Le président de la Conférence des évêques de
France appelle à ne pas « instrumentaliser » les attentats contre les
musulmans et à faire davantage pour accueillir les réfugiés.
LE MONDE | 12.10.2016 à 20h07 • Mis à jour le 13.10.2016 à
06h50 | Propos recueillis par Cécile
Chambraud
Président de la Conférence des évêques de France (CEF) depuis 2013 et jusqu’en 2019, Georges Pontier, archevêque de Marseille, s’exprime dans Le Monde alors que la CEF publie un important document intitulé « Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique ». Mgr Pontier appelle à ne pas « instrumentaliser », contre les musulmans, les attentats, à faire davantage pour accueillir les réfugiés et à prendre en compte la pluralité de la société.
Lire les extraits du texte : « Le
contrat social a besoin d’être redéfini »
Deux mois et demi après l’assassinat du Père Hamel, quelles
ont été les répercussions de cette tragédie pour les catholiques et pour
l’Eglise ?
Après cet assassinat, il y a eu un choc profond. Il y a eu le sentiment que
quelque chose qui ne doit pas se faire a été fait – assassiner un prêtre âgé
lors d’une messe dans une petite église. Ça a réveillé des sentiments, très minoritaires,
de peur et de condamnation de l’islam. Mais ce qui s’est passé le dimanche
suivant, avec des musulmans venant dans les églises, ça a été un geste très
fort, très apprécié. Ça a fait bouger les lignes. On a vu que les musulmans ne
se reconnaissent pas dans cette chose-là et qu’il y a un désir de fraternité.Mais c’est aussi un défi : comment conforter dans la durée, bâtir sur ce moment un peu unique et prometteur, malgré le drame ? Il y faut de la volonté, car il y a des résistances. Ce n’est pas évident de voir l’islam s’installer dans notre société, de repérer les ressources qu’il y a dans l’islam pour lui permettre de se vivre dans une société où l’Etat et la religion sont séparés.
Le débat se tend autour de l’islam en France. Le pape
François a mis en garde contre la tentation de voir dans la période actuelle
une guerre de religions. Que dites-vous aux Français alors que s’ouvre une
campagne électorale ?
La première chose, c’est qu’il est indigne d’instrumentaliser les événements
causés par le courant de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat
islamique] pour durcir les relations entre les Français musulmans et le
reste de la population. C’est risqué, aussi, car il n’y a que deux
solutions : ou nous arrivons à trouver le chemin du vivre-ensemble, ou
nous nous faisons la guerre.Pour l’Eglise, le vivre-ensemble est possible. Il faut le réussir en favorisant les rencontres et tout ce qu’on peut « faire » ensemble. Je crois beaucoup à l’action commune. Quand on réalise des opérations de solidarité, des opérations culturelles, on fait des grands pas. C’est au ras du terrain qu’on va faire avancer les choses.
A Marseille, une quinzaine d’écoles catholiques comptent entre 80 % et 98 % d’élèves musulmans. Nous avons des œuvres de jeunesse, des patronages où cette mixité-là existe aussi. Ce sont des lieux de rencontres, de faire ensemble. Ils font avancer les idées. Ils luttent contre le communautarisme qui nous dresse les uns face aux autres.
Le débat politique se focalise sur les signes religieux. Cela
vous inquiète-t-il ?
Oui, car on donne de l’importance à ce qui est relatif à l’intérieur de nos
communautés. Tous les fidèles d’un groupe religieux ne s’habillent pas de la
même manière. Ce n’est pas essentiel, comme question. Interdire les signes religieux,
c’est encourager les courants fondamentalistes, les courants les plus durs.
C’est ressenti comme une provocation et comme la négation d’une foi
personnelle, de la possibilité de vivre sereinement sa religion au sein de la
société.Je crois que c’est un mauvais choix politique même si je comprends la difficile responsabilité des gouvernants, qui doivent repérer ce qui est danger pour l’ordre public et pour la République.
Voyez-vous dans cette focalisation le risque de s’en prendre
à une communauté religieuse tout entière ?
Oui. Il y a le risque qu’on ne condamne pas seulement ceux qui commettent
ces actes mais tout un groupe. Les musulmans ressentent d’ailleurs que le
regard qu’on porte sur eux est un regard qui les juge, qui les condamne, qui
fait d’eux des islamistes potentiels. Avec ça, on ne peut pas avancer.Pourtant, il y a chez les musulmans des personnalités qui émergent depuis deux ou trois ans, qui ne parlaient pas avant et qui parlent aujourd’hui. Et ça, c’est prometteur. Il vaut mieux encourager ceux-là, ceux qui au sein de l’islam cherchent la manière de vivre leur religion dans la République, que passer son temps à dénoncer les autres.
L’accueil des réfugiés suscite des réticences, voire de
l’hostilité, y compris chez les catholiques, même si beaucoup d’associations
chrétiennes les aident. L’Eglise n’a-t-elle pas, elle aussi, des difficultés à
se faire entendre sur cette question ?
