lundi 12 novembre 2012

Si la France mentait... - 2


II


Je t’ai raconté notre premier chapitre, tu ne veux pas illustrer et tu ne peux pas dessiner ce dont tu n’as pas connaissance. De dire comment se fait ou se compose la France ? ou te dire qui sont les Français ? On commençait depuis l’école primaire obligatoire par les Gaulois et César, les ayant vaincu y compris le fameux village d’Astérix, réapparu seulement sous de Gaulle – je lisais la bande dessinée dans Pilote, chez le coiffeur, mais curieusement le Général qui se compare, compare la France plutôt à Tintin, le petit qui ne se laisse pas avoir par les grands, selon ce qu’en rapporte Malraux, n’a jamais évoqué Astérix, Obélix, Abraracourcix, « ô notre chef… » dans aucune de ses interventions ou saillies publiques – et nous terminerions aujourd’hui, ce qui fait débat politiquement depuis quelques années, par les Africains et les Arabes. La comparaison est flatteuse pour ces derniers, car ce sont nos envahisseurs toujours qui nous ont apporté un supplément de langue, d’âme et de civilisation quand ils venaient de loin. Les Anglais pendant plus d’un siècle, les Allemands à trois reprises pendant quelques années ne nous ont apporté les premiers qu’une nouvelle culture du vin, celle de l’exportation, depuis Bordeaux, soit des crûs très supérieurs à ceux de l’aire romaine en Provence ou dans le Gard, et les seconds qu’une architecture rose comme la cathédrale de Strasbourg mais pour des faire la gare de Metz ou la place de l’Université le long de l’Ill. Le charme alsacien, ce sont les Habsbourg, pas les occupants selon Bismarck et la personnalité lorraine, une Lorraine francophone, ce sont les Lekzinski de Pologne. Pendant trois siècles, c’étaient plutôt les Français qui occupaient ou envahissaient l’Allemagne. Quant aux Arabes, ils sont venus jusqu’à Poitiers et leur défaite a indirectement provoqué en France un changement de dynastie et le début d’un projet national, pas du tout contre eux, au contraire de la monarchie catholique espagnole et de son esprit de croisade et de reconquête, inspirant encore cinq siècles plus tard, pas loin de nous, le mouvement de guerre civile des nationalistes du général Franco. La France ne s’est pas faite contre des gens ou des pays – l’Allemagne proclame son unité et son empire dans notre château royal de Versailles, à l’étranger donc, et elle rassemble plutôt des populations que des territoires, ce qui vaut encore aujourd’hui tant ses frontières ont fluctué – mais le projet français est à la fois plus spieituel et plus concret. Les « limites naturelles » énoncées par la Révolution correspondent à des éléments précis de géographie, des montagnes : Pyrénées, Alpes et Jura, un fleuve, le Rhin ce qui nous donne de l’espace dans ce qui est devenu plusieurs Laender allemands, la Belgique entière et une partie des Pays-Bas. Nous fûmes, à juste titre, soupçonnés, après notre victoire dans la Grande Guerre de 1914-1918, de vouloir cette rive gauche du Rhin. Le projet des Capétiens parce qu’il concerne des populations, embrasse des populations avec lesquelles se créent des liens divers pour le souverain féodal mais toujours de fidélité et d’une certaine liturgie, d’une communauté de droit, et les territoires viennent avec les gens. Il n’y a pas même de projet stratégique. Quand la France grandit en surface, elle cherche surtout l’indépendance de son roi vis-à-vis des autres souverains d’Europe, le reste du monde étant à découvrir et n’existant politiquement que depuis deux-trois siècles au plus. Le roi représente donc d’emblée le droit, la sécurité et l’indépendance qui signifie très pratiquement : charbonnier, maître chez soi ou, autrement dit, le roi est empereur dans son royaume. S’il est dit absolu au XVIIème siècle, celui de Louis XIV préparé par Richelieu et Mazarin, deux hommes d’Eglise, ce n’est pas du tout – ce que je t’entendais lire en résumé d’histoire, il y a quelques semaines – parce qu’il aurait tous les pouvoirs, mais simplement parce que la source de son pouvoir n’est que la grâce de Dieu, la providence, lui-même par hérédité, elle ne vient pas d’un autre pouvoir, serait-ce celui du pape des catholiques, majoritaires dans le royaume. Une hérédité qui est à l’origine une élection, mais celle du fils du roi régnant et à laquelle il est procédé en présence du roi, pas par bulletins secrets comme aujourd’hui.

