samedi 10 juillet 2010

Vichy - 10 juillet 1940 - ce que j'ai étudié et compris

Détaché d'un livre cherchant éditeur sur une de nos crises de légitimité : 1940-1944







– La légalité des votes et actes de 1940



La légitimité du régime de Vichy dépend de celle de deux actes : la signature de l’armistice avec l’Allemagne, le vote d’une loi déléguant le pouvoir constituant. Ces deux actes sont susceptibles de la même analyse : ce qu’ils ont disposé littéralement a été débordé presque dès leur intervention. L’armistice a été pratiqué, moins en référence textuelle, qu’en cadre établi pour des négociations permanentes et une collaboration économique de fait. La délégation du pouvoir constituant a été interprêtée comme la possibilité aussitôt utilisée de concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’une seule personne physique, laquelle les a deux ans plus tard en majeure partie subdélégués.

La légalité du régime de Vichy est discutée ab initio [1] pour deux séries de raisons. La première porte sur la régularité de la loi constitutionnelle du 10 Juillet 1940.

1° le siège de l’organe constituant qu’est l’Assemblée nationale n’a pas été contesté . Par décret du 8 Juillet 1940 signé du Président de la République Albert Lebrun, visant l’article. 59 de la loi du 11 Juillet 1938, sur l’organisation de la nation en temps de guerre [2], il est fait exception à la loi du 22 Juillet 1879 : le siège du pouvoir exécutif et des deux Chambres est provisoirement transféré à Vichy [3].

2° la révision constitutionnelle, quand elle porte sur son propre mode, ne peut disposer sur des points que la Constitution qu’il s’agit de réviser, s’interdisait de traiter [4] ; l’intangibilité de la forme républicaine du gouvernement [5] – est le principal de ces points, il est explicite. Même si l’on admet rétrospectivement avec le Maréchal Pétain que l’appellation « Etat français » ne signifie pas l’abolition de la République [6] d’une part et que son projet de Constitution décernait bien – comme les lois de 1875 – le titre de Président de la République, trois éléments sont insolites pour un régime qui se voudrait encore républicain mais qui précisément ne se réclame plus explicitement de cette appellation : le delphinat organisé [7], alors que les pleins pouvoirs lui étaient personnellement donnés sans qu’il puisse les transmettre autrement qu’en retour à l’Assemblée nationale, ce qu’il n’aurait, peut-être, envisagé de faire qu’ultimement [8]-, le serment politique [9] et enfin le Conseil de justice politique [10]. L’exposé des motifs du projet de loi mentionnait se fondait pourtant, dès ses premières lignes sur « l’ordre et la légalité républicaines ».

3° l’Assemblée nationale de 1940, sous l’empire des lois de 1875, pouvait-elle déléguer le pouvoir constituant ? La doctrine à l’époque était depuis longtemps partagée [11] quant à une Assemblée constituante élue ad hoc et a fortiori quant à une ratification par referendum, mais l’accord était unanime pour exclure une délégation au gouvernement. Le propre des lois de 1875 – du fait des amendements de Henri Wallon [12]– avait été de refuser d’être un simple aménagement du septennat personnel du Maréchal de Mac Mahon, alors que la loi constitutionnelle de 1940 et surtout les actes constitutionnels subséquents ont été l’aménagement du pouvoir du Maréchal Pétain [13].

4° en revanche, quel que soit le mode de calcul de la majorité qualifiée à l’Assemblée nationale [14], il est certain que le texte adopté l’a été à une majorité suffisante. Le nombre théorique des parlementaires était de 932 (618 députés et 314 sénateurs. Si l’on compte la déchéance des députés communistes à la déclaration de guerre et la vacance de quelques sièges, on obtient un effectif de 850 ; moins de 200 parlementaires n’ont pas pris part au vote [15]. Le scrutin donne 569 voix pour, 80 contre et 17 abstentions déclarées [16].

Il est également discuté de savoir si la préparation puis la votation de la loi constitutionnelle ne s’est pas faite dans des circonstances dolosives.
1° le vote du 10 Juillet 1940 eut-il lieu sans pression [17] autre que le prestige dont jouissait alors le Maréchal Pétain [18] ? La réponse doit être nuancée, une ambiance a dominé les débats informels puis publics, des rumeurs ont couru, entretenues ou pas par le gouvernement.

2° la procédure en Assemblée nationale n’a-t-elle pas empêché toute expression de l’opposition ? C’est la thèse du groupe des « Vingt-Sept » à qui la parole ne fut pas donnée, malgré un engagement du président du Sénat, Jules Jeanneney, présidant l’Assemblée nationale [19] au porte-parole desquels le président du Sénat, appelé à présider l’Assemblée nationale, donnera l’occasion de l’exposer en séance publique [20] à qui il avait soumis son texte écrit ; c’est ce que fait supposer Jean Taurines, alors vice-président du Sénat et porteur d’un contre-projet, précédemment soumis au Maréchal, et qui, lui aussi, avait préparé par écrit son discours [21] ; en séance publique, il ne put obtenir que d’être entendu par la commission débattant, à huis clos, du projet gouvernemental. L’artifice fut trouvé par Fernand Bouisson, ancien président de la Chambre des députés : faire voter par l’Assemblée un article du règlement de la Chambre selon lequel les contre-projets et amendement ne peuvent être discutés qu’après les projets du Gouvernement, ce « qui permet d’éviter les longueurs d’un débat » [22] ; l’accord se fit par acquiescement tacite après que Pierre Laval ait spécifié que « cela ne signifie pas que les membres de l’Assemblée qui ont déposé un contre-projet n’auront pas le droit de s’expliquer librement à la tribune ». Mais le même article prévoyant que « la clôture pourra toujours être prononcée », elle le fut effectivement dès que des voix la réclamèrent : dès que le rapport eût été entendu, la discussion générale fut supprimée, et notamment celle des explications de vote.

3° le projet de loi fut-il adopté en Conseil des ministres [23], et le scrutin en Assemblée nationale eut-il lieu en connaissance de cause [24] ? de quoi s’agissait-il ? Littéralement d’une délégation du pouvoir constituant. Mais – sans que cela fasse un dispositif – il était bien question de trois éléments distincts et qui ne sont pas contenus dans le pouvoir constituant au sens strict. Le premier était d’accorder au gouvernement du Maréchal Pétain les pleins pouvoirs de gestion du pays. Le second était de le mettre en situation la meilleure pour négocier la paix ; il n’était pas envisagé que l’armistice dura ce qu’il a duré. Le troisième, voisin du second, était d’aligner au moins en apparence le régime nouveau sur les normes apparues en Europe depuis la Grande Guerre [25].
Il apparaît dès le lendemain du vote, que presque tous, parlementaires et ministres s’estiment abusés [26]. Le projet de loi constitutionnelle, c’est-à-dire la délégation du pouvoir constituant, a été certes exposé en Conseil des ministres et finalement adopté à l’unanimité, le président de la République restant silencieux et le Garde des Sceaux refusant de le cosigner [27]. En revanche, le Conseil des ministres sera toujours mis devant le fait accompli des actes constitutionnels subséquents. Pierre Laval, lui-même, s’estime trompé par ces premiers actes [28]. Mais la formation d’un nouveau gouvernement le 12 [29] est éclairée par le message du Maréchal radiodiffusé la veille [30] : ceux qui demeurent ou deviennent ministres consentent donc de facto à ce qui a été accompli. Certains des parlementaires s’estiment – eux plus encore abusés – notamment parce qu’ils n’avaient pas envisagé que le président du Conseil se substituât d’autorité au président de la République, Albert Lebrun [31] ni que le mandat consenti soit aussitôt utilisé comme il l’a été [32] ; mais ils le taisent à l’époque [33]. Pas davantage ne se fait entendre une seule protestation contre l’armistice, à l’Assemblée nationale ou dans les séances de chacune des Chambres qui la précèdent, ou même en séance secrète [34].La seule auto-limitation que s’impose le Maréchal est qu’« il ne peut déclarer la guerre sans l’assentiment préalable des Assemblées législatives » [35] . Le nouveau chef de l’Etat français reçoit les présidents des deux Chambres [36] sans entendre d’eux le moindre reproche à propos de ses premiers « actes constitutionnels ». Les rares opposants – les Quatre-Vingt – feront remonter non aux actes constitutionnels du Maréchal, mais bien à la loi constitutionnelle du 10 Juillet 1940 aussi bien les usurpations de Vichy que les législations d’exception édictées par les régimes provisoires depuis Alger [37]. Le rapporteur lui-même parle d’ « escroquerie » [38], après que Jules Jeanneney ait évoqué un « entôlage ».

La seconde raison de douter de la légalité du régime de Vichy est d’observer que ce régime n’aurait pas appliqué la loi constitutionnelle qui est censée lui avoir donné naissance [39]. Cela à quatre points de vue.

1° le régime instauré à partir des actes constitutionnels du 11 Juillet 1940 – même s’il est assuré que ceux-ci étaient prévisibles la veille du jour où ils furent promulgués – n’a pas été soumis à ratification par la Nation, et encore moins appliqué par les assemblées qu’il aurait créées [40] : il n’a d’ailleurs pas été considéré comme une Constitution proprement dite, au sens de la loi constitutionnelle de 1940. Ainsi « la mission donnée au gouvernement de promulguer une Constitution sous la signature du Maréchal est certaine. Il ne s’en est pas acquitté. » [41] Le projet de Constitution a pourtant existé [42], confectionné en deux temps [43], mais n’a pas été promulgué, en raison de l’occupation. [44].

2° le pouvoir constituant a été délégué par l’Assemblée nationale nationale au gouvernement, et non à une seule personne [45]: or, le Maréchal Pétain l’a exercé, pour ce qui est des actes constitutionnels, seul et sans contreseing, hors même du Conseil des ministres qui n’en est qu’avisé une fois leur signature apposée [46] ; ces actes seraient donc nuls pour une raison de forme, l’omission de la formule : « le Conseil des ministres entendu » [47].

3° l’engagement pris de maintenir l’existence des deux Chambres jusqu’au fonctionnement des institutions nouvelles et d’une collaboration, en attendant, au moins avec ses commissions spécialisées, n’a pas été tenu ; l’acte constitutionnel n° 3 porte bien que « le Sénat et la Chambre des députés subsisteront jusqu’à ce que soient formées les Assemblées prévues par la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 » mais ajoute aussitôt que « le Sénat et la Chambre des députés sont ajournés jusqu’à nouvel ordre. Ils ne pourront désormais se réunir que sur convocation du Chef de l’Etat » [48]; en outre, les procédures de déchéance des parlementaires peuvent être prononcées par décret [49].

4° la délégation du pouvoir constituant n’était pas l’octroi des pleins pouvoirs [50], mais personne n’en fit l’observation ni en Conseil des ministres, ni dans les réunions parlementaires. Il peut être soutenu que le Maréchal et son gouvernement avaient les pleins pouvoirs du seul fait que ceux-ci avaient été conférés à ces prédécesseurs, depuis le début de la guerre.

Plus généralement, le régime instauré par les actes constitutionnels du 11 Juillet 1940 contreviendrait au principe constant de la démocratie française, celui de la séparation des pouvoirs [51]. La délégation du pouvoir constituant n’est une loi de pleins pouvoirs que dans la perspective de rédaction et de proposition d’une nouvelle Constitution [52]. Or, cette Constitution n’a pas été proposée et tous les pouvoirs ont été concentrés.

Un dernier élément d’appréciation est plus aléatoire, celui de l’idéologie dominante à Vichy, s’il y en eût une [53].





– La genèse des actes et votes de 1940


La discussion de la légitimité peut sembler une question d’opportunité. L’armistice et le projet de pleins pouvoirs ne forment un tout qu’intellectuellement ; ils ne sont pas le fait des mêmes personnes. Ils ont été cependant abordés chacun de la même façon biaisée : Paul Reynaud démissionne non à propos de la demande d’armistice qui recueillerait la majorité dans son gouvernement, mais de la simple exploration des éventuelles conditions allemandes (la proposition transactionnelle de Camille Chautemps) ; l’idée d’une révision constitutionnelle et a fortiori de la fondation d’un régime nouveau, si elle est dans l’esprit de Pierre Laval ou d’Adrien Marquet dès avant leur entrée au gouvernement, et très résolument de Raphaël Alibert, alors sous-secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil, ne l’est pas dans celui du Maréchal ni de deux des ministres en qui il a alors le plus confiance : Paul Baudouin, ministre des Affaires étrangères, et Yves Bouthillier, ministre des Finances. Davantage, le projet de loi constitutionnelle sera pour l’essentiel une rédaction de Pierre Laval, tandis que les actes constitutionnels, pour les trois premiers, seront le fait personnel du Maréchal avalisant des esquisses de Raphaël Alibert.

La personnalité de Pierre Laval [54] marque moins le texte initial, puis retouché à deux reprises, et finalement soumis au vote de l’Assemblée nationale, qu’elle n’a déterminé la majorité de celle-ci.

Sans qu’il soit établi s’il a ou non voulu se défausser de la responsabilité formelle d’un acte que cependant il souhaitait, Pierre Laval ne fait pas partie du gouvernement formé par le Maréchal Pétain le 16 Juin 1940 [55], celui qui fait la demande d’armistice et le signe le 22 Juin ; c’est le lendemain qu’il y entre [56], en même temps qu’Adrien Marquet. Il a derrière lui une carrière exceptionnelle, deux fois président du Conseil, plusieurs fois ministre des Affaires étrangères et il a négocié avec Hoover le moratoire des dettes, avec Staline une alliance, avec Mussolini des accords faisant contre-poids au Reich allemand renaissant, avec le Chancelier Bruning, quand l’Allemagne n’est pas encore hitlérienne. Il n’a pas eu pour autant de relations personnelles et suivies avec le Maréchal avant l’été de 1940 [57], mais il a réfléchi sur celui-ci [58]. Et entré au gouvernement – sans doute sur la suggestion faite au Maréchal par Raphaël Alibert [59]– , plus encore [60].

Au bout d’une semaine, le vice-président du Conseil, qui n’a pas de portefeuille et fait office de ministre délégué aux relations avec le Parlement, comme la Cinquième République en a établi le rôle et l’appellation, se fait fort de persuader l’Assemblée nationale de voter les pleins pouvoirs [61]. Il est d’abord isolé et le Maréchal indécis et sceptique [62], mais assurant qu’il aura l’accord d’Albert Lebrun à sa propre disparition. Ce qui est inexact, le président de la République, étant lui aussi sceptique sur l’accueil du projet à l’Assemblée nationale [63]. C’est pourtant autour de Pierre Laval et selon son texte que vont se cristalliser plutôt que des ralliements des résignations, devenant consentements tandis que les contre-projets seront – de sa part – éludés. Le vice-président du Conseil conquiert alors le Maréchal [64], qui voit en lui d’abord un parfait instrument.

Au départ, trois formules se débattent, le 29 Juin, en conseil restreint : associer le Parlement à la liquidation de la Troisième République ; employer la manière forte ; profiter simplement de ce que les Chambres n’ont leur prochaine session qu’en Janvier 1941 dans le strict respect des lois constitutionnelles de 1875 et sans penser à une révision [65]. La première formule, qui est celle de Pierre Laval, finalement appuyée par Raphaël Alibert d’abord partisan de la seconde, est acceptée par le Maréchal le 2 Juillet [66], tandis que l’avant-veille le Président de la République s’est montré attentiste, demandant des propositions de texte. A la stupéfaction des ministres, les plus nombreux qui n’avaient pas participé aux conseils restreints précédents, celles-ci sont faites [67], le 4 Juillet, à la fin d’un conseil que préside Albert Lebrun et dont le sujet dominant a été la conduite à tenir à la suite du coup de force britannique contre la flotte française, qu’elle soit au mouillage en Angleterre ou au Caire, ou canonnée à Mes-el-Kébir. Sans qu’il en soit discuté car Pierre Laval se rend aussitôt à une réunion des sénateurs, il s’agit déjà d’une délégation du pouvoir constituant « au gouvernement de la République, sous la signature et l’autorité du Maréchal Pétain, président du Conseil » et la ratification de la nouvelle Constitution sera le fait des « assemblées qu’elle aura créées. » Les sources et commentaires disponibles ne donnent pas la genèse de cette rédaction. Ce que dit le vice-président du Conseil à ses collègues du Sénat, aussitôt quitté le conseil des ministres, ne semble pas avoir fait l’objet d’un procès verbal ou de quelques mémoires que ce soient : les propos prêtés à Pierre Laval sont pourtant particulièrement graves : « le Parlement doit être dissous, la Constitution doit être réformée, elle doit s’aligner sur les Etats totalitaires » [68]. L’auditoire est sans ses chefs de file naturels, Léon Blum introuvable, Paul Reynaud hospitalisé, Edouard Herriot est encore à Lyon, Edouard Daladier et d’autres à bord du Massilia.

Tout le lendemain 5 Juillet, le Maréchal reste invisible : vingt-cinq sénateurs anciens combattants tentent pourtant une contre-offensive. En présence de Laval qui ne peut les dissuader mais convoqués par Jean Taurines, vice-président du Sénat, ils adoptent une motion de confiance à Pétain « dans la légalité républicaine » [69] et examinent un contre-projet de Paul-Boncour. Pierre Laval soutient le même jour, mais ensuite, une réunion, cette fois, de quelques quatre-vingt députés et leur aurait tenu un langage encore plus direct : « Ou bien vous acceptez ce que nous demandons, et vous vous alignez sur la Constitution allemande ou italienne, ou bien Hitler nous l’imposera ». Proche de Léon Blum, Georges Monnet lui demande ce qu’il arriverait si le Maréchal avait un « accident » [70]. Il répond par le scenario des actes constitutionnels qui seront pris dès le lendemain du vote [71]. En fin d’après-midi du 6, le Maréchal Pétain ne reçoit que quatre des sénateurs anciens combattants, dont Paul-Boncour qui propose verbalement son texte allégé [72], il les approuve mais les renvoie au vice-président du Conseil « qui, pour cette mission, est l’avocat du gouvernement ». Dans l’entretemps, ont eu lieu deux nouvelles réunions de parlementaires, le même 6 Juillet. Celle des députés voit l’accord [73], qui émeut, du socialiste Spinasse et du nationaliste Xavier Vallat : « Les institutions ont corrompu les hommes ; il faut changer les institutions. Mais les hommes ont aussi corrompu les institutions ; il faut aussi changer les hommes pour que revive la France ». Celle des sénateurs, une centaine, conclut avec Laval que « tous les Français sont reconnaissants au Maréchal Pétain de prendre en mains les destinées du pays, pour négocier la paix le plus promptement possible et présider un gouvernement stable et indiscuté [74].

C’est le 7 que tout semble se jouer puisque le contre-projet rédigé par Paul-Boncour [75] est voté par le groupe des sénateurs anciens combattants, que l’ancien président du Conseil peut répliquer à Pierre Laval, faisant allusion aux indemnités parlementaires qu’ « il ne s’agit pas de cela, mais de savoir si l’on va abdiquer entre les mains d’un homme, quel qu’il soit, le pouvoir constitutionnel qui n’appartient qu’à la Nation » - puisque surtout apparaît un rival en carrière et en art oratoire, Pierre-Etienne Flandin, porteur d’une proposition encore plus alternative que celle de Joseph Paul-Boncour : la démission du Président de la République et l’élection à sa place du Maréchal Pétain, avec pleins pouvoirs [76]. Pierre Laval est absent de cette réunion. Voyant à deux reprises celui-ci, reçu par le Maréchal, puis par Albert Lebrun, Flandin croit avoir partie gagnée [77] pour apprendre le lendemain que le Président de la République a signé la convocation des Chambres ; celui-ci a été dissuadé par les présidents des deux assemblées de démissionner [78]. Les sénateurs anciens combattants ont leurs représentants une nouvelle fois reçus par le Maréchal à qui ils donnent lecture du contre-projet Paul-Boncour ; ils en reçoivent approbation mais sont renvoyés une nouvelle fois aussi à Pierre Laval. Le 8 ont lieu deux réunions du Conseil des ministres, à la première, face au seul ministre – Albert Rivière, ministre des Colonies et proche de Léon Blum - qui défende le contre-projet Paul-Boncour, Pierre Laval assure que le contre-projet des sénateurs anciens combattants est retiré par ceux-ci [79]- et c’est alors que le président de la République signe le projet de résolution que les chambres auront à voter en termes identiques. Le vice-président du Conseil peut alors lire en une dernière réunion d’information des députés l’exposé des motifs du texte gouvernemental [80], puis le dispositif-même du projet de loi – non sans provoquer la motion d’oppostion dite des Vingt-Sept. Le même jour, en sens contraire, c’est le ralliement d’une cinquantaine de parlementaires à une « déclaration à propos de l’Assemblée nationale » rédigée par Gaston Bergery et signée initialement par dix-huit élus [81] : on verra dans ce texte le véritable programme du régime de Vichy [82], qu’on y soit hostile ou qu’on y soit favorable rétrospectivement. Le 9 Juillet, c’est sans surprise que chacune des deux Chambres vote le principe de la révision. Les rapports parlementaires rendant compte du projet gouvernemental sont succincts, tant devant la Chambre [83] des députés que devant le Sénat [84].

Le 10 Juillet, se tient le matin la séance secrète dont le principe a été acquis la veille en commission de la Chambre des députés et avalisé par les deux Chambres. C’est alors que Pierre Laval fait état d’une lettre que lui a adressée le Maréchal Pétain [85] et « sur un ton tantôt familier, tantôt pathétique, il prononce un des plus extraordinaires discours dont jamais homme de gouvernement ait cinglé une assemblée » [86] ; le ralliement motivé de Pierre-Etienne Flandin achève d’emporter la salle ; Pierre Laval, feignant de croire concordants son propre projet et le contre-projet Paul-Boncour des sénateurs anciens combattants, amende le sien pour écarter l’autre : il est porté que dès avant leur entrée au gouvernement, que la future Constitution « sera ratifiée par la nation et appliquée par les Assemblées qu’elle aura créées », au lieu que ce soient celles qui la ratifient ; enfin, il ne permet à Gaston Bergery qui semble déjà le doctrinaire d’une Révolution nationale à laquelle, lui-même, ne croit pas, de n’intervenir que la séance sur le point de se clore [87]. L’après-midi, a lieu la séance publique, au cours de laquelle les Vingt-Sept ni aucun opposant ne pourront prendre la parole.


- Les solutions alternatives qui furent écartées




Quatre solutions, dont seulement une fut vraiment débattue, étaient alternatives.

1° la première [88] consistait à ne considérer que l’exercice de pleins pouvoirs selon les lois en vigueur avant l’armistice. La loi sur « l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre » disposait (titre III – articles 33 et ss.) « de la direction de la guerre et du fonctionnement des pouvoirs publics » en établissant notamment une délégation des Chambres à leurs « grandes commissions ». Le gouvernement d’Edouard Daladier avait, de surcroît, fait voter le 7 Décembre 1939 une modification de cette loi permettant de « régler la question des crédits nécessaires sans avoir recours aux Assemblées tout en restant dans les limites des institutions de 1875 ». A l’appui de son système [89], Yves Bouthillier, ministre des Finances dès avant l’entrée du Maréchal dans le gouvernement de Paul Reynaud, faisait surtout observer que la session ordinaire du Parlement pour 1940 avait été tenue et était close, qu’en conséquence le gouvernement était libre vis-à-vis des Chambres jusqu’à la session suivante, ne commençant qu’en Janvier 1941, selon l’article 1 de la loi constitutionnelle du 16 Juillet 1875.

2° la seconde voie était de donner au Maréchal Pétain la présidence de la République pour le Maréchal Pétain et les pleins pouvoirs pour le gouvernement qu’il aurait désigné, ou sans toucher à la Constitution, ni même au mandat d’Albert Lebrun, les pleins pouvoirs au gouvernement qu’il présidait déjà. Les pleins pouvoirs dont avaient disposé tous les gouvernements de guerre en de 1914 à 1918, ainsi que depuis Septembre 1939. Le 7 Juillet 1940, c’est la solution que, lors d’une réunion informelle des députés au Petit Casino de Vichy, propose Pierre-Etienne Flandin, ancien président du Conseil et collègues de Pierre Laval dans plusieurs gouvernements, et qu’il tente, au cours de deux entretiens, de faire avaliser au Président de la République [90] Elle a failli se réaliser, en temps de paix mais déjà troublé, quand le 5 Avril 1939, il s’est agi d’élire ou de réélire le Président de la République. Le Maréchal Pétain n’entend pas poser sa candidature, mais a envisagé de la laisser poser, pour se dédire le 1er Avril tandis qu’Albert Lebrun a laissé poser la sienne, mais le surlendemain seulement [91]. La non-candidature du Maréchal ne sera connue que pendant le scrutin. En revanche, l’éventualité d’une candidature de Fernand Bouisson, ancien président de la Chambre et quelques jours président du Conseil, semblait s’assortir d’un retour de Pierre Laval au pouvoir [92]. Il s’agissait déjà de manifester le plus possible l’union nationale, Albert Lebrun, moins bien réélu qu’il n’avait élu en 1932 à la succession de Paul Doumer, assassiné, n’y parvint pas [93]. Il fut même entendu qu’il était le candidat de l’Angleterre [94]. En Juillet 1940, quoique hésitant et surtout complètement marginalisé [95], Albert Lebrun ne donna pas sa démission [96] et sa succession ne fut pas considérée à prendre, d’autant que la rédaction initiale du projet de loi laissait explicitement le Maréchal de la situation de président du Conseil, et que ce fut encore le président de la République, en tant que tel, qui – à la suite du vote – signa la promulgation pour le Journal officiel [97] . En revanche, cette solution sembla plaire au Maréchal : « tout ce qu’il souhaitait c’était d’être investi des pleins pouvoirs jusqu’à la conclusion de la paix sans avoir, dans l’intervalle, de comptes à rendre aux Assemblées » [98] à quoi Pierre Etienne Flandin lui représentait que les pouvoirs accordées aux gouvernements Daladier et Reynaud « devaient certainement lui suffire. Il en convint ».

3° une troisième voie, celle des sénateurs anciens combattants dite aussi « projet Paul-Boncour » fut soumise à deux reprises au Maréchal. Elle tendait à lui accorder personnellement, et sans référence au gouvernement ni à la République, tous pouvoirs de gestion et « la mission de préparer, en collaboration avec les commissions compétentes, les Constitutions nouvelles qui seront soumises à l’acceptation de la Nation dès que les circonstances permettront une libre consultation ». Adoptée le 8 Juillet par le groupe sénatorial, elle n’aboutit qu’à un ajout au texte gouvernement, celui de la ratification par la nation. Un des objets de la séance secrète, sinon le seul – comme de la lettre donnant ordre de mission du Maréchal à Pierre Laval – fut certainement d’empêcher la prise en considération de ce texte [99]. Cette voie était paradoxale puisque sous prétexte de sauvegarder la Constitution, on la suspendait et on prévoyait de la remplacer. Elle était encore moins satisfaisante juridiquement que le projet gouvernemental.

4° la quatrième voie était d’opposition pure et simple au projet de Pierre Laval, mais pas aux pleins pouvoirs à accorder au Maréchal Pétain. [100] C’est la motion dite des Vingt-Sept qui ne put être exposée à aucun moment de la procédure ni des réunions informelles.


– Ce qu’apporte au débat de légalité et de légitimité,
le compte-rendu de la séance secrète du 10 juillet 1940


dont j'ai établi le texte - jusqu'à présent inédit - d'après le brouillon de la mise au net de la sténotypie, brouillon conservé par Pierre Laval dans sa serviette jusqu'à son arrestation, après qu'il eût atterri en Autriche en Juillet 1945


La séance privée, tenue le matin du mercredi 10 juillet 1940 présente les caractères suivants :

1° elle est tenue pour éviter un débat public l’après-midi dans la séance consacrée au vote ; elle dure cependant peu (10 heures 30 à 11 heures 50) tandis que la séance publique ouverte à 14 heures, suspendue à 14 heures 50 reprend à 17 heures 15 pour être levée à 19 heures.[101] - Le débat public a cependant lieu, mais à trois autres sujets que le projet de loi : Edouard Herriot fait enregistrer les excuses des parlementaires absents pour cause d’embarquement sur le Massilia, Fernand Bouisson fait adopter le règlement de la Chambre des députés selon lequel la discussion porte en priorité sur le texte du gouvernement et avant d’examiner tout contre-projet, enfin Emile Mireaux fait accepter la règle de la majorité absolue des suffrages exprimés, ce qui est contraire à la loi constitutionnelle du 25 Février 1875 (article 8).

2° en séance privée comme en séance publique, il s’agit de « gagner du temps…. de renoncer à ces prérogatives inutiles et puériles et en priant l’Assemblée nationale de se prononcer immédiatement …. de simplifier le débat », ce qui conduit en séance privée à ne pas entendre la déclaration de Gaston Bergery et de se contenter de l’annexer au procès-verbal avec en sus la promesse de Pierre Laval qu’elle sera publiée par la presse du lendemain, et en séance publique à renvoyer le contre-projet défendu par Jean Taurines et les sénateurs anciens combattants au huis clos de la commission spéciale chargée d’écrire le rapport sur le projet de loi. – L’appel à la dignité [102], le soin pris d’éviter les passions qui troubleraient l’Assemblée, la prétention-même de ne pas faire de politique contestent par principe la possibilité qu’existe quelque dissonnance que ce soit : « ce n’est pas un débat politique que nous instaurons : c’est un débat français, uniquement français », soutiennent les anciens combattants, allant ainsi à la rencontre des personnages politiques, s’il en est, que sont deux anciens présidents du Conseil, Pierre Laval et Pierre-Etienne Flandin. L’évocation-même d’une opposition est exclue, c’est une sorte de terrorisme selon lequel le devoir est tout tracé [103]. Il est donc demandé « que cette réunion privée se déroule dans le calme le plus absolu, précédant ainsi la solennité pleine de respect que doit avoir l’Assemblée nationale qui se tiendra cet après-midi ». On est dans le rite. Mais un rite nouveau : « Je vais rester assis, ainsi le débat prendra un caractère plus familier et provoquera moins d’interruptions ». Il s’agit prétendûment de « faciliter la discussion ». Pierre Laval en vient à remercier les auteurs du contre-projet de si bien faciliter l’expression de sa propre pensée [104]. Ayant enlevé toute portée aux explications des sénateurs anciens combattants – Maurice Dormann, grand mûtilé de Verdun, relayant Jean Taurines – Pierre Laval excipe de celles-ci pour ne pas répondre à la question-clé : qu’est-ce que la nation ? et comment sera-t-elle consultée, et quand ? Quand les questions sont difficiles, elles sont reportées d’examen sans lieu ni date pour demeurer sérieux : « tout à l’heure je m’expliquerai mieux, plus complètement, pour qu’il n’y ait pas de méprise et qu’aucune question ne reste sans réponse. » et « pour le moment, je ne peux pas – ce serait de ma part parler d’un sujet aussi grave avec une grande légèreté – vous donner, en dehors des principes généraux, des détails sur une constitution qui sera le résultat d’un travail lent, non improvisé, à la suite d’études et d’examens des constitutions françaises successives, des constitutions étrangères, avec l’adaptation au tempérament de notre race ». « Tout est nôtre dans ce document », celui du gouvernement, finissent par conclure les seuls opposants vraiment dangereux pour Pierre Laval puisqu’ils s’appuient sur le Maréchal. Ce qui était prudentiel est donc abandonné. « La nécessité d’aller vite » vaut autant pour les réformes attendues du Gouvernement que pour le déroulement du débat en cours.

3° les débats sont verrouillés par un syllogisme : personne ne conteste la personne du Maréchal, personne ne la met en cause soit à raison de son âge, soit à raison de l’armistice et ce faisant Pierre Laval qui a la lettre du Maréchal le chargeant de le représenter [105], ce qui est verbalement confirmé aux sénateurs anciens combattants par Pétain lui-même, ne peut être séparé de l’aura [106]; ce que le vice-président du conseil accepte ou ce qu’il refuse, est donc sans appel. Ainsi, le contre-projet Paul-Boncour exposé en séance privé par Jean Taurines devient en séance publique « certaines précisions qui vous feront un devoir de soutenir le Gouvernement ». Le « culte de la personnalité » - avant la lettre – déplace constamment la question de confiance d’un texte, qui n’est pourtant pas celui du Maréchal, à celui-ci. Ce qu’expose Jean Taurines est bien un projet d’opposition au texte gouvernemental mais selon la seule dialectique possible, la révérence dûe au Maréchal et son aval au contre-projet. Les sénateurs anciens combattants se « disent émus par certaines déclarations » de Pierre Laval et protestent de leur attachement à « la légalité républicaine ». Les pleins pouvoirs ne seraient pas donnés au gouvernement mais au seul Maréchal, aucune mention n’est faite à la République ce qui met la proposition en porte-à-faux tant vis-à-vis de la République que de la démocratie, Pierre Laval s’étant couvert, lui, par la mention du « gouvernement de la République ». Le contre-projet, en revanche, a deux mérites : il distingue la préparation d’une nouvelle Constitution de la dévolution des pleins pouvoirs qui de fait suspendra la Constitution, mais de l’aveu de l’Assemblée nationale, et non par acte du chef de l’Etat. Il prévoit les circonstances et la forme de la ratification : « une constitution nouvelle qui sera soumise à l’acceptation de la nation dès que les circonstances permettront une libre consultation ». Le texte des anciens combattants n’a pas pu être imprimé… et pourtant ceux-ci veulent le soumettre à la délibération de l’assemblée, tant en séance privée que publique l’après-midi : d’ici là, il est espéré que le texte aura été imprimé. Pierre Laval l’empêche en amendant d’une demi-phrase son propre texte : « ratifiée par la nation » et en amenant son contradicteur à exposer que les pleins pouvoirs seraient bien conférés au Gouvernement, ce qui n’est pas la rédaction initiale du contre-projet. Au total, comme si la lettre du Maréchal pouvait ne pas suffire, les seuls opposants à se déclarer sont annexés : « après les explications nécessaires que vous avez entendues et que j’avais moi-même provoquées, pour qu’il y ait un peu plus de clarté dans le débat ».

4° la peur du vide que créerait soit un retrait du Maréchal à quoi personne, ni lui-même a fortiori ne songe, soit un vote négatif ou enregistrant trop d’abstentions, est un élément décisif pour le vote positif ;

5° l’opinion publique est à la fois redoutée : elle ne comprendrait pas un vote qui ne soit pas quasi-unanime, méprisée : elle a été longtemps le jouet des propagandes et d’une presse sans vocation à l’instruire, et elle est sujette à protection face à la propagande allemande.

6° aucune opposition de fond ne se manifeste mais moyennant la révérence dûe au Maréchal quatre personnes nuancent, et de beaucoup, leur acceptation du texte gouvernemental, ce sont les anciens combattants dont le texte s’il eût été celui finalement adopté sauvait tout le régime de Vichy, au moins juridiquement, c’est Gaston Bergery, c’est enfin Pierre-Etienne Flandin. Ce dernier est le plus incisif quand il évoque « le peuple dont je veux croire que vous respecterez toujours la souveraineté fondamentale ». « J’aurais voulu que le Gouvernement, avant de nous demander des pouvoirs de révision de constitution, ait déjà prouvé par des actes, qu’il avait entrepris des réformes nécessaires pour ne pas dire indispensables (…) J’aurais préféré – je le dis et je le redis – que dans cette révision de la Constitution on évitât que certaines mesures dussent être prises par actes – puisque c’est le nouveau terme – dès le lendemain de nos délibérations sous la signature du chef de l’Etat. J’aurais préféré que cela prît moins, aux yeux du monde, le caractère d’une sorte de semi-révolution intérieure, parce que je le dis en toute conscience, personne ne peut savoir si les difficultés de demain, qui sont énormes, seront vaincues» et de chercher à « savoir s’il n’y a pas eu une sorte de manœuvre, d’intrigue, de vaste « combine » ayant permis, à un moment donné, de s’emparer du pouvoir pour chercher à substituer à une formule constitutionnelle, conforme aux vieilles traditions, une autre formule non confirmée par l’expérience, croyez-vous que ce ne sera pas un terrible dommage causé dans le pays lui-même ? ». Il s’agit au contraire « d’éviter le progrès de l’emprise allemande sur l’âme française (…) Une chose m’a inquiété dans votre discours, Monsieur Pierre Laval : c’est cette allusion que vous avez faite à une sorte d’alignement sur d’autres régimes. » On ne peut être plus précis, mais chacun se ralliant, les critiques sont en somme plus des appels à l’alternative ou à la prudence qu’une véritable opposition. Ayant gouverné en compagnie de Pierre Laval, par intuition, Pierre-Etienne Flandin a compris l’ensemble de la manœuvre, l’adoption d’une nouvelle manière de gouverner à défaut de nouvelles institutions, de manière à circonvenir le vainqueur et si possible, lui plaisant, en obtenir la paix la moins mauvaise.

