mercredi 24 août 2011

simple regard sur le temps actuel - esquisse d'une réflexion sur 2011 - I



Simple regard sur le monde actuel
cette année 2011 . d’où vient-elle ? où va-t-elle ?


à la mémoire de Michel Jobert
12 Avril 1924 + 25 Mai 2002,
à qui la France et la politique contemporaines doivent beaucoup


Prenons garde d’entrer dans l’avenir à reculons…
C’est pourquoi je n’aime pas trop que l’on parle de reconstruire la France :
c’est construire une France que j’aimerais que l’on voulût.

Que le jour ne luise jamais où le souvenir de ce jour de victoire puisse apporter
une amertume et un retour funeste vers la présente joie ;
que jamais revivant ce qui est aujourd’hui ne te vienne à l’esprit cette lourde parole : à quoi bon ?

dernières lignes des Regards sur le monde actuel & Ultima verba . 8 Mai 1945
Paul Valéry 30 Octobre 1871 + 20 Juillet 1945






Regard sur le monde actuel – celui du premier semestre et de l’été de 2011 – ou regard sur les gens, les pays, les situations vécues et subies ? ou observation des réactions et positions des dirigeants ? lesquels, ceux de l’apparence liée aux médias, généralement les politiques, parfois leurs alliés des groupes de l’art ou de quelque notoriété que ce soit ? ou ceux qui, volontairement ? ou par mimétisme ? mettent en place, gèrent, densifient ou raréfient des mécanismes et des systèmes : ceux de la banque, de la bourse, du commerce des matières premières et ceux de la rivalité ou des guerres avec outils de plus en plus sophistiqués, précis en finance, en armement, en surveillance ?

Quantité de lieux et de mouvements à connaître et à suivre, quantité de disciplines à maîtriser ou au mieux à inventorier pour la part qu’elles prennent à régir nos vies. Seul est interdisciplinaire celui qui subit les effets de ces multiples interactions de si diverses nature, mais il n’a d’expression que le cri et la rue – car la résistance passive ou le refus de l’impôt, de la société n’est plus de notre époque sauf pour les sans-logis y contractant un second naturel à ne plus vouloir nous réintégrer. Ce cri fait peur car ceux qui monopolisent l’apparence des décisions et des législations, des sauvegardes et des améliorations n’ont, en propre que l’expression. Il n’existe pas actuellement, pour ce qui peut se savoir, à l’échelle mondiale ou dans le cours de la vie nationale française ou dans l’Union européenne, peuples et institutions pris ensemble, d’autorité morale. Autorité par la puissance et le charisme de la voix, morale par l’indépendance et l’adéquation, la vertu structurante de l’analyse.

Le moment actuel a cette première caractéristique qui appelle au rassemblement de tous les spécialistes, de toutes les intelligences propres à la révolte et au doute.

Il est également celui de la surprise alors que depuis des décennies se faisait soupçonner et attendre l’effet aussi bien des abus de la spéculation et de la « financiarisation » de l’économie, et – en fait – de la société entière sous tous ses aspects, que des contraintes de corps et d’âme dans beaucoup de pays, et notamment dans ceux qui, après l’émancipation des satellites soviétiques (dont on voit mieux maintenant qu’ils étaient surtout des satellites de la Russie), ont été partagés entre intégrisme musulman et instinct démocratique.

