dimanche 11 novembre 2012

frissonnez drapeaux ?

Frissonnez, drapeaux ?


Victoires et défaites, gloire de l’instant, espérance dans les larmes, référence des batailles, recherche d’un autel, morts les uns pour les autres, souffrances et deuils, la mémoire et la psychologie pour un rite qui – avec l’élection – serait l’un des rares à imposer silence aux débats perturbateurs et aux assassins de la paix ou de la démocratie.

Le dire et le vivre quand il s’agit de l’histoire que plus personne – aujourd’hui – n’a vécue et que de moins en moins ont entendu en récit vécu, dans la seule version authentique, celle du partiel et du personnel, du départ à la guerre, de l’absence définitive, celle plus collective des exodes et des peurs, montre que nos capacités de sentir et de communier sont de plus en plus restreintes. La gestion l’emporte sur tout, la gestion matérielle. Ressentir le pays, comprendre l’âme française – pour ne prendre que notre exemple – non en termes figés d’identité nationale, mais en mouvement et en respiration de descendants immémoraux et d’adhérents récents ou nouveaux, tous authentiquement part d’une communauté immanente serait un travail dont il semble que nous ne soyons capables qu’à la marge, sans que commandent l’origine, la pauvreté, l’opulence. Plus rien ne nous y aide en vie collective, en institutions. Le creuset n’est plus qu’en chacun de nous.

Qu’est-ce que le drapeau, qu’est-ce que la patrie, qu’est-ce que le pays quand disparaisdent la nature, les conflits armés, l’exclusivité tricolore à nos frontons décorés tout autant d’Europe, de régions et de Nations Unies, quand la mort est de hasard, quand les « théâtres d’opérations extérieures » valent décoration et cercueil pavoisé qu’on descend d’un gros avion devant un président de la République ou un ministre, mais quoi ? puisqu’oil est mort le mari, le fils et que c’est l’horreur du hasard, de l’imbécillité, de la malchance, que c’est la mésestime de l’honneur et le gaspillage du sang, de l’existence… L’indifférence et la distraction, sauf minute de silence devant les cénotaphes ou au seuil des églises, tandis que la guerre moderne fait encore plus fous à vie que de morts par balles parmi les combattants.

Le début du civisme – comme le début de l’entêtement écologique quand il n’y avait, heureusement, aucun parti pour s’en réclamer – est solitaire : une prise de conscience. Chacun y a ses arguments, à sa mesure et selon soi. Pour la France, selon moi, il y a tout autant des paysages que des événements, de la propriété que du partage, des vivants plus accessibles quand ils sont inconnus et de rencontre, des morts à apprendre de chacun. C’est plus de la paix, de l’espoir, du paradis possible que de l’enfer passé ou du voisinage entre semblables crispés sur le minuscule territoire de la profession, de l’habitat, des temps de transport et des évocations télévisuelles. C’est sans doute analogue pour beaucoup en des pays lointains ou frontaliers, et selon des cultures apparemment différentes.

Au total, c’est très concret et indétachable de soi par un effet plus complexe à élucider, le nom, le prénom, les reconnaissances écrites de paramètres, de patrimoines. Ce peut être nié, ce peut être choisi, le plus souvent c’est factuel. Des abstractions qui nous définissent ?

Vient alors le mystère, vient aussi l’immédiat. Quoi donc nous relie aux autres, et à nous-mêmes ? Quoi donc nous rend responsable de la suite ? nous fait nous intéresser à qui souffre ? celui qui tend la main en ville, vit reclus on ne sait où ni comment ? La solidarité produite par les erreurs de gestion, par l’inadaptation des institutions, par les recels d’abus de pouvoir en toute occasion, en tout liei, à tout propos. Il me semble qu’alors commence de s’agiter un drapeau. Il me semble qu’un assemblage se fait, que la resporation peut devenir commune, pas exclusivement dans les cortèges sacrés de la Libération, de manifestations protestataires comme nous en faisons ou vivons tous les vingt ou trente ans, unitaires rétrospectivement, d’opposition et de clivage politique dans le moment entre les défilants et les abstinents.

Conscience qui s’éveille d’un lien entre l’abstraction et ce que nous sommes chacun, d’ailleurs plus faits d’âme et d’impalpable que de chair ou de compte en banque. La simplicité de consentir aux rites, au bulletin de vote, à la minute de silence, drapeaux inclinés devant des cénotaphes précieux pour les villageois, indifférents sauf selon leur esthétique pour les passants… il me semble que c’est le salut à l’indicible et à la plus belle construction humaine qui soit. L’appropriation du passé pour répondre de l’avenir, la reconnaissance d’une responsabilité vis-à-vis des ancêtres et des parents, des sœurs et frères encore au loin ou tout près, la volonté d’être à notre tour enfantés dans cette éternité de la mémoire transmise, même transfigurée ou défigurée, le relais de la vie d’une étape à l’autre de ce qui s’appelle l’histoire mais qui se récite comme un roman, un poème, un pense-bête. Passer du texte à l’échange de consentement, celui d’accepter d’être ensemble, à égalité de valeur, à égalité de droit à la propriété collective de notre pays.

Capables de ce mouvement, habités par cette conscience, le frisson des drapeaux ridicule ou légal, entraînant comme toute manifestation collective ou repoussant comme toute obligation de foule, signifie pour nous une vigilance, la nécessité d’une volonté. L’élan est toujours à reprendre.

Aujourd’hui, il a deux pas à nous faire faire. La solidarité en société, le patriotisme européen et l’ensemble, bien noué par notre effort, va produire ce qui manque encore tellement, la chaleur humaine sous toutes les lattiudes, le respect poour toutes croyances, toutes habitudes, toutes ascendances, tout projet de descendance.

Le drapeau fut une appropriation. On se le prenait, on se le décernait, on se le rendait entre nations anciennes se réorganisant, nations récentes émergeant à la dignité, régions ou peuples mal définis, migrants, sans frontières et se cherchant des signes. Cela peut faire forêt, cela peut faire ciel immédiat entre mains, têtes et épaules qui moutonnent en foule ou se figent pour l’écoute de la prière, cela peut faire acquiescement à ce qui nous dépasse, nous lie, nous est intérieur et façonne le cadre de nos amours et la fierté de nos mémoires. Ce n’est jamais solitude, la référence dépend de notre désir de partage.

Il y a de la sainteté chez les patriotes de tous pays et de toutes époques. Il devrait y avoir du sacerdoce chez tous les politiques, chez tous les meneurs d’entreprises et d’associations humaines, quel qu’en soit l’objet. Entre un drapeau qui frissonne et une flamme qui se ranime au-dessus d’un tombeau ou autour de laquelle les frigorifiés de l’Anabase, de la retraite de Russie et du désastre de Stalingrad s’assemblent, la parenté est celle d’une même palpitation. La vie humaine est esprit, la mémoire n’est pas moins immédiate et concrète que la parole. Aucune victoire, aucune défaite, pas même la mort n’est définitive. Parce qu’elles sont collectives, nos responsabilités pour tout le passé sont personnelles pour l’immédiat et l’entier de l’avenir.

Bertrand Fessard de Foucault,
matin du dimanche 11 Novembre 2012

Aucun commentaire: