Salut et Bénédiction Apostolique.
Rayonnant comme un astre dans
les ténèbres de la nuit, Benoît de Nursie honore non seulement l’Italie, mais
l’Eglise tout entière. Celui qui observe sa vie illustre et étudie sur les
documents authentiques l’époque ténébreuse et trouble qui fut la sienne,
éprouve sans aucun doute la vérité des divines paroles par lesquelles le Christ
promit à ses Apôtres et à la société fondée par lui : « Je serai avec vous tous
les jours jusqu’à la fin des siècles. » (Mt 28, 20). Certainement à
aucune époque, ces paroles et cette promesse ne perdent de leur force, mais
elles se réalisent au cours de tous les siècles, qui sont entre les mains de la
divine Providence. Davantage, quand les ennemis du nom chrétien l’attaquent
avec plus de fureur, quand la barque portant le sort de Pierre est agitée par
des bourrasques plus violentes, quand tout semble aller à la dérive et que ne
luit plus aucun espoir de secours humain, voici qu’alors apparaît le Christ,
garant, consolateur, pourvoyeur de force surnaturelle, par laquelle il excite
ses nouveaux athlètes à défendre le monde catholique, à le renouveler, et à lui
susciter, avec l’inspiration et le secours de la grâce divine, des progrès
toujours plus étendus.
Parmi eux resplendit d’une
vive lumière notre Saint « Benoît » « qui l’est et de grâce et de nom » (1), et
qui par une disposition spéciale de la divine Providence, se dresse au milieu
des ténèbres du siècle, à l’heure où se trouvaient très gravement compromises
les conditions d’existence, non seulement de l’Eglise, mais de toute la
civilisation politique et humaine. L’Empire romain, qui était parvenu au faîte
d’une si grande gloire et qui s’était aggloméré tant de peuples, de races et de
nations grâce à la sage modération et à l’équité de son droit, de telle sorte
qu’on « aurait pu l’appeler avec plus de vérité un patronat sur le monde entier
qu’un Empire » (2), désormais, comme toutes les choses terrestres, en était
venu à son déclin ; car, affaibli et corrompu à l’intérieur, ébranlé sur ses
frontières par les invasions barbares, se ruant du septentrion, il avait été
écrasé dans les régions occidentales, sous ses ruines immenses.
Dans une si violente tempête
et au milieu de tant de remous, d’où vint luire l’espérance sur la communauté
des hommes, d’où se levèrent pour elle le secours et la défense capables de la
sauver du naufrage, elle-même et quelques restes à tout le moins de ses biens ?
Justement de l’Eglise catholique. Les entreprises de ce monde, en effet, et
toutes les institutions de l’homme, l’une après l’autre au cours des âges,
s’accroissent, atteignent à leur sommet, et puis de leur propre poids,
déclinent, tombent et disparaissent ; au contraire la communauté fondée par
notre divin Rédempteur, tient de lui la prérogative d’une vie supérieure et
d’une force indéfectible ; ainsi entretenue et soutenue par lui, elle surmonte
victorieusement les injures des temps, des événements et des hommes, au point
de faire surgir de leurs disgrâces et de leurs ruines une ère nouvelle et plus
heureuse en même temps qu’elle crée et élève dans la doctrine chrétienne et
dans le sens chrétien une nouvelle société de citoyens, de peuples et de
nations. Or il Nous plaît, Vénérables Frères, de rappeler brièvement et à
grands traits dans cette Encyclique la part que prit Benoît à l’œuvre de cette
restauration et de ce renouveau, l’année même, à ce qu’il semble, du quatorzième
centenaire, depuis le jour où, ayant achevé ses innombrables travaux pour la
gloire de Dieu et le salut des hommes, il changea l’exil de cette terre pour la
patrie du ciel.
I. La figure historique de
saint Benoît
« Né de noble race dans la
province de Nursie » (3), Benoît « fut rempli de l’esprit de tous les justes »
(4), et il soutint merveilleusement le monde chrétien par sa vertu, sa prudence
et sa sagesse. Car, tandis que le siècle s’était vieilli dans le vice, que
l’Italie et l’Europe offraient l’affreux spectacle d’un champ de bataille pour
les peuples en conflit, et que les institutions monastiques, elle-mêmes,
souillées par la poussière de ce monde, étaient moins fortes qu’il n’aurait
fallu pour résister aux attraits de la corruption et les repousser, Benoît, par
son action et sa sainteté éclatantes, témoigna de l’éternelle jeunesse de
l’Eglise, restaura par la parole et par l’exemple la discipline des mœurs, et
entoura d’un rempart de lois plus efficaces et plus sanctifiantes la vie
religieuse des cloîtres. Plus encore : par lui-même et par ses disciples, il
fit passer les peuplades barbares d’un genre de vie sauvage à une culture
humaine et chrétienne, et les convertissant à la vertu, au travail, aux
occupations pacifiques des arts et des lettres, il les unit entre eux par les
liens des relations sociales et de la charité fraternelle.