Enfin, il vérifie l’obsolescence par inachèvement des grands projets des années 1940, fruits de la grande lutte mondiale, des institutions mondiales, européennes, financières, humanitaires qui devaient changer le monde et le faire se gouverner éthiquement et démocratiquement. En particulier, il manque au monde l’Europe, et à l’Europe la France. Deux voix indépendantes traditionnellement ou naturellement – par situation pratique autant que par instinct de leurs peuples, par le passé récent – des puissances et de l’idéologie dominante. Deux outils d’une émergence européenne : un gouvernement commun pour l’essentiel, la monnaie unique soit n’existe pas, soit n’a pas été soutenu convenablement. Du traité de Maastricht à celui de Lisbonne, rien n’est apparu d’un mécanisme européen d’expression et de gouvernance (élection d’un président de l’Union au suffrage direct de tous les citoyens européens, prérogative de ce président de convoquer le referendum en circonscription européenne unique pour décider dans les matières des traités, voire dans le cas de manifeste et très périlleuse urgence). Le président du conseil, coopté pour trente mois, la ministre des Affaires étrangères sont proprement insultants pour l’avenir du Vieux Monde par leur silence et leur peu d’autorité. L’Europe en est à l’étape française de la Quatrième République. Quant à l’euro [1], l’Allemagne et la France, en violant impunément le pacte de stabilité à partir de 2003 (sauf quelques remontrances annuelles en examen bruxellois), l’ont frappé de précarité et sont en train de le détruire à refuser que dettes et budgets deviennent œuvre commune, devoir des Etats, et non faire-part séparément envoyés à des entités – marchés, agences de notation, fonds de pensions et d’invesstissement – qui n’auraient que peu d’impact si l’Europe politique et démocratique existait par elle-même. Les additions d’Etats ont fait leur temps, au moins en Europe. Or plus rien ne s’envisage en commun. Du plus difficile et spirituel : assumer l’immigration, pour désarmer les simplismes et les extrêmismes réinculquant la xénophobie alors même que les médias débordent d’historiques et de débats sur la shoah et les conséquences de l’antisémitisme, au plus concret et pratique : les grands travaux d’infrastructures et de communications virtuels ou matériels, les moyens de défense et de projection militaires nous émancipant des avions, des radars, des logistiques et du renseignement des seuls Etats-Unis.

Les ébauches d’organisation mondiale, nécessitées – après la Seconde Guerre – par la décolonisation, puis l’implosion soviétique et enfin le terrorisme quelle qu’en soit la qualification hors propagande, illuminisme de part et d’autre, sont en plan depuis des décennies. De même qu’en Europe, nous en sommes restés à une Commission faisant et appliquant des directives d’autant plus rigoureusement que l’objet est petit, concret, et à un comité des représentants permanents des gouvernements sachant et décidant tout mais ne rapportant rien aux peuples à qui constamment Bruxelles est montré en bouc émissaire, de même la planète reste régie d’une part par le Conseil de sécurité des Nations Unies, et ses cinq membres permanents, prétendant seuls à la légitimité de leur armement nucléaire, et d’autre part par le système bipolaire exclusif qu’ont fondé les Etats-Unis d’abord avec l’Union soviétique, leur meilleur agent pour se subordonner le reste du monde, puis aujourd’hui avec la Chine – créances obligent, quoique soit oubliées celles du Japon de niveau presque égal.

Ces lacunes sont en ce moment manifestes car l’impuissance générale – des politiques aux penseurs et analystes divers – à comprendre d’abord et à tirer parti pour le bien de tous : peuples et valeurs, des révoltes dans la plupart des Etats arabes, des déconfitures et renflouements de banques, des faillites ou semi-faillites d’Etats membres de l’Union européenne ou Etats-Unis d’Amérique à présent, montre que les outils manquent. Ils manquent d’ailleurs pour le détail. Qui a prévu, dans les pays suréquipés en réseaux de renseignements ou d’intelligence économique et stratégique, ce qu’on a appelé le printemps arabe (en plagiant Jacques Benoist-Méchin qui fit connaître et comprendre l’affaitre de Suez et le véritable Gemal Abdel Nasser) ? personne. Correspondance diplomatique dans un régime où le prince définit ce qu’il y a à comprendre et soutenir sur place ? Choix des stratèges depuis la disparition du manichéisme anti-soviétique et anti-communiste, à l’échelle du monde et dans les pays dits « occidentaux », tel que la dictature et la corruption [2] sont carrément préférés à la démocratie parce que moins aléatoires face à l’intégrisme religieux et au terrorisme que celui serait censé inspirer. Les outils manquent aussi pour les opérations militaires proprement dites : les Européens, la France en particulier l’avouent en Afghanistan, en Libye, les budgets aussi.

