlin expliqués en maquettes par Albert Speer jusqu’aux débuts de 1945, autres personnages et autres époques) – Antoine-Jean Hullo, à l’accent inimitable, qui avait choisi la carrière d’attaché commercial dans nos ambassades au lieu de l’inspection des finances, à laquelle, major de sa promotion de l’E.N.A., il pouvait prétendre, me dit assez vite : on me dit que vous êtes très ambitieux, mais si vous l’étiez vous vous y seriez pris autrement. Je n’avais pas trois-quatre ans encore de vie professionnelle.
Marie-Claire qui tenait avec sa mère le Café des voyageurs me hèle quand nous partons, et, de sa voiture, veut m’acheter les photos. que je n’ai pu prendre, ayant oublié de charger mon appareil. Elle n’était que gérante, elle a perdu des points de retraite quand la propriétaire a voulu faire de l’argent, elle aimait ce métier où l’on venait, chacun, lui raconter ses misères.
La petite route au pays perdu, d’un côté des prés vallonnés, une chapelle, sainte Marguerite y a sa statue, la station d’épuration dont notre fille distingue l’ôdeur de celle des épandages, à droite, les avancées de la mer par l’étier de Caden, à très fortes marées. Nous rencontrons à la maison. France Infos. Hervé Morin refuse que le 11-Novembre devienne une journée franco-allemande, festive, pour la paix. Sans doute, la relation entre la France et l’Allemagne est-elle exemplaire, prometteuse aussi d’une intégration européenne, mais à venir, dans trente ans… Le ministre est tonique pour ceux qui, depuis près de soixante ans, espèrent que quelque chose se fasse qui soit grand et adéquat.
Nous avons dépassé sur la droite le remblai avec le petit pré où une chèvre naine, à la chaîne, mais souvent dépaysée o quelques kilomètres de là, pas malheureuse semble-t-il, une petite niche, puis une pâture, des chevaux avec leur couverture de pluie. Présentation-dialogue d’un film A l’origine de Xavier Gianolli – je ne suis pas sûr de comprendre le nom, qui m’est tout à fait inconnu. Je ne vais plus guère au cinéma depuis notre mariage : notre fille que nous ne pouvons laisser seule, et le gardiennage compliqué et triplant le prix de notre escapadae. Célibataire ou adolescent, les ciné-clubs, les salles d’art et d’essai, les cahier du cinémas. On y est, une friche d’autoroute, un escroc fait croire à toute une agglomération que les travaux vont reprendre, fait-divers il y a dix ans. Le réalisateur est allé rencontrer le type en prison, qu’il a ensuite perdu de vue, aujourd’hui introuvable. J’écoute… Cet homme qui ment croit à son mensonge et y fait croire … Une route, cela mène toujours quelque part … Comment une histoire aussi extraordinaire peut arriver en France, aujourd’hui… Se conquérir, l’humain… Voilà ce que j’ai ressenti en lui parlant, quelqu’un de banal et de terne, pas du tout hâbleur. Rencontrer un fait divers aussi extraordinaire, aussi romanesque, quelque chose vibre, quelque chose qui ne demande qu’à se déployer…. A l’origine, ce qui m’intéresse ce sont les rapports humains. Je suis saisi.