Oui, on a du mal à se faire entendre. Cette réalité des réfugiés aussi est
instrumentalisée. J’ai un peu honte pour notre pays quand je vois que la petite
Jordanie accueille 1,5 million de réfugiés, le Liban autant, quand la
Grèce et l’Italie font ce qu’elles peuvent depuis des années. J’ai un peu
honte, et pour des chrétiens encore plus s’ils n’arrivent pas à saisir ce
devoir d’humanité que nous avons aujourd’hui, et ce devoir de fraternité pour
employer le mot de la République, qui est aussi un mot chrétien.Nous ne pouvons pas faire des incantations sur l’Europe, sur « le pays des droits de l’homme », et ne pas manifester le minimum d’accueil. Il y a une contradiction entre l’image que nous voulons donner de notre pays et la réalité. Ne décrivons pas chaque réfugié comme un terroriste potentiel ! Ce sont aussi des talents qui nous arrivent.
L’épiscopat publie un document assez sévère sur la politique.
Qu’est-ce qui vous a poussé à le rédiger ?
Avant l’été, nous nous sommes dit que dans notre société qui change nous
manquons de politique au sens noble du mot. Nous traversons des épreuves
réelles, liées à la mondialisation, au libéralisme très fort, au relativisme
moral, et on ne voit plus sur quoi bâtir les raisons de vivre ensemble dans
notre pays. Le politique ne parvient plus à créer du consensus autour d’une
direction commune. On a du mal à trouver des personnalités qui proposent un
horizon.« La politique » a pris le dessus sur « le politique ». L’organisation a pris le dessus sur les orientations, les projets. On fait des lois et des lois, mais on ne crée pas une capacité à vivre ensemble. On court derrière les exigences de l’économie et de la finance, mais on n’arrive pas à reprendre la main sur les contraintes qui dépassent les Etats. Ce n’est pas cela qui remplit le cœur et la vie des hommes. On ne peut donner le meilleur de soi à un pays si on ne le perçoit pas comme équitable pour l’ensemble de la population.
En second lieu, il fallait réfléchir au concept de nation, de pays, dans une société qui est devenue, qu’on le veuille ou non, pluraliste, plurielle. Comment réfléchir à une identité ? Pas en cherchant à revenir à une supposée identité fermée, éternelle, que tout le monde aurait partagée dans le passé, alors même que les courants migratoires, il y en a eu de tout temps ! Qui, dans sa généalogie, n’a pas une branche venue d’ailleurs ?
Les rouages de la rencontre, de la transmission des valeurs, de l’inscription dans un même pays, en particulier l’école, ne jouent plus leur fonction. Nous sommes devenus pluriculturels et il nous faut réussir avec ce que nous avons de meilleur, qui est contenu dans les mots « liberté, égalité, fraternité ». Ces trois mots sont une chance pour notre pays et pour la transmission d’une capacité à vivre ensemble, à faire aimer ce pays.
Il faut que les gens que nous accueillons aiment ce pays. Si nous leur offrons toujours un regard négatif, ils ne peuvent pas l’aimer. En revanche, si nous voyons en eux des personnes qui vont aussi nous apporter quelque chose, nous arriverons à grandir ensemble.
De plus en plus de catholiques, selon les sondages, seraient
tentés par le vote Front national. Qu’avez-vous à leur dire ?
Il y a des Français qui sont tentés par ce vote, pas seulement des
catholiques ! Ces Français, le premier devoir, c’est de les écouter :
pourquoi sont-ils tentés ? Pourquoi en sommes-nous là ? C’est le
reflet d’un mal-être profond, d’une déception par rapport aux partis au pouvoir
depuis des décennies, par rapport aux injustices. La peur de l’étranger est
aussi là. Et ce qui apparaît comme du « bon sens » : on a essayé
les autres, on va maintenant essayer ceux-là et on verra bien.Que leur dire ? D’abord, on voit bien qu’au sein du Front national il y a eu une rupture, la conscience que pour accéder au pouvoir, il fallait changer son image. Regardons objectivement les courants au sein du FN qui ont mené à la rupture avec son fondateur. Ensuite, quel est le projet proposé ? On voit bien que c’est un projet qui nous referme, sur notre pays, sur les « authentiques » Français, qui nous referme par rapport à l’Europe, aux libertés individuelles.
Il y a un gros risque à se laisser embarquer là-dedans. On a besoin d’hommes politiques qui portent le courant de l’ouverture, de la confiance. Qui donnent de l’air ! S’agissant des catholiques, je leur dirais : lisez plus souvent l’Evangile que les textes politiques. Vous y trouverez un souffle qui vous rend accueillant.
L’affaire du Père Preynat, à Lyon, mis en examen pour des
agressions sexuelles commises sur des scouts, a poussé l’Eglise catholique à se
doter de nouveaux moyens de détection et d’écoute des victimes. Pouvez-vous en
faire un premier bilan ?
