mercredi 27 février 2013

bonnes feuilles par le Nouvel Obs. d'un livre sur Dominique Strauss-Kahn - échange avec Laurent Joffrin

 
----- Original Message -----
Sent: Wednesday, February 27, 2013 11:04 AM
Subject: RE: littérature performante, enquête de terrain et élégance

Cher ami,

Comme d'autres, vous avez été choqué par la publication, la semaine dernière, des extraits du livre de Marcela Iacub. Nous vous devons une explication, franche et honnête, sans nier que nous ayons pu, dans cette affaire, commettre certaines maladresses.

Quand le livre nous a été proposé par les éditions Stock, nous en avons discuté. Aurait-il été un simple témoignage supplémentaire touchant à la vie privée de DSK que nous l'aurions refusé. Nous avions décidé, à l'époque, de ne pas publier le récit de Tristane Banon dont on a ensuite lu des extraits chez certains de nos confrères qui, aujourd'hui, nous font la leçon.

Le livre de Marcela Iacub est d'une autre nature. Récit brutal et tenu, réflexion paradoxale, style vif et interprétation aiguë : nous avons jugé le texte bien écrit et bien pensé, susceptible d'éclairer l'affaire DSK d'un jour  à la fois neuf et dérangeant. Ce jugement est un jugement littéraire. On peut le contester, vous pouvez le contester. Il a néanmoins été porté après longue lecture et mûre réflexion ; il est d'ailleurs partagé par d'autres que nous. Vous aurez peut-être noté, par exemple, que le journal Libération a, lui aussi, consacré sa "une" au livre, accompagnée de trois pages, plus élogieuses que les nôtres. 

Le livre jette un regard différent sur une affaire qui a occupé les médias et l'opinion dans le monde entier pendant près de deux années. La destinée d'un homme politique de premier plan, promis à la plus haute fonction  dans son pays, mais soumis à des passions qui le font trébucher, en a fait une figure à la fois réelle et romanesque, inscrite dans la mythologie contemporaine. La psychologie d'un personnage aussi public, qui aurait pu être président de la république, ses motivations profondes, l'analyse de son comportement par une juriste et philosophe qui écrit sur ces sujets régulièrement, son plaidoyer paradoxal pour DSK, tout cela est à la fois étrange, incongru, discutable et intéressant.

Il s'agit, à nos yeux, d'un de ces scandales littéraires qui émaillent régulièrement la vie intellectuelle française, qu'on peut parfois déplorer, mais qui montrent aussi que la France, plus que d'autres pays, prend les livres au sérieux. Certains auteurs étrangers nous envient cette capacité à nous déchirer sur la scène nationale à propos de littérature. Malheureusement, disent-ils, cette disposition a disparu depuis longtemps chez eux, où le travail des écrivains se perd souvent dans la morne indifférence des médias et du public. En France, en tout cas, il entre dans les attributions d'un hebdomadaire de rendre compte de cette actualité là.

On dira qu'il s'agit de vie privée et que les règles du journalisme proscrivent l'intrusion dans ce domaine réservé. Peut-être conviendrez-vous qu'il est assez piquant de constater, toutefois, que la plupart de nos contempteurs ont publié depuis
deux ans un nombre colossal d'articles se rapportant à la vie privée de DSK, avec des détails autrement sordides ou choquants que ceux qu'on trouve dans le livre de

Marcela Iacub, où les rares scènes sexuelles qu'elle évoque sont traitées sur un mode métaphorique. Elle devrait, en somme expier pour les péchés commis avant elle. Passons...

Nous tenons surtout que les règles qui s'appliquent aux écrivains ne sont pas les mêmes que celles des chartes journalistiques, qui doivent évidemment être respectées. L'écrivain, par définition, s'attache à l'intime, analyse la vie privée et s'enfonce au coeur des sentiments humains. De nombreux romans contemporains, souvent de grande qualité, mettent en scène non seulement l'auteur mais aussi ses amis, ses amours ou ses connaissances, sous un jour qui ne leur est parfois guère favorable.

