La « diplomatique » a-t-elle encore cours ?
Personne depuis deux siècles en France n’imagine que, fort de son titre constitutionnel de chef des armées, le chef de l’Etat, président de la République, roi ou empereur (version Napoléon III) ne les commande en opérations, exception – d’importance – faite pour déclencher le feu nucléaire. En revanche, il est couramment admis que la diplomatie, ses personnels et son organisation, soient l’expression de volontés de ce même chef de l’Etat. Quand celui-ci est, de sa personne, un des éléments du prestige national à l’étranger, pas de question, mais quand l’improvisation ou la méconnaissance mettent en cause des acquis ou des situations difficiles, la contestation du politique au nom du métier est-elle loisible ? Marly, pseudonyme, a répondu par l’affirmative [i]. Le débat avec le conseiller spécial du président de la République ainsi critiqué a montré l’opposition entre deux légitimités.
Et si le chef de l’Etat est le premier des diplomates ? [ii] En examiner l’exemple par un recueil d’études sur Napoléon produit une véritable méthodologie : le conditionnement personnel du diplomate selon son milieu social, l’ambiance de son éducation et une psychologie propre détermine sa manière d’interpréter les situations et d’en tirer des projets. Thierry Lentz [iii] explique une partie de la geste napoléonienne par la référence carolingienne dont il nous apprend qu’elle valut autant pour renouveler l’empire d’Occident qu’en modèle de politique intérieure, libérale par opposition aux abus capétiens. La résistance aux éventuelles opportuniés ne tient pas seulement à une méconnaissance mutuelle, cas de la France révokutionnaire et impériale en relation manquée avec les Etats-Unis plus porté vers l’Angleterre dès leur indépendance, qu’à des sociologies contre lesquelles l’ingéniosité du maître et de ses serviteurs est impuissante. La faiblesse de Napoléon est suggérée, mais pas approfondie : Louis XVI et de Gaulle ne gouvernèrent pas seuls la politique étrangère de la France, ils eurent chacun le ministre de leur totale confiance, Vergennes et Couve de Murville qui leur inspirèrent la politique de l’équilibre, antidote de toute héghémonie. Au contraire, l’Empereur mit fin au partenariat heureux de la première période de son règne en refusant le plan de Talleyrand qui, à la prise d’Ulm, voyait (ce que sut faire Bismark) l’intérêt d’une victoire sans vaincu et donc une proposition d’alliance à Vienne, en avance de quatre ans et bien plus effcicace que le mariage de 1809. La relation durable et dialoguante, au niveau du chef de l’Etat – quand celui-ci existe comme sous la Cinquième République – entre deux personnalités très différentes mais s’adonnant à regarder ensemble le monde contemporain, est bien la clé d’interprétation de nos politiques extérieures et l’outil de leur succès. Pour de Gaulle, c’est certain. Pour François Miterrand, c’est probable si l’on considère que l’absorption de la République démocratique allemande par la République fédérale d’Allemagne, qui aurait pu produire une sécession de l’outre-Rhin vis-à-vis de la construction européenne, a été encadrée diplomatiquement par l’exceptionnelle entente entre Roland Dumas et Hans-Dietrich Genscher. Reste – que Thierry Lentz ne suggère qu’implicitement – l’initiation personnelle du maître à la diplomatie. Il n’y en eut que de scolaire pour Louis XVI, mais le génie de la campagne d’Italie, puis de la campagne d’Egypte montre autant le diplomate sachant exploiter dans le détail chaque étape ou victoire militaires, et l’épopée de la France libre, à considérer la part éminente qu’y prend le général de Gaulle, est autant une réponse discourue à l’appel implicite de Français se cherchant un champion et une stratégie pour ceux d’entre eux qui voulurent ne pas poser les armes, qu’un chef d’œuvre de diplomatie pour obtenir de Churchill d’abord puis de l’ensemble des gouvernements s’opposant à Hitler la reconnaissance de son organisme et par là du rang de la France de la guerre aux conséquences de la paix.