Dès sa prime jeunesse, il se
rend à Rome, pour s’occuper de l’étude des sciences libérales (5) ; mais, à sa
très grande tristesse, il se rend compte que des hérésies et des erreurs de
toute sorte s’insinuent, les trompant et les déformant, en beaucoup d’esprits ;
il voit les mœurs privées et publiques tomber en décadence, un grand nombre de
jeunes surtout, mondains et efféminés, se vautrer lamentablement dans la fange
des voluptés ; si bien qu’avec raison on pouvait affirmer de la société romaine
: « Elle meurt et elle rit. C’est pourquoi, dans toutes les parties du monde,
des larmes suivent nos rires » (6). Cependant Benoît, prévenu par la grâce de
Dieu, « ne s’adonna à aucun de ces plaisirs,… mais, voyant beaucoup de ses
compagnons côtoyer les abîmes du vice et y tomber, il retira le pied qu’il y
avait posé presque dès son entrée dans le monde... Renonçant aux études
littéraires, il quitta la maison paternelle et tous ses biens, ne désirant
plaire désormais qu’à Dieu, et il chercha une sainte manière de vivre » (7). Il
dit un cordial adieu aux commodités de la vie et aux appâts d’un monde
corrompu, de même qu’à l’attrait de la fortune et aux emplois honorables auxquels
son âge mûr pouvait prétendre. Quittant Rome, il se retira dans des régions
boisées et solitaires où il lui serait loisible de vaquer à la contemplation
des réalités surnaturelles. Il gagna ainsi Subiaco, où s’enfermant dans une
étroite caverne, il commença à mener une vie plus divine qu’humaine.
Caché avec le Christ en Dieu
(Cf. Col 3, 3), il s’efforça très efficacement durant trois ans à
poursuivre cette perfection évangélique et cette sainteté auxquelles il se
sentait appelé par une inspiration divine. Fuir tout ce qui est terrestre pour
n’aspirer de toutes ses forces qu’à ce qui est céleste ; converser jour et nuit
avec Dieu, et Lui adresser de ferventes prières pour son salut et celui du
prochain ; réprimer et maîtriser le corps par une mortification volontaire ;
réfréner et dominer les mouvements désordonnés des sens : telle fut sa règle.
Dans cette manière de vivre et d’agir, il goûtait une si douce suavité
intérieure qu’il prenait en suprême dégoût les richesses et commodités de la
terre et en oubliait même les charmes qu’il avait éprouvés jadis. Un jour que
l’ennemi du genre humain le tourmentait des plus violents aiguillons de la
concupiscence, Benoît, âme noble et forte, résista sur le champ avec toute
l’énergie de sa volonté ; et se jetant au milieu des ronces et des orties, il
éteignit par leurs piqûres volontaires le feu qui le brûlait au dedans ; sorti
de la sorte vainqueur de lui-même, il fut en récompense confirmé dans la grâce
divine. « Depuis lors, comme il le raconta plus tard à ses disciples, la
tentation impure fut si domptée en lui qu’il n’éprouvât plus rien de
semblable... Libre ainsi du penchant au vice, il devint désormais à bon droit
maître de vertus » (8).
Renfermé dans la grotte de
Subiaco durant ce long espace de vie obscure et solitaire, Notre Saint se
confirma et s’aguerrit dans l’exercice de la sainteté ; il jeta ces solides
fondements de la perfection chrétienne sur lesquels il lui serait permis
d’élever par la suite un édifice d’une prodigieuse hauteur. Comme vous le savez
bien, Vénérables Frères, les œuvres d’un saint zèle et d’un saint apostolat
restent sans aucun doute vaines et infructueuses si elles ne partent pas d’un
cœur riche en ces ressources chrétiennes, grâce auxquelles les entreprises
humaines peuvent, avec le secours divin, tendre sans dévier à la gloire de Dieu
et au salut des âmes. De cette vérité Benoît avait une intime et profonde
conviction ; c’est pourquoi, avant d’entreprendre la réalisation et
l’achèvement de ces grandioses projets auxquels il se sentait appelé par le
souffle de l’Esprit Saint, il s’efforça de tout son pouvoir, et il demanda à
Dieu par d’instantes prières, de reproduire excellemment en lui ce type de
sainteté, composé selon l’intégrité de la doctrine évangélique, qu’il désirait
enseigner aux autres.
Mais la renommée de son
extraordinaire sainteté se répandait dans les environs, et elle augmentait de
jour en jour. Aussi non seulement les moines qui demeuraient à proximité
voulurent se mettre sous sa direction, mais une foule d’habitants eux-mêmes
commencèrent à venir en groupes auprès de lui, désireux d’entendre sa douce
voix, d’admirer son exceptionnelle vertu et de voir ces miracles que par un
privilège de Dieu il opérait assez souvent. Bien plus, cette vive lumière qui
rayonnait de la grotte obscure de Subiaco, se propagea si loin qu’elle parvint
en de lointaines régions. Aussi « nobles et personnes religieuses de la ville
de Rome commencèrent à venir à lui, et ils lui donnaient leurs fils à élever
pour le Tout-Puissant » (9).
Notre Saint comprit alors que
le temps fixé par le décret de Dieu était venu de fonder un ordre religieux, et
de le conformer à tout prix à la perfection évangélique. Cette œuvre débuta
sous les plus heureux auspices. Beaucoup, en effet, « furent rassemblés par lui
en ce lieu pour le service du Dieu Tout-Puissant..., si bien qu’il put, avec
l’aide du Tout-Puissant Seigneur Jésus-Christ, y construire douze monastères, à
chacun desquels il assigna douze moines sous des supérieurs désignés ; il en
retint quelques-uns avec lui, ceux qu’il jugea devoir être formés en sa
présence » (10).
