4 Novembre 1996
SUR
LA QUESTION RUSSE
L'Occident, depuis des siècles, est
responsable, bien plus que les pouvoirs régnant à Saint-Petersbourg puis à
Moscou, de la manière dont se pose la question russe. Nous nous sommes
généralement trompés sur la personne détenant réellement le pouvoir, sur
l'assise durable ou non des détenteurs supposés du pouvoir, sur le degré
d'emprise de la capitale sur les régions ; nous avons généralement adopté des
attitudes à contre-temps, le cordon sanitaire et la
quasi-belligérance quand il eût fallu reconnaître et négocier, l'ouverture
sinon l'adoption et l'investissement quand il eût fallu rester circonspect.
Nous persévérons depuis les changements nominaux de régime, nous parions
régulièrement sur celui qui est en place et dont la visite fait valoir nos
propres dirigeants : MM. GORBATCHEV puis ELTSINE. Nous nous définissons par
rapport à une idée préconçue sur la
Russie et son environnement, ou les vues qu'elle-même
entretient sur son environnement.
Les résultats sont désastreux. Une
puissance instable, donc dangereuse et imprévisible, a été susbtituée en grande
partie par nous à une Union Soviétique dont les comportements internationaux
étaient devenus prévisibles, qui était demanderesse d'insertion et de
respectabilité, sinon de concours économique et financier.
1°
La recherche de stabilité politique
et économique s'inscrit dans un contexte d'instabilité psychologique et sociale
- une dépolititisation, une a-struturation
sociale, un scepticisme des populations ex-soviétiques rendant incompréhensibles
localement les principaux concepts occidentaux pourtant communément récités
et encensés : démocratie, liberté, transparence ;
- un apauvrissement et une précarisation
générale du fait du chômage, de l'inflation et de l'insignifiance du
pouvoir d'achat des prestations versées, tous phénomènes proprement inouis
après des décennies de stabilité nominale ; la première décennie BREJNEV passe
pour un âge d'or ; l'après-guerre de la " grande guerre patriotique "
victorieusement conclue au lancement du spoutnik a soudé une communauté
inter-nationale, pluri-ethnique fière d'elle-même. Les ressortissants de
l'ancien empire ne vivent cependant pas la même lecture d'une actualité
désastreuse comme le firent les Allemands après 1945 : on est passé d'une
apathie à une autre et l'obligation de vie collective n'a ici engendré que des
individualismes et des mutismes forcenés ;
- le maintien des anciens préjugés à
l'encontre des dirigeants locaux comme des "valeurs occidentales" ; le
monde entier, proche ou lointain, est perçu comme totalement mensonger et
"sans coeur" ;
- une relation ambigue avec l'argent et
les signes extérieurs de richesse. Ne compte guère que l'immédiatement
consommable. La société est trop précaire et l'environnement trop menaçant pour
autoriser épargne, accumulation. L'ostentation est dans le vêtement ou
l'alimentation ; tout le reste doit demeurer secret, dissimulé, bien gardé. La nomenklatura
vivait derrière des murs et des barbelés, exactement comme les esclaves du goulag
;
- l'âme
russe l'emporte sur la raison raisonnante. Les sentiments sont vêcus comme des
faits, la parole est insuffisante pour exprimer un fait. On négocie et on
s'accorde entre arrière-pensées qu'il faut avoir su deviner concordantes ou
irréductibles chez le partenaire. Les échanges de discours sont un rite
gastronomique, un jeu littéraire où l'on a plus de considération pour soi que
pour l'autre mis au défi de dire mieux ou autrement. Les accords sont le signe
qu'une rencontre, une négociation a eu lieu, ils ne scellent rien et n'engagent
à rien. En quoi le monde soviétique et l'empire russe fonctionnent en endogamie
pour tout ce qui est relationnel ; le politique peut s'en trouver résolu, mais
la libéralisation de l'économie et le contact, la négociation avec l'extérieur
en sont compliquées. Avec Moscou, il faut bien davantage que des interprêtes ou
des linguistes. Les autres Républiques pratiquent un double langage en
ce qu'elles ont été, pour la quasi-totalité de leurs dirigeants actuels,
formées au moule mental russe, mais aussi en ce qu'elles ont pu reprendre
conscience de leur atavisme natif, souvent écrasé et méprisé par le
colonisateur russe.
