vendredi 14 octobre 2016

Mgr Pontier : « Notre société est devenue pluriculturelle » - Le Monde.fr



Le président de la Conférence des évêques de France appelle à ne pas « instrumentaliser » les attentats contre les musulmans et à faire davantage pour accueillir les réfugiés.

LE MONDE | 12.10.2016 à 20h07 • Mis à jour le 13.10.2016 à 06h50 | Propos recueillis par Cécile Chambraud
 
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Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France depuis 2013, et jusqu’en 2019.

Président de la Conférence des évêques de France (CEF) depuis 2013 et jusqu’en 2019, Georges Pontier, archevêque de Marseille, s’exprime dans Le Monde alors que la CEF publie un important document intitulé « Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique ». Mgr Pontier appelle à ne pas « instrumentaliser », contre les musulmans, les attentats, à faire davantage pour accueillir les réfugiés et à prendre en compte la pluralité de la société.
Deux mois et demi après l’assassinat du Père Hamel, quelles ont été les répercussions de cette tragédie pour les catholiques et pour l’Eglise ?
Après cet assassinat, il y a eu un choc profond. Il y a eu le sentiment que quelque chose qui ne doit pas se faire a été fait – assassiner un prêtre âgé lors d’une messe dans une petite église. Ça a réveillé des sentiments, très minoritaires, de peur et de condamnation de l’islam. Mais ce qui s’est passé le dimanche suivant, avec des musulmans venant dans les églises, ça a été un geste très fort, très apprécié. Ça a fait bouger les lignes. On a vu que les musulmans ne se reconnaissent pas dans cette chose-là et qu’il y a un désir de fraternité.
Mais c’est aussi un défi : comment conforter dans la durée, bâtir sur ce moment un peu unique et prometteur, malgré le drame ? Il y faut de la volonté, car il y a des résistances. Ce n’est pas évident de voir l’islam s’installer dans notre société, de repérer les ressources qu’il y a dans l’islam pour lui permettre de se vivre dans une société où l’Etat et la religion sont séparés.
Le débat se tend autour de l’islam en France. Le pape François a mis en garde contre la tentation de voir dans la période actuelle une guerre de religions. Que dites-vous aux Français alors que s’ouvre une campagne électorale ?
La première chose, c’est qu’il est indigne d’instrumentaliser les événements causés par le courant de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] pour durcir les relations entre les Français musulmans et le reste de la population. C’est risqué, aussi, car il n’y a que deux solutions : ou nous arrivons à trouver le chemin du vivre-ensemble, ou nous nous faisons la guerre.
Pour l’Eglise, le vivre-ensemble est possible. Il faut le réussir en favorisant les rencontres et tout ce qu’on peut « faire » ensemble. Je crois beaucoup à l’action commune. Quand on réalise des opérations de solidarité, des opérations culturelles, on fait des grands pas. C’est au ras du terrain qu’on va faire avancer les choses.
A Marseille, une quinzaine d’écoles catholiques comptent entre 80 % et 98 % d’élèves musulmans. Nous avons des œuvres de jeunesse, des patronages où cette mixité-là existe aussi. Ce sont des lieux de rencontres, de faire ensemble. Ils font avancer les idées. Ils luttent contre le communautarisme qui nous dresse les uns face aux autres.
Le débat politique se focalise sur les signes religieux. Cela vous inquiète-t-il ?
Oui, car on donne de l’importance à ce qui est relatif à l’intérieur de nos communautés. Tous les fidèles d’un groupe religieux ne s’habillent pas de la même manière. Ce n’est pas essentiel, comme question. Interdire les signes religieux, c’est encourager les courants fondamentalistes, les courants les plus durs. C’est ressenti comme une provocation et comme la négation d’une foi personnelle, de la possibilité de vivre sereinement sa religion au sein de la société.
Je crois que c’est un mauvais choix politique même si je comprends la difficile responsabilité des gouvernants, qui doivent repérer ce qui est danger pour l’ordre public et pour la République.
Voyez-vous dans cette focalisation le risque de s’en prendre à une communauté religieuse tout entière ?
Oui. Il y a le risque qu’on ne condamne pas seulement ceux qui commettent ces actes mais tout un groupe. Les musulmans ressentent d’ailleurs que le regard qu’on porte sur eux est un regard qui les juge, qui les condamne, qui fait d’eux des islamistes potentiels. Avec ça, on ne peut pas avancer.
Pourtant, il y a chez les musulmans des personnalités qui émergent depuis deux ou trois ans, qui ne parlaient pas avant et qui parlent aujourd’hui. Et ça, c’est prometteur. Il vaut mieux encourager ceux-là, ceux qui au sein de l’islam cherchent la manière de vivre leur religion dans la République, que passer son temps à dénoncer les autres.
L’accueil des réfugiés suscite des réticences, voire de l’hostilité, y compris chez les catholiques, même si beaucoup d’associations chrétiennes les aident. L’Eglise n’a-t-elle pas, elle aussi, des difficultés à se faire entendre sur cette question ?
Oui, on a du mal à se faire entendre. Cette réalité des réfugiés aussi est instrumentalisée. J’ai un peu honte pour notre pays quand je vois que la petite Jordanie accueille 1,5 million de réfugiés, le Liban autant, quand la Grèce et l’Italie font ce qu’elles peuvent depuis des années. J’ai un peu honte, et pour des chrétiens encore plus s’ils n’arrivent pas à saisir ce devoir d’humanité que nous avons aujourd’hui, et ce devoir de fraternité pour employer le mot de la République, qui est aussi un mot chrétien.