Toutefois, au moment où, —
comme Nous l’avons dit ,— l’initiative procédait heureusement, où elle
commençait à produire d’abondants fruits de salut et en promettait plus encore
pour l’avenir, Notre Saint, avec une immense tristesse dans l’âme, vit se lever
sur les moissons grandissantes une noire tempête, soulevée par une jalousie
aiguë et entretenue par des désirs d’ambition terrestre. Benoît était guidé par
une prudence non humaine, mais divine ; pour que cette haine, qui s’était
déchaînée surtout contre lui, ne tournât point, par malheur, au dommage de ses
fils, « il céda le pas à l’envie ; mit ordre à tous les lieux de prière
construits par lui, en remplaçant les supérieurs et en ajoutant de nouveaux
frères ; puis, ayant pris avec lui quelques moines, il changea l’endroit de sa
résidence » (11). C’est pourquoi, se fiant à Dieu et sûr de son très efficace
secours, il s’en alla vers le sud, et s’établit dans la localité « appelée Mont
Cassin, au flanc d’une haute montagne... ; sur l’emplacement d’un très ancien
temple, où un peuple ignorant et rustique vénérait Apollon à la manière des
vieux païens. Tout à l’entour, des bois consacrés au culte des démons avaient
grandi, et, à cette époque encore, une multitude insensée d’infidèles s’y
livrait à des sacrifices sacrilèges. A peine arrivé l’homme de Dieu brisa
l’idole, renversa l’autel, incendia les bosquets sacrés ; sur le temple même
d’Apollon il édifia la chapelle du Bienheureux Martin, et là où se trouvait
l’autel du même Apollon il construisit l’oratoire de S. Jean ; enfin, par sa
continuelle prédication, il convertit à la foi les populations qui habitaient
aux environs » (12).
Le Mont-Cassin, tout le monde
le sait, a été la demeure principale du S. Patriarche et le principal théâtre
de sa vertu et de sa sainteté. Des sommets de ce mont, quand presque de toutes
parts les ténèbres de l’ignorance et des vices se propageaient dans un effort
pour tout recouvrir et pour tout ruiner, resplendit une lumière nouvelle qui,
alimentée par les enseignements et la civilisation des peuples anciens, et
surtout échauffée par la doctrine chrétienne ; éclaira les peuples et les
nations qui erraient à l’aventure, les rappela et les dirigea vers la vérité et
le droit chemin. Si bien qu’on peut affirmer à bon droit que le saint monastère
édifié là devint le refuge et la forteresse des plus hautes sciences et de
toutes les vertus, et en ces temps troublés « comme le soutien de l’Eglise et
le rempart de la foi » (13).
C’est là que Benoît porta
l’institution monastique à ce genre de perfection, auquel depuis longtemps il
s’était efforcé par ses prières, ses méditations et ses expériences. Tel semble
bien être, en effet, le rôle spécial et essentiel à lui confié par la divine
Providence : non pas tant apporter de l’Orient en Occident l’idéal de la vie
monastique, que l’harmoniser et l’adapter avec bonheur au tempérament, aux
besoins et aux habitudes des peuples de l’Italie et de toute l’Europe. Par ses
soins donc, à la sereine doctrine ascétique qui florissait dans les monastères
de l’Orient, se joignit la pratique d’une incessante activité, permettant de «
communiquer à autrui les vérités contemplées » (14), et, non seulement de
rendre fertiles des terres incultes, mais de produire par les fatigues de
l’apostolat des fruits spirituels. Ce que la vie solitaire avait d’âpre,
d’inadapté à tous et même parfois de dangereux pour certains, il l’adoucit et
le tempéra par la communauté fraternelle de la famille bénédictine, où,
successivement adonnée à la prière, au travail, aux études sacrées et profanes,
la douce tranquillité de l’existence ne connaît cependant ni oisiveté ni dégoût
; où l’action et le travail, loin de fatiguer l’esprit et l’âme, de les
dissiper et de les absorber en futilités, les rassérènent plutôt, les
fortifient et les élèvent aux choses du ciel. Ni excès de rigueur, en effet,
dans la discipline, ni excès de sévérité dans les mortifications, mais avant
tout l’amour de Dieu et une charité fraternellement dévouée envers tous : voilà
ce qui est ordonné. Si tant est que Benoît « équilibra sa règle de manière que
les forts désirent faire davantage et que les faibles ne soient pas rebutés par
son austérité... Il s’appliquait à régir les siens par l’amour plutôt qu’à les
dominer par la crainte » (15). Prévenu, certain jour, qu’un anachorète s’était
lié avec des chaînes et enfermé dans une caverne, pour ne plus pouvoir
retourner au péché et à la vie du siècle, il le réprimanda doucement en disant
: « Si tu es un serviteur de Dieu, ce n’est pas une chaîne de fer, mais la
chaîne du Christ qui doit te retenir » (16).
C’est ainsi qu’aux coutumes et
préceptes propres à la vie érémitique, qui la plupart du temps n’étaient pas
nettement fixés et codifiés, mais dépendaient souvent du caprice du supérieur,
succéda la règle monastique de S. Benoît, chef d’œuvre de la sagesse romaine et
chrétienne, où les droits, les devoirs et les offices des moines sont tempérés
par la bonté et la charité évangéliques, et qui a eu et a encore tant
d’efficacité pour stimuler un grand nombre à la poursuite de la vertu et de la
sainteté.
Dans cette règle
bénédictine, la prudence se joint à la simplicité, l’humilité chrétienne
s’associe au courage généreux ; la douceur tempère la sévérité et une saine
liberté ennoblit la nécessaire obéissance. En elle, la correction conserve
toute sa vigueur, mais l’indulgence et la bonté l’agrémentent de suavité ; les
préceptes gardent toute leur fermeté, mais l’obéissance donne repos aux esprits
et paix aux âmes ; le silence plaît par sa gravité, mais la conversation s’orne
d’une douce grâce ; enfin l’exercice de l’autorité ne manque pas de force, mais
la faiblesse ne manque pas de soutien (17).