2°
Des constantes sont apparues depuis
1992 qui rendent la re-construction de l'empire bien plus grosse de
conséquences probablement dangereuses que n'en auraient recélées le maintien de
l'Union Soviétique, ou de véritables indépendances des Républiques anciennement
fédérées.
Ces constantes se ramènent à
- l'importance décisive d'une diaspora
qui permet ou fonde l'ingérence de Moscou dans la vie politique intérieure des
autres Républiques de l'ancienne Union, qui donne un moyen gratuit de chantage
économique au départ des cadres et cerveaux et de chantage militaire au départ
des gradés, qui vit en double appartenance mentale les indépendances des Etats
où elle persiste à résider ; la religion orthodoxe a carrément conservé la
centralisation moscovite que sa renaissance met au grand jour ;
- la priorité au redressement propre de la Russie-même au
détriment de quelque solidarité que ce soit avec les autres Républiques de la C.E.I., ce qui a d'abord créé
un vide, puis nourri une nostalgie et provoque maintenant un écart dans les
capacités de redressement ;
- le refus d'une gestion démocratique ou
fondée sur la mutualité des avantages et obligations pour ce qui devrait rester
commun. Aucune des institutions communes de la C.E.I. n'a vraiment vu le jour ni fonctionné ;
- le maintien de relations économiques
coloniales sans leur pendant en solidarité monétaire ou commerciale.
Chacune de ces constantes est
belligène, parce
qu'elle s'applique à des populations et à des sujets dont aucun n'est regardé
ni géré selon nos manières occientales. Même si les conflits ne sont que juridiques,
financiers ou monétaires d'apparence ou de dénouement et donc lisibles en
termes qui nous sont habituels, l'enjeu sous-jacent est la survie d'identités
nationales encore hésitantes dans leur expression et la projection de leur
vocation internationle. Exception faite du mouvement des indépendances à
l'automne de 1991, Moscou n'a plus subi aucune défaite à aucun propos dans ses
relations avec les autres Républiques.
3°
Nous n'avons pas réfléchi, et
nous nous sommes encore moins concertés sur le point de savoir s'il était
avantageux ou non que se reconstitue un empire sur les ruines de l'union
Soviétique. Nous sommes restés au spectacle, faute de définition de nos
propres intérêts et faute de considération que nous avions les moyens de
les faire valoir et donc de favoriser, sinon d'imposer un certain cours à
l'Histoire ; celle-ci ne laisse jamais longtemps une alternative ouverte.élc
Pour reconstituer l'empire, la Russie dispose d'atouts
incontestés :
- l'analogie de mentalité et de comportement
entre tous les dirigeants, toutes les institutions dans l'ensemble des
Républiques ayant succédé à l'Union Soviétique ; en fait, une réelle communauté
de "valeurs" et de craintes.
- le prestige de sa langue et de sa
culture qui quelles qu'aient les persécutions ou les quasi-génocide des
populations allogènes dans les années 1930 ou au temps des goulags des années
1950.1960, demeure tel que ce sont les journaux, les medias, les moeurs
politiques et économiques de Moscou qui priment localement. Les institutions ne
demeurent pas seulement dans la matrice des textes constitutionnels,
administratifs et commerciaux de l'ancien temps, elles n'évoluent que sur le
modèle de leur évolution à Moscou ; les coups de forces présidentiels contre
les Parlements ont été concomitants, dès que le Président ELTSINE eût donné le
ton en Septembre 1993, la violence des événements d'alors fut même un élément
pour intimider ailleurs ceux qui auraient eu la velleité de contester la mise
au pas (qui s'est faite partout avec un vocabulaire et des campagnes oratoires
ou de presse, dignes du stalinisme). Moscou n'a pas passé durablement pour la
métropole qui avait perdu la course à la modernité culturelle et au succès
économique face à l'Occident, puisqu'il a été vite avéré que cet Occident
eexporte drogue et chomage, bien plus que ses capitaux et la démocratie.
- la puissance relative de son économie et
de son marché. Une complémentarité, mais à son avantage, de la plupart des
chaines de production et des marchés en énergie, en haute technologie.
L'Ukraine, la Biélorussie,
le Kazakhstan ont sans doute des ressources minérales ou des sites
stratégiques, parfois supérieurs ou décisifs, mais ils n'en ont qu'un segment
de production ou d'exploitation, ils n'ont pas les débouchés, ils n'ont
généralement pas de savoir-faire proprement national.