Annexant la contradiction, le débat est mené par Pierre Laval comme celui d’une investiture au vu d’un programme de politique générale. Ce que contestent les intervenants [107]. Sont ainsi évoqués non l’armistice en tant que tel, mais les négociations qui sont menées dans son cadre, le retour du Gouvernement à Versailles ou à Paris, le refus de quitter le sol métropolitain, les améliorations survenues depuis l’armistice (le retour des postes de radiodiffusion à l’autorité gouvernementale, la direction nationale des chemins de fer), les événements de Mers-el-Kébir . C’est le système qui prévaudra d’Avril 1942 à Juillet 1944, des notations sur l’amélioration du « climat » : « Je n’ai pas besoin de dire que le Maréchal Pétain inspire toute l’activité du Gouvernement ». Pourtant, Pierre Laval se confiant rend compte surtout de ses options diplomatiques personnelles, insistant paradoxalement davantage sur ses positions d’avant-guerre que sur l’action gouvernementale effective qu’il a dirigée à plusieurs reprises aux Affaires étrangères ou à la présidence du Conseil. Les relations avec l’Espagne, avec l’Italie, sont évoquées comme autant de preuves d’une prescience rétrospective. S’il se couvre du Maréchal face aux anciens combattants, il est le parangon du pouvoir civil qu’un vote insuffisant de l’Assemblée nationale empêcherait de jouer son rôle protecteur.

Le débat proprement constitutionnel n’est pas recherché mais subi par Pierre Laval. Celui-ci multiplie les prétextes sous l’apparence de mettre de l’ordre dans les débats ou de ne pas traiter avec légèreté ou irresponsabilité la matière. Il se couvre de ce qu’aucun « travail » n’a encore été commencé, mais il a des lapsus et des abandons qui instruisent :

1° la ratification ne se fera pas par un retour du Gouvernement devant l’Assemblée nationale (Pierre Laval, se contredisant rétrospectivement, tentera cependant cette procédure le 19 Août 1944 mais non pour faire avaliser un texte : ce sera pour trouver une issue à la chute du régime) ; elle ne se fera pas non plus par plébiscite ; et le montage initial du gouvernement qui faisait de l’élection aux assemblées nouvelles la formule de ratification populaire est caduc. En fait la formule de ratification « par la nation » est sans portée ; le pouvoir en place définira les assemblées représentatives et ce sont celles-ci qui ratifieront le texte les créant ; lapsus, elles seront nommées… la référence à un scrutin est rajoutée au texte d’abord sténographié ; Gaston Bergery, qui ne veut pas le maintien des assemblées de l’époque, et Aubert, qui le souhaite, amènent Pierre Laval à l’avouer. « Je ne peux pas définir cette expression avec précision, car j’outrepasserais mon droit, car j’anticiperais sur les conclusions qui doivent être tirées par des hommes qui travailleront, non pas d’une manière improvisée, mais après un examen approfondi et consciencieux des constitutions de notre pays et, je l’ai dit tout à l’heure, des constitutions d’autres pays. » Ainsi reste-t-on dans l’évocation des institutions futures sans entrer dans le débat sur la consultation nationale. D’ailleurs, pris entre la définition de la démocratie représentative et celle du plébiscite, Pierre Laval ne pouvait répondre que selon son texte initial, on le lui a arraché pour cette disposition essentielle, c’est sa seule défaite depuis le début du processus de dévolution des pleins pouvoirs. « Quand nous disons : « la nation », vous pouvez considérer qu’en employant cette expression, nous prenons l’engagement que la consultation sera la plus large possible. (…) pour éviter toute équivoque ou tout malentendu sur l’interprétation à donner au mot « nation » inséré dans notre nouveau texte, je précise qu’il ne s’agit pas des assemblées actuelles, mais d’un vote par la nation tout entière. » Pierre-Etienne Flandin est presque à le devancer quand il observe : « La constitution – M. Laval l’a dit tout à l’heure – ne vaudra que dans la mesure où vous n’aurez même pas besoin de demander la ratification de la nation, parce que la nation l’aura comprise et l’aura ratifiée d’elle-même.Vous ne pouvez l’obtenir, cette ratification spontanée, que si vous allez au fond du problème de l’existence des démocraties. » C’est accepter un fondement autoritaire.

2° des modèles seront cherchés dans le passé national et à l’étranger, ce qui met en éveil Pierre Etienne Flandin faisant « acter » que l’on ne prendra pas aux régimes totalitaires leur mépris fondamental de la personne humaine ; Pierre Laval en a déjà le vocabulaire puisque le mot « race » lui vient fréquemment : « l’adaptation au tempérament de notre race », « la fierté de notre race », « toute fierté de notre race ». « C’était la guerre des démocraties » assure le vice-président du Conseil, « la condamnation, non pas seulement du régime parlementaire, mais de tout ce qui a été et ne peut plus être ». « Un grand désastre comme celui-là ne peut pas laisser survivre les institutions qui l’ont amené ». Pierre-Etienne Flandin fait chorus avec Pierre Laval stigmatisant l’or de l’étranger, l’argent corrupteur .
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3° les collectivités locales existantes seront maintenues, mais les régions et provinces apparaîtront .

4° une commission parlementaire permanente composée d’élus de l’Assemblée nationale sera sans doute instituée, sans que son mandat soit là défini (c’est le contraire qui se passera puisque le 13 Août, la commission des Affaires étrangères du Sénat sera décommandé et qu’en 1942 même les bureaux des Chambres seront dissouts).

5° le régime se veut d’emblée autoritaire, et revendique cette caractéristique. « Nous vivons désormais, ne vous y trompez pas, sous un régime d’autorité ».

6° les actes constitutionnels du 11 Juillet sont déjà annoncés : « un acte sera publié le surlendemain du jour où vous aurez voté, c’est-à-dire vendredi, parce qu’il faut que le texte, étant voté, soit promulgué au Journal officiel, pour que le Maréchal Pétain puisse légalement agir, et cet acte fixera la position nouvelle du Parlement. » Paradoxalement – mais ce sera toute la manière de fonctionner du régime de Vichy – c’est de ses propres actes constitutionnels, et non de l’Assemblée nationale, que le Maréchal tiendra la légalité de ses pleins pouvoirs.

L’enjeu de la révision constitutionnelle et de la refonte des institutions est ambigu :

1° il s’agit pour le Gouvernement, quelle que soit la question soumise au vote, bien davantage que d’avoir les mains libres vis-à-vis de la représentation parlementaire, d’obtenir un vote le posant devant l’opinion internationale et devant le vainqueur du moment ; sont mêlées les deux échéances que se croit le Gouvernement, la réforme du pays et la négociation du traité de paix, et dont aucune en fait ne se présentera dans les termes alors prévus.

2° il est explicitement dit à deux reprises que la France n’est plus un pays libre, par Pierre Laval et par Pierre-Etienne Flandin.

3° l’œuvre que se donne à réaliser le Gouvernement est de négocier la paix.

Le huis-clos permet d’évoquer, mais avec prudence, au point que des phrases du compte-rendu disparaîtront par déchirure de leur support papier, deux dangers : la nazification des régions occupées, une prise de pouvoir militaire dépossédant les civils. Pierre Laval se pose, selon ce qu’il voudra être en revenant au pouvoir en Avril 1942, en défenseur du pouvoir civil et vis-à-vis des régions occupées comme l’ultime recours.

Le ton patelin et trop familier, donnant à penser, par incantation, à un contexte d’unanimité, est le même qui dès son premier gouvernement le 30 Janvier 1931 avait tant irrité la gauche, et nommément Léon Blum, cette prétention au tête-à-tête avec le pays et dans le débat parlementaire, ce comportement de République des camarades. Alors qu’il se sait honni, d’autant plus qu’il a été élu socialiste avant la Grande Guerre et du Cartel des gauches ensuite.

L’absence physique du Maréchal, la difficulté d’avoir accès à lui telle que les sénateurs anciens combattants doivent leur audience à une amitié personnelle du futur Chef de l’Etat avec l’un d’eux, Jacquy, signalent déjà ce que sera le régime.

Le vote aura donc lieu en toute connaissance de cause. Il est couru que des actes constitutionnels seront pris dès le surlendemain du vote, donc au lendemain de la promulgation de la loi constitutionnelle du 10 Juillet. La préférence certainement majoritaire pour des pleins pouvoirs combinés avec une suspension des lois constitutionnelles de 1875, a été carrément rejetée par Pierre Laval. Les votants savent qu’ils signent leur dessaisissement. Grand mûtilé de guerre, Dormann a cependant prophétisé en citant Kipling que les circonstances pourraient se retourner et être difficiles pour la combinaison du moment. Il n’est pas jusqu’au général de Gaulle qui ne soit cité dans le cours du débat. Ainsi, chacun sait.

La chronologie n’est pas indifférente. Il vient d’y avoir le choc de Mers-el-Kébir, on n’a pas encore commencé la négociation en commission d’armistice, on ne peut donc évoquer ni le taux de change abusif qui va tant renchérir les frais d’occupation ni le chantage à la ligne de démarcation. S’il y a une mise en cause, par un intervenant, de la franc-maçonnerie, si Pierre-Etienne Flandin s’en prend à la bureaucratie, si plusieurs évoquent le jugement nécessaire des responsables du désastre, rien ne laisse prévoir, au contraire, les dispositions raciales anti-sémites qui déshonoreront le régime.

La séance privée témoigne surtout d’un consensus parmi ceux qui s’expriment et qui voteront le texte gouvernemental :

1° le vote doit en imposer à l’Allemagne, les réformes aussi qui devraient séduire le vainqueur et faire mériter son estime ; il se déroule à la face du monde autant que devant l’opinion publique française. Ce qui sera en 1945 considéré comme une lâcheté et une honte est en 1940 un devoir indiscutable selon ceux qui appellent à le remplir.

2° il s’agit de négocier la paix au plus vite, ce qui ne sera pas obtenu à Montoire, et pour y parvenir, il est affirmé que la déclaration de guerre ayant conduit au désastre est « le plus grand crime qui ait été commis dans notre pays depuis longtemps ».

[1] - René Cassin, Les hommes partis de rien (Plon . Mai 1987 . 491 pages ) p. 119 soutient que l’armistice est nul parce que le gouvernement formé par le Maréchal Pétain, le 16 Juin 1940 à Bordeaux, est lui-même irrégulier : le président du Conseil s’étant aussitôt conduit comme s’il ne tenait son pouvoir que de lui-même ; de fait, il n’a pas été investi par la Chambre des députés – ce que la doctrine sous Vichy avait noté (A . Bonnard, Traité de droit public) – en ce sens, l’acte constitutionnel du 11 Juillet 1940 n’aurait fait que consacrer un fait acquis depuis près d’un mois

[2] - JO 1938 pp. 8830 et ss. Art. 1er – Les mesures destinées à passer de l’organisation pour le temps de paix à l’organisation pour le temps de guerre sont prévues dès le temps de paix. L’exécution de tout ou partie de ces mesures peut être ordonné soit dans les cas d’agression manifeste mettant le pays dans la nécessité de pourvoir à sa défense, soit dans les cas prévus par le pacte de la Société des nations, soit en période de tension extérieure lorsque les circonstances l’exigent. (…) – Art. 59 § 2 Le siège du pouvoir exécutif et des deux Chambres pourra, à la mobilisation ou dans les cas prévus à l’article 1er de la présente loi, être transféré en dehors de Paris. Le Gouvernement fixera, en conseil des ministres et après avis des présidents du Sénat et de la Chambre des députés, la date et le lieu du transfert. Les mesures nécessaires seront prévues dès le temps de paix.