Il n’y a donc pas à s’étonner
que tous les gens sensés d’aujourd’hui exaltent de leurs louanges la « règle
monastique écrite par S. Benoît, règle fort remarquable par sa discrétion et
par la lumineuse clarté de son expression » (18) ; et il Nous plaît d’en
souligner ici et d’en dégager les traits essentiels, avec la confiance que Nous
ferons œuvre agréable et utile non seulement à la nombreuse famille du S.
Patriarche, mais à tout le clergé et à tout le peuple chrétien.
La communauté monastique est
constituée et organisée à l’image d’une maison chrétienne, dont l’abbé, ou
cénobiarche, comme un père de famille, a le gouvernement, et tous doivent
dépendre entièrement de sa paternelle autorité. « Nous jugeons expédient —
écrit S. Benoît — pour la sauvegarde de la paix et de la charité, que le
gouvernement du monastère dépende de la volonté de l’abbé » (19). Aussi tous et
chacun doivent-ils lui obéir très fidèlement par obligation de conscience (20),
voir et respecter en lui l’autorité divine elle-même. Toutefois que celui qui,
en fonction de la charge reçue, entreprend de diriger les âmes des moines et de
les stimuler à la perfection de la vie évangélique, se souvienne et médite avec
grand soin qu’il devra un jour en rendre compte au Juge suprême (21) ; qu’il se
comporte donc, dans cette très lourde charge, de manière à mériter une juste
récompense « quand se fera la reddition des comptes au terrible jugement de
Dieu » (22). En outre, toutes les fois que des affaires de plus grande
importance devront être traitées dans son monastère, qu’il rassemble tous ses
moines, qu’il écoute leurs avis librement exposés et qu’il en fasse un sérieux
examen avant d’en venir à la décision qui lui paraîtra la meilleure (23).
Dès les débuts pourtant, une
grave difficulté et une épineuse question furent soulevées, à propos de la
réception ou du renvoi des candidats à la vie monastique. En effet, des hommes
de toute origine, de tout pays, de toute condition sociale accouraient dans les
monastères pour y être admis : Romains et barbares, hommes libres et esclaves,
vainqueurs et vaincus, beaucoup de nobles patriciens et d’humbles plébéiens.
C’est avec magnanimité et délicatesse fraternelle que Benoît résolut
heureusement ce problème ; « car, dit-il, esclaves ou hommes libres, nous
sommes tous un dans le Christ, et sous le même Seigneur nous servons à égalité
dans sa milice... Que la charité soit donc la même en tous ; qu’une même
discipline s’exerce pour tous selon leurs mérites » (24). A tous ceux qui ont
embrassé son Institut, il ordonne que « tout soit commun pour l’avantage de
tous » (25), non par force ou contrainte en quelque sorte, mais spontanément et
avec une volonté généreuse. Que tous en outre soient maintenus dans l’enceinte
du monastère par la stabilité de la vie religieuse, de telle façon pourtant
qu’ils vaquent non seulement à la prière et à l’étude,(26) mais aussi à la
culture des champs (27), aux métiers manuels (28) et enfin aux saints travaux
de l’apostolat. Car « l’oisiveté est l’ennemie de l’âme ; c’est pourquoi à des
heures déterminées les frères doivent être occupés au travail des mains... »
(29). Toutefois que, pour tous, le premier devoir, celui qu’ils doivent
s’efforcer de remplir avec le plus de diligence et de soin, soit de ne rien
faire passer avant l’office divin (« opus Dei ») (30). Car bien que « nous
sachions que Dieu est présent partout... nous devons cependant le croire sans
la plus minime hésitation quand nous assistons à l’office divin...
Réfléchissons donc sur la manière qu’il convient de nous tenir en présence de
Dieu et des anges, et psalmodions de façon que notre esprit s’harmonise avec
notre voix. » (31)
Par ces normes et maximes plus
importantes, qu’il Nous a paru bon de déguster pour ainsi dire dans la Règle
bénédictine, il est facile de discerner et d’apprécier non seulement la
prudence de cette règle monastique, son opportunité et sa merveilleuse
correspondance et accord avec la nature de l’homme, mais aussi son importance
et son extrême élévation. Car, dans ce siècle barbare et turbulent, la culture
des champs, les arts mécaniques et industriels, l’étude des sciences sacrées et
profanes, étaient totalement dépréciés et malheureusement délaissés de tous ;
dans les monastères bénédictins, au contraire, alla sans cesse croissante une
foule presque innombrable d’agriculteurs, d’artisans et de savants qui, chacun
selon ses talents, parvinrent, non seulement à conserver intactes les
productions de l’antique sagesse, mais à pacifier de nouveau, à unir et à
occuper activement des peuples vieux et jeunes souvent en guerre entre eux ; et
ils réussirent à les faire passer de la barbarie renaissante, des haines
dévastatrices et des rapines à des habitudes de politesse humaine et
chrétienne, à l’endurance dans le travail, à la lumière de la vérité et à la
reprise des relations normales entre nations, s’inspirant de la sagesse et de
la charité.