Souvent, aussi bien, la transgression, comme dans certaines installations d'art contemporain ou dans certains films, est partie intégrante de l'oeuvre et lui donne une partie de sa force. Depuis Zola, au moins, la provocation est un mode d'expression dont les traductions se retrouvent ensuite dans les musées ou les manuels scolaires. On se souviendra que les surréalistes avaient fait l'éloge de Violette Nozière, jeune parricide condamnée, au grand dam d'une majorité de l'opinion. Ils sont depuis longtemps au programme... Plus récemment, des auteurs d'"autofiction" mettant en cause des tiers ont eux aussi déclenché des polémiques, alors que la qualité de leur oeuvre était reconnue. En usant de la même manière, Marcela Iacub met en scène, au lieu d'inconnus ou de semi-inconnus, une célébrité dont la vie à déjà été examinée par la presse et la justice sous toutes les coutures. Cette transgression est-elle plus critiquable que les autres, qui font rarement scandale ou bien qui sont admises avec le temps ? Nous laissons la question ouverte.

Peut-être aurions-nous dû composer notre "Une" en soulignant mieux qu'il s'agissait d'une oeuvre littéraire et non d'un simple témoignage. Peut-être aussi une présentation moins visible ou plus sobre nous aurait-elle épargné des critiques. Nous entendons, en tout état de cause, vos réactions, avec lesquelles notre ami et fondateur Jean Daniel entre en résonance. Elles nous sont précieuses et nous permettront, à l'avenir, d'ajuster encore nos modes de présentation et nos choix journalistiques.

Cet incident ne change évidemment en rien la ligne journalistique de l'Obs. Nous avons fait écho à un livre qui peut choquer. Nous avons choqué par contrecoup. Le journalisme, nous le répétons, obéit à une charte particulière, que nous nous efforçons de respecter, et les écrivains à des principes différents. Nous continuerons, dans le respect de nos principes d'origine, à chercher à vous informer et à vous proposer nos réflexions le mieux possible, dans l'intérêt du débat civique et culturel.

Amicalement,

Laurent Joffrin

----- Original Message -----
Sent: Wednesday, February 27, 2013 12:03 PM
Subject: Re: littérature performante, enquête de terrain et élégance

Merci pour votre texte. Les précédents et chocs que vous évoquez n'étaient pas - à la connaissance - ad hominem. Ce que je reproche à l'auteure que je ne lirais éventuellement que d'occasion à un ou deux euros, et dans quelques années, au hasard d'un bac de bouquiniste, c'est d'avoir organisé sa liaison en connaissance de cause et avec le but de la raconter, puisque les affaires du Sofitel et du Carlton avaient édifié les plus ignorants sur DSK et aussi sur sa vulnérabilité - que ces faits-là soient ou non avérés.
 
J'ajoute que l'on fait reproche au gouvernement de mettre une partie de l'opinion en mouvement - celle d'ailleurs qui m'intéresse personnellement le moins : une droite intégriste et pseudo-chrétienne dans sa haine de la gauche, comme en 1984 pour l'école - alors que le pays et ses dirigeants doivent se concentrer sur ltout autre chose, et mobiliser le pays sur notre réponse au défi économique et au manque européen, et vous contribuez à la distraction, au lieu de serrer la réflexion et d'appeler le discernement pour une autre mobilisation : que le gouvernement gouverne enfin à gauche, c'est-à-dire selon le voeu national (vg. les sondages sur les nationalisations).
 
Ci-joint, les correspondances adressées à DSK au chaud de l'affaire du Sofitel puis à son retour - laissées sans réponse - ainsi que l'évaluation que (n'étant pas de ses partisans) je faisais de son éventuel exercice du pouvoir, et enfin ce que j'écrivis et proposai aux anciens Premiers ministres socialistes à la suite de ce retrait forcé de candidature.
 
Bien amicalement, quand même.
 
... et si vous aviez envie de ma collaboration selon ce que vous voudrez et pourrez, j'en serai enchanté. Il en avait été question... en Mai-Juin 1972.
 
Je suis parisien les 20-21 et 22 Mars prochains

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