[3] - c’est sur le conseil de Paul Baudouin, que le Maréchal refusant de s’installer à Lyon « pour ne pas avoir de contact avec le président Herriot », décide le 29 Juin de s’établir àVichy Paul Baudouin, op. cit. p. 226 – le 3 Juillet, celui-ci note que au Conseil restreint d’aujourd’hui, nous avons répondu aux Allemands que nous acceptions de nous installer à Versailles, étant entendu que le quartier des ministères à Paris serait libre de toutes troupes d’occupation, que le gouvernement aurait des facilités de circulation entre Paris et Versailles et que Versailles serait relié par des voies de communication libres avec le territoire non occupé. Il faut rejoindre la capitale le plus tôt possible. Nous pensons y être avant la fin du mois. Ibid. p. 240 – ministre de l’Intérieur jusqu’au 27 Juin, Charles Pomaret, Le dernier témoin (Presses de la Cité . ème trim. 1968 . 492 pages) donne les discussions, au début desquelles il fut surtout question d’éviter Vichy, pp. 242 à 245

[4] - L’Assemblée Nationale, qui reviserait l’article 8 (sauf l’avant-dernier alinéa), ne pourrait pas donner au nouveau pouvoir constituant (quel qu’il fût), qu’elle créerait, le droit d’accueillir des propositions qu’elle n’avait pas le droit de discuter elle-même. Il y a là un engrenage, d’où, une fois pris, on ne peut plus sortir. Mais dans ces propositions qui tendent à changer le mode de révision, que de complications et d’aventures possibles, et combien la procédure admise dans la Constitution actuelle est plus prudente et plus pratique, tout en pouvant être aussi largement efficace, le jour où le pays le voudrait sérieusement !
Albert Esmein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé (Sirey . 1906 . 972 pages) p. 918

[5] - elle résulte d’une révision de l’avant-dernier alinéa de l’article 8 de la loi constitutionnelle du 24 Février 1875 par l’article 2 de la loi du 14 Août 1884, repris sous la forme de l’article 95 de la Constitution du 27 Octobre 1946 et du dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution du 4 Octobre 1958

[6] - note remise à la Commission d’instrcution de la Haute Cour en Juin 1945, citée par Philippe Pétain, Actes et écrits présentés par Jacques Isorni (Flammarion . Février 1974 . 653 pages) p. 457

[7] - le mot est de l’Amiral Darlan mais cette institution – née en même temps que la concentration de tous les pouvoirs, le 11 Juillet 1940 – n’a pas d’auteur identifié. Pierre Laval, qui a renoncé au ministère de l’Intérieur pour qu’Adrien Marquet entre aussi au gouvernement, et se trouve vice-président du Conseil, sans portefeuille, en est chronologiquement le premier bénéficiaire en coincidence de date avec la formation du nouveau gouvernement JO 1940 pp. 4521-4522. Ce sera la disposition la plus variable du régime de Vichy, oscillant entre une succession nominative (Pierre Laval, une première fois du 12 Juillet au 13 Décembre 1940, puis une seconde à partir du 17 Novembre 1942, l’Amiral Darlan à partir du 10 Février 1941) et une succession selon l’élection en Conseil des ministres – Joseph-Barthélemy, Ministre de la Justice op. cit. pp. 136 à 139 ne donne pas la genèse du « dauphinat » mais en commente les conséquences

[8] - C’est ce que je voulais faire. Mais c’était à un moment où on était bousculé et je n’étais pas libre de mes gestes et actions. Mais je désirais beaucoup donner ma démission. Malheureusement, je n’avais pas l’habitude de ces questions-là. (…) J’ai eu tort de ne pas le faire. Je le reconnais. J’ai cherché des moyens. J’aurais voulu réunir à ce moment-là l’Assemblée nationale. Cela aurait provoqué dans toute la France un mouvement extraordinaire ; cela aurait eu l’air d’une mobilisation. J’aurais tellement désiré pouvoir le faire, car j’aurais trouvé des gens plus capables que moi pour mener l’affaire, plus expérimentés, je le reconnais. C’était une charge très lourde pour moi et je sentais que je ne la remplissais pas comme j’aurais dû la remplir. Rapport fait au nom de la commission chargée d’enquêter sur les événements survenus en France de 1933 à 1945 Annexes (Dépositions) tome I, p. 181 – Le 22 Juillet 1944, le Maréchal donne pouvoir à l’Amiral Auphan Robert Aron op. cit. p. 688 de le représenter

[9] - Acte constitutionnel n° 7 du 27 Janvier 1941 concernant les secrétaires d’Etat, hauts fonctionnaires et hauts dignitaires (prestation de serment, responsabilité), JO p. 449 & décret n° 3514 du 14 Août 1941 pris pour l’application de l’article 1er de l’acte constitutionnel n° 7 du 27 Janvier 1941
Acte constitutionnel n° 8 du 14 Août 1941 relatif au serment de l’armée, p. 3438
Acte constitutionnel n° 9 du du 14 Août 1941 concernant le serment de fidélité des magistrats, p. 3438
Acte constitutionnel n° 10 du 4 Octobre 1941 concernant le serment de fidélité des fonctionnaires de tous ordres et du personnel de direction des services publics concédés, p. 4290

[10] - décret n° 4181 du 29 Septembre 1941, JO p. 4189
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[11] - pour Joseph-Barthélemy, Traité élémentaire de droit constitutionnel (Dalloz . 1926 . 713 pages) le système représentatif exclut toute délégation, les électeurs savent qu’en élisant leurs représentants, ils élisent chaque fois une Assemblée constituante en puissance. En particulier, le Parlement ne pourrait pas décider que la révision des lois constitutionnelles de 1875 sera faite, en tout ou partie, par une convention constitutionnelle, spécialement élue à cet effet par le corps électoral ; ou que le travail de révision de l’Assemblée sera soumis au referendum. Seule l’Assemblée de révision prévue par la constitution de 1875 pourrait modifier valablement sa compétence constitutionnelle et la procédure de révision. Ces propositions dérivent directement de la rigidité de nos lois constitutionnelles.

au contraire, pour Léon Duguit, Manuel de droit constitutionnel (Fontemoing & Cie – de Boccard succ. 1918 . 589 pages) p. 561, l’Assemblée nationale de révision, constituée conformément à l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 Février, pourrait certainement se déclarer dissoute et ordonner la convocation d’une assemblée nationale constituante qui, elle, ferait la révision. En effet, en agissant ainsi, l’assemblée de révision ne ferait que modifier les dispositions de l’article 8. Or, elle peut certainement le faire, puisqu’elle peut faire une révision illimitée. Pour la même raison, l’assemblée de révision pourrait décider que la révision qu’elle fera ou que fera l’assemblée constituante dont elle ordonne l’élection, sera soumise au referendum populaire.

Albert Esmein, op. cit. p. 917 en est d’accord, qui évoque la thèse de Léon Gambetta lors de la discussion de la loi du 25 Février 1875 et la proposition Naquet à la Chambre des députés le 15 Mars 1894, avec comme seule modération que l’Assemblée constituante ainsi créée n’aurait pas des pouvoirs illimités. Elle ne pourrait pas changer « la forme républicaine du Gouvernement », car elle ne tiendrait son existence légale, constitutionnelle, que d’une Constitution qui elle-même contenait cette restriction

[12] - notamment celui adopté le 30 Janvier 1875 à une voix de majorité et disposant pour l’élection du chef de l’Etat, comme si son titre et plus encore son mode de désignation emportaient la définition d’un régime, ce qui se vérifiera à nouveau le referendum du 28 Octobre 1962, positif à 62,25% des suffrages exprimés

[13] - Acte constitutionnel n° 1 du 11 Juillet 1940 (auto-proclamation du Maréchal Pétain comme chef de l’Etat français), JO 1940 p. 4517
Acte constitutionnel n° 2 du 11 Juillet 1940 fixant les pouvoirs du chef de l’Etat (p.4517)
Acte constitutionnel n° 3 du 11 Juillet 1940 concernant le Sénat et la Chambre des députés (p. 4518)
Acte constitutionnel n° 4 du 12 Juillet relatif à la suppléance et à la succession du chef de l’Etat français (p. 4521)
Acte constitutionnel n° 5 du 30 Juillet 1940 relatif à la cour suprême de justice, p. 4597
Acte constitutionnel n° 4 bis du 21 Septembre 194 relatif à la suppléance et à la succession du chef de l’Etat (p. 5153)
Acte constitutionnel n° 6 du 1er Décembre 1940 relatif à la déchéance des députés ou des sénateurs (p. 5938)
Acte constitutionnel n° 4 ter du 13 Décembre 1940 relatif à la suppléance et à la succession du chef de l’Etat (p. 6114)
Acte constitutionnel n° 7 du 27 Janvier 1941 concernant les secrétaires d’Etat, hauts fonctionnaires et hauts dignitaires (prestation de serment, responsabilité), JO 1941 p. 449
& décret n° 3514 du 14 Août 1941 pris pour l’application de l’article 1er de l’acte constitutionnel n° 7 du 27 Janvier 1941
Acte constitutionnel n° 4 quater du 10 février 1941 relatif à la suppléance et à la succession du chef de l’Etat, p. 674
Acte constitutionnel n° 8 du 14 Août 1941 relatif au serment de l’armée, p. 3438
Acte constitutionnel n° 9 du du 14 Août 1941 concernant le serment de fidélité des magistrats, p. 3438
Acte constitutionnel n° 10 du 4 Octobre 1941 concernant le serment de fidélité des fonctionnaires de tous ordres et du personnel de direction des services publics concédés, p. 4290
Acte constitutionnel n° 11 du 18 Avril 1942 p. 1494 (donnant la direction effective du gouvernement à Pierre Laval)
Acte constitutionnel n° 12 du 17 Novembre 1942, concernant la promulgation des lois et des décrets sous la signature du chef du Gouvernement, p. 3834
Acte constitutionnel n° 4 quinquiès du 17 Novembre 1942 relatif à la suppléance et à la succession du chef de l’Etat, p. 3834
Acte constitutionnel n° 12 bis du 26 Novembre 1942 relatif à l’exercice, par le chef du Gouvernement, du pouvoir législatif en conseil de cabinet, p. 3922

[14] - le président, Jules Jeanneney, président du Sénat, rappela la disposition constitutionnelle considérant le nombre des sièges, puis se rallia à l’observation d’un sénateur, Emile Mireaux, et proposa que l’on s’en tienne à la majorité absolue des membres en exercice ; Pierre Laval préférait la majorité des membres présents ; le rapporteur Boivin-Champeaux fit adopter la majorité des suffrages exprimés

[15] - Pierre Laval en séance publique JO DP 1940 p. 823, rapporte dans le détail la convocation par la radio. espagnole, suisse puis française des parlementaires avec prière aux autorités allemandes de faciliter leur venue

[16] - annexe au procès verbal de la séance du mercredi 10 Juillet 1940 – voir aussi Georges Burdeau, op. cit. p. 332 & Jacques Chapsal, La vie politique en France de 1940 à 1958 (Thémis 1966 & PUF . rééd. 1993 . 518 pages) p. 42 – en 1940 comme en 1958, les socialistes se divisent : 90 votent pour les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain contre 36, 42 sur 95 les votent pour de Gaulle ; les radicaux aussi : 170 pour et 27 contre en 1940, 24 sur 42, 10 UDSR sur 20

[17] - il s’agit plus d’une ambiance. Dans la salle, ce sont les rumeurs dont fait état, entre autres, Alfred Fabre-Luce, Journal de la France (La diffusion du livre . Juillet 1947 . 655 pages) p. 257 et qu’aurait reprises Pierre Laval à son compte : La veille, au cours d’une séance secrète, il a surmonté les dernières résistances par un curieux argument : « Vous redoutez la dictature ? Rassurez-vous, je suis ici pour défendre le pouvoir civil – ce que le Général Weygand, Rappelé au service qui en est le centre, ne relève pas, p. 303 – en revanche, au moment où l’armistice est débattu mais pas encore décidé, dans le gouvernement de Paul Reynaud, ses propos d’ « une rare insolence » sont remarqués : Georges Monnet interrogé en commission d’enquête, Rapport op. cit. annexes V p. 1424

Hors la salle des délibérations, elle est décrite par Pierre Nicolle, Cinquante mois d’armistice * (André Bonne . Octobre 1947 . 532 pages) p. 24 : La houle qui secoue la foule éclatera en manifestations bruyantes à la sortie de la séance secrète du matin. Blum est conspué ; d’autres incidents surgiront avant la séance publique, en particulier aux Ambassaeurs : Blum, Dormoy quittent la salle à manger de l’hôtel sous les huées. Doriot a une altercation dans le parc avec Dormoy.
Edouard Bonnefous, op. cit. p. 275 confirme et y ajoute, mais c’est nommément affaire de personnes.