Mais ce n’est pas tout ; car,
dans l’Institut de la vie Bénédictine, l’essentiel est que tous, autant les
travailleurs manuels qu’intellectuels, aient à cœur et s’efforcent le plus
possible d’avoir l’âme continuellement tournée vers le Christ, et brûlant de sa
très parfaite charité. En effet, les biens de ce monde, même tous rassemblés,
ne peuvent rassasier l’âme humaine que Dieu a créée pour le chercher lui-même ;
mais ils ont bien plutôt reçu de leur Auteur la mission de nous mouvoir et de
nous convertir, comme par paliers successifs, jusqu’à sa possession. C’est
pourquoi il est tout d’abord indispensable que « rien ne soit préféré à l’amour
du Christ » (32), « que rien ne soit estimé de plus haut prix que le Christ »
(33) ; « qu’absolument rien ne soit préféré au Christ, qui nous conduit à la
vie éternelle ». (34)
A cet ardent amour du Divin
Rédempteur doit correspondre l’amour des hommes, que nous devons tous embrasser
comme des frères, et aider de toute façon. C’est pourquoi, à l’encontre des
haines et des rivalités qui dressent et opposent les hommes les uns aux autres
; des rapines, des meurtres et des innombrables maux et misères, conséquences
de cette trouble agitation de gens et de choses, Benoît recommande aux siens
ces très saintes lois : « Qu’on montre les soins les plus empressés dans
l’hospitalité, spécialement à l’égard des pauvres et des pèlerins, car c’est le
Christ que l’on accueille davantage en eux » (35). « Que tous les hôtes qui
nous arrivent soient accueillis comme le Christ, car c’est Lui qui dira un jour
: J’ai été étranger, et vous m’avez accueilli » (36). « Avant tout et
par-dessus tout, que l’on ait soin des malades, afin de les servir comme le
Christ lui-même, car il a dit : J’étais malade, et vous m’avez visité » (37).
Inspiré et emporté de la sorte
par un amour très parfait de Dieu et du prochain, Benoît conduisit son
entreprise à bonne fin, jusqu’à la perfection. Et quand tressaillant de joie et
rempli de mérites, il aspirait déjà les brises célestes de l’éternelle félicité
et en goûtait à l’avance les douceurs, « le sixième jour avant sa mort..., il
fit creuser sa tombe. Consumé bientôt de fièvre, il commença à ressentir
l’ardente brûlure du feu intérieur ; et comme la maladie s’aggravait de plus en
plus, le sixième jour il se fit porter par ses disciples à l’église ; là il se
pourvut, pour l’ultime voyage, de la réception du Corps et du Sang du Seigneur,
et entre les bras de ses fils qui soutenaient ses membres déficients, les mains
levées vers le ciel, il se tint immobile et, en murmurant encore des paroles de
prière, il rendit le dernier soupir » (38).
II. Bienfaits de S. Benoît
et de son Ordre pour l’Eglise et la Civilisation
Lorsque, par une pieuse mort,
le très saint Patriarche se fut envolé au ciel, l’ordre de moines qu’il avait
fondé, loin de tomber en décadence, sembla bien plutôt, non seulement conduit,
nourri et façonné à chaque instant par ses vivants exemples, mais encore
maintenu et fortifié par son céleste patronage, au point de connaître d’année en
année de plus larges développements.
Avec quelle force et
efficacité l’Ordre bénédictin exerça son heureuse influence au temps de sa
première fondation, que de nombreux et grands services il rendit aux siècles
suivants, tous ceux-là doivent le reconnaître, qui discernent et apprécient
sainement les événements humains, non selon des idées préconçues, mais au
témoignage de l’histoire. Car, outre que, nous l’avons dit, les moines
Bénédictins furent presque les seuls, en des siècles ténébreux, au milieu d’une
telle ignorance des hommes et de si grandes ruines matérielles, à garder
intacts les savants manuscrits et les richesses des belles lettres, à les
transcrire très soigneusement et à les commenter, ils furent encore des tout
premiers à cultiver les arts, les sciences, l’enseignement, et à les promouvoir
de toutes leurs industries. De la sorte, ainsi que l’Eglise catholique, surtout
pendant les trois premiers siècles de son existence, se fortifia et s’accrut
d’une façon merveilleuse par le sang sacré de ses martyrs, et ainsi qu’à cette
date et aux époques suivantes l’intégrité de sa divine doctrine fut sauvegardée
contre les attaques perfides des hérétiques par l’activité vigoureuse et sage
des Saints Pères, on est de même en droit d’affirmer que l’Ordre bénédictin et
ses florissants monastères furent suscités par la sagesse et l’inspiration de
Dieu : cela pour qu’à l’heure même où s’écroulait l’Empire romain et où des
peuples barbares, qu’excitait la furie guerrière, l’envahissaient de tous
côtés, la chrétienté pût réparer ses pertes, et de plus, avec une vigilance
inlassable, amener des peuples nouveaux, qu’avaient domptés la vérité et la
charité de l’Evangile, à la concorde fraternelle, à un travail fécond, en un
mot à la vertu, qui est régie par les enseignements de notre Rédempteur et
alimentée par sa grâce.
Car, de même qu’aux siècles
passés les légions Romaines s’en allaient sur les routes consulaires pour
tenter d’assujettir toutes les nations à l’empire de la Ville Eternelle, ainsi
des cohortes innombrables de moines, dont les armes ne « sont pas celles de la
chair, mais la puissance même de Dieu » (2 Cor 10, 4), sont alors envoyées par
le Souverain Pontife pour propager efficacement le règne pacifique de
Jésus-Christ jusqu’aux extrémités de la terre, non par l’épée, non par la
force, non par le meurtre, mais par la Croix et par la charrue, par la vérité
et par l’amour.