L’outil diplomatique est d’abord question de personnes. Celles-ci sous Napoléon sont à 60% sans appartenance ni à l’Anxcien Régime ni à la Révolution. A la Libération, pour la Quatrième et les dénuts de la Cinquième République , elles sont encore plus nouvelles. René Massgli, Alexandre Parodi, et surtout Maurice Couve de Murville et Hervé Alphand ont été formés à une diplomatie où la défense du rang français est primordiale (Couve de Murville y excelle tant vis-à-vis de l’occupant allemand en commission d’armistice que vis-à-vis des Américains et des Soviétiques en conseil consultatif interallié pour l’Italie). L’étude de la ressource humaine et de l’organisation des services, de la relation entre la périphérie au contact de l’étranger et le centre à la disposition du pouvoir politique, est très poussée par Marie-Christine Kessler [iv] : ancien recrutement aristocratique et discrétionnaire, institutionnalisation du concours en 1880, stages organisés à partir de 1929, Ecole nationale d’administration depuis maintenant trois quarts de siècle, mais aussi tendances à de nouvelles hérédités complétées par des cooptations pour les « grands postes », succession des réformes d’organigrammes ou de la communication, opinion des présidents de la République sur les ambassadeurs, emprise ou pas du ministre sur ceux-ci. Mais l’identification d’un rôle spécifique de l’ambassadeur, ou bien à raison de sa seule fonction dans quelque affectation ou poste que ce soit, ou bien selon une négociation ou une mission particulières, est à systématiser en considérant, ce qui très difficile de l’extérieur du Département – significative mais révérentielle appellation qui ne disparaît toujours pas – et ce qui est expérimenté de l’intérieur comme très fluctuant et vraiment question de personne. Il faudrait étudier pour quelques épisodes très précisés ou quelque parcours personnel ce que doit la doctrine française à tel ambassadeur : les frères Cambon sont chacun décisifs, l’un à Londres et l’autre à Berlin, mais Paul a déterminé l’ « entente cordiale » tandis que Jules n’a pu soutenir la tentative de pacification de Joseph Caillaux. Couve de Murville apporte à de Gaulle l’intuition d’une possible intimité fgranco-allemande mais aucun de nos ambassadeurs en Union Soviétique ou en Allemagne hitlérienne n’est à l’origine des politiques françaises envers elles. L’usage maintenant de livre blanc sur les orientations et les missions de notre diplomatie – exercice prescrit en 2007 au nouveau ministre – ou du rapport thématique – celui remis par Hubert Védrine à propos de notre participation à l’O.T.A.N. n’aboutit pas davantage à la transparence des processus de conception de la politique étrangère française. La Cinquième République est encore plus personnelle que l’Empereur des Français.
Y a-t-il des démentis à cette absence d’influence intellectuelle des praticiens sur la définition de ce qu’ils auront à appliquer ou à faire valoir ? Un témoignage de praticien sur la « françafrique » est encore à paraître, sinon à rédiger. Magré des forumes heureuses telles « l’Afrique en Amérique contre la France en Afrique », Dominique Decherf, donnant les « mémoires d’un ambassadeur de France en Afrique » [v] n’en dit rien. Il développe deux débats, celui de la manière de régner dans cet autre continent, la désuétude sans illusion du trente-septième Mogho Naba ou les mémoires légendaires de Nyerere et de N’Krumahou, celui du racisme ou du dépaysement, « le complexe racisme/antiracisme ». Les deux affectations typiquement conflictuelles pour un représentant de la France : au Rwanda de Kagamé et à Djibouti, qu’a reçues le diplomate professionnel, sont cependant l’occasion de discuter un rite : valeur et adéquation des instructions. Celles dont est muni le partant qui assiste en principe, selon l’usage d’une vingtaine d’années, à leur discussion avec le rappelé. Tous ceux qui ont eu à ouvrir des missions dans l’ancienne Union Soviétique ne les ont reçues qu’au bout de six mois, sans pour autant que ce décalage s’explique par la nouveaut des lumières reçues à Paris. Les exercices collectifs d’une réflexion des postes pour argumenter une réorientation ou des approfondissements que souhaite s’approprier le ministre ne débouchent jamais sur une évaluation d’assemblée. Les réunions annuelles des ambassadeurs n’ont failli avoir cette utilité que dans leurs trois ou quatrièmes premières tenues.
Un manuel ? un recueil ? sur les diplomates [vi]. Franck Renaud s’y essaye avec succès « derrière la façade des ambassades de France, nouvelles révélations, édition entièrement mise à jour ». Pas un sujet soit de curiosité, soit d’utilité qui soit omis. Des mouvements de grève aux incidents de corruption, aux modes de rémunération et aux études de comportement, aux retraites dorées en rupture morale avec la carrière selon l’annuaire, tout est dit avec autant de noms propres et d’exactitude qu’il est possible. Si la connaissance théorique de la « diplomatique » n’est plus systématisée comme autrefois, en revanche la vie de ses praticiens à ses sociologues et ses exemples. Ce qui avantage le grand public, citoyens ou usagers, de notre réseau diplomatique, mais n’explique comment naît ou s’éteint une influence française particulière dans le monde
[i] - Le Monde quotidien du 23 Février 2011 & la réplique d’Hneri Guaino, Le Monde des dimanche 27.lundi 28 Février 2011
[iii] - qui dirige par ailleurs la publication de la correspondance générale de Napoléon Bonaparte pour la Fondation Napoléon (Fayard, éd.)
[iv] - Marie-Christine Kessler . Les ambassadeurs (SciencesPo. Les Preesses . Mai 2012 . 413 pages)
[v] - Dominique Decherf . Couleurs (Pascal Galodé éditeur . Avril 2012 . 333 pages)
[vi] - Franck Renaud . Les diplomates (Nouveau Monde éditions . Mai 2011 . 521 pages)
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