Des populations dont le roi, la France qu’il personnifie, se sent et se rend responsables. Ce mouvement pourrait se perpétuer ou se retrouver aujourd’hui, être communément celui des Français accueillant ceux qui se reconnaissent d’esprit en eux. La France se constituait par adjonction de populations naguère, elle se divise ces temps-ci du fait de ces adjonctions et en en doutant. Eva Joly, pour qui tu aurais voté au printemps dernier, t’est venue à l’esprit quand je t’ai expliqué l’immigration. Aujourd’hui, l’immigration est du sud, comme au temps des Romains, mais ceux-ci étaient considérés comme nos supérieurs, pas les arrivants de ces décennies-ci qui semblent nous avoir suivis à quelques années près quand nous avons quitté – la décolonisation – leurs propres territoires. Notre candidate franco-norvégienne vient au contraire du nord, plusieurs de ses concurrents potentiels qui ne gagnèrent pas la primaire du parti socialiste : Arnaud Montebourg et Manuel Valls, se sont réclamés aussi d’ascendances immigrées mais du sud. Ta favorite ne l’a pas fait, elle a contraire excipé d’un parcours de débitrice envers la France, elle a lu avec une émotion passionnée la lettre qu’elle lui écrivait en début de campagne, elle m’a fait penser à ce grand ministre du général de Gaulle, que tu as visité avec nous comme tu l’avais fait pour Pierre Messmer et Jean-Marcel Jeanneney, deux hommes de l’est, lui du sud, de l’île de Malte dont les parents s’étaient établis dans notre protectorat tunisien et, au début de la campagne présidentielle de 2007, celle qui fit la victoire de Nicolas Sarkozy, lui aussi fils d’immigré, il pleurait devant moi de ne pouvoir, dans des entretiens télévisés avec de grandes personnalités de l’intelligence française, échanger simplement sur la France au lieu de discuter des gestions et des diffrences entre les partis politiques. Censée représenter les sensibilités et les dialectiques de l’écologie – la France a sans doute été la première à accueillir pour une élection présidentielle un candidat pour le climat, la planète, les animaux, nos grands équilibres naturels, René Dumont, en 1974, dont tout depuis est issu – ta favorite a plutôt insisté sur ce qui est son expérience professionnelle, la justice, la rigueur morale, l’égalité devant la loi et les tribunaux. Elle n’a pas réussi à être élue, mais elle a rappelé ce qu’est fondamentalement l’esprit français : le droit, le descriptif précis, le raisonnement… austère : la culture écrite, plutôt que le parler… son accent très étranger ne l’a pas servi dans une campagne qui est uniquement orale. Un des plus grands ministres qu’ait eus notre pays, celui de Louis XIV trop jeune pour gouverner par lui-même, le cardinal de Mazarin, originaire d’Italie, assurait : « mon parler n’est pas français, mais mon cœur l’est bien ».

Un juge, une juge pour représenter ceux et celles qui ont pour priorité la préservation de la planète. Une juge connue pour sa sévérité et son incorruptibilité. La France perceptible en ces deux profils qui peuvent déterminer son visage le plus souriant. La justice. Tu emploies peu ce mot, mais tu le pratiques quand tu réclames l’égalité de traitement avec nous. Le début de la démocratie ? le respect de l’autre à égalité de soi-même ? L’égalité. Vous le faites bien ? alors pourquoi pas moi. La première protection des rois de France, quand ils ont commencé à prendre en charge des populations, a été de rendre la justice, personnellement ou en en déléguant l’exercice. La main de justice, cette sculpture pour figurer aussi bien le roi que Dieu. La main droite, et quelque chose d’assez proche de ce qui a été le salut scout. Deux doigts tendus qui peuvent enseigner, qui sont forts et sereins, et deux en réserve, les plus petits, que protège le pouce, le plus solide et le plus utile de nos cinq doigts. Cinq doigts comme cinq sens. La nature et nos ancêtres, nos grands-parents encore, très prolifiques en symboles. La justice avec la balance dont les deux plateaux sont égaux. L’épée, à la préfecture de police à Paris, entre le palais de justice, accolé à la Sainte-Chapelle de saint Louis, la justice de Dieu, la force des hommes pour en faire respecter les décisions, le tout non loin de Notre-Dame et le long de la Seine. L’emprise territoriale du roi de France, la dignité encore aujourd’hui, surtout aujourd’hui – les prises d’otages – se marquait, se marque par la protection donnée à ceux qui se réclament du roi, de la France. La justice crée un lien entre le pouvoir et les personnes. Georges Pompidou, le très important Premier ministre du général de Gaulle – par la durée, par la confiance qu’avait en lui l’homme dit du 18 Juin, un homme qui est une date, de même que nos rois n’avaient que leur prénom suivi du numéro d’ordre dans la succession – a terminé le livre qu’il écrivait pendant le temps où il ne fut plus au pouvoir, il ne savait pas s’il y reviendrait, mais il espérait y revenir et fit tout pour y parvenir… en donnant le portrait du roi saint Louis. Le roi sous un chêne à Vincennes, l’une des deux petites forêts faisant respirer Paris, rendre la justice sous un arbree, être donc accessible à tous, et quand quelqu’un réclame justice, il réclame son droit, se croit dans son droit, l’expression avec les guillemets, le droit appartenant à qui réclame que cela lui soit reconnu. Le pouvoir qui a fait la France était d’abord une justice, et une justice écrite. Les archives, les papiers indiquant les propriétés ou les condamnations, quand on les retrouve et en étudie les dates permettent de faire la véritable carte de notre pays. Pas des frontières naturelles, mais des points précis et donc à l’époque des gens à qui la justice fut rendue, au nom du roi, au nom de la France. Nous disons aujourd’hui au nom de la loi pour faire prisonnier quelqu’un qui l’a enfreint, pour pénétrer dans une maison où un coupable présumé. Le roi la rendait seul. Quand ce n’était pas lui, les juges étaient plusieurs et l’on pouvait faire appel de leur décision au roi. On pouvait se référer aux lois – qu’on appelait alors ordonnances ou aussi des édits – pour obtenir justice. La France est un pays où la justice est rendue collégialement, où l’appel est de principe mais pour que cela vaille en matière pénale, où l’on peut risquer sa vie entière en prison, il a fallu attendre plus tard que l’an 2.000. La France est le pays du paradoxe principal, ne pas appliquer ce qu’elle proclame. En appeler à la loi suprême, à la Constitution parce qu’une loi du Parlement ou un décret du gouvernement ne la respectait, est une possibilité toute nouvelle. La construction française, dans bien de ses parties, est en cours, parfois très en retard sur ce qu’il faudrait qu’elle soit depuis longtemps.