- son quasi-monopole de la force armée,
des matériels sophistiqués, des cadres et des moyens de formation des cadres.
Le maintien en structure unitaire et centralisée, ne jouant qu'en sa faveur, des
principaux dispositifs de sécurité et de renseignements.
- l'absence d'alternative ouverte
ailleurs, en faveur des nouvelles indépendances.
Mais Moscou avait des
handicaps :
- les querelles de clan rendant sa
direction politique suprême très incertaine, quoique pour des raisons et dans
des circonstances successives depuis Décembre 1991,
- le souvenir des relations de force et de
subordination,
- le défaut de cohésion territoriale dans la Fédération résiduelle,
- la crise budgétaire et financière
périmant les principales industries privées d'investissement depuis 1988 ou
1989 et réduisant l'outil militaire,
- la logique même de ses milieux
d'affaires préférant un repli, par opposition à celle des militaires
conservant, plus ou moins ouvertement, leurs points d'appui en
extra-territorialité pratique dans les autres Républiques,
- la vulnérabilité face à la Chine.
4°
L'Occident dans son ensemble
n'a pas su saisir l'opportunité de désarmer réellement l'empire russe, en
contribuant à une indépendance réelle de ses composantes périphériques. Nous n'avons pas offert
d'alternative, nous n'avons pas constitué une ouverture concrète et pratique
aux autres Républiques : immédiatement en matière de sécurité et de commerce, à
moyen terme pour la remise en marche et la revalorisation des outils
industriels hérités de l'ancien système.
Les Républiques, d'abord
poussées par Moscou, à leur émancipation qui soulageait l'ancienne métropole,
en sont vite venues à désirer le retour à des liens avec celle-ci.
Une courte période - sans
doute de 1992 à la fin de 1994 - a été gaspillée, qui offrait sur presque tous
les plans des possibilités de décentraliser réellement l'ancien empire.
L'affaire tchétchène a marqué la fin de cette période, en ce qu'elle a manifesté
le retour de la confiance en soi à Moscou et donc le mépris de l'opinion des
vassaux et de l'opinion internationale. Il aurait fallu et nous n'avons pas voulu
:
- considérer pour elles-mêmes les
signatures des principales Républiques autres que Moscou (les négociations sur
la dette soviétique, sur le désarmement et la non-prolifération nucléaires),
- ouvrir nos marchés même à des prix nous
paraissant de "dumping" (cas de l'aluminium et du manganèse, le blé),
- nouer des coopérations qui, sans exclure
Moscou, auraient été pour le moins tripartites (l'espace, le nucléaire),
auraient permis d'attendre avant de poser un diagnostic définitif et de choisir
en connaissance de cause le partenaire à venir,
- garantir les frontières et les
indépendances (ce fut demandé par l'Ukraine et le Kazakhstan) en susbtitut de la Russie, quelque temps face
à la Chine
(pour le Kazakhstan), concuremment avec la Russie à partir de l'automne de 1993 quand Moscou
réaffirma ces garanties. Dans deux conflits, stratégiquement décisifs,
l'Ukraine et le Kazakhstan ont été laissés seuls face à Moscou : la propriété
de la flotte en Mer Noire, le statut de la Mer Caspienne et
donc la propriété du pétrole,
- désenclaver au physique et au mental des
Etats n'ayant pas de communication directe avec l'Occident (ce que tenta seule
l'Organisation de Coopération Economique étendue à l'Asie centrale, mais sans
moyens ni parrains) : question des oléoducs et gazoducs notamment depuis la Caspienne,
- favoriser ouvertement l'état de droit
dans les Républiques (alors que les régimes en place sont de matrice communiste
sans les correctifs de la collégialité qui était la norme ancienne. Les
prérogatives pratiques du Parti unique sont devenues celles d'une unique
personnalité : le Président de la
République locale, qui par atavisme privilégie sa relation
personnelle avec Moscou).
- investir réellement, et créer sur
place au lieu de conseiller (sans risque ni implication) la privatisation d'outils
périmés ou sans marchés.
