samedi 4 septembre 2010

lettre au Président de la République ainsi qu'au Premier Ministre

Bertrand Fessard de Foucault
ancien ambassadeur

Le samedi 4 Septembre 2010


Monsieur le Président de la République,

Monsieur le Premier Ministre,

permettez-moi de vous écrire une nouvelle fois pour le bien commun, sans parti pris et que ce soit à vous deux ensemble, car le sujet est décisif et que vous le porterez ensemble pour la conclusion de ce quinquennat et peut-être pour un retournement historique : notre nouvelle façon de pratiquer la démocratie.

Vous avez raison : la réforme dite réforme des retraites, est décisive pour le pays et pour l’évaluation d’ensemble du système de gouvernement depuis Mai 2007. Ce système et le contexte politique qu’il a engendré, ne peuvent faire aboutir une réforme éclairée et pérenne, parce que celle-ci est décrétée autoritairement, qu’elle sort de quelques huis-clos et n’est débattue que pour la montre en formes successives de pistes, de propositions, de « sommets » à l’Elysée avec les « partenaires sociaux » puis d’arbitrages qui confirment des décisions initiales quelque temps demeurées in petto. Même excellent, et il ne l’est pas, le fond ne peut se passer de la forme.

Ce système a d’ailleurs produit une quantité de « réformes », au mieux présentées toutes faites aux parties concernées sans que leurs observations pèsent en rien et contraignant tous ceux qui en seront l’objet. Les usagers, les experts, les spécialistes – et souvent le bon sens – ont chaque fois été offensés et pris à partie par une stigmatisation de leur résistance, forme de leur désespérance face à votre manière de traiter le sujet et le pays.

Le contexte est nouveau. Il a été créé – oserai-je écrire : gratuitement, s’il ne s’était agi semble-t-il de séduire ou de reconquérir une part d’électorat originel et aussi de faire diversion – par votre discours à Grenoble, Monsieur le Président de la République. Les chiffres donnés par Eric Besson montrent que statistiquement l’expulsion des Roms était, au 30 Juillet dernier, de même poids statistique cette anéne que l’année précédente, et sans doute de même pratique expéditive. Ce n’était pesant que pour l’histoire et pour l’honneur, qui sont chacun rétrospectifs. Mais vous avez soudainement revendiqué cette expulsion – l’avez même mise en valeur – comme la marque avantageuse de l’actuel système de direction du pays, soulevant des oppositions qui ne sont pas que classiquement partisanes puisque dans votre majorité, dans les institutions officielles ou associatives de défense des droits de l’homme ou de lutte contre la discrimination raciale – et plus encore ce qui est sans précédent – dans l’épiscopat français (des personnalités particulièrement réfléchies et surtout prudentes), aux Nations Unies, au Vatican vous êtes critiqué, vous et ceux de vos ministres qui s’énorgueillissent de renchérir s’il est possible sur votre discours.

D’autre part, le ministre censé porter la réforme n’a pas su se garder l’oreille des syndicats – avoir dédaigné les propositions du secrétaire général de la C.F.D.T., expert autant qu’autorité morale dont vous-même, Monsieur le Premier Ministre aviez éprouvé l’efficacité du concours quand on l’obtient comme en 2003, est une faute – et il est discrédité dans votre gouvernement, dans votre majorité et même dans le patronat car la prise de position hier à l’université du MEDEF du président des patrons alsaciens n’est pas à considérer dans son isolement apparent, mais bien dans sa traduction du sentiment de personnalités libres et d’expérience. Vous le savez très bien. Si Eric Woerth est d’une telle compétence, prenons-le comme consultant, nous ne bénéficierons que de ses lumières et nous ne pâtirons plus du doute sur sa personnalité et au fond son parcours.

Puisque la réforme des retraites concerne tout le monde, réunissez en plénière et en groupes de travail divers tout le monde, devant une copie blanche, quitte en coin de « table-ronde » à mettre en évidence l’état actuel des projets gouvernementaux mais aussi de toutes les contributions virtuelles ou déjà connues, fragmentaires ou globales, état actuel avec leur degré d’incertitudes et les éventuelles alternatives de perspectives pour toutes les données démographiques et financières. Réunissez tout le monde, c’est-à-dire tous les partis politiques, les syndicats de salariés et de patrons, les banques et institutions de prévoyance avec les caisses diverses et les directions des régimes sociaux, les associations et organisations des familles, des retraités : j’en oublie certainement. Preneurs de notes, metteurs en page : les habitués de l’INSEE, de l’inspection des finances et mieux encore les administrateurs des commissions parlementaires spécialisées, les journalistes notoirement habitués à traiter ces questions. Le gouvernement zélant les débats, les concluant à mesure des points d’accord général mais n’imposant rien de son crû, et ne portant finalement au Parlement et pour la forme qu’un résultat ne lui devant que cette manière de faire. Un travail collectif – accompli sans regarder l’horloge puisque depuis quinze ans on hésite, on fait semblant et, dans la peur mutuelle que s’inspirent les salariés et leurs syndicats d’une part, les dirigeants gouvernementaux et patronaux d’autre part, on n’a rien fait de durable que poser quelques éléments d’un socle incertain.