C’est surtout la thèse de Léon Blum, tant en déposition le 20 Juin 1945 (p. 17) à la commission d’instruction que le le 27 Juillet, au Procès du Maréchal Pétain, op. cit. p. 240, à peu près dans les mêmes termes. On avait l’impression à Vichy d’une espèce de gouffre dans lequel tout ce qui était plongé s’altérait sous vos yeux, d’heure en heure, de minute en minute. C’est vraiment un souvenir, une impression extraordinaire. Je voyais cela sur des camarades qui avaient été très proches de moi. Ce qui agissait, c’était l’organisation de la peur, c’était « les Allemands sont à Moulins », « Weygand est à Clermont-Ferrand et ils seront ici le soir-même », c’était « les bandes de Doriot sont dans la rue ». Enfin, c’était une de ces atmosphères de panique dont l’Histoire nous montre que même une assemblée comme la Convention les a connues certains jours. On voyait les êtres se corrompre à vue d’œil. – Cela aussi, c’est un spectacle qu’il est difficile d’évoquer sans un certain frémissement. J’ai vu là, pendant deux jours, des hommes s’altérer, se corrompre comme à vue d’œil, comme si on les avait plongés dans un bain toxique. Ce qui agissait, c’était la peur : la peur des bandes de Doriot dans la rue, la peur des soldats de Weygand à Clermont-Ferrand, la peur des Allemands qui étaient à Moulins. Ce qu’on appelait le Marais dans les assemblées révolutionnaires a connu une peur de ce genre, le 31 mai ou le 9 Thermidor. J’ai compris, je vous assure, pourquoi on avait appelé cela le Marais. C’était vraiment un marécage humain dans lequel on voyait, je le répète, à vue d’œil se dissoudre, se corroder, disparaître tout ce qu’on avait connu à certains hommes de courage et de droiture.
A vrai dire, l’ancien président du Conseil et chef des gouvernements du Front populaire était insulté couramment, y compris dans les couloirs des assemblées : déposition de Paul Reynaud, le 12 Décembre 1950, Rapport, op. cit. annexes VIII p. 2407

au procès du Maréchal Pétain, op. cit. p. 522, Pierre Laval reconnaît ambiance et rumeurs : on redoutait beaucoup, à ce moment, le pouvoir militaire, non pas celui du Maréchal, mais le pouvoir militaire, et je me rappelle que des allusions ont été faites à un coup de force éventuel, auquel, moi, je ne croyais d’ailleurs pas beaucoup, parce que les militaires sont souvent velléitaires. J’ai dit : « Je suis là pour défendre le pouvoir civil ». Et je me rappelle l’enthousiasme et les acclamations du Parlement qui ne tenait pas du tout à voir se substituer le pouvoir militaire au pouvoir civil.- A son propre procès op. cit. pp. 71-72, il renchérit Bon, mais on pouvait parler, on pouvait d’autant mieux parler qu’on faisait des réunions secrètes. (…) Je me demande comment on peut dire que j’ai menacé, que j’ai intrigué, que j’ai promis. J’aurais été chef d’un grand parti, on pourrait me reprocher d’avoir mis à la disposition du vote de la loi la puissance d’un parti. J’étais seul.

Seul, le député Vincent Badie, porte-parole du groupe des « Vingt-Sept » fait état de pressions sur lui et de promesses (une préfecture régionale), et sur un collègue : de Moustier, appartenant par ailleurs au conseil d’administration des charbonnages du Nord : Rapport, op. cit. annexes VIII p. 2273

[18] - parmi de multiples déclarations et témoignages d’époque, peuvent être particulièrement retenues les protestations d’Edouard Herriot, président de la Chambre des députés, et de Jules Jeanneney, président du Sénat, lors des séances publiques du mardi 9 Juillet 1940. Le premier : Autour de M. le maréchal Pétain, dans la vénération que son nom inspire à tous, notre nation s’est groupée en sa détresse. Prenons garde à ne pas troubler l’accord qui s’est établi sous son autorité. (JO DP p. 814) Et le second : J’atteste enfin à M. le maréchal Pétain notre vénération et la pleine reconnaissance qui lui est dûe pour un don nouveau de sa personne. Il sait mes sentiments envers lui, qui sont de longue date. Nous savons la noblesse de son âme. Elle nous a valu des jours de gloire. Qu’elle ait carrière en ces jours de terrible épreuve et nous prémunisse, au besoin, contre toute discorde. (JO DP Sénat p. 352) - Jules Jeanneney, op. cit. p. 95 & annotation pp. 436-437 avait eu un premier jet plus « explosif », selon ses propres termes

[19] - audition de Vincent Badie, le 30 Mars 1950 par la Commission d’enquête, Rapport, op. cit. annexes VIII pp. 2272 et 2275 & observations de Jules Jeanneney, op. cit. p. 339 -

[20] - Jacques Benoist-Méchin *** op. cit. pp. 202-203 & Rapport op. cit. annexes VIII p. 2272 – dans son Journal politique op. cit. ; dans la chronologie de son récit, Jules Jeanneney ne fait pas allusion ni à cet engagement ni à une visite de députés, mais se justifie dans une note postérieure à l’ensemble du processus et sans date

[21] - le 16 Mai 1950, l’ancien sénateur remet à la Commission d’enquête une note : « tempête sur la République », rédigée à l’automne de 1940 et donnant le détail des réunions et des rédactions des sénateurs anciens combattants en Juillet 1940 ainsi que le procès-verbal de leurs entretiens avec le Maréchal Pétain, Rapport, op. cit. annexes VIII pp. 2330 à 2351

[22] - JO DP 1940, p. 822

[23] - signé le 9 Juillet en Conseil des ministres, le projet de loi a été débattu dans un précédent Conseil, le 8 ; seul, Albert Rivière, ministre des Colonies et proche de Léon Blum, défend le contre-projet Paul-Boncour. Pierre Laval assure que celui-ci est retiré du fait que lui-même amende son propre texte en prévoyant la ratification par la nation – Albert Lebrun, Rapport op. cit. annexes IV p. 1033

[24] - c’est ce qu’établissent le compte-rendu de la séance secrète autant que l’exposé des motifs du projet de loi soumis à l’Assemblée nationale et le rapport débattu en commission pendant une interruption de la séance publique entre 14 heures 50 et 17 heures 15 – rapport fait par Jean Boivin-Champeaux au nom de la commission spéciale sur le projet de loi constitutionnelle figurant au JO DP 1940 pp. 824-825 : Messieurs, le texte soumis à vos délibérations tend, dans sa brièveté à régler à la fois le présent et l’avenir de la France. Il donne au Gouvernement du maréchal Pétain les pleins pouvoirs exécutif et législatif. Il les lui donne sans restriction, de la façon la plus étendue. La tâche à accomplir est immense. Nous sommes assurés qu’avec le grand soldat qui préside aux destinées du pays, elle sera menée à bien. Le texte donne en second lieu, au Gouvernement, les pouvoirs constituants. Je crois devoir faire ici, au nom de mes collègues, une déclaration solennelle.
L’acte que nous accomplissons aujourd’hui, nous l’accomplissons librement. Si nous vous demandons une réforme, c’est qu’ainsi les Chambres l’ont manifesté à une immense majorité, nous avons la conviction profonde qu’elle est indispensable aux intérêts de la patrie. Il n’y a rien à ajouter à ce que nous avons diit hier, les uns et les autres, sur cette nécessité absolue.
En ce qui concerne les modalités, nous avons deux observations à formuler. Il faut aboutir rapidement. Nous admettons que la Constitution soit étudiée et promulguée sous l’égide et l’autorité de M. le Maréchal Pétain. Le seul problème est celui de la ratification des institutions nouvelles. La souveraineté nationale est, à nos yeux, une réalité vivante. (Applaudissements) Il suffit de jeter les yeux sur notre histoire pour voir qu’une constitution ne peut vivre si les institutions nouvelles ne sont pas l’expression, je ne dis pas seulement des besoins, mais de la volonté du pays.
La ratification des institutions par ceux-là mêmes qui devaient en être les bénéficiaires était manifestement insuffisante. Nous savons gré au Gouvernement, se ralliant à la thèse soutenue par les anciens combattants, d’avoir modifié son texte et décidé que la Constitution serait ratifiée par la nation. Il est expressément entendu que le texte du Gouvernement doit être interprêté en ce sens que la ratification de la Constitution et l’élection des Assemblées devra faire l’objet de deux votes distincts.
Que sera cette nouvelle constitution ? Nous ne savons que ce qui nous a été dit par un exposé des motifs dont nous ne pouvons par ailleurs qu’approuver les termes : patrie, travail, famille. L’image de la France ne serait pas complète s’il n’y figurait pas certaines libertés pour lesquelles tant de générations ont combattu. (Applaudissements) Une constitution quelle qu’elle soit, s’écroulerait rapidement si elle ne respectait pas les traditions et le génie de la France. C’est une France libre, monsieur le maréchal, que, il y a vingt ans, vous avez conduite à la victoire. Vous nous demandez un acte sans précédent dans notre histoire. Nous l’accomplissons comme un acte de foi dans les destinées de la patrie, persuadés que c’est une France forte qui sortira de vos mains. L’œuvre ne serait pas complète si le Gouvernement n’y ajoutait une action spirituelle et morale. La France est tombée moins à cause de l’insuffisance des textes que par la déficience des énergies et des âmes. (Applaudissements)
Ancien combattant, je me souviens avec quel amour, quelle humanité, quelle énergique douceur, à une période douloureuse de notre histoire, en 1917, le maréchal Pétain s’est penché sur nos armées meutries et en a refait des armées victorieuses. C’est la France tout entière, aujourd’hui, qui est meurtrie.
Enfin, messieurs – et c’est le dernier point que j’ai à traiter devant vous – il va falloir régler la période intermédiaire, celle qui va s’étendre jusqu’au jour où fonctionneront les institutions nouvelles. M. Pierre Laval, vice-président du conseil, a fait à la commission spéciale la promesse que, dès cette semaine, serait promulgué un acte laissant subsister les deux Chambres jusqu’au fonctionnement des institutions nouvelles. Etant donnée la délégation de pouvoirs, leur activité sera nécessairement réduite. Je suis persuadé, néammoins, que, dans les circonstances tragiques que nous traversons, leur existence sera, pour le Gouvernement, à la fois une force et un soutien.
C’est dans ces conditions que nous vous demandons d’adopter le texte quii a été approuvé par votre commission spéciale.
Messieurs, permettez-moi un dernier mot avant de quitter cette tribune. J’appartiens comme beaucoup d’entre vous, aux régions actuellement occupées. Comme je n’aurai peut-être plus l’occasion de le faire, j’adresse dès maintenant un appel au Gouvernement. Je lui demande de favoriser de toute son énergie, de toute sa diligence, notre retour parmi nos compatriotes. Que l’on nous permette de participer à leurs souffrances, à la réorganisation matérielle et morale de notre pays, à la sauvegarde de la vie française dans la zone occupée.
Nous avons encore, mes chers collègues, une belle, une noble, une dernière mission à accomplir. Le parlementarisme tel que nous l’avons connu va peut-être mourir ; les parlementaires demeurent au service de la nation. (Vifs applaudissements prolongés)

[25] - Adrien Marquet, le ministre de l’Intérieur, la veille du scrutin, entretient ainsi un jeune député contestataire, Vincent Badie. Rapport op. cit. annexes VIII p. 2272 Nous voudrions une Constitution un peu dans le genre de celle du Portugal. C’est d’ailleurs pour donner une satisfaction apparente aux Allemands, car nous sommes obligés de leur faire des concessions ; mais, par la suite, nous apporterions quelques adoucissements, nous verrions. Pour l’instant, il faut essayer (je ne suis pas sûr que ce soit son expression même, mais c’était bien la pensée qu’il exprimait) de réduire la casse. Dans ces conditions, il faut leur donner des semblants de satisfactions. Par conséquent, si nous devons voter une Constitution, nous nous inspirerions un peu de de celle du Portugal, car il faut modifier l’état de choses présent.