5°
Les raisons de cette attitude
- que l'Histoire jugera très vite et sévèrement - sont simples :
- les dirigeants politiques occidentaux,
chacun accaparés par des échéances domestiques, électorales ou sociales, n'ont
pas fait d'analyse ni personnelle ni concertée avec leurs pairs,
- deux groupes de pression, au moins en
France, ont joué un rôle décisif pour maintenir Moscou comme passage obligé de
toute relation avec les autres Républiques : les russophones (souvent de
naissance ou par mariage) plus pan-russes que les Russes eux-même en Russie
; les entreprises, publiques pour la plupart, qui avaient l'habitude humaine
et intellectuelle de coopérations soviétiques ont tenu mordicus à maintenir
Moscou comme unique interlocuteur, à dédaigner totalement les
compétences territoriales s'exerçant sur les sites essentiels (Baïkonour et
Semipalatinsk), craignant (à tort) qu'une autre attitude leur fasse
"tout" perdre,
- des politiques nationales de certains de
nos partenaires (et concurrents sur le théâtre post-soviétique) ont pu tenir
lieu de politique occidentale. Les Allemands ont eu à gérer leur diaspora
d'il y a deux siècles et demi, en accueillir une part, en fixer une autre part
à coup d'aides et de subventions soit directement affectées aux populations
germanophones notamment dans le nord du Kazakhstan, soit destinées à bien
disposer les gouvernements locaux. Les Américains ont eu la hantise de la
prolifération nucléaire (dont ils n'ont pas su analyser les possibles origines
occidentales : allemandes notamment) et en finançant les démantèlements dans
les trois Républiques dites nucléaires autres que la Russie, ont en fait acquis
un quasi-monopole mondial de matière fissile. Les Turcs ont cru revenu le rêve,
n'en ont pas eu les moyens financiers et sont apparus (fâcheuse coincidence
pour eux, à quelques années près) comme des propagateurs possibles de
l'intégrisme musulman, sans présenter pour autant les ouvertures stratégiques
propres à l'Iran,
- des dispositifs multi-nationaux à
peine cosmétiques. Retard de maturité pour le fonctionnement de la B.E.R.D et flou dans les
doctrines d'octroi de ses crédits. Absence de contenu des
"partenariats" atlantiques.
Une question de portée mondiale a
été gérée par la juxtaposition de politiques nationales, pour la plupart menées
sur le banal modèle des relations bilatérales existant avec les Etats d'autres
parties du monde.
Le cas exemplaire aura été la
relation France-Kazakhstan. Les ouvertures les plus précises d'une coopération privilégiée
furent faites par le Président NAZARBAEV au premier Ambassadeur que nous lui
dépêchâmes ; elles portaient en Août 1992 sur le nucléaire et le spatial. Nous
fûmes doublés avant même d'avoir entendu, sur le nucléaire, dès Novembre 1992
par la formule américaine de subvention au démantèlement, laquelle laissait
cependant de l'espace pour des coopérations sur le site de Semipalatinsk. Nous
refusâmes carrément quoique tacitement pour le spatial, aucun des
accompagnements politiques de nos participations aux équipages lancés depuis
Baïkonour ne fit l'étape d'Almaty à l'aller ou au retour. La balle revint une
fois encore en Février 1994 ; il ne s'agissait plus du monopole russe mais du
monopole américain en métaux rares, un déjeuner à l'Elysée fut organisé au
retour du Président NAZARBAEV de Washington, ce qui bloqua là-bas la
négociation ; nous la laissâmes rebondir, distraitement. Nos intérêts
pétroliers étaient dépendants d'une liberté d'évacuation des produits kazakhs ;
nous ne sommes pas intervenus à propos du statut de la Caspienne ou dans les
financements complexes (et moyen-orientaux) des oléoducs reliant celle-ci à la Mer Noire.
*
* *
La vacance du pouvoir et
l'éventualité d'une succession à Moscou présentent une dernière opportunité.
Celle-ci se présente d'une
manière particulière pour la
France :
- la plupart des Occidentaux ont une
influence propre et un intérêt à Moscou pour des raisons très concrètes : le
Japon à propos des îles d'Extrême-Orient et d'un éventuel chemin de fer
transchinois, les Etats-Unis pour la sécurité nucléaire, l'Allemagne pour sa diaspora
et l'ancienne Prusse Orientale sinon l'ensemble des Etats baltes. La France en est dépourvue
sauf à propos du pétrole, ce qui ne la distingue pas,
- l'Union Européenne n'est pas perçue pour
ce qu'elle est. Son élargissement à d'anciens satellites soviétiques est peçu
comme une menace d'encerclement ou d'exclusion atlantiques. La communauté de
vues avec la France
se fonderait sur des a-priori la minorant : pays implicitement réservé à
l'égard de l'entreprise européenne ; pays craignant l'avenir économique et
l'Allemagne politique ; pays dont la mise à jour est aussi difficile et
incertaine que celle de la
Russie. Nos coopérations bilatérales ne sont plus des
exceptions et ne déterminent plus une intimité exclusive ; la plupart de nos
concurrents occidentaux ont les mêmes à leur actif, et en inventent d'autres.