La protection de la nature, son exploitation, aujourd’hui – ce que je pense maintenant inutile, parce que cette urgence est de bon sens que tous partagent en esprit sinon en acte – sont la raison et le programme d’un parti. Plus que des idées ou des connaissances, ce peut être – les Verts – un parti de liberté, où les disciplines intérieures pour que fonctionne n’importe quel groupe passent après l’expression des convictions. C’est ce qu’il se passe ces temps-ci au gouvernement et au Parlement. Un parti qui n’est qu’une machine pour porter quelqu’un au pouvoir en lui faisant gagner les élections perd son âme et oublie son programme, et la fraternité d’idées qui pouvaient unir des Français en son sein et surtout entre eux. Les deux principaux partis, qu’on dit de gauche pour le Parti socialiste et de droit pour l’U.M.P. (Union pour une majorité populaire), ne pratiquent guère la fidélité à leurs origines ouà leurs engagements. L’exercice du pouvoir ou leur arrivée au pouvoir les obsèdent. La droite et la gauche, comme les mains humaines, devraient se compléter et sont indétachables de l’âme française, les conservateurs et les innovateurs ou les protestataires. L’appellation, qui est une comparaison, date des premiers jours de réunion de la première Assemblée nationale française quand les Etats-Généraux, non plus séparés entre ordres : la noblesse, le clergé et ce qui n’était ni l’un ni l’autre mais l’écrasante majorité des Français, le tiers-état, se rassemblèrent et délibérèrent en un seul lieu. Le président, renouvelé tous les quinze jours, regardait à sa gauche ou à sa droite, et l’on répartissait ainsi les députés. La salle, sans sonorisation – ce qui privilégiait les voix fortes et claires et fit l’art oratoire en politique, aujourd’hui perdu puisque les voix sont amplifiées artificiellement – était rectangulaire et d’un seul niveau. Une longue salle de classe… La disposition en gradins et en trois quarts de cercle (bien plus qu’un hémicycle, alors que c’est ce mot-là qui désigne la formation matérielle de nos assemblées, à Londres cela ressemble au contraire aux places réservées dans une église, comme à Vitry-le-François avec les gens importants assis en face de la chaire d’où parle le prêtre…) est venue dix ans plus tard. Elle s’est inspirée des théâtres grecs, où l’acoustique – je l’ai expérimentée à Carthage et à Epidaure – est si parfaite qu’un murmure sur la scène en rond, tout en bas, est audible au rang le plus élevé… L’art de parler, notamment en politique. L’un des plus grands orateurs de tous les temps, Démosthène, bégayait, il s’entraina à parler en marchant le long de la mer, avec des cailloux dans la bouche. Le récit de sa vie, la philosophie de la parole en politique ont été exposés par un de ses lointains continuateurs : Georges Clemenceau, notre « père la Victoire », avec son curieux bonnet, ses gants gris même dans la journée car il avait de l’eczéma, journaliste redouté, polémiste imbattable à la chambre des députés – il était surnommé le Tigre, une de ses phrases est restée un exemplaire de grammaire : vous en avez menti ! Un écologiste à sa manière, il avait une maison en Vendée, à Saint-Vincent-du-Jard, au bord de la plage, alors le plus souvent déserte et allait se laver nu dans la mer. Anti-pétrole, on lui proposa à la paix de Versailles en 1918 les pétroles d’Irak dont on ne savait encore l’abondance et il répondit que quand il en avait besoin, il allait chez son épicier. Les lampes étaient alors à pétrole, une sorte de réservoir et l’on montait dessus une mèche protégée par un tube de verre et un globe. Transformées aujourd’hui pour recevoir une ampoule électrique, elles sont belles, j’en ai une, tu le sais, dont je casse régulièrement la verrerie. Liberté de pensée surtout de Démosthène, dénonçant la montée des tyrannies et l’arrivée des conquérants, et de Clemenceau : député de Montmartre, il proteste contre le traité de 187 donnant l’Alsace, le pays de ta Maman et des siens, au nouvel empire allemand, et il défend les parisiens insurgés de honte et de famine, ceux qu’on appela – de Mars à Mai 1871, juste après le terrible siège de Paris par l’ennemi, la seule fois de notre histoire nationale – les Communards, ceux qu’on fusilla dans leur ultime retranchement, au cimetière du Père-Lachaise, à Belleville, le mur des Insurgés, tes arrière-grands parents de mon côté ont là leurs corps au repos. Mais ils n’en étaient pas, ils habitaient alors Orléans, et ne s’établirent qu’après la Grande Guerre.