[26] - Jules Jeanneney, op. cit. pp. 104-105 – qui, présidant la séance officielle de l’Assemblée nationale, n’a pas pris part au vote, s’entretient le 12 Juillet avec Edouard Herriot : Qu’y a-t-il de nouveau depuis mercredi ? Les actes constitutionnels parus ce matin ? Je les réprouve autant que vous. Mais dites-le vous bien, la loi votée par l’Assemblée les autorisait. C’est indéniable. Le moyen d’empêcher cela eut été de voter contre le projet.

René Besse, député du Lot dépose devant la Commission d’instruction, le 18 Avril 1945, que son vote était conditionné par deux considérations : la mention du gouvernement de la République et l’ajout que le projet définitif serait ratifié par la Nation, ce qui revenait à dire 1° continuation quoi qu’il advienne du régime républicain, 2° nécessité impérieuse pour le nouveau gouvernement de préparer une Constitution dans des conditions telles qu’elle puisse être agréée et ratifiée par la nation, 3° étant donné l’impossibilité de consulter la nation pendant la guerre et plus particulièrement pendant l’occupation allemande, impossibilité matérielle pour le gouvernement d’arrêter un projet de nouvelle constitution avant que la France soit revenue à meilleure fortune et recouvré le plein exercice de sa liberté et de sa souveraineté

[27] - Edouard Bonnefous, op. cit. p. 278

[28] - en même temps que la différence totale de conception des conditions d’exercice du pouvoir entre le Maréchal et son vice-président du Conseil, c’est ce qu’expose une note rédigée par Pierre Laval, à Fresnes, en Septembre 1945, qu’a communiquée son gendre René de Chambrun à Edouard Bonnefous, op. cit. pp. 371 à 374. – Cette note, alors amputée, est donnée presque dans son intégralité par René de Chambrun, … et ce fut un crime judiciaire, le « procès » Laval (France-Empire . Avril 1984 . 379 pages) pp. 82 à 89 – Pierre Laval, op. cit. pp. 45 à 61 la donne en totalité. Il y est notamment dit que : il prévoyait la République après sa mort, car le Maréchal n’a jamais admis qu’il pouvait être remplacé de son vivant (…) Le Maréchal, je le répète, était trop jaloux de son autorité pour me laisser intervenir dans un domaine qu’il disait être le sien, et je lui étais trop suspect au point de vue politique pour qu’il songeât à me demander le moindre conseil. (…) Je ne pouvais, et personne ne pouvait supposer que, dès le lendemain du vote, le Maréchal donnerait ou laisserait donner à l’exercice de son pouvoir un caractère aussi personnel. (…) Le Maréchal, je le constatai aussitôt, était l’homme que la légalité républicaine n’intéressait à aucun titre. Je le vis dans la formule prétentieuse et surannée qui figurait en tête des premiers actes constitutionnels : « Nous, Philippe Pétain », beaucoup plus encore que dans l’étendue des pouvoirs qu’il s’attribuait, car ils avaient forcément un caractère provisoire, et, comme presque tout le monde, je croyais que l’occupation serait de courte durée. pp. 54, 57 et 59

[29] - Paul Baudouin, op. cit. p. 244 relate comment circule en Conseil des ministres du 12 la lettrre de démission collective pour signature et comment le Maréchal renvoit à la lecture du prochain Journal officiel pour ce qui est de la composition du nouveau cabinet, sans consulter donc ceux qu’il conserve autour de lui. Il en avait été de même pour la formation de son premier cabinet le 16 Juin précédent (Edouard Bonnefous, op. cit. 369)

[30] - Français, l’Assemblée nationale m’a investi de pouvoirs étendus. J’ai à vous dire comment je les exercerai. Le gouvernement doit faire face à une situation des plus difficiles. Il lui faut rétablir les communications du pays, rendre chacun à son foyer, assurer le ravitaillement. Il lui faut négocier et conclure la paix. (…) Philippe Pétain, Actes et écrits op. cit. p. 455 – l’autorisation d’accès à la radiodiffusion refusée à partir de l’armistice par l’occupant n’est donnée que le 4 Juillet. Le Maréchal ne s’adresse donc pas au pays entre les 25 Juin et 11 Juillet ; c’est à tort qu’Isorni, contrairement à un recueil Les paroles et les écrits du Maréchal Pétain 16 Juin 1940 . 1er Janvier 1942 (éditions de la Légion . 1942 . 302 pages) date ce premier discours en tant que chef de l’Etat français du 12 Juillet, discours ne figurant pas dans le recueil Quatre années au pouvoir, op. cit. – voir Jacques Benoist-Méchin, *** op. cit. p. 243

[31] - Maurice Martin du Gard, La chronique de Vichy (Flammarion . Janvier 1948 . 529 pages) p. 63 soutient qu’Albert Lebrun n’a pas été mis en cause personnellement le 10 Juillet 1940, mais que n’ayant pas démissionné « on a voté la suppression de l’emploi » - l’ancien président de la République s’en est expliqué lors de l’instruction du procès du Maréchal Pétain * (Albin Michel . Octobre 1945 . 623 pages) p. 165-166. Le visitant dès le 11 Juillet, celui-ci lui déclare sobrement que « le vote de l’Assemblée nationale a créé une situation nouvelle. Je ne suis pas votre successeur, puisqu’un nouveau régime commence ». A quoi lui-même répond : « l’Assemblée nationale a prononcé. Tous les Français doivent se soumettre », pour ensuite commenter : Je n’ai jamais considéré que mon effacement a été le résultat d’une menace ou de n’importe quoi de ce genre. Je l’ai condidéré comme étant le résultat du vote de l’Assembée Nationale (…) Bref, je n’ai pas reçu une seule lettre après d’un de mes anciens collègues pour me dire : Mais pourquoi êtes vous parti ? Vous deviez rester. Donc je partis.- retenu également par Henri Noguères, Le véritable procès du Maréchal Pétain (Fayard . Décembre 1955 . 661 pages) p. 166

[32] - le président Béteille, magistrat instructeur du procès Pétain poursuivi pour avoir attenté à la sûreté intérieure de l’Etat dresse une liste de questions sur le vote du 10 Juillet 1940 et sur les conséquences qu’en tira ce qui devint le régime de Vichy et les pose à dix-huit députés et deux sénateurs, qui unanimement jugent – mais en 1945 – que le mandat donné a été trahi Henri Noguères, op. cit. pp.140-141 – rapporteur du projet de loi, le sénateur Boivin-Champeaux, dépose dans le même sens devant la commission d’instruction le 16 Avril 1945

[33] - Pierre Laval, op. cit. p. 51 & son Procès (Albin Michel . Avril 1946 . 311 pages) pp. 70-71 sur la séance publique de l’Assemblée nationale

[34] - ce que relève Pierre Laval au procès du Maréchal Pétain, op. cit. p. 524

[35] - ce qui est un gage rassurant de paix donné à l’opinion du moment – Henri Michel, Vichy Année 40 (Robert Laffont . Novembre 1966 . 461 pages) p. 103 – et sera respecté de Mers-el-Kébir au débarquement en Afrique du nord, événements subits par Vichy sans déclaration de guerre, quoiqu’il en soit débattu en Conseil des ministres

[36] - Jules Jeanneney le 23 Juillet et Edouard Herriot le 30 Juillet - selon Jacques Isorni, Philippe Pétain ** (La Table ronde . Avril 1973 . 560 pages) pp. 191 et 205 – L’entretien avec le président du Sénat est consigné aussitôt par celui-ci : Jules Jeanneney, op. cit. p. 115 – Yves Bouthillier recevant Edouard Herriot au même moment n’entend de lui aucune observation : Rapport. op. cit. annexes VIII . 2539

[37] - notament Marcel Plaisant, sénateur, dont une note est citée intégralement par Edouard Bonnefous, op. cit. pp. 417-420

[38] - déposition du sénateur Boivin-Champeaux devant la Commission d’instruction, le 16 Avril 1945 : A l’Assembléee nationale, nous nous sommes trouvés en face de deux textes, le texte du Gouvernement et en face du texte que j’appellerai le texte Paul-Boncour qui permettait au Maréchal de suspendre la Constitution. Si j’ai été nommé rapporteur, c’est que devant mes collègues, j’ai affirmé que nous ne pouvions admettre ni l’un ni l’autre de ces textes. Nous étions d’accord pour penser qu’il fallait donner au Maréchal les plus larges pouvoirs, mais nous étions soucieux qu’il ne fît pas, au point de vue constitutionnel, des choses irréparables. Vous êtes au courant de la rédaction de ces deux textes. Ils différaient en ce que la ratification devait être faite par les Assemblées créées par la Constitution dans le projet gouvernemental, ce qui à mes yeux était un leurre puisque les Assemblées n’auraient pas manqué de ratifier une Constitution dont elles étaient les bénéficiaires et que d’autre part, cela permettait au Maréchal de prendre toutes mesures constitutionnelles qui lui agréeraient, quitte le lendemain à les faire ratifier par telles Assemblées qui eussent été nommées on ne sait comment. Pour le texte Paul-Boncour, on arrivait au même résultat, puisqu’il permettait au Maréchal de suspendre immédiatement la Constitution et par conséquent de modifier comme il l’entendrait, le fonctionnement de la Constitution de 1875.

[39] - de ceux qui ont voté la loi constitutionnelle, Jean Niel en donne la contestation la plus motivée, alors que le régime de Vichy n’est pas encore tout à fait tombé : il écrit au Maréchal le 18 Juillet 1944, responsable, par mon vote, de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940, et garant de son exécution, je crois de mon devoir de vous exposer le jugement que m’inspire l’application qui en a été faite.
texte retenu pour l’essentiel par Henri Noguères, op. cit. pp. 143 à 145

raisonnent en doctrine René Cassin, Un coup d’Etat, la soi-disant Constitution de Vichy in France libre Décembre 1940-Janvier 1941 & Michel Debré, 18 Juin et légitimité du pouvoir in Liberté de l’Esprit Juin-Juillet 1950