Monsieur le Président de la République, vous êtes un fait-divers dans notre histoire, dans la vie nationale, et la France donne au monde et à l’Europe qui demandent autre chose ou rien, fournit un fait divers. Culot, boniment, brèves de comptoir, données avec tutoiement pour le premier rang du parterre, car vous parlez surélevé et d’estrade, un coude sur le plat du pupitre. Mais vous êtes le Président de la République et vous gouvernez personnellement, directement. Vous nous avez habitués à être tous les jours présentés dans les journaux télévisés, pas seulement un avis sur tout, mais vous tranchez de tout, d’absolument tout. Pas de débat dans le pays qui ne soit le vôtre, que vous l’ayez initié – les présentations de maintenant pour ce genre d’exercice sont des propositions, des pistes après que le début de votre mandat vous ait fait écrire, avec parfois le contreseing du Premier ministre, des dizaines de lettres de mission, débats et lettres préjugeant toujours issue et résultat – ou qu’un fait divers, dramatique ou pitoyable mais frappant l’opinion publique, vous donne l’occasion d’une décision. Le prix des cigarettes, la publicité sur les ondes publiques, la suppression de la taxe professionnelle ou de la fonction de juge d’instruction, les multiples amendements du Code pénal et du Code de procédure pénale, la question de confiance sans la forme pour le travail dominical, pour la protection des propriétés intellectuelles sur la « toile », pour le maintien en détention des personnes dangereuses même si leur peine est purgée, pour des mesures fiscales limitant l’imposition des plus gros revenus et fortunes (le « bouclier fiscal »), une ou deux décisions de fond par semaine, à fort impact sur le corps de nos législations, sur les principes les plus ancrés, sur des habitudes jusques là tranquilles et légitimes. Vous traitez de l’avenir de l’industrie, de la viabilité de l’agriculture, vous désignez les coupables, Daniel Bouton ou Dominique de Villepin que l’instance de décision soit un conseil d’administration ou un tribunal correcionnel. Vous vous étranglez d’indignation sur les bonus, vous dictez spontanément l’exposé des motifs et les principales dispositions d’un projet de loi pour répondre en entreetien radio-télévisé à la question d’un journaliste vous priant de faire le bilan d’un conflit social (celui sur les régimes de retraite). Je ne pose ici que des exemples, ils foisonnent depuis trente mois.
Vous cumulez rôles, fonctions, tâches, responsabilités, Président de la République mais assurant la communication gouvernementale à vous seul, la coordination interministérielle et les ajustements réglementaires, en lieux et place du Premier ministre, qualifié de collaborateur. Vous accaparez les annonces qui étaient jusqu’à vous du ressort d’un secrétaire d’Etat ou d’un directeur d’administration centrale. Vous mettez à pied le préfet de Saint-Lô parce que de loin l’on vous a sifflé, le préfet du Var parce que l’assainissement de la résidence du Cap-Nègre en syndicat de voisinage ne s’établit pas assez vite. Vous privez de toutes décorations les militaires parce que par malheur – et, nous l’admettons, pare négligence – un dramatique accident en démonstration d’armes a lieu à Carcassonne. L’histoire de Neuilly est devenue familiale, votre fils en sera député-maire à titre viager et à peine plus tard que conjecturé, il présidera l’un des établissements publics qui a en France le plus fort pouvoir d’entrainement en financements, en emplois discrétionnaires, en prestige en sorte que le contrôle de la machine électorale qu’est l’U.M.P. sera héréditairement acquis. Vous êtes juge et partie. Timidement, des constitutionnalistes firent remarquer au premier automne de votre mandat que le Président de la République ne peut divorcer que par consentement mutuel puisqu’il ne saurait être attrait devant un tribunal s’il faut le départager avec son épouse. Aujourd’hui, vous êtes partie civile dans l’affaire Clearstream et il est soutenu que vous ne pouvez, du fait que vous êtes le Président de la République, avoir moins de droits qu’un autre citoyen, de même on ne saurait contester le droit, à l’égal de tout Français, qu’a votre fils de se faire élire conseiller municipal, conseiller général, chaque fois chef de la majorité locale, puis dès que possible à l’Assemblée nationale, pour être en situation de postuler votre succession présidentielle, sans doute de votre vivant, comme les Capétiens instaurèrent l’hérédité par l’élection de leur progéniture pendant les trois premiers siècles de notre ancienne monarchie, à une place qui n’était originellement que viagère.