Quelques tabous empêchent une analyse fondatrice de deux sujets – aussi actuels que récurrents, mais probablement explicatifs de l’ensemble de ces crises apparemment disparates et de peu de liens qui ont fait de l’année 2011 – au lieu du ronronnement attendu d’un G 7 et d’un G 20, à la gloire des photos. de groupe des « puissants » de ce monde – une succession d’apparitions où, chaque fois, « le roi est nu ». Europe, finances, banques, monnaie, relations extérieures des Etats-Unis, ambition d’un voisinage euro-méditerranéen, Françafrique [3], intimité euro-américaine, chacune de ces crises – depuis longtemps latente – a aujourd’hui son expression mais pas encore sa situation par rapport à toutes les autres : leur concomitance est-elle fortuite ?

Le lien entre la précarité et le nationalisme, les dictatures et les répressions au Proche-Orient est évident avec l’existence d’Israël. Mais il est tabou, aucune réflexion ne pose en prémisse la possible, probable ou souhaitable disparition de l’Etat d’Israël au profit d’une entité acceptable par tous sur place et dans les diasporas, pas seulement juives. Il n’est donc tiré aucune conséquence politique de cette perpétuation des hostilités et des haines, aucune imagination pour un avenir autre que la confrontation acquise depuis un demi-siècle. Qui dénonce ? les moyens choisis par ses dirigeants à quelque parti qu’ils appartiennent depuis l’assassinat d’Itzahak Rabin, pour perpétuer sa suprématie militaire dans tout le Proche-Orient (naguère, il était entendu à Londres que la flotte britannique devait équivaloir au moins à la coalition des deux autres principales flottes et aujourd’hui comme depuis 1967, Jérusalem doit pouvoir tenir tête à l’ensemble du monde arabe, à condition, bien entendu, qu’aucun de ses ressortissants ne dispose de l’arme nucléaire, ce qui rend la relation avec l’Iran commode pour sa visilité et confidentielle pour la réalité des commerces et contacts…). L’évidence est d’un avenir de fraternisation d’abord entre les personnes et d’un respect mutuel que peut seul organiser un Etat laïque, pluri-ethnique que bâtiraient ensemble dans tout le territoire de l’ancien mandat britanique, Palestiniens et Israëliens. Les Etats latins mis en place par les croisés ne durèrent que deux siècle et bien moins dans leur emprise originelle. Continuer de parler de « processus de paix » équivaut à tout couvrir de relations uniquement de force, parce que jusqu’à présent, mais pour combien de temps, elles sont en faveur d’Israël.

Second tabou, peut-être lié partiellement au premier. Le lien entre les dépenses militaires, les dettes souveraines et par conséquent les incapacités des Etats d’inposer les réformes du système bancaire et du système monétaire internationale. Chacun de ces registres est d’ailleurs – sauf pendant quelques semaines d’effroi à l’automne de 2008 – soigneusement maintenu séparé des autres, alors que les « décideurs » politiques se prétendent par mandat des généralistes et que les analystes des divers comptes publics ou privés savent s’émanciper des libellés pour considérer la réalité d’une insolvabilité ou au moins d’un risque. Or, il est de vérité scolaire que les déficits américaines et leur conséquence monétaire internationale ont été dûs dans les années 1960 et 1970 à la guerre du Vietnam. L’intervention en Afghanistan et en Irak occasionne des dépenses, principalement aux Etats-Unis, du même ordre. Elles ont un prix la lutte contre Satan, la chasse au Ben Laden, la hantise qu’émerge non loin d’Israël une puissance nucléaire hostile : elle existe déjà en deux exemplaires pas encore au point, le Pakistan, puissance proliférante quoiqu’alliée des Etats-Unis et de la France…, l’Iran.