[40] - Après le 10 Juillet 1940 et l’installation du nouveau régime, l’illégalité apparaît selon nous au moment où il est acquis que la nation ne sera pas consultée, ni les Assemblée prévues par la loi constitutionnelle formées. Il semble que, dès les premiers actes constitutionnels, ce point de vue prévaut. On peut donc dire à la lumière de ce que l’on sait maintenant des intentions du Maréchal Pétain, que, dès la mi-juillet 1940, les liens avec la légalité formelle sont rompus et que le gouvernement régulier a fait place à un gouvernement de fait. Mais l’investiture conserve une apparence suffisante, l’autorité effective est assez réelle et l’opposition assez limitée pour qu’on ne puisse parler d’usurpation. Il faut donc reconnaître aux actes du gouvernement de Vichy la valeur qu’on accorde aux actes des gouvernements de fait.
L’usurpation apparaîtra plus tard. Si l’on adopte la thèse de l’illégitimité, on en fixera le point de départ – d’ailleurs difficile à apprécier – au moment où la majorité des Français prend conscience de ce que les gouvernants ne les représentent pas réellement. Si l’on définit l’usurpation comme une sorte d’illégalité aggravée, une dégénérescence du gouvernement de fait, le point de départ n’est guère changé : c’est celui où il apparaît que l’investitude n’est plus plausible et où l’autorité des gouvernants est sérieusement contestée. Fixer ce moment est difficile et n’irait pas sans une discussion d’ordre historique.
(…) Gouvernement légal à son origine, le gouvernement de Vichy est donc devenu illégal en s’installant dans un régime provisoire qui négligeait de faire procéder à la ratification des nouvelles institutions par le pays et qui ne faisait aucune place aux assemblées représentatives que la loi du 10 Juillet 1940 lui imposait de créer.
(…) Reste alors le problème direct de savoir dans quelle mesure le gouvernement de Vichy bénéficia de l’adhésion de la nation. Si l’on écarte les interprétations bien intentionnées, mais vraiment trop loin de la réalité, deux choses sont sûres : c’est que, au moment de l’Armistice, le Maréchal Pétain était d’accord avec la majorité du pays, et que, au moment de la Libération, il ne l’était plus. Entre ces deux dates, l’évolution de l’opinion est difficile à suivre ; elle n’a pas été linéaire et elle a varié selon les régions (zone occupée ou zone libre).
Georges Vedel, op. cit. pp. 281, 278, 280

[41] - Joseph- Barthélemy, Ministre de la Justice Vichy 1941.1943 (Pygmalion Gérard Watelet . Février 1989 . 645 pages) p. 288

[42] - arrêté par le Maréchal le 30 Janvier 1944, il est produit lors de son procès et figure dans le recueil de ses discours paru de son vivant Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir (La Couronne littéraire . 1949 . 178 pages) pp. 147 à 159
Le texte de la future Constitution eut sa première esquisse en Conseil restreint du 8 Août 1940, selon Paul Baudouin, Neuf mois au gouvernement (La Table ronde . Juin 1948 . 429 pages) pp. 282-283, qui rapporte les instructions données par le Maréchal au Garde des Sceaux, Raphaël Alibert et retient que le Maréchal indique qu’il n’est pas question de la promulguer avant la paix, mais qu’il est nécessaire d’y travailler dès maintenant afin qu’elle soit d’ici là préparée et mûrie, de façon à être promulguée dès que la paix aura été signée.
Joseph- Barthélemy, Ministre de la Justice op. cit. pp. 287 à 291 et Pierre Laval, op. cit. p. 54 s’accordent pour souligner que le Maréchal, en fait, ne communiquait pas sur le fond de ce sujet. Son projet, par certains de ses articles, anticipe la Cinquième République ; ainsi l’article 10 a l’allure qu’aura l’article 5 de la Constitution du 4 Octobre 1958 : Arbitre des intérêts supérieurs du pays, il (le Chef de l’Etat qui porte le titre de Président de la République, art. 14, et qui exerce la fonction gouvernementale concuremment avec les ministres, art. 13) assure le fonctionnement des institutions en maintenant – s’il est nécessaire, par l’exercice du droit de dissolution – le circuit continu de confiance entre le Gouvernement et la Nation ; ou l’article 15 anticipant la lettre et même la pratique de l’article 8 du texte de 1958 : Le Président de la République nomme le premier ministre et, sur la proposition de celui-ci, les ministres et secrétaires d’Etat. Il les révoque. Il préside le conseil des ministres.

[43] - sur la genèse du projet, voir Jean Barthélemy, L’élaboration du projet de Constitution de Vichy (mémoire pour le DES de science politique, 1970) . Le premier temps laisse la plume au Garde des Sceaux, présidant la commission de la Constitution au Conseil national après avoir travaillé seul puis en conseil restreint avec le Maréchal ; Joseph-Barthélemey eut voulu associer à la rédaction des personnalités telles que Joseph Caillaux, Anatole de Monzie, André Siegfried, Emile Mireaux, René Capitant, Albert-Buisson, Paul Tirard et Roger Bonnard, toutes d’opinions libérales et républicaines avérées, sauf la dernière, et qui furent récusées par le Maréchal. En Conseil d’Etat, une commission ad hoc était présidé par Henry Puget, ancien étudiant de Joseph-Barthélemy. Figurèrent finalement dans la commission des collègues du Garde des Sceaux, comptant parmi les maîtres incontestés du droit public dans le siècle : le recteur Gilbert Gidel, les professeurs Achille Mestre, Julien Laferrière, Gaëtan Pirou, François Perroux et des personnalités aussi diverses qu’Henri Massis, doctrinaire d’Action française, et Henri Lagardelle, théoricien du socialisme, notamment. Le second temps correspond à l’empêchement du Maréchal qui ne confie qu’officieusement en Juillet 1943 à un petit groupe de conseillers sous la direction de Lucien Romier, la mission de reprendre la rédaction à partir du projet laissé en l’état par Joseph-Barthélemy avant la mise en sommeil du Conseil national et de sa commission. – Yves Bouthillier, Rapport op. cit. annexe VIII p. 2549 donne la genèse de cette seconde rédaction mise au point par Lucien Romier, Henri Moysset, Gilbert Gidel et lui notamment – Frédéric Saulnier, Joseph-Barthélemy 1874-1945 . La crise du constitutionnalisme libéral sous la IIIème République (LGDJ . Juillet 2004 . 686 pages) analyse la genèse et la première mouture du texte, pp. 502 à 529

[44] - c’est l’argument présenté par le maréchal Pétain, en Juin 1945, à la Commission d’instruction de la Haute Cour, voir Philippe Pétain, Actes et Ecrits, recueillis et présentés par Jacques Isorni (Flammarion . Avril 1974 . 653 pages) p. 457 – en fait, le Maréchal a bien tenté de le faire connaître, étant encore nominalement au pouvoir, mais en fut empêché par les Allemands. Le discours, déjà enregistré avant la censure pour être diffusé le 12 Novembre 1943, était ainsi conçu : Le 10 Juillet 1940, l’Assemblée nationale m’a donné mission de promulguer par un ou plusieurs actes, une nouvelle Constitution de l’Etat français. J’achève la mise au point de cette Constituion. Elle concilie le principe de la souveraineté nationale et le droit de libre suffrage des citoyens avec la nécessité d’assurer la stabilité et l’autorité de l’Etat. Mais je me préoccupe de ce qui adviendrait si je venais à disparaître avant d’avoir accompli jusqu’au bout la tâche que la Nation m’a confiée. C’est le respect de la légitimité qui conditionne la stabilité d’un pays. En dehors de la légitimité, il ne peut y avoir qu’atures, rivalités de factions, anarchie et luttes fratricides. J’incarne aujourd’hui la légitimité française. J’entends la conserver comme un dépôt sacré et qu’elle revienne à mon décès à l’Assemblée nationale de qui je l’ai reçue si la nouvelle Constitution n’est pas ratifiée. Ainsi, en dépit des événements redoutables que traverse la France, le pouvoir politique sera toujours assuré conformément à la loi. Je ne veux pas que ma disparition ouvre une ère de désordre qui mettrait l’unité de la France en péril. Tel est le but de l’acte constitutionnel qui sera promulgué demain au Journal officiel. Français, continuons à travailler d’un même cœur à l’établissement du régime nouveau dont je vous indiquerai prochainement les bases et qui seul pourra rendre à la France sa grandeur.
– cité par Robert Aron, op. cit. pp. 639-640 et figurant dans le recueil Quatre années au pouvoir, op. cit. p. 142

[45] - c‘est l’argumentation de Pierre Laval à Joseph-Barthélemy en 1943 Joseph-Barthélemy, Ministre de la Justice, op. cit. p. 141

[46] - Ils ont été faits en dehors de nous assure Yves Bouthillier : Rapport, op. cit. annexes VIII p. 2539 - Paul Baudouin, op. cit. pp. 242-243, qui attribue la rédaction des deux premiers à Raphaël Alibert et Pierre Laval ensemble, et qui confirme que la réforme constitutionnelle fut une opération menée dans le secret. Les pères de cette réforme furent Laval et Alibert. Le Maréchal n’a jamais consulté qui que ce soit, ni le général Weygand, ni moi, ni Bouthillier sur ses actes constitutionnels, Rapport op. cit. annexes VIII p. 2112, et de préciser : Ils n’ont même pas eu besoin d’entériner avec la nouvelle Constitution. Le Maréchal nous a dit : « Voilà les actes constitutionnels » et il les a lus. Il n’y a pas eu à délibérer. Il a dit : « Voilà…. » ibid. p. 2126 – Maxime Weygand, Rappelé au service (Flammarion . Janvier 1950 . 597 pages) le confirme p. 303 : Le 11 Juillet, M. Laval donna lecture des actes constitutionnels consécutifs au vote émis la veille par l’Assemblée Nationale. Ni les ministres de l’Intérieur, des Finances, des Affaires étrangères qui étaient présents, ni moi n’en avions entendu parler. – Pierre Laval, Notes et mémoires ( Enseigne du cheval ailé, lib. Béranger . 1er trim. 1948 . 280 pages) donne une tout autre version p. 56 : La suppression de la présidence de la République et les pleins pouvoirs que le Maréchal s’attrubua résultaient d’actes constitutionnels, auxquels je n’ai jamais été appelé à collaborer. C’est M. Alibert, qui était conseiller politique du Maréchal, avec d’autres sans doute, et je ne fus jamais consulté à ce sujet. – Cette version est retenue par Henri Amouroux, Pour en finir avec Vichy * Les oublis de la mémoire 1940 (Robert Laffont . Septembre 1997 . 539 pages) p. 409 : le Maréchal aurait dicté à Alibert l’acte n° 1 et ce dernier aurait été prié d’en tirer les conséquences en rédigeant le projet du n° 2 – Jacques Chastenet, op. cit. p. 289 confirme ce rôle exclusif de Raphaël Alibert

[47] - c’est ce que soutient Pierre Laval, lui-même et spontanément, au Procès du Maréchal Pétain, * op. cit. p. 520

[48] - JO 1940 p. 4518

[49] - acte constitutionnel n° 6 JO 1940 p. 5958

[50] - c’est l’observation, en commission d’enquête, de Louis Marin à Yves Bouthillier : Rapport : op. cit. annexes VIII p. 2539

[51] - Montesquieu, op. cit. livre XI, chapitre VI – De la constitution d’Angleterre – pp. 396 et ss.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 3 Septembre 1791, art. 16 dit Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution.
La Déclaration des droits ouvrant la Constitution du 5 Fructidor An III, art. 22, reconnaît quela garantie sociale ne peut exister si la division des pouvoirs n’est pas établie, si leurs limites ne sont pas fixées.
La Constitution de la Seconde République (4 Novembre 1848) dispose, art. 19 que la séparation des pouvoirs est la première condition d’un gouvernement libre.

[52] - c’est la thèse d’Yves Bouthillier, déposant devant la commission d’enquête : Rapport, op. cit. annexes VIII p. 2537

[53] - Olivier Wormser, Les origines doctrinales de la « Révolution nationale » (Plon . Octobre 1971 . 276 pages) écrit, retenu au Maroc d’Octobre 1940 à Mars 1941, avant de rejoindre la France libre. Sur commande d’Emmanuel Monick, secrétaire général du Protectorat, il se livre à une recherche de bibliothèque avant de rédiger une étude de droit constitutionnel sur le nouveau régime de fait
en sens contraire, Gérard Noirel, Les origines républicaines de Vichy (Hachette . Novembre 1999 . 335 pages)

[54] - Physiquement, Laval se situe aux antipodes de Pétain : noir de poil, le teint basané, débraillé dans sa mise, le cou entouré d’une cravate d’un blanc douteux, un éternel mégot aux lèvres, volontiers grossier, il apparaîtrait incroyablement vulgaire n’était la vivacité de la lueur qui filtre à travers ses paupières mi-closes. D’origine extrêmement modeste, il a, à force de travail et d’énergie, conquis en partant de l’extrême-gauche, une grande situation politique ; il a aussi acquis une importante fortune matérielle. C’est avant tout un manœuvrier, possédant au suprême degré le don de persuader, mais peu regardant sur le choix des moyens. Encore que politicien dans l’