Je ne critique pas, je constate la tolérance universelle de cette manière de faire. Elle va de pair avec l’acceptation de votre manière d’être. Une déclaration d’amour en livre de candidature présidentielle, il s’agit de votre seconde épouse – les maîtresses ne sont pas dans ce compte, et la place des femmes dans votre vie avec leur impact dans votre carrière et dans votre gouvernement ne seront à analyser qu’une fois dit pourquoi je vous écris – une mise en valeur de l’héroïne à propos d’un véritable fait d’armes, une libération d’otages, puis un changement d’héroïne littéralement à vue que vous poussez entre vous et le président des Etats-Unis aux commémorations du débarquement de 1944, entre vous et la chancelière allemande sous l’Arc-de-Triomphe pour la commémoration de l’armistice de 1918, chez les parents de qui vous résidez au lieu d’habiter la villégiature présidentielle de Brégançon, organisée dûment pour l’accomplissement de vos fonctions. Vous soufflez au Premier ministre l’agréable pavillon de la Lanterne. Vous entrez chez le pape, un portable à l’oreille et l’écoutez main à la chaussure, jambes croisées – je me souviens à Simonos Petra où l’office quotidien commence à minuit pour faire passer les participants de la nuit du Vendredi Saint à l’aurore de Pâques et donc les amener au chant du Notre Père et à la communion sous les deux espèces, quand point le jour, en sorte qu’à l’heure de Byzance on dort toute la matinée, sans s’en porter plus mal, un moine me fit, fermement, signe que dans une église, on n’a pas les jambes croisées – et vous quittez avant le café la reine d’Angleterre qui vous traitait officiellement à dîner, chez elle, à Windsor. Magnifical, auriez-vous asséné pour marquer votre appréciation du décor et des choses, ignorant que la souveraine est plus francophone (et francophile) que la plupart de nous : les égards et même l’affection dont la famille royale entoura le général de Gaulle, si souvent bléessé au duel avec Churchill. Egards, courtoisie, politesse plus encore que politique – je veux n’y venir que plus loin, car il s’agit avec vous de comprendre que votre manière de faire et d’être ne produit rien et perd même sa puissance de scandale – quand vous n’accordez au Dalaï-Lama qu’une demi-heure, traduction comprise.
Vous imposer dans le commentaire quotidien des gens de métier et des élus, courir après la vignette et l’image, les photographies avec le nouveau président des Etats-Unis en sorte que la couverture des magazines soit un supplément d’affichage électorale à date précise. La vulgarité stupéfiant les témoins – ainsi le prince ne Monaco vous entendant tancer le récent maire de Nice, ancien ministre de l’Outre-Mer et futur ministre de l’Industrie – de vos dialogues avec quelques-uns de vos suiveurs quand vous avez commencé de faire un sillage. Une place constamment revendiquée, et obtenue.
Les bouleversements, souhaités par personne ou presque, de la carte judiciaire, de la carte hospitalière, de la carte militaire, la fusion des administrations fiscales pour l’assiette et le recouvrement, la mise sous la même obédience ministérielle de la gendarmerie et de la police nationale, l’unification des services de renseignements et d’action à l’intérieur et à l’extérieur du territoire et le rattachement de ces services directement à la présidence de la République, sont opérés autoritairement, sans consultations des usagers ou des personnels concernés ou au mieux selon un rapport justifiant la lettre de mission le commandant : le fait du prince appliqué à ce qui structure le pays et son Etat, appliqué aussi à soi-même puisque vos émoluments sont, dès votre entrée en fonctions, très sensiblement augmentés et que, même s’ils restent ainsi dans la moyenne de ceux perçus par vos homologues, leur ajustement [1]choque dans un moment où le chômage s’accroît et où les dirigeants d’entreprises sont stigmatisés pour leurs propres gratifications, il est vrai bien supérieures aux vôtres.
Bref, vous ne donnez pas l’exemple d’une dignité de vie, d’une retenue d’expression et d’une culture de la collégialité, de la consultation, d’une répartition des compétences.
De ce point de vue, vous êtes une exception dans l’histoire de notre pays et dans celle des Etats comparables, en Europe, en Amérique du nord, même au Japon ou en Inde. La « Françafrique » et ses pratiques – dont vous m’avez permis d’être un témoin privilégié à l’occasion du putsch mauritanien : je vous en ai beaucoup entretenu, depuis un an, par des lettres précédant celle-ci – qui ne datent pas de vous, semblent depuis votre élection avoir déteint sur notre mode de gouvernement. Cumul des fonctions, confusion des pouvoirs, propension à l’hérédité, soupçons de corruption dans votre entourage, culture de réseaux mis en place à mesure des étapes d’une prise de contrôle de l’outil électoral de votre prédécesseur en même temps que de votre carrière ministérielle et extension de ceux-ci. Cela se voit – et nous en faisons remontrance, depuis le discours prononcé par François Mitterrand à La Baule devant ses pairs africains – mais au sud du Sahara : pas en Europe où le plus proche des mœurs auxquelles vous nous habituez, Silvio Berlusconi, ne bénéficie pas d’immunité juridictionnelle.