Nous ne pouvons pas faire des incantations sur l’Europe, sur « le pays des droits de l’homme », et ne pas manifester le minimum d’accueil. Il y a une contradiction entre l’image que nous voulons donner de notre pays et la réalité. Ne décrivons pas chaque réfugié comme un terroriste potentiel ! Ce sont aussi des talents qui nous arrivent.
L’épiscopat publie un document assez sévère sur la politique. Qu’est-ce qui vous a poussé à le rédiger ?
Avant l’été, nous nous sommes dit que dans notre société qui change nous manquons de politique au sens noble du mot. Nous traversons des épreuves réelles, liées à la mondialisation, au libéralisme très fort, au relativisme moral, et on ne voit plus sur quoi bâtir les raisons de vivre ensemble dans notre pays. Le politique ne parvient plus à créer du consensus autour d’une direction commune. On a du mal à trouver des personnalités qui proposent un horizon.
« La politique » a pris le dessus sur « le politique ». L’organisation a pris le dessus sur les orientations, les projets. On fait des lois et des lois, mais on ne crée pas une capacité à vivre ensemble. On court derrière les exigences de l’économie et de la finance, mais on n’arrive pas à reprendre la main sur les contraintes qui dépassent les Etats. Ce n’est pas cela qui remplit le cœur et la vie des hommes. On ne peut donner le meilleur de soi à un pays si on ne le perçoit pas comme équitable pour l’ensemble de la population.
En second lieu, il fallait réfléchir au concept de nation, de pays, dans une société qui est devenue, qu’on le veuille ou non, pluraliste, plurielle. Comment réfléchir à une identité ? Pas en cherchant à revenir à une supposée identité fermée, éternelle, que tout le monde aurait partagée dans le passé, alors même que les courants migratoires, il y en a eu de tout temps ! Qui, dans sa généalogie, n’a pas une branche venue d’ailleurs ?
Les rouages de la rencontre, de la transmission des valeurs, de l’inscription dans un même pays, en particulier l’école, ne jouent plus leur fonction. Nous sommes devenus pluriculturels et il nous faut réussir avec ce que nous avons de meilleur, qui est contenu dans les mots « liberté, égalité, fraternité ». Ces trois mots sont une chance pour notre pays et pour la transmission d’une capacité à vivre ensemble, à faire aimer ce pays.
Il faut que les gens que nous accueillons aiment ce pays. Si nous leur offrons toujours un regard négatif, ils ne peuvent pas l’aimer. En revanche, si nous voyons en eux des personnes qui vont aussi nous apporter quelque chose, nous arriverons à grandir ensemble.
De plus en plus de catholiques, selon les sondages, seraient tentés par le vote Front national. Qu’avez-vous à leur dire ?
Il y a des Français qui sont tentés par ce vote, pas seulement des catholiques ! Ces Français, le premier devoir, c’est de les écouter : pourquoi sont-ils tentés ? Pourquoi en sommes-nous là ? C’est le reflet d’un mal-être profond, d’une déception par rapport aux partis au pouvoir depuis des décennies, par rapport aux injustices. La peur de l’étranger est aussi là. Et ce qui apparaît comme du « bon sens » : on a essayé les autres, on va maintenant essayer ceux-là et on verra bien.
Que leur dire ? D’abord, on voit bien qu’au sein du Front national il y a eu une rupture, la conscience que pour accéder au pouvoir, il fallait changer son image. Regardons objectivement les courants au sein du FN qui ont mené à la rupture avec son fondateur. Ensuite, quel est le projet proposé ? On voit bien que c’est un projet qui nous referme, sur notre pays, sur les « authentiques » Français, qui nous referme par rapport à l’Europe, aux libertés individuelles.
Il y a un gros risque à se laisser embarquer là-dedans. On a besoin d’hommes politiques qui portent le courant de l’ouverture, de la confiance. Qui donnent de l’air ! S’agissant des catholiques, je leur dirais : lisez plus souvent l’Evangile que les textes politiques. Vous y trouverez un souffle qui vous rend accueillant.
L’affaire du Père Preynat, à Lyon, mis en examen pour des agressions sexuelles commises sur des scouts, a poussé l’Eglise catholique à se doter de nouveaux moyens de détection et d’écoute des victimes. Pouvez-vous en faire un premier bilan ?
Les structures d’accueil et d’écoute des victimes ont été multipliées, au niveau des diocèses. La profondeur de la blessure chez les victimes est maintenant perçue dans tout son drame. Je crois pouvoir dire que c’est notre premier souci, qu’on en a pris conscience et qu’on y a répondu en mettant en place ces procédures. Nous ne savions pas combien d’affaires allaient ressortir avec la libération de la parole.
Sont remontées à la cellule nationale que nous avons créée (Paris et Lyon ont mis en place leurs propres cellules) une dizaine de situations de prêtres où on se demande si les décisions que l’Eglise a prises sont justes ou non. Ce sont des faits anciens, qui ont été jugés. Les cas nouveaux, la presse en rend compte.
Il me semble qu’il faut reconnaître à l’Eglise l’effort qu’elle a fait pour prendre à bras-le-corps cette question douloureuse. Ça nous sensibilise à tout ce qu’on peut faire au niveau de la prévention et de la formation, que ce soit celles des futurs prêtres ou des laïcs en responsabilité.
Le mariage pour tous et la question de son éventuelle abrogation doit-il être présent dans la campagne électorale ?
Cela fait partie des sujets qui tracassent un certain nombre de Français. Il est donc légitime que certains posent la question aux candidats. Après, comment le situer dans la hiérarchie des préoccupations ? Il faudrait que ceux qui militent dans ce sens ne militent pas que pour cela. S’ils font une fixation sur ce seul point, ils risquent d’obtenir le résultat inverse car ils donnent l’apparence d’une « militance » excessive.
Des nouvelles d’un voyage du pape François en France ?
Je ne serais pas étonné qu’il vienne fin 2017 ou début 2018.