Ainsi est en train de s’ouvrir un espace jusques-là clos et disparate. Ce n’est pas la première fois ni dans la décennie ni dans les presque trois quarts de siècle qui devraient nous rapprocher de la fin de la Seconde guerre mondiale, en ce qu’elle nous gratifia de la table rase et de la préemption de presque tout dans chacun des Etats vainqueurs ou vaincus, et dans l’organisation internationale qui fut alors expressément voulue. Ni l’entreprise européenne, ni la décolonisation eurafricaine, ni la renaissance des Etats d’Europe centrale et orientale n’ont été saisie comme occasion de fonder. Dès la première longueur, les sportifs de fond – qui avaient splendidement initié (Schuman, de Gaulle, Lech Walesa par exemple) – ont dû passer la main, tout est devenu gestion et s’est subordonné à la « marchandisation » du monde, conséquence non prévue et non souhaitée du progrès économique, social et technique, de la paix aussi, au moins entre Etats, sinon dans la vie de chacun quand s’opposent et se détruisent les ethnies entre elles. Les crises financières (toutes liées à une nouvelle étape du libéralisme : 1971 et l’abandon des accords de Bretton-Woods, 1987.1995.2008.2011), les mûes stratégiques (les révoltes de 1953 et 1956, de 1968 dans le monde soviétique, la confrontation de Cuba, la rivalité et la conquête spatiales), les bras-de-fer pétroliers (avec leur illustration en guerres israëlo-arabes ou coups de main sur Gaza) n’ont jamais provoqué un sursaut d’organisation. Il y a bien plus de quant à soi aujourd’hui, entre les Etats, y compris entre Etats-membres de l’Union européenne, y compris entre la France et l’Allemagne, qu’il n’y avait avant-guerre ou dans les années 1950 et 1960.
Ce blocage, historiquement constatable selon une simple revue des événements qui pouvaient produire des prises de conscience et des sursauts – comme le firent la question du réarmement allemand pour l’Europe, et la guerre d’Algérie pour la mûe française, à tous égards – est en partie dû à la médiocrité ambiante des personnels dirigeants dans les grandes démocraties. Trait commun quelles que soient les grands différences d’institutions politiques et de liberté ou pas de ces personnels pour agir sur les gens et sur les choses. Ce ne sont pas les circonstances – qui n’ont jamais été moins médiocres depuis vingt ans – qu’il faut incriminer mais très probablement la « financiarisation » des parcours individuels, la perte du sens de toute solidarité dans l’entreprise, dans la politique, dans la vie associative – au moins pour ce qui constate en France, expériences familiales et syndicales se cumulant – et ces ambitions d’argent et la libido du pouvoir sur autrui en place des anciennes ambitions d’épanouissement personnel et de contribution au bien commun, au devenir collectif, national, européen, humain produisent un nouveau type d’hommes et de femmes publics, généralement peu cultivés, peu sensibles à la sécurité et la performance des décisions prises et appliquées en équipe. Les institutions qui pourraient se mouvoir autrement et inspirer même de améliorations drastiques, ne sont pratiquées qu’en faire-valoir de personnalités courtes et par conséquent plus sensibles aux cotes immédiates de popularité et à la prochaine échéance électorale qu’au jugement de l’Histoire ou à l’orgueil d’avoir vu et tenté… La gloire de Barak Obama n’est la réussite de son mandat personnel, elle est celle de l’Amérique qui a su élire un métis noir. L’entente entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ne doit rien à des affinités – inexistantes selon tous les témoignages et ce qui se voit rien qu’à leur apparition ensemble – et tout à ce que de Gaulle et Adenauer ont fondé par confiance et estime mutuelles, comme une obligation nationale ardente, d’intensité égale pour la France et pour l’Allemagne. Mais ni cette entente franco-allemande, ni l’ancienne hégémonie américaine qui garde son prestige et ses nostalgiques, ne sont plus fondatrices.

La troisième caractéristique du moment présent est donc double. D’une part, elle est une prise de conscience – presque générale quel que soit le degré de développement ou d’indépendance économique des peuples – que les dirigeants non seulement sont faillibles, au regard d’événements et de crises qu’ils n’ont pas su prévoir et qu’ils ne savent pas gérer, encore moins méditer et analyser, mais surtout ne sont pas de valeur. Révolte en Tunisie et en Egypte, donnant le signal d’une contagion dans les comportements même si les revendications, les thèmes, les relations de force avec le pouvoir en place, ou plutôt avec les soutiens du pouvoir en place, diffèrent d’un pays arabe à l’autre. Ceux dont il est peu parlé ou qui semblent n’avoir vécu qu’un spasme : Bahrein, Maroc, Algérie devraient appeler l’attention bien davantage que ceux ayant pu évoluer quelques mois à l’air libre. Contagion en Libye, le dictateur pris entre deux homologues en chute et en procès, mais la Chine elle-même – certainement en eeffervescence puisqu’aucune race humaine, aucun peuple ne peut souffrir durablement l’escslavagisme pour beaucoup et l’enrichissement pour très peu – emprunte à la rive sud de la Méditerranée son vocabulaire : la révolution de jasmin est interdite d’antenne. L’Espagne et la Grèce manifestent, pour la seconde, c’est la chronique d’un pays de bonne volonté mais aux gouvernements constamment populistes et finalement sans prise, pour la première c’est l’articulation, jamais entendue depuis la mort de Franco, d’une condamnation de la classe dirigeante. La force du mouvement – pourtant considérable, et éthiquement, thématiquement comparable par sa nouveauté et par a cohérence d’une telle prise de parole, aux pétitions de Mai 1968 en France – ne passe pourtant pas les Pyrénées et n’atteint même pas le Tage. En Grande-Bretagne, en Russie – l’une à ciel ouvert, l’autre dans ce qu’il est maintenant certain qu’on peut qualifier de néo-communisme au sens des procédés obliques et cyniques de la dictature des temps soviétiques – ce sont des émeutes factuellement motivées. Place de la Bastille, d’où partirent tant d’élans, la brochure de Stéphane Hessel, peu lue mais extraordinairement vendue, semble reprise des Espagnols. L’évacuation est encore plus promptement prononcée que s’il s’agissait de quelque occupation d’église par des sans-papiers. Un gouvernement, exceptionnement impopulaire en la personne d’un chef ayant perdu dans les neuf mois de son élection, la majorité des opinions sondées, craint – au moindre éveil – l’incontrôlable : universités, chauffeurs de poids-lourds, lycéens…

Singulièrement, la mise en cause des dirigeants, dans leur ensemble, et selon des politiques – nationalement affichées, mais partout analogues – diminution des budgets sociaux, inégalité fiscale, chômage en grande partie du fait des délocalisations – portent sur les personnes, sur les comportements, sur les systèmes de pensée, sur l’idéologie dominante : la mondialisation, l’absence de démocratie effective, mais elle n’est pas solidaire de celle des autres. La contagion n’est pas explicite. Les débuts de réponse ne sont d’ailleurs pas politiques mais sociologiques. Aux Etats-Unis et en France, et cela va se répandre, les « plus gros revenus » « réclament » leur part de sacrifice et leur plus forte imposition.

Les événements tant dans le monde arabe que dans « la planète finances » ont un effet – pas encore vraiment noté par les politiques et s’il l’est par les diplomates, c’est à huis clos – qui peut faire de 2011 une année encore plus tournante que 1991, l’implosion soviétique, ou 2001, le passage des conflits entre Etats à des conflits avec un « ennemi indéterminé », le terrorisme. Simplement, l’Occident – reconstitué ou pérennisé, par abstention et non-vouloir propre des Européens – commence d’être subordonné au reste du monde. C’est un fantastique et imprévisible retournement des choses et des situations. Sans doute, le Vieux Monde garde-t-il son pouvoir d’attraction sur les personnes – malgré l’inhumanité de traitement des immigrants, des migrants et des sans-papiers – et sans doute les Etats-Unis, sur la défensive depuis des décennies, et le Canada, si habile dans sa résorption de la pétition québécoise et dans ses appels à l’immigration choisi, exercent-ils eux aussi ce pouvoir d’attraction. Mais la mondialisation qu’avaient initiée Kennedy et Dillon il y a cinquante ans, en machine destinée à enrayer le mécanisme fondamental de l’entreprise européenne : un marché certes unique mais réservé, sauf accords partiels avec le reste du monde, a produit aujourd’hui plus de dépendances pour l’Amérique et pour l’Europe que le bien-être promis par le libéralisme anti-politiques publiques. Cet Occident doit à la fois porter le poids d’une compétitivité bien moindre que celle des pays à dumpings fiscaux et surtout sociaux [4] et la charge de réparer, à ses seuls frais, c’est-à-dire aux frais de ses citoyens contribuables, les conséquences de la « financiarisation » de l’économie mondiale. Le scandale des politiques et médications actuelles – notamment depuis 2008, auparavant elels étaient caractérisées par la tolérance ou le truquage des contrôles et des indices – est que leurs impacts ne sont toujours mesurés qu’aux conséquences jamais aux prévisions et perspectives. On découvre ainsi que l’endettement des Etats a augmenté de 30% par application-même des recettes palliant leur éventuel défaut de paiement et en France, c’est en conclusion du mandat présidentiel qui l’a en valeur absolue la plus endettée, qu’il faudrait inscrire une « règle d’or » qu’on a absolument pratiquée depuis 2007, c’est-à-dire dix-huit mois avant « la » crise.

L’Occident – que voulaient à tout prix, par dignité nationale, agréger Chine, Russie, Brésil, Inde et autres puissances d’avenir, au sens des comptabilités précisément « occidentales » – est maintenant isolé. Déjà, une de ses obsessions qu’aura été depuis qu’a été contractée une responsabilité collective dans la shoah, et qui est la sécurité d’Israël, quel que soit le comportement de cet Etat enkysté en milieu étranger qu’il a contribué à rendre hostile par son statut-même, n’a jamais été partagée par le reste du monde. La Chine et la Russie, communistes, soviétiques ou plus, ne se sont pas déterminées dans les relations internationale par rapport à la « question » israëlo-arabe. Ces semaines-ci, il est apparu que les tolérances, encore certaines en début d’année, de Pékin et de Moscou à propos d’une intervention, plus ou moins sincèrement libellée en Libye, ou des déficits et incertitudes des Américains, prennent fin. L’Occident est prié de réparer les dégâts qu’il cause – dans les finances mondiales, dans les pays où il intervient en soutien des rébellions libertaires – et il est maintenant empêché d’agir en Syrie. Naturellement, la faiblesse démontrée à qui mieux mieux par les Européens, Français en tête, et les Américains à propos du Tibet et de l’ethnocide au moins culturel (par submersion démographique) qui y est perpétré, est le signe qu’est révolue ce temps où les tigres de papier évacuaient peut-être le Vietnam, mais l’emportaient sur l’Union soviétique au bras de fer de la guerre des étoiles et du financement des investissements productifs. Les Etats-Unis renoncent à la Lune, les Chinois y vont et Pékin a lancé en mer Jaune son premier porte-avions. Les gazoducs, via l’Ukraine, sont un moyen de chantage russe sur l’Europe. Tandis que les entreprises des deux rives de l’Atlantique nord pressent leurs gouvernements de révérer les immenses marchés de consommation et les fabuleux contrats d’équipement en Russie et en Chine, ces deux Etats avancent leurs pions et leurs liquidités au Soudan, en Libye, en Grèce et opeut-être en péninsule ibérique. La Côte d’Azur française, les hôtels particuliers qu’occupaient les ministères à Paris, un pan de la place de la Concorde sont achetés à vil prix. Sans que cet entrisme soit un engagement de parler notre langue libérale et d’adopter les normes humanitaires. Il est vrai que Kadhafi avait eu beau jeu – chez nous – de dénoncer nos camps de rétention et de commenter les quotas féminins en divers domaines comme une preuve que l’égalité des sexes reste en chemin chez nous, plus que chez lui. Occident isolé et marginalisé, financièrement dépendant : quelle revanche pour le Tiers Monde même si celui-ci comprend que, pour ce qui concerne directement ses ressortissants, il y aura peu de miettes dans les prises de contrôle chez eux des compétiteurs de l’Amérique et de l’Europe. Mais, comme ces mêmes ressortissants observent la manière dont leurs proches sont traités quand ils tentent de venir chez nous, la balance est égale, le repoussoir peut-être différent, mais bien vérifiable…