Si je me mets à vous écrire, diplomate retraité depuis que les adversaires de ceux qui l’avaient nommé l’ont emporté, soit plus de quinze ans aujourd’hui, ex-chroniqueur dans de prestigieux quotidiens qui ne lui sont plus ouverts parce que l’époque a changé et qu’il n’est sans doute plus dans le ton ou dans le coup, enseignant d’occasion que l’autonomie des universités aujourd’hui assurée par la loi ne permet pas de maintenir, même pour une soixantaine d’heures par an, vu l’âge qu’il a atteint, mais jeune marié et père de famille, s’éveillant à la nuit encore noire en hiver pour lire les textes de la messe du jour et tenter, par l’internet, de les faire partager, bousillant débroussailleuse et autres outils pour éviter la friche autour de longères bretonnes en bordure de l’océan, compilant les dépêches de l’Agence France Presse sur de Gaulle de son arrivée à Paris en 1944 à sa mort chez lui en 1970, ce qui donne une impression – dépaysante au possible et à tous points de vue, relativement à la vie publique que vous déterminez en ce moment – c’est parce que je veux étudier avec vous pourquoi vous nous gouvernez comme vous le faites, comment il se fait que vous êtes qui vous êtes et en raison de quoi les Français, leurs élites de tous bords, de toutes spécialités, de toutes fonctions, et leur masse statistique, vous supportent. Comment il peut se faire que le commentaire ou déjà l’historiograhie de votre premier mandat présidentiel traite votre action et votre personnage, selon les mêmes méthodes et dans le même ton que l’on rapporte communément ce qu’ont fait et ce qu’étaient vos prédécesseurs ? comment votre exceptionnalité n’inspire-t-elle pas une explication, un commentaire et – faut-il l’écrire – une opposition aussi exceptionnelles ?
La façon dont vous nous traitez, le pays, l’Etat, nos affaires, nos habitudes, nos souhaits n’a pas de précédent chez nous. Et que vous puissiez vous conduire et nous conduire comme vous le faites doit avoir son explication. C’est cette explication que je cherche, crois avoir trouvée, et qu’à l’écrire, je pense pouvoir approfondir ou discuter. Elle tient en deux points.
Le besoin de revanche sur le manque de père – en famille et que vous avez vêcu également en politique, quand vous avez choisi cette voie pour vous affirmer – a développé, pathologiquement ou monstrueusement une créance sur la société où le hasard vous a fait naître et grandir, telle que vous ne devez rien qu’à vous-même, à votre entregent, à votre ténacité, à votre culot. Pour arriver, « la dernière marche », avez-vous murmuré, en temps d’arrêt, à la Réunion, pendant votre campagne présidentielle. Ce qui a donné une évaluation asez juste de votre parcours et de vos capacités par Jean-Pierre Raffarin, qui, au contraire de vous, fut incapable de transformer l’essai et d’exploiter la place qui, imprévisiblement, lui avait été donnée. Parvenu ainsi, vous gouvernez de la même façon, imperméable à tous usages et à toute expérience qui ne sont pas les vôtres. Autiste, mais cela vous a réussi.