 Cécile Chambraud
Journaliste au Monde
Vos réactions (109) Réagir
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Idriss S. 14/10/2016 - 14h50
Comme dirait Michelle Obama, quand certains tombent bas, nous nous élevons. C'est le cas ici avec Mgr Pontier et ça fait du bien.
 
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Non au pluriculturalisme 14/10/2016 - 13h39
Ni amalgame, ni racisme. On n'ignore pas que la majorité des immigrés venant de tous les horizons se sont intégrés sans problèmes à NOTRE culture et,l'aiment. J'évoque les autres. Ceux qui prétendent à tort que notre code de bonne conduite en public, la laïcité, serait une "religion" comme une autre. Non, l'obéissance aux feux de croisement qui évitent l'anarchie n'est pas une religion mais un règlement à respecter. La laïcité ne convoque ni les divinités ni la vie après la mort, ni les sacr.
 
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PHILIPPE NOEL 14/10/2016 - 14h08
La laïcité n'est pas un code de bonne conduite en public. Votre semblez considérer la France comme une vaste école primaire.
 
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Non au pluriculturalisme 14/10/2016 - 14h58
PN Je connais parfaitement ce dont je parle. Oui un code de bonne conduite en public fondé en conclusion d'échanges durs qui se sont déroulés en 1905 et qui sont parvenus à un pacte de non agression interreligieux dans le respect réciproque. Un code de bonne conduit externe qui respecte les idées intimes de chacun y compris l'athéisme, je le confirme. Pas plus, mais pas moins. Surtout pas une religion comme certains aimeraient le voir. Pas de sacré, pas rites, pas d'au delà, pas de dieu.
 
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BERNARD BASCOUL 14/10/2016 - 10h35
De très bons sujets traités dans cette déclaration; La mise en garde de stigmatiser une communauté par aux autres. La demande aux politiques de faire une politique pour le bien des Français et non d'une politique sans valeur. Certains candidats devraient revoir leurs positions.
 
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Pontier et Ménard 14/10/2016 - 10h24
Cet évêque avoue qu'à "Marseille, une quinzaine d’écoles catholiques comptent entre 80 % et 98 % d’élèves musulmans." Mais quand Ménard a affirmé qu'à Béziers 1/3 des élèves sont musulmans... la presse et l'Etat ont crié que c'était impossible à savoir car "comment reconnaître un musulman ?"... Mais vous l'avez compris, il ne s'agit pas de vérité mais de guerre politique : celui qui accepte l'islamisation massive a tous les droits, celui qui la refuse n'en a aucun.
 
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PHILIPPE NOEL 14/10/2016 - 13h40
n'importe quoi.
 
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pluricultuelle dans le respect des lois 14/10/2016 - 08h56
Refuser la notion de pluralité qui est dangereuse, elle revient à rejeter ce que nous avons de meilleur pour accepter n'importe quoi, donc le désordre. Affirmer tranquillement nos valeurs que chacun accepte ou refuse. Personne n'est obligé de venir ou de rester en France.
 
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PHILIPPE NOEL 14/10/2016 - 10h35
Accepter le 'pluriculturalisme' ne veut pas dire rejeter nos valeurs, au contraire: nous n'avons pas le choix si nous voulons respecter les droits de l'homme.
 
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Non au pluriculturalisme 14/10/2016 - 12h36
@PM Qui partout impose sa religion, ses codes, ses coutumes, sa morale venue du moyen-âge avec une grande violence, qui tue et terrorise ? Qui exige, veut faire reculer les autres ?
 
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PHILIPPE NOEL 14/10/2016 - 13h39
@non, est ce que quelqu'un vous demande de changer de coutume?
 
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non au pluralisme 14/10/2016 - 15h58
"Vous" ? merci de préciser votre "vous"
 

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