dimanche 27 octobre 2013

l'Europe centrale de l'Est, test de la question d'Europe

dans la perspective de la journée présidentielle à Bratislava, après-demain mardi



Chef des services d’expansion économique à Vienne - Autriche (ex-direction des relations économiques extérieures du ministère de l’Economie et des Finances – fusionnée avec la diretion du Trésor en 2005) d’Octobre 1988 à Juin 1992, j’ai parcouru proprio motu ce que les Autrichiens appellent avec justesse l’Europe centrale de l’Est, en fait l’ancien empire des Habsbourg. J’y ai connu l’ambiance d’avant la chute du mur, notamment le libre passage entre Budapest et Vienne, sans visa à partir du printemps de 1988, puis ce qui fut vécu, très différemment dans chacun des pays pendant la fin des régimes communistes et à l’absorption de la République démocratique allemande par la République fédérale, et enfin la noria de visites et de colloques pour abreuver les nouveaux décideurs et anciens communistes de nos leçons de libéralisme, de privatisation. Voyages vers le nord et l’est dans une germanophonie ambiante. Puis, à la veille et aux débuts des guerres de Yougoslavie, j’ai parcouru toutes les composantes de la fédération, sauf le Montenegro, rencontrant à titre personnel des autorités nouvelles (parfois au niveau suprême) que par crainte de l’Allemagne et par souvenir de la Grande Guerre, nous refusions de reconnaître., renforçant ainsi la Serbie dans un jusqu’aboutisme désastreux pour elle et sanglant pour ses anciens vassaux. J’en rendis compte à François Mitterrand et à Roland Dumas, contre les opinions dominantes au Quai d’Orsay, alors écrites pour l’Elysée par Jacques Blot.



Les considérations qui suivent sont forts de cette expérience ancienne, mais que je crois encore éclairante pour le présent et pour l’avenir. Le traité de Maastricht, contemporain de cette totale redistribution des identités, n’a pas su en tenir compte.





L’Europe centrale de l’Est, test de la question d’Europe



Remportant la Grande Guerre et recouvrant ses départements d’Alsace et de la Moselle, la France de Clemenceau crut pouvoir remplacer par son système des nationalités (hérité d’un Napoléon III pourtant décrié par le même Clemenceau au début de sa carrière politique) et un réseau de garanties militaires, le système des Habsbourg. Celui-ci, à la veille de l’attentat de Sarajevo et précisément selon les pensées et les réseaux de l’archiduc héritier François-Ferdinand, était en complète évolution. L’empire avait continué de s’agrandir territorialement par l’annexion de la Bosnie-Herzégovine et une dynastie scrupuleusement catholique, avec droit de veto sur la succession pontificale (qui fut exercé en Septembre 1914), était sans doute à la tête d’une diversité religieuse sans pareil dans le monde. Il était question d’un couronnement à Prague du roi de Bohême qu’était aussi l’empereur d’Autriche-roi de Hongrie et d’une nouvelle considération des quelques vingt-et-une nationalités composant la double monarchie danubienne, l’Autriche-Hongrie. Le ciment de l’ensemble était sans doute la personnalité peu charismatique mais universellement respecté d’un prince très âgé, mais surtout un esprit de tolérance pour les différences de toutes sortes, ce qu’illustrait particulièrement la position des Juifs dans l’empire : ceux-ci en étaient sans doute les serviteurs et les propagandistes les plus féconds, même si le projet sioniste fut viennois. Le système des Habsbourg était – précisément – tout le contraire d’un système, d’une organisation, d’un dogme.  Il ne se connaissait pas d’ennemi par principe, sauf dans ses dernières années l’attraction que pouvait exercer la Serbie sur les nationalités slaves de l’empire.



La France au contraire a regardé l’Europe centrale de l’Est avec méfiance et selon le prisme – très déformant – d’une obsession allemande qui depuis 1918 n’a eu d’éclipse que la présidence du général de Gaulle. Celle-ci, au contraire des périodes la précédant puis lui ayant succédé, était non seulement fondatrice de l’entente franco-allemande selon des affinités personnelles et une confiance mutuelle exceptionnelle entre l’homme du 18-Juin et l’ancien maire de Cologne un temps emprisonné par les Anglais, mais avait prophétisé la détente, l’entente et la coopération entre toutes les parties de l’Europe. A la chute du rideau de fer, la France donna – très inopportunément – tous les signes d’une peur renée de l’Allemagne (il fallut la prise de relais par les deux ministres des Affaires étrangères, Roland Dumas, parfait germanophone, et Hans-Dietrich Genscher, connaisseur de tous les démons possibles chez son partenaire C.D.U. pour encadrer la « réunification » allemande et maintenir le lien européen outre-Rhin). Cette peur nous fit intervenir dans la guerre dans la guerre du Koweit pour que ne se crée pas un précédent annexionniste et nous fit nous méprendre sur les indépendances yougoslaves, surtout celle de la Croatie, anciennement dépendante de Vienne. La tentative d’une confédération européenne englobant l’Union européenne en gestation selon la négociation de Maastricht, pour laquelle François Mitterrand tint conférence informelle à Prague avec toutes les autorités morales et intellectuelles de l’Europe centrale de l’Est, fit long feu.