Ailleurs ? dans un autre temps ? l’auriez-vous pu ? Je ne le crois pas. Il faut que cette sorte d’escroc – le sympathique héros du film que je n’ai pas encore vu, et qui est à l’origine de cette lettre – ait ses crédules et ses faire-valoirs, il faut qu’il corresponde à une attente, mais ce ne serait que l’intelligence des conditions à réunir pour se faire élire Président de la République. Incarner une espérance pour une majorité de votants et d’abord pour des militants, des propagandistes, des premiers témoins pour vos débuts et pour votre méthode ne suffirait pas à désarmer les adversaires et à imposer la forme d’exercice du pouvoir, une fois intronisé. Le héros du film n’est jamais à l’œuvre, c’est en cela que c’est un escroc. Vous, vous êtes à l’œuvre, parce que nous l’avons voulu – en majorité non contestable – et peut-être parce que nous le voudrions encore – en 2012 – par votre réélection, seule sanction, seule mise en jeu que vous acceptiez puisqu’il n’a pas été question de referendum ni sur le grand sujet européen, ni sur vos projets de révision constitutionnelle et que les dispositions organiques permettant l’initiative populaire du referendum selon cette révision, ne seront pas prises en temps utile pour que nous décidions exemplaire du maintien d’un service public (La Poste), et par extension du service public en général.
Il y a donc un autre élément que vous dans l’exceptionnalité (ou l’aberration) que nous vivons, subissons. Il y a notre soumission, notre impuissance à nous révolter, à vous contester efficacement. D’où vient cette langueur ? d’où vient cette impotence ? comment les oppositions restent-elles classiques en politique, pourquoi n’y a-t-il pas de mouvement social plus de quelques semaines et dans un domaine particulier et pourquoi n’êtes vous mis en question par personne qui dispose d’assez de voix – François Bayrou serait cette personne – et assez de potentiel en voix, en suffrages, en appuis, en coalitions de groupes et de partis – équation que sut poser et résoudre naguère François Mitterrand – mis en question au nom de la démocratie, de la République, de nos valeurs, de nos progrès, de notre image, de la conscience que nous avons, sans le moindre débat, d’être ce que nous sommes à l’arrivée de tant de siècles et au seuil de la nécessaire mise en commun européenne ? Pourquoi n’est-il pas dit que vous êtes amoral et ne nous considérez pas. Sans référence et sans égard. Ni le fond ni la forme.
Certes, on peut argumenter en votre faveur. Je vais le faire. Paradoxalement, vous communiquez tellement et vos suiveurs tiennent un langage tellement calqué sur vous qu’il n’en ressort aucune vue d’ensemble, aucune dialectique, aucune perspective, aucun exposé des motifs répondant de la généralité de vos projets et de vos décisions. Seul fil conducteur, votre manière de faire et d’être. Pas de texte de fond, mais une grande continuité, vous nous détruisez – ce qui peut se réparer après vous – vous nous gaspillez en temps et en énergie – c’est irréparable, d’autant que nous nous portions déjà mal quand vous vous êtes porté candidat, c’est d’ailleurs parce que nous avons conscience de nous porter mal que beaucoup ont voté pour vous.
Nous vous tolérons, nous vous réélirons – sauf si vous avez décanillé avant le terme constitutionnel, ce qui me paraît probable et mais ce dont les circonstances sont imprévisibles et peut-être très dangereuses. Or, nous n’avons plus aucune autorité morale qui – à défaut du Président de la République, puisque c’est vous – nous ramènerait à des repères et nous suggèrerait voies et moyens. Nous n’avons plus de réserves, sauf ce silence des imaginations et de l’éthique qui peut tout promettre mais aussi signifier notre évanescence. Celle-ci – si aucun réveil ne vient contredire le diagnostic pessimiste – vient d’assez loin. Elle explique que personne ne vous résiste, ni parmi les vôtres au nom de quelque valeur dépassant vos dictons, ni chez vos adversaires que nos organisations politiques, économiques et sociales distinguent ou permettent. Syndicats, patronat, églises, personnalités notoires, personne ne s’inscrit en opposition frontale, en dénégation de légitmité pour manquements graves aux droits de l’homme et au bien commun, pour gaspillage de notre patrimoine moral et matériel. Le commerce avec vous est accepté. Moi-même je vous écris souvent. Parce que vous êtes le Président de la République.
Notre tolérance a donc plusieurs causes. La pratique de nos institutions s’est écartée de la norme démocratique, la psychologie de cour vous apporte à volonté des soutiens et des serviteurs, et peu importe que vous et vos suiveurs ne parlent plus avec les Français quotidiens, l’habitude s’est prise de ne pas même imaginer une alternative. Votre façon de faire et d’être ainsi acceptée, vos réformes et vos refus passent étonnamment bien.
Il me semble alors – à l’écrire ainsi – que l’antidote se trouve. A certains moments – celui des élections municipales proche de l’exhibition de votre changement d’épouse ou l’actuel quand se sont cumulés la mise en cause d’un de vos ministres les plus récemment nommés, l’éventualité réputée acquise d’une prise par votre fils d’une position névralgique dans les dispositifs publics et beaucoup de passages en force au Parlement – le remède explosif est à portée d’emploi. C’est votre majorité qui vous renversera pour excès d’imprévisibilité plus encore que pour impopularité, celle-ci est installée depuis Février 2008, huit mois à peine après votre élection. Mais cette impopularité est votre force, parce que le peu de faveur que vous marquent les sondages correspond à ce dont ne disposèrent jamais vos prédécesseurs – à commencer par le général de Gaulle. La minorité des Français admettant qu’ils sont satisfaits de vous, correspond à une intention de vote assurée. L’homme du 18 Juin, gratifié du non à sa proposition référendaire le 27 Avril 1969 par plus de 53% des suffrages exprimés, était, la même semaine, encore populaire à près de 57%. Avec 35% d’indice de satisfaction valant majorité relative au premier tour de l’élection présidentielle, vous l’emportez aisément au second. Vous avez des soutiens convaincus et indéfectibles depuis vos débuts – comme le furent longtemps la plupart des électeurs communistes pour leur parti ou les adeptes de Jean-Marie Le Pen, ce qui assure un premier tour respectable et parfois décisif pour le repoussoir au second tour où leur nombre n’augmentent pas. Qui sont-ils ? Vous payez assez d’études et de sondages [2] pour me dispenser de cette analyse, sauf à souligner leur fidélité tandis qu’au centre ou à gauche les attirances varient et ne sont que peu militantes. Mais ce ne sont pas vos électeurs qui vous permettent de gouverner et de décider (décréter), ce sont vos adversaires, vos critiques, nous tous. Vous en êtes fortement stimulé, la situation est inédite. L’impopularité de François Mitterrand se retrouvait dans les urnes, celle de Jacques Chirac aussi, la diminution du crédit initial de Georges Pompidou – grand en 1969 – ou de Valéry Giscard d’Estaing – faible mais pas contesté en 1974 [3] – se vit en Mars 1973 et en Mars 1978. la vôtre ne s’est pas retrouvée lors des élections européennes, et je doute qu’elle décide des élections régionales prochaines.
I
Notre désarmement démocratique vient d’une mauvaise pratique de nos institutions. Jacques Chirac, votre prédécesseur direct – votre apparent repoussoir, mais l’initiateur que vous avez dépassé en maître – en est le principal responsable. Edouard Balladur vous a conforté dans l’analyse complexe que vous faites du rapport que doit avoir le Président sous la Cinquième République avec le peuple, en tant que corps constitutionnel, bien plus qu’avec les Français, électeurs à gagner l’instant du scrutin. Le peuple, s’il est considéré comme la puissance souveraine qui délègue l’exercice du pouvoir, contraint l’élu à revenir vers lui, à gouverner en dépendance de lui et donc à solliciter fréquemment la confirmation du mandat reçu.
[1] - ajourd’hui selon l’AFP
sous votre prédécesseur, selon Le Monde 20 Novembre 2004, p. 8
le Président de la République = 6.954 euros
le Premier Ministre = 20.206 euros
les ministres = 13.471 euros
les secrétaires d’Etat = 12.795 euros
[2] - selon l’A.F.P.
[3] - quoique François Mitterrand, lors de la seconde conversation à laquelle il me convia, rue de Bièvre, le – me confia, il dût le dire aussi à d’autres, qu’ayant refait les comptes électoraux le soir de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, il avait trouvé en compagnie de Georges Marchais quelques 40.000 voix d’avance pour lui. Mais, ajouta-t-il, on ne peut rompre avec tant d’années de gouvernement conservateur en l’emportant de si peu. Il n’y eut donc pas de recours
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