Partout où posaient le pied
ces troupes sans armes, formées de prédicateurs de la doctrine chrétienne,
d’artisans, d’agriculteurs et de maîtres dans les sciences humaines et divines,
les terres boisées et incultes étaient ouvertes par le fer de la charrue ; les
arts et les sciences y élevaient leurs demeures ; les habitants sortis de leur
vie grossière et sauvage, étaient formés aux relations sociales et à la
culture, et devant eux brillait en un vivant exemple la lumière de l’Evangile
et de la vertu. Des apôtres sans nombre, qu’enflammait la céleste charité,
parcoururent les régions encore inconnues et agitées de l’Europe ; ils arrosèrent
celles-ci de leurs sueurs et de leur sang généreux, et, après les avoir
pacifiées, ils leur portèrent la lumière de la vérité catholique et de la
sainteté. Si bien que l’on peut affirmer à juste titre que, si Rome, déjà
grande par ses nombreuses victoires avait étendu le sceptre de son empire sur
terre et sur mer, grâce à ces apôtres pourtant, « les gains que lui valut la
valeur militaire furent moindres que ce que lui assujettit la paix chrétienne »
(39). De fait, non seulement l’Angleterre, la Gaule, les Pays Bataves, la
Frise, le Danemark, la Germanie et la Scandinavie, mais aussi de nombreux pays
Slaves se glorifient d’avoir été évangélisés par ces moines qu’ils considèrent
comme leurs gloires, et comme les illustres fondateurs de leur civilisation. De
leur Ordre, combien d’Evêques sont sortis, qui gouvernèrent avec sagesse des
diocèses déjà constitués, ou qui en fondèrent un bon nombre de nouveaux, rendus
féconds par leur labeur ! Combien d’excellents maîtres et docteurs élevèrent
des chaires illustres de lettres et d’arts libéraux, éclairèrent de nombreuses
intelligences, qu’obnubilait l’erreur, et donnèrent à travers le monde entier
aux sciences sacrées et profanes une forte impulsion ! Combien enfin, rendus
célèbres par leur sainteté, qui, dans les rangs de la famille bénédictine
s’efforcèrent d’atteindre selon leurs forces la perfection évangélique et
propagèrent de toutes manières le Règne de Jésus-Christ par l’exemple de leurs
vertus, leurs saintes prédications et même les miracles que Dieu leur permit
d’opérer ! Beaucoup d’entre eux, vous le savez, Vénérables Frères, furent
revêtus de la dignité épiscopale, ou de la majesté du Souverain Pontificat. Les
noms de ces apôtres, de ces Evêques, de ces Saints, de ces Pontifes suprêmes
sont écrits en lettres d’or dans les annales de l’Eglise, et il serait trop
long de les rapporter ici nommément ; au reste, brillent-ils d’une si vivante
splendeur et tiennent-ils dans l’histoire une si grande place, qu’il est facile
à tous de se les rappeler.
III. Enseignements de la «
Règle bénédictine » au monde actuel
Nous croyons, en conséquence,
très opportun que ces faits, rapidement esquissés dans Notre lettre, soient
attentivement médités durant les solennités de ce centenaire et qu’à tous les
regards ils revivent en pleine lumière, afin que plus aisément tous en
conçoivent, non seulement le désir d’exalter et de louer ces fastueuses
grandeurs de l’Eglise, mais la résolution de suivre d’un cœur prompt et
généreux les exemples de vie et les enseignements qui en découlent.
Car ce n’est pas uniquement
les siècles passés qui ont profité des bienfaits incalculables de ce grand
Patriarche et de son Ordre ; notre époque elle aussi doit apprendre de lui de
nombreuses et importantes leçons. En tout premier lieu — Nous n’en doutons
nullement — que les membres de sa très nombreuse famille apprennent à suivre
ses traces avec une générosité chaque jour plus grande et à faire passer dans
leur propre vie les principes et les exemples de sa vertu et de sa sainteté. Et
sûrement, il arrivera que, non seulement ils correspondront magnanimement,
activement et fructueusement à cette voix céleste, dont ils suivirent un jour
l’appel surnaturel, lorsqu’ils ont débuté dans la vie monastique ; que non
seulement ils assureront la paix sereine de leur conscience et surtout leur
salut éternel, mais encore qu’ils pourront s’adonner, d’une façon très
fructueuse, au bien commun du peuple chrétien et à l’extension de la gloire de
Dieu.
De plus, si toutes les classes
de la société, avec une studieuse et diligente attention, observent la vie de
S. Benoît, ses enseignements et ses hauts faits, elles ne pourront pas ne pas
être attirées par la douceur de son esprit et la force de son influence ; et
elles reconnaîtront d’elles-mêmes que notre siècle, rempli et désaxé lui aussi
par tant de graves ruines matérielles et morales, par tant de dangers et de
désastres, peut lui demander des remèdes nécessaires et opportuns. Qu’elles se
souviennent pourtant avant tout et considèrent attentivement que les principes sacrés
de la religion et les normes de vie qu’elle édicte sont les fondements les plus
solides et les plus stables de l’humaine société ; s’ils viennent à être
renversés ou affaiblis, il s’ensuivra presque fatalement que tout ce qui est
ordre, paix, prospérité des peuples et des nations sera détruit
progressivement. Cette vérité, que l’histoire de l’Ordre Bénédictin, comme Nous
l’avons vu, démontre si éloquemment, un esprit distingué de l’antiquité païenne
l’avait déjà comprise lorsqu’il traçait cette phrase : « Vous autres,
Pontifes... vous encerclez plus efficacement la ville par la religion que ne le
font les murailles elles-mêmes » (40). Le même auteur écrivait encore : «
...Une fois disparues (la sainteté et la religion), suit le désordre de
l’existence, avec une grande confusion ; et je ne sais si, la piété envers les
dieux supprimée, ne disparaîtront pas également la confiance et la bonne
entente entre les mortels, ainsi que la plus excellente de toutes les vertus,
la justice » (41).