En revanche, ce même Occident pourrait bien retrouver ce qui faisait – heureusement – pendant à l’organisation militaire de l’Alliance atlantique et au Plan Marshall : le « réarmement moral ». La remarque militante que les dirigeants sont immoraux, vaut – plus encore et depuis davantage de temps – pour l’ordre mondial et quantité de théâtres particuliers. Le progrès du droit pénal international – si embarrassants pour ceux-même qui les mettent en forme – ne se fait, au jour le jour, textes et applications, transferts d’inculpés à La Haye, qualification des conflits et des exactions que sous la pression des opinions « occidentales ». celles-ci gêneraient jusqu’aux victimes des guerres de Yougoslavie, d’Afrique des grands lacs ou de l’Ouest sur le golfe de Guinée [5] et ailleurs. En Yougoslavie qui est l’Europe s’est défini le devoir ou le droit d’ingérence [6] sans qu’il ait été choisi entre les deux. L’intervention américaine en Aghanistan a été autorisée par les Nations Unies [7], celle de l’OTAN en Libye, aussi, mais celle en Irak – isolée malgré la phraséologie de coalition rassemblant près de quatre-vingt Etats – ne l’a pas été. Impicitement se formule une nouvelle conscience universelle – notion et concept bien plus anciens et à terme bien plus authentiques et plus efficaces que ceux de communauté internationale. Cette conscience est active, ce n’est pas une référence, c’est un mouvement, il procède des personnes, et se motive par un examen direct de quelques-uns entraînant beaucoup, réfélchissant aux événements étrangers par analogie aux exigences déjà posées sur les scènes nationales, voire dans des situations quotidiennes, locales. Les solidarités avec les sans-abris, avec les sans-papiers – qui n’ont rien à voir, apparememnt, avec la contestation dans la rue de la réforme des retraites (schémas valables dans la plupart des Etats-membres de l’Union européenne) parce qu’elles sont matériellement désintéressées, parce qu’elles sont une protestation tout humaine, sont du même ordre, de la même nature que la sympathie éveillée par le « printemps arabe », par les déplacements du Dalaï-Lama. Elles paraissent moins politiques que les foules encerclant les réunions du G 7 ou G 8 de Seattle à Gênes, il y a dix et vingt ans. Il semble que les murs à faire tomber soient désormais mentaux, idéologiques, mais la sensation d’avoir à renverser une contrainte, des absurdités et à inventer une cohérence est en train de nourrir une demande qui se généralise. Les campagnes électorales déjà en cours ou à venir, paraissent totalement passéistes.