Nous ne sommes plus au temps du Général de GAULLE et de la percée technique et
commerciale que nous valut une dialectique innovante.
Définir une politique
française et contribuer à la définition d'un minimum d'analogie de comportement
avec nos partenaires, notamment atlantiques, suppose d'identifier :
- les zones à risque (Caucase,
Caspienne, Kaliningrad, Sakhaline, frontière Kazakhstan-Chine, capillarité
afghane par le Tadjikistan),
- nos
intérêts propres (pétrole, métaux rares et non-ferreux, francité de la langue
étrangère et du nouveau système juridique, agro-alimentaire, aéronautique),
-
nos interlocuteurs (dans l'environnement géographique : l'Iran, la Turquie, le Japon, la Chine, et à l'intérieur des
Républiques : les medias indépendants, les entités autonomes, collectivités
locales ou combinats, de préférence aux "nomenklaturistes" ou aux
"mafieux"),
ce
qui nous montre déjà une difficile conciliation avec l'ensemble des nos
partenaires européens ou atlantiques, si nous privilégions, en même
temps qu'eux la relation avec Moscou. Au contraire, si le choix est fait de
donner autant de prix à nos autres relations déconcentrées et indépendantes de
celles existant avec Moscou, la concertation est possible et fructueuse avec
nos partenaires : un partage des tâches, une répartition des investissements
humains ou économiques.
Nous ne devons pas
privilégier la Russie,
cela pour des raisons simples,
- absence d'intérêts concrets et
permanents avec elle, contrairement à d'autres de nos partenaires (Allemagne,
Etats-Unis, Japon),
- pas vraiment la masse critique
permettant des dialogues égalitaires, alors que nous avons cette équivalence de
poids, ou même une supériorité de poids avec les plus importantes des autres
Républiques (Ukraine, Kazakhstan, Asie centrale),
- le contre-poids à l'Allemagne est à
chercher dans la construction européenne et non plus dans un allié de revers
qui, en ce siècle, a montré qu'il avait davantage partie liée avec les Germains
qu'avec les Gaulois.
Au contraire, en jouant et
en favorisant la pluralité dans l'ancien ensemble soviétique,
- nous exonérons les Etats d'Europe
centrale de l'Est d'une trop forte pression russe (Roumanie, Pologne, Etats
baltes),
- nous contribuons aux droits de l'homme
dans chacune des Républiques et pesons pour une démocratisation des
coopérations résiduelles dans l'ensemble post-soviétique (dont nous réduisons
le nombre et l'intensité),
- nous mettons l'Union Européenne en
meilleure posture pour choisir ceux en faveur de qui elle s'élargit,
- nous retrouvons une certaine attraction
vis-à-vis de Moscou par la possession de quelques clés, précisément dans les
directions où se reconstituerait l'empire.
Car considérer les autres
Républiques n'est pas dédaigner Moscou ni la Russie, mais au contraire aider celle-ci à
réagencer son propre environnement d'une manière moins coûteuse économiquement
et moralement qu'actuellement ou dans l'ancien système. La Russie est en mal de
conception de son propre avenir. Nous l'aidons avec une amitié bien comprise en
lui évitant le retour au passé. Et nous correspondons certainement à l'opinion
la plus avancée et dynamique des citoyens post-soviétiques.
Comme presque partout ailleurs
dans le monde, c'est en se faisant valoir politiquement que la France peut être de nouveau
considérée pour elle-même et frayer ainsi un certain chemin pour ses intérêts
économiques. Le
premier des Etats occidentaux qui aura su définir et pratiquer une attitude
face à la succession soviétique aura - dans la perplexité ambiante - une grande
puissance d'entraînement. Le démantèlement de l'empire oriental et la
démocratisation des relations entre Moscou et ses colonies directes sont
nécessaires : ils commandent en effet la
sécurité de l'Europe centrale et occidentale, donc notre indépendance, puisque
c'est cette sécurité-là qui peut seule diminuer notre tropisme persistant pour
la garantie, sinon le protectorat des Etats-Unis./.
(BFF
- 4.XI.96)
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