Le premier et le principal
devoir est donc celui-ci : révérer la divinité, obéir en privé et en public à
ses saintes lois ; celles-ci transgressées, il n’y a plus aucun pouvoir qui ait
des freins assez puissants pour contenir et modérer les passions déchaînées du
peuple. Car la religion seule constitue le soutien du droit et de l’honnêteté.
Notre saint Patriarche nous
fournit encore une autre leçon, un autre avertissement, dont notre siècle a
tant besoin : à savoir, que Dieu ne doit pas seulement être honoré et adoré ;
il doit aussi être aimé, comme un Père, d’une ardente charité. Et parce que cet
amour s’est malheureusement aujourd’hui attiédi et alangui, il en résulte qu’un
grand nombre d’hommes recherchent les biens de la terre plus que ceux du ciel,
et avec une passion si immodérée, qu’elle engendre souvent des troubles,
qu’elle entretient les rivalités et les haines les plus farouches. Or, puisque
le Dieu éternel est l’auteur de notre vie et que de Lui nous viennent des
bienfaits sans nombre, c’est un devoir strict pour tous de l’aimer par-dessus
toutes choses, et de tourner vers Lui, avant tout le reste, nos personnes et
nos biens. De cet amour envers Dieu doit naître ensuite une charité fraternelle
envers les hommes, que tous, à quelque race, nation ou condition sociale qu’ils
appartiennent, nous devons considérer comme nos frères dans le Christ ; en
sorte que de tous les peuples et de toutes les classes de la société se
constitue une seule famille chrétienne, non pas divisée par la recherche
excessive de l’utilité personnelle, mais cordialement unie par un mutuel
échange de services rendus. Si ces enseignements, qui portèrent jadis Benoît,
ému par eux, à construire, recréer, éduquer et moraliser la société décadente
et troublée de son époque, retrouvaient aujourd’hui le plus grand crédit
possible, plus facilement aussi, sans nul doute, notre monde moderne pourrait
émerger de son formidable naufrage, réparer ses ruines matérielles ou morales,
et trouver à ses maux immenses d’opportuns et efficaces remèdes.
Le législateur de l’Ordre
Bénédictin nous enseigne encore, Vénérables Frères, une autre vérité — vérité
que l’on aime aujourd’hui à proclamer hautement, mais que trop souvent on
n’applique pas comme il conviendrait et comme il faudrait — à savoir que le
travail de l’homme n’est pas chose exempte de dignité, odieuse et accablante,
mais bien plutôt aimable, honorable et joyeuse. La vie de travail, en effet,
qu’il s’agisse de la culture des champs, des emplois rétribués ou des
occupations intellectuelles, n’avilit pas les esprits, mais les ennoblit ; elle
ne les réduit pas en servitude, mais plus exactement elle les rend maîtres en
quelque sorte et régisseurs des choses qui les environnent et qu’ils traitent
laborieusement. Jésus lui-même, adolescent, quand il vivait à l’ombre de la
demeure familiale, ne dédaigna pas d’exercer le métier de charpentier dans la
boutique de son père nourricier et il voulut consacrer de sa sueur divine le
travail humain. Que donc, non seulement ceux qui se livrent à l’étude des
lettres et des sciences, mais aussi ceux qui peinent dans des métiers manuels,
afin de se procurer leur pain quotidien, réfléchissent qu’ils ont une très
noble occupation, leur permettant de pourvoir à leurs propres besoins, tout en
se rendant utiles au bien de la société entière. Qu’ils le fassent pourtant,
comme le Patriarche Benoît nous l’enseigne, l’esprit et le cœur levés vers le
ciel ; qu’ils s’y adonnent non par force, mais par amour ; enfin, quand ils
défendent leurs droits légiTimes New Roman, qu’ils le fassent, non en jalousant
le sort d’autrui, non désordonnément et par des attroupements, mais d’une
manière tranquille et avec droiture. Qu’ils se souviennent de la divine
sentence : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » (Gn 3, 19) ;
précepte que tous les hommes doivent observer en esprit d’obéissance et
d’expiation.
Qu’ils n’oublient pas surtout
que nous devons nous efforcer chaque jour davantage de nous élever des réalités
terrestres et caduques, qu’il s’agisse de celles qu’élabore ou découvre un
esprit aiguisé, ou de celles qui sont façonnées par un métier pénible, à ces
réalités célestes et perdurables, dont l’atteinte peut seule nous donner la
véritable paix, la sereine quiétude et l’éternelle félicité.
IV. La reconstruction du
Monastère du Mont-Cassin, juste tribut de reconnaissance
Quand la guerre, toute
récente, se porta sur les limites de la Campanie et du Latium, elle frappa
violemment, vous le savez, Vénérables Frères, les hauteurs sacrées du Mont
Cassin ; et bien que, de tout Notre pouvoir, par des conseils, des
exhortations, des supplications, Nous n’ayons rien omis pour qu’une si cruelle
atteinte ne soit pas portée à une très vénérable religion, à de splendides
chefs-d’œuvre et à la civilisation elle-même, le fléau a néanmoins détruit et
anéanti cette illustre demeure des études et de la piété, qui, tel un flambeau
vainqueur des ténèbres, avait émergé au-dessus des flots séculaires. C’est
pourquoi, tandis que, tout autour, villes, places fortes, bourgades devenaient
des monceaux de ruines, il s’avéra que le monastère du Mont Cassin lui-même,
maison-mère de l’Ordre bénédictin, dût comme partager le deuil de ses fils et
prendre sa part de leurs malheurs. Presque rien n’en resta intact, sauf le
caveau sacré où sont très religieusement conservées les reliques du S.