Ce qui se mêle, se mélange, se transforme pour faire la France et donner à des personnes et à des générations cette âme commune qui est aujourd’hui la nôtre, comme elle fut dans une langue et des manières différentes mais qui nous enfantaient, c’est à la fois ces guerres gagnées et perdues, mais qui nous pénètrent etqui nous remuent parce qu’on est gagnant ou perdant à tous, ensemble, et ce sont aussi ces façons de nous opposer les uns aux autres à beaucoup de propos. Pas seulement dans les campagnes électorales ou dans les assemblées de l’Etat ou des régions ou des départements ou des communes, mais dans la vie courante. Aujourd’hui, le débat se perd dans l’ensemble français, il semble que des domaines entiers de la vie ensemble doivent échapper à la discussion. Tout ce qui est argent et organisation de la production, de la vente, du commerce, de la communication – pourtant éminemment politique – ne devrait plus être prévu, réglé, protégé, interdit, permis par des lois. Le « laisser-faire, laisser-passer » a été une doctrine économique, appelée le libéralisme sur le modèle de la vie politique nouvelle après les monarchies absolues et après les violences et les guerres révolutionnaires, deux figures qui rétrspectovement nous paraissent totalitaires mais ne l’étaient sans doute pas pour les contemporains vivant nos grandes époques classique et romantique, tout autrement qu’en sensation de contrainte et d’artifice. Ces doctrines ont été longtemps un progrès humain, parce qu’en tout domaine les échanges apportent, enrichissent et font innover, ils stimulent. Plus de classement, et des notes par images ou par lettres, bien moins par chiffres, dans ton école alors que la mienne était tout entière d’émulation et de course : tu es stimulée autrement ou plutôt selon le fond humain, le goût du beau, la joie d’apprendre et de retenir, de mémoriser. Cela revient au même. Mais de ce mouvement, autre chose a progressivement dérivé, des dogmes sont nés et la déréglementation, dans notre pays et dans le monde entier, est devenue une obligation. Elle est contraire à notre tradition, à l’ambiance entière de notre histoire et de nos progrès, parce qu’il faut protéger les plus faibles, il faut forcer les grands et les plus forts à accomplir leur devoir – les nobles de l’Ancien Régime français ne l’étaient, par distinction du roi, qu’à raison des devoirs qu’ils assumaient, notamment la défense du royaume (l’impôt du sang) et la protection de tout leur entourage. Quand ces structures sociales se sont défaites, des intérêts différents sont apparus, les classes sociales, affaire de métiers, d’état mais surtout de niveau de vie et de manière pour gagner de quoi se nourrir, soi et les siens, se sont formées en termes de conscience particulière. D’instinct, on s’est senti de telle ou telle condition et l’on a compris qu’à plusieurs, en groupes on obtiendrait la récupération ou l’amélioration du nécessaire. Les doctrines sociales – répondant aux doctrines économiques – ne sont pas nées en France. Les premières en Allemagne, les secondes en Angleterre. Notre fond d’idées n’a pas été non plus la réflexion politique sur les origines du pouvoir, les Anglais y excellèrent. C’était avant leurs révolutions qui sont bien plus anciennes que les nôtres. Il a été l’écriture tardive de ce qui nous constituait : l’Etat, avec lequel la personne du roi se confondait, souvent explicitement (l’Etat, c’est moi, disait Louis XIV), et une réflexion de plus en plus approfondie depuis le milieu du XVIIIème siècle sur le fonctionnement de cet Etat, sur l’exercice pratique du pouvoir. Rares ont été alors ceux qui étudiaient davantage les caractères et les mouvements de la socciété expliquant l’Etat, produisant l’Etat. La vie nationale a cessé alors d’être les guerres et les traités par lesquels le pouvoir royal agrandissait notre territoire, défendait notre indépendance et elle est devenue une lutte pour l’exercice du pouvoir puisque celui du roi avait cessé d’être évident, sacré, a priori légitime, c’est-à-dire indiscutable. L’absolutisme était l’indépendance de la France vis-à-vis des autres pays, de leurs souverains et de toute prétention à l’immixtion d’autrui dans nos affaires. Il se découvrit à l’occasion des successifs renversements du pouvoir en place que l’important allait devenir la relation entre le peuple ayant renvoyé un pouvoir et fait naître un autre par la violence, par l’insurrection, et ce pouvoir nouveau. La légitimité du pouvoir restait affaire de conscience générale et de chacun, un acquiescemment collectif et personnel, mais il lui fallait être constamment vérifiée, stimulée. Comment ? par des bienfaits, par la bonne administration de la justice, par la paix sociale, par de bonnes lois.

Notre foi en l’Etat n’est pas une croyance dans la qualité ou la compétence de ceux qui le font fonctionner et dont nous désignons par l’élection les principaux dirigeants, à chaque pour ceux-ci d’en désigner d’autres de moindre responsabilité et de plus grande spécialisation, elle n’est pas une pétition théorique comme le dogme libéral : le moins de réglementation, le moins de protection, le moins d’interdit et tout marchera bien mieux dans l’économie, il en résultera un bien-être général et automatique, les prix baisseront s’il y a concurrence entre les offres et le consommateur sera le roi et l’arbitre. Tout le contraire se vérifie aujourd’hui. L’économie tend au monopole qui s’impose au consommateur n’ayant plus de choix. Un prix, comme celui du gaz et de l’électricité, quotidiennement décisif pour le budget de chacun, s’il est laissé libre augmente. Seul l’Etat peut le maintenir à un niveau plus faible. Après la Seconde guerre mondiale, quand il a fallu reconstruire tout, les nationalisations de l’énergie et des banques ont été décisives. De génération en génération, nous avons constaté que les grandes entreprises quand elles sont laissées à elles-mêmes ne font pas automatiquement le bien de tous les consommateurs et que sans l’Etat, renflouant puis nationalisant les compagnies de chemin de fer, il n’y aurait plus rien eu en transports communs depuis le milieu des années 1930. Et en 2008-2010, plus de banques et surtout plus du tout de confiance dans la capacité des banques de rembourser les dépôts s’il n’y avait eu concours financiers de l’Etat et garantie de fait comme maintenant pour certains établissements.