En fait, il s’agit de retrouver pour notre époque la démocratie qui n’est pas fondamentalement la dérivation des affrontements de la violence physique, voire révolutionnaire, canalisée par le test des urnes (les définitions un peu désabusées d’un monarchiste de tradition comme Victor de Broglie définissant le suffrage universel pour l’accepter), mais qui doit être la constatation toute moderne qu’à plusieurs on trouve davantage et mieux que tout seul, que la dynamique de groupe est fertile et que les Français ont assez de bon sens pour s’accorder sur le bien commun s’il est détaché d’un acquiescement à une politique du moment ou à un personnage élu ou pas. Le consensus à obtenir est le signe que tout aura été posé et exploré, il sera le gage de la pérennité dans les esprits d’une réforme – nécessaire – mais dont les voies et moyens dans les libellés actuels et selon les signataires d’en ce moment ne sont pas vécus et reçus comme légitimes. Ils ne heurtent pas tant des intérêts que le sentiment de la justice pour les résultats à produire et le sentiment de dignité pour les négociateurs et pour les assujettis. Bien entendu, cette élaboration sereine et pluraliste fera porter la responsabilité de la réforme par l’ensemble de cette représentation retrouvée de tous les Français. Ceux-ci seront donc responsables de leur propre médication et de leur nouvelle façon de débattre quand c’est un sujet décisif et difficile.

Cette nouvelle façon d’écrire, discuter et adopter consensuellement un projet – parce qu’il est névralgique et parce qu’il met en perspective un certain nombre d’années et se fonde sur des projections admises par tous pour déterminer les efforts de chacun, la votation parlementaire n’étant qu’une consécration et une légalisation, sera - en fait – la remise en vigueur sur un sujet particulier des procédures et aboutissements du plan - majuscule.

Vous le savez, le plan, la « planification à la française » avait été un vœu commun dans les années 1930, une mise en oevre pour la reconstruction du pays dans des sceteurs vitaux à la suite de la guerre, et une « ardente obligation » avec de Gaulle. L’institution avait été portée jusqu’au début des années 1990 par de grandes personnalités d’intelligence socio-économique et aussi de désintéressement politique. Elle avait été minorée par Valéry Giscard d’Estaing et Lionel Jospin en a sanctionné la mort plus qu’il ne l’a provoquée.

C’est manifestement l’institution à rétablir chez nous, surtout s’il s’agit de retrouver l’aménagement du territoire, de maîtriser l’investissement national et les finances publiques, de refonder le dialogue social sans l’isoler des autres discussions et paramètres. C‘est le plan périodiquement débattu et adopté qui donnera de la cohérence et du lien entre des réformes jusqu’à présent si contraintes, si contestées et si disparates au point que le dessein caractérisant la mandature ne peut être dit et donc perçu d’un seul et bref énoncé. Le plan engage tout le monde – puisque tout le monde est associé, à une étape ou à une autre, à son élaboration et à son adoption – sans clivage partisan et sans signature trop personnelle.

Cette réinstitution à l’expérience de son manque depuis quinze ans ou presque, et de la « crise mondiale » serait une des grandes avancées de l’actuel mandat présidentiel. L’heureuse détermination de la réforme des retraites – par cette manière de faire (et d’être) ainsi retrouvée – serait la démonstration qu’elle est une école de démocratie pour tous et donc un outil pour le redresement du pays et la bonne gestion de ses engagements européens.

Les traverses actuelles et l’échéance de cette réforme sont l’occasion. Si vous ne la saisissez pas, il sera acquis que vous ne savez pas ou ne voulez pas faire fonctionner nos institutions efficacement et démocratiquement, même si sont sauves les apparences de la légalité selon des votations que contraignent par avance l’actuel système des partis et le refus du vote de conscience au Parlement. Beaucoup d’électeurs qui ne sont pas enracinés à gauche, beaucoup de gaullistes, beaucoup de chrétiens seront – par vous – engagés à trouver le moyen de rompre à la prochaine élection présidentielle avec une telle manière de diriger le pays. Il se pourrait qu’hostiles d’âme à la candidate du Front national, ils observent, selon le cas que vous faites de ses électeurs, qu’en votant pour celle-ci ils vous éliminent du second tour et constituent la réserve de voix pour la candidate socialiste qui en aura besoin. Aucun risque sauf celui d’aller au bout d’une logique d’évaluation de ce que vous apportez ou détruisez. La morale prenant le relais de la politique puisque celle-ci est viciée en fond et en forme et que le pays ne peut plus le subir.

Pierre Messmer avait l’habitude de dédicacer et signer en souvenir, en espérance.

Vous n’avez malheureusement pas, Monsieur le Président de la République, la mémoire qui se transmet presque intimement par les événements et par une familiarité, celle qui est donc la vôtre, Monsieur le Premier Ministre, par Joël Le Theule. En effet, et bien malheureusement, vous êtes plutôt, Monsieur le Président de la République, l’enfant de gestions et de personnalités très lacunaires qui ne vous ont pas fait admirer ce qui s’est fait avant vous – mais avec le Premier Ministre, vous êtes ensemble, Monsieur le Président de la République, responsables de l’espérance. La nôtre.

C’est tout de suite.

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de mes sentiments déférents et très attentifs.

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