La partition tchécoslovaque a été la dernière étape de nos échecs dans la région, et si le désaccord entre Prague et Bratislava se solda sans hostilités belligènes ni animosité, le démantèlement de ce qui avait été édifié en 1918 et ruiné une première fois par notre capitulation à Munich en 1938, ce fut sans doute la fin d’une influence française active que nous avions ambitionnée pendant tout le XXème siècle. Nous avons dans cette dernière affaire manqué d’imagination car une fédération tripartite en faisant émerger comme troisième élément – « tampon » entre les deux pays techèque et slovaque – la Moravie, historiquement très identifiable, aurait sans doute sauvé la face de chacun. La nouvelle indépendance que vient fêter et commémorer le président de la République française est donc ambivalente, elle signifie – comme les indépendances yougoslaves – un échec et – comme celles-ci – elle ne contribue pas à une « gouvernance » efficace dans l’Union européenne. Les entités primaires sont trop nombreuses à l’Est, elles auraient pu se fédérer pour être un ensemble en tant que tel à Bruxelles et à Strasbourg : on en est très loin. Le vivre ensemble s’était institué selon des structures très différentes de celles conçues par les traités européens : l’Autriche-Hongrie puis la férule communiste enlevaient presque toutes conséquences aux orgueils nationalistes et aux revendications territoriales qui se concurrencent et se recouvrent le long du Danube. Bratislava – la Presbourg autrichienne où se faisaient couronner, à cheval, les rois de Hongrie fussent-ils une femme : Marie-Thérèse – est une entrée de belle tenue, mais provinciale, dans les confins de l’Europe non russe, et se voulait autant hongroise que viennoise. Les confins attirent la Slovaquie vers des formes et des évolutions très « droitières » : comme la Croatie qui a comme référence de sa plus grande emprise territoriale Ante Pavelic, le pays n’a pas oublié Mgr. Tiszo, tandis que la capitale l’inscrit résolument dans la mouvance multinational européenne.



Après un siècle d’échecs, malgré son vif désir de présence politique et économique, et malgré la sympathie évidente dont elle continue de jouir au moins culturellement quelles que soient les générations, la France a-t-elle encore un jeu le long du Danube ? 




Oui.

La considération des hommes, des personnalités nationales, personnalités morales très complexes, bien plus volitives aujourd’hui que la nôtre mais aux racines incertaines, diverses, et entremêlées par l’histoire, la géographie, l’ethnographie même si le substratum culturel, du fait de la construction des Habsbourg, est homogène. Cette considération s’apprend et se cultive par la relation humaine et par une connaissance physique de ces pays et de ces peuples. De leurs langues, de leurs littératures. L’attraction n’est pas mutuelle, nous sommes bien davantage connus pour ce que nous fûmes mondialement jusqu’à ces dernières années que nous ne pénétrons ces cultures et esprits.

La démocratie, les droits de l’homme, des modes de gouvernement et des comportements en politique sont en recherche dans l’ensemble de l’Europe centrale de l’Est. Nous n’avons que les remugles pas les réussites dans nos mémoires et nos informations très atrophiées. Ainsi, la Hongrie, ainsi une partie de ces vingt années slovaques. La France est plus connu par sa culture – l’esprit des Lumières et de nos encyclopédistes – aussi par ses tentatives de prendre l’Allemagne à revers avec des masses de manœuvre slaves, ce qui est schématique et dépassé, que par son imagination et ses initiatives européennes. Ces pays danubiens, la Pologne d’aujourd’hui, tant aimée de la France depuis plusieurs siècles, n’ont pas encore la clé des fonctionnements européens. Les élargissements de l’Union à partir de l’implosion soviétique, les politiques bruxelloises de voisinage, de mise à niveau, les fonds structurels datent d’eux et furent conçus pour eux. L’examen des adhésions se passa souvent d’une manière humiliante pour leurs dirigants et leurs administrations, sans être pour autant approfondis comme ils auraient dû l’être. La crise actuelle de l’entreprise européenne – fondamentalement question de solidarité inter se et d’indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, de puissance et d’assurance de soi face à la Chine – a laissé de côté cette partie de l’Union. Or, c’est elle la plus exposée aux démons du passé : les régimes d’autorité et d xénophobie, la menace stratégique. Nous ne traitons, ni en tant qu’Européens, ni comme héritiers de nos ambitions et de nos erreurs, en tant que Français, aucune de ces interrogations et attentes.

La compétition commerciale, d’éventuels partenariats et investissements sont sans doute importants, ils ne seront que la conséquence d’une mise à jour profonde et résolue de notre proposition d’accompagnement. D’autres, notamment l’Allemagne, pourraient en articuler une, elle risquerait l’ambiguïté. Notre originalité et notre efficacité, notre pénétration entre Europe centrale de l’Est sont enfin fonction de notre relation avec l’Autriche qui n’est petite que territorialement. Son territoire spirituel est – là – immense. Cette dimension peut se partager avec nous. Et ce travail ensemble est très utile. Il peut contribuer à rééquilibrer l’Union européenne dans ses organisations et vie quotidienne, il peut aussi participer de la relance dont la France doit prendre l’initiative, la relance démocratique. Articulée et zélée pour l’Europe en tant que tel, elle contribuera certainement à ancrer dans des pratiques encore naissantes et peu éprouvées des pays souvent tentés par d’autres voies pour se conduire./.
 

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