Entre le moment où le libéralisme politique l’a emporté sur le pouvoir héréditaire et sacré, avec des références à la religion, quelles que soient les familles l’exerçant depuis la Révolution jusqu’à notre défaite en duel franco-allemand – observons que nos régimes quels qu’ils soient ne tombent ou ne se transforment substantiellement que par la violence des manifestations et surtout par les guerres perdues – et le moment actuel où le libéralisme économique est en train de l’emporter sur le pouvoir d’Etat et donc d’enlever toute portée pratique aux élections pour la direction de notre Etat, la vie nationale a été très simple, et précisément très nationale. Nous défendre contre un ennemi potentiel, singulier et particulier : l’Allemagne devant laquelle, seul à seul, nous avions dû nous incliner, alors qu’auparavant nos rois et la France qu’ils organisaient et agrandissaient étaient capables, comme le fut la Révolution héritant de leurs armées et de leur préparation, de tenir tête à toute coalition. Nous ajuster les uns aux autres dans le contexte tout nouveau d’une économie qui n’était plus principalement agricole et artisanale, donc familiale et presqu’individualiste. Ce fut la lutte des classes, théorisée par d’autres que nous, faisant apparaître chez nous un parti soutenant les luttes tandis que les autres n’approuvaient pas forcément les patrons mais voulaient encadrer l’ensemble des combats entre salariés et investisseurs capitalistes par des lois. L’Etat trouvait une légitimité tout à fait indépendante de ses dirigeants, nos rois, nos élus, celle d’organiser la paix sociale, celle aussi de répartir les ressources pour pourvoir au manque ou à la prospective : la recherche, l’enseignement devenu obligatoire pour que ne l’emporte pas dès l’enfance des idées particularistes ou des intolérances. Tu sais que nous n’avons choisi pour tes débuts scolaires l’école diocésaine, catholique que par évaluation – forcément sommaire – de la qualité des maîtresses et des maîtres. Nous avons commencé par l’école publique Victor Hugo, nous sommes allés dans une autre commune visiter Jeanne d’Arc, sur l’autre rive de notre Penerf et dans les mêmes paysages que le nôtre : propreté des lieux insuffisantes ici, pas assez d’enseignants là, et ce fut saint-André. Mais on peut apprendre Dieu en toute école, la famille, tes parents, la paroisse, la grâce de Dieu elle-même sont le vrai vecteur. Depuis trente ans, je m’oppose comme je peux – en écrivant, publiant, discutant – à la contestation de choix gouvernementaux, généralement ceux d’un pouvoir élu à gauche, par des chrétiens brandissant des oriflammes et imposant leur référence, celle-ci est la mienne mais n’impose que l’exemple pas le combat. Ce fut le débat sur l’école dite libre en 1984, c’est le débat en ce moment sur le « mariage pour tous », c’est-à-dire loisible aux homosexuels, femmes ou hommes.