Les structures d’accueil et d’écoute des victimes ont été multipliées, au
niveau des diocèses. La profondeur de la blessure chez les victimes est
maintenant perçue dans tout son drame. Je crois pouvoir dire que c’est notre
premier souci, qu’on en a pris conscience et qu’on y a répondu en mettant
en place ces procédures. Nous ne savions pas combien d’affaires allaient
ressortir avec la libération de la parole.Sont remontées à la cellule nationale que nous avons créée (Paris et Lyon ont mis en place leurs propres cellules) une dizaine de situations de prêtres où on se demande si les décisions que l’Eglise a prises sont justes ou non. Ce sont des faits anciens, qui ont été jugés. Les cas nouveaux, la presse en rend compte.
Il me semble qu’il faut reconnaître à l’Eglise l’effort qu’elle a fait pour prendre à bras-le-corps cette question douloureuse. Ça nous sensibilise à tout ce qu’on peut faire au niveau de la prévention et de la formation, que ce soit celles des futurs prêtres ou des laïcs en responsabilité.
Le mariage pour tous et la question de son éventuelle
abrogation doit-il être présent dans la campagne électorale ?
Cela fait partie des sujets qui tracassent un certain nombre de Français. Il
est donc légitime que certains posent la question aux candidats. Après, comment
le situer dans la hiérarchie des préoccupations ? Il faudrait que ceux qui
militent dans ce sens ne militent pas que pour cela. S’ils font une fixation
sur ce seul point, ils risquent d’obtenir le résultat inverse car ils donnent
l’apparence d’une « militance » excessive.
Des nouvelles d’un voyage du pape François en France ?
Je ne serais pas étonné qu’il vienne fin 2017 ou début 2018.
Lire aussi : La
leçon des évêques aux responsables politiques
Vos réactions (109) Réagir
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Idriss S. 14/10/2016 - 14h50
Comme dirait Michelle Obama, quand certains tombent bas, nous nous élevons.
C'est le cas ici avec Mgr Pontier et ça fait du bien.
Non au pluriculturalisme 14/10/2016 -
13h39
Ni amalgame, ni racisme. On n'ignore pas que la majorité des immigrés venant
de tous les horizons se sont intégrés sans problèmes à NOTRE culture
et,l'aiment. J'évoque les autres. Ceux qui prétendent à tort que notre code de
bonne conduite en public, la laïcité, serait une "religion" comme une
autre. Non, l'obéissance aux feux de croisement qui évitent l'anarchie n'est
pas une religion mais un règlement à respecter. La laïcité ne convoque ni les
divinités ni la vie après la mort, ni les sacr.
PHILIPPE NOEL 14/10/2016 - 14h08
La laïcité n'est pas un code de bonne conduite en public. Votre semblez
considérer la France comme une vaste école primaire.
Non au pluriculturalisme 14/10/2016 -
14h58
PN Je connais parfaitement ce dont je parle. Oui un code de bonne conduite
en public fondé en conclusion d'échanges durs qui se sont déroulés en 1905 et
qui sont parvenus à un pacte de non agression interreligieux dans le respect
réciproque. Un code de bonne conduit externe qui respecte les idées intimes de
chacun y compris l'athéisme, je le confirme. Pas plus, mais pas moins. Surtout
pas une religion comme certains aimeraient le voir. Pas de sacré, pas rites,
pas d'au delà, pas de dieu.
BERNARD BASCOUL 14/10/2016 - 10h35
De très bons sujets traités dans cette déclaration; La mise en garde de
stigmatiser une communauté par aux autres. La demande aux politiques de faire
une politique pour le bien des Français et non d'une politique sans valeur.
Certains candidats devraient revoir leurs positions.
Pontier et Ménard 14/10/2016 - 10h24
Cet évêque avoue qu'à "Marseille, une quinzaine d’écoles catholiques
comptent entre 80 % et 98 % d’élèves musulmans." Mais quand Ménard a
affirmé qu'à Béziers 1/3 des élèves sont musulmans... la presse et l'Etat ont
crié que c'était impossible à savoir car "comment reconnaître un musulman
?"... Mais vous l'avez compris, il ne s'agit pas de vérité mais de guerre
politique : celui qui accepte l'islamisation massive a tous les droits, celui
qui la refuse n'en a aucun.
PHILIPPE NOEL 14/10/2016 - 13h40
n'importe quoi.
pluricultuelle dans le respect des lois 14/10/2016
- 08h56
Refuser la notion de pluralité qui est dangereuse, elle revient à rejeter ce
que nous avons de meilleur pour accepter n'importe quoi, donc le désordre.
Affirmer tranquillement nos valeurs que chacun accepte ou refuse. Personne
n'est obligé de venir ou de rester en France.
PHILIPPE NOEL 14/10/2016 - 10h35
Accepter le 'pluriculturalisme' ne veut pas dire rejeter nos valeurs, au
contraire: nous n'avons pas le choix si nous voulons respecter les droits de
l'homme.
Non au pluriculturalisme 14/10/2016 - 12h36
@PM Qui partout impose sa religion, ses codes, ses coutumes, sa morale venue
du moyen-âge avec une grande violence, qui tue et terrorise ? Qui exige, veut
faire reculer les autres ?
PHILIPPE NOEL 14/10/2016 - 13h39
@non, est ce que quelqu'un vous demande de changer de coutume?
non au pluralisme 14/10/2016 - 15h58
"Vous" ? merci de préciser votre "vous"
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