2011, c’est l’obsolescence d’institutions, d’outils, de raisonnements, de huis-clos et d’expressions figées qui se constate dans les relations internationales de tous genres et dans le fonctionnement de la plupart des pays nantis. Cette prise de conscience, ce constat – que les tenants et les profiteurs de l’ordre ébranlé de partout, prennent maintenant à leur compte, non sans componction – sont politiques. Ils n’ont pas d’expression unique, ils n’ont pas de maître à penser ou de référence idéologique comme longtemps le marxisme en tint lieu ou à la manière de Marcuse et d’Illitch : je ne crois pas que Stéphane Hessel y ait un instant prétendu. Ils évoquent plutôt cette noosphère de Teilhard de Chardin, cette cérébralité commune à toute l’espèce humaine à certains moments où communiquent les civilisations et voyagent les personnes plus encore que les idées. Il y a une pensée commune qui contre-attaque après vingt ans – au moins de faux-semblants ou d’occasions perdues. Vingt ans d’unification allemande, d’émancipation des sujets dans le bloc de l’Est, de traité de Maastricht.
Aucune construction – alternative – ne se discerne encore, mais les ruines de l’ancien système sont partout. En déblais…



Bertrand Fessard de Foucault,
premier ambassadeur de France au Kazakhstan . Juin 1992 – Février 1995



[1] - j’ai lu avec passion deux auteurs dont je ne partage pas les conclusions mais que je remercie de leur apport en documentation de fond, en dialectique faisant comprendre et mettant en perspective toute notre histoire depuis cinquante ans : économique donc politique, au sens réel :
Nicolas Dupont-Aignan,
Jacques Nikonoff ,

Je crois que leurs dénégations et leurs médications, qu’ils n’appliquent qu’en la France ou qu’à un Etat voulant imiter celle-ci, pourraient s’appliquer à l’ensemble européen. Ils donnent l’exemple que la novation est d’abord une critique. De Gaulle si national, est aussi, sinon surtout, un des pères fondateurs de l’Europe : une analyse rigoureuse de sa politique et de ce que mit en œuvre Maurice Couve de Murville, le montre


[2] - scandale pas encore entièrement exposé du financement des partis politiques français par l’Irak et par des présidents d’Afrique d’expression française – scandale d’une complaisance d’Etat, acquise financièrement, pour le pustch mauritanien de 2008 – deux ambassadeurs dignitaires (c’est-à-dire non des moindres) rétribués en bons-pétrole par Sadam Hussein

[3] - du discours de Dakar, lu sans examen préalable par Nicolas Sarkozy n’ayant d’excuse que de ne pas l’avoir écrit lui-même, au soutien des putschistes mauritaniens et aux ambiguités ivoiriennes, politiques assorties des drames au Sahel, il manque un livre d’ensemble, mais peuvent y introduire :
ainsi qu’un dossier de la Revue Défense nationale, documenté et écrit par un Mauritanien, Hacen Ould Lebatt :


[4] - le rapport maintenant de la Banque asiatique de développement


[5] - il saute aux yeux que si la guerre civile ayant résulté en Côte d’Ivoire d’une succession de coups militaires depuis la disparition du grand Félix Houphouët-Boigny – en perspective de laquelle la France et ses ambassadeurs n’avaient strictement rien vu venir… puis d’un déni de verdict électoral, a mis aux prises des groupes également cruels et prodigues du sang humain, Alassane Ouattara est autant passible du tribunal de La Haye que le vaincu final. La qualification de crimes contre l’humanité est donc, localement, dangereuse à manier pour tout le monde

[6] - problématique magistralement décrite par Anne-Cécile Robert, Dans les eaux troubles du droit d’ingérence, in Le Monde diplomatique, Mai 2011, pp. 8 & 9
et appliquée par Jean-Marie Colombani, à la Libye : la dernière intervention au nom du devoir d’ingérence ? slate.fr 25 Août 2011

[7] - à juste titre, Jean-David Lévitte, cf. Le Monde y voit un tournant majeur en droit comme en politique, mais déjà la révision de l’article 5 du traité de l’Atlantique nord, ajoutant le terrorisme aux définitions de l’agression comme motif d’intervention et obligation de solidarité, avait ouvert la voie. Seule question, pourquoi s’attribue-t-il un si grand rôle et maintenant ?

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