Ces débats où l’on se range – à droite – sous des drapeaux alors que la discussion et la décision peuvent se mener puis se prendre sur le fond, deviennent des routines. Le système politique français dégènère périodiquement en ces affrontements qui sont de forme. Les catholiques s’en préoccupent depuis que notre régime est républicain, non plus monarchique, qu’il n’y a plus de famille royale (la succession des Capétiens et des diverses branches Valois, Bourbon, Orléans) ou impériale (les descendants de Napoléon), ils perdent toutes ces batailles et négligent celles de l’évangile, le combat contre l’injustice et la pauvreté, aujourd’hui le chômage. Ils n’en savent pas davantage d’ailleurs sur ce que serait une réinstitution de la monarchie héréditaire en France, et ils se sont ralliés, faute de précision dans l’enseignement social de l’Eglise depuis Rome et d’implication suffisante des évêques depuis une quarantaine d’années, aux dogmes libéraux et capitalistes. Donc à cette mûe de la lutte des classes, longtemps menée par les salariés, leurs mouvements syndicaux, plus que des partis les exprimant toujours avec décalage, souvent victorieuse par des résultats très précis sur les salaires, le droit du travail, la sécurité, la participation, et devenue l’assaut général contre l’Etat chez nous, contre les Etats dans le monde. L’Etat regardé non comme l’outil commun, enjeu de luttes encadrées avec précision, celles des élections, mais considéré comme une entreprise mal gérée, gaspilleuse, génératrices de prélèvements sur les bénéfices, une entreprise coûteuse et à supprimer. Peu importe ceux et celles qu’elle protège ou nourrit, peu importe ses fonctions. D’ailleurs, ceux et celles qui devraient parti pour que se maintienne et se renforce l’Etat, ne le défende guère. Les partis de droite alors que ceux-là autant que ceux de gauche ou d’entre deux (les centristes, a-t-on commencé de dire en France depuis les « événements de 68 » ou les « événements de Mai », c’est-à-dire depuis les premières émeutes de rue, en plein air, depuis les grandes révolutions politiques de la fin du XVIIIème siècle et pendant tout le XIXème siècle, émeutes surprenantes plus encore parce qu’elles semblaient sans raison que parce qu’elles sont nées à l’improviste, a-t-il semblé), tous les partis devraient avoir intérêt à l’Etat puisque leur raison d’être est d’en chercher le commandement et l’orientation. Faute de cela, les partis de droite épousent une dogmatique économique, récusant toute compétence aux politiques et contestant même tout réalisme à une idéologie se voulant d’abord politique. Ils n’ont donc de programme que le soutien d’une pensée destructrice, donc les postulats sont tous démentis par l’actualité et dont les acteurs ont complètement changé de fonction. Le capitalisme était mû autrefois par les investisseurs. Une bonne part de la crise économique française tient à la diminution des investissements et à leur délocalisation hors de France, pour échapper à l’Etat, à l’impôt prétexte-t-on mais en réalité à son arbitrage. Les bénéfices vont à la spéculation des marcgés boursiers non à l’économie réelle et encore moins à l’intéressement des salariés.

La lutte devrait faire rage, elle a eu des périodes si vigoureuses qu’un parti la revendiquait même comme sa spécialité propre – le Parti communiste. Aujourd’hui que le chômage est expoentiel, que l’Etat est contesté dans son intervention, que même la gauche ne propose pas la nationalisation d’un investisseur préférant rétribuant ses actionnaires que de préparer l’avenir en investissant comme sa fonction le lui prescrit, comment se fait-il que la lutte ait cessé ? que les grands mouvements de 1936 à 1995 qui bloquaient le pays, toute la mécanique économique et exaltaient la dynamique sociale, povoquaient des manifestations et les si multiples rencontres personnelles, expériences pratiques et échangées de la vie au travail, des nécessités familiales… ne renaissent pas ? alors qu’en Espagne, au Portugal, en Grèce, en Italie mais moins, le peuple redevient identifiable en tant que tel, et bouge, s’indigne. Cri pourtant d’un Français, mais d’un Français âgé, dont l’expérience vécue a été celle de la Résistance à l’occupant parce qu’il occupait mais surtout parce qu’il était qui il était. L’occupation allemande de 1871 à 1873, ou multiallée entre 1815 et 1818 ne donna pas lieu à des résistances. Les Français savent ce qui est mortel pour une âme nationale, et s’insurgent. Or nous y sommes, et ce n’est pas affaire d’une nationalité contre l’autre, mais d’un rapport de forces entre des théoriciens de l’accaparement et des travailleurs indispensables à la production du nécessaire, sauf à dépendre en tout de l’étranger et du dehors donc de bons-vouloirs indépendants de nous et de nos souhaits… des fonctionnaires indispensables à la marche de nos services publics. Les premiers variables d’ajustement – comme on contraint les pays les plus pauvres forcés d’ouvrir leurs frontières commerciales à des ajustements structurels. Et les seconds décriés, même par les partis de gouvernement au point de n’être pas remplacés quand ils partent à la retraite, ce qui n’a de signification que leur inutilité quand ils étaient en activité. Et pas d’insurrection… comme s’il n’y avait plus ni force ni pensée. Hébétude collective ? idéologie dominante ? sensation de fatalité ? Liberté ?

A chaque étape de son histoire, la France – et à chacune de leurs générations, les Français – jouent leur destin en tant que tels bien plus mentalement, spirituellement que matériellement. Nos pertes ou nos gains matériels, nos augmentations et diminutions de patrimoine de toutes natures, même immatérielle, ont des causes d’abord spirituelles.

Jeudi 15 – vendredi 16 . Lundi 12 Novembre 2012

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