Patriarche.
Là où l’on admirait des
monuments superbes, il n’y a plus aujourd’hui que des murs chancelants, des
décombres et des ruines, que de misérables ronces recouvrent ; seule une petite
demeure pour les moines a été récemment élevée à proximité. Mais pourquoi ne
serait-il pas permis d’espérer que, durant la commémoraison du XIVe centenaire
depuis le jour où, après avoir commencé et conduit à bon terme une si grandiose
entreprise, notre Saint alla jouir de la céleste béatitude, pourquoi,
disons-Nous, ne pourrions-nous pas espérer qu’avec le concours de tous les gens
de bien, surtout des plus riches et des plus généreux, cet antique monastère ne
soit rétabli au plus vite dans sa primitive splendeur ? C’est assurément une
dette à Benoît de la part du monde civilisé, qui, s’il est éclairé aujourd’hui
d’une si grande lumière doctrinale et s’il se réjouit d’avoir conservé les
antiques monuments des lettres, en est redevable à ce Saint et à sa famille
laborieuse. Nous formons donc l’espoir que l’avenir réponde à ces vœux, qui
sont Nôtres ; et que pareille entreprise soit non seulement une œuvre de
restauration intégrale, mais un augure également de temps meilleurs, où
l’esprit de l’Institut bénédictin et ses très opportuns enseignements viennent
de jour en jour à refleurir davantage. Dans cette très douce espérance, à
chacun de vous, Vénérables Frères, ainsi qu’au troupeau confié à vos soins,
comme à l’universelle famille monacale, qui se glorifie d’un tel législateur,
d’un tel maître et d’un tel père, Nous accordons de toute Notre âme, en gage
des grâces célestes et en témoignage de Notre bienveillance, la Bénédiction
Apostolique.
Donné à Rome, près Saint Pierre, le 21e jour du mois de Mars, en la fête
de Saint Benoît, l’an 1947, neuvième de Notre Pontificat.
PIUS PP. XII
(*) Pius PP. XII, Litt. enc. Fulgens radiatur decimoquarto exacto saeculo a pientissimo S. Benedicti obitu, [Ad venerabiles Fratres Patriarchas, Primates, Archiepiscopos, Episcopos, aliosque locorum Ordinarios pacem et communionem cum Apostolica Sede habentes], 21 martii 1947: AAS 39(1947), pp.137-155 ; texte officiel français dans DC 44 (1947), col. 513-528.
I. L'incomparable figure historique du patriarche : origines et premières orientations de saint Benoît ; à Subiaco ; au Mont-Cassin ; prière et travail ; vie de famille ; frères en Jésus-Christ ; le monastère bénédictin, petit « royaume de Dieu » ; sa sainte mort. - II. Immenses bienfaits de saint Benoît et de son Ordre pour l’Eglise et la civilisation. - III. Enseignements de la « Règle bénédictine » au monde actuel. IV. La reconstruction du monastère du Mont-Cassin, tribut juste et général de reconnaissance.
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(1) S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, Prol. : PL 66, 126.
(2) Cf. Cicéron, De Officiis, II, 8.
(3) S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, Prol. : PL 66, 126.
(4) S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, 8 : PL 66, 150.
(5) Cf. S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, Prol. : PL 66, 126.
(6) Salvien, De gubernatione mundi, VII, 1 : PL 53, 130.
(7) S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, Prol. : PL 66, 126.
(8) S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, 3 : PL 66, 132.
(9) S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, 3 : PL 66, 140.
(10) S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, 3 : PL 66, 140.
(11) S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, 8 : PL 66, 148.
(12) S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, 8 : PL 66, 152.
(13) Pie X, Lettre apost. Archicoenobium Casinense, 10 fév. 1913 : AAS 5(1913), p. 113.
(14) S. Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-II, q. 188, a. 6.
(15) Mabillon, Annales Ord. S. Bened., Lucae 1739, t. I, p. 107.
(16) S. Grégoire le Grand, Dialogues, III, 16 : PL 67, 261.
(17) Cf. Bossuet, Panégyrique de S. Benoît : Oeuvres compl., vol. XII, Paris 1863, p. 165.
(18) S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, 36 : PL 66, 200.
(19) Règle de S. Benoît, c. 65.
(20) Cf. Règle de S. Benoît, c. 3.
(21) Cf. Règle de S. Benoît, c. 2.
(22) Règle de S. Benoît, c. 2.
(23) Cf. Règle de S. Benoît, c. 3.
(24) Règle de S. Benoît, c. 2.
(25) Règle de S. Benoît, c. 33.
(26) Cf. Règle de S. Benoît, c. 48.
(27) Cf. Règle de S. Benoît, c. 48.
(28) Cf. Règle de S. Benoît, c. 57.
(29) Règle de S. Benoît, c. 48.
(30) Règle de S. Benoît, c. 43.
(31) Règle de S. Benoît, c. 19.
(32) Règle de S. Benoît, c. 4.
(33) Règle de S. Benoît, c. 5.
(34) Règle de S. Benoît, c. 72.
(35) Règle de S. Benoît, c. 53.
(36) Règle de S. Benoît, c. 53.
(37) Règle de S. Benoît, c. 36.
(38) S. Grégoire le Grand, Dialogues, II, 37 : PL 67, 202.
(39) Cf. S. Léon le Grand, Sermon I pour la fête des Apôtres Pierre et Paul : PL 54, 423.
(40) Cicéron, De natura Deorum, II, c. 40.
(41) Cicéron, De natura Deorum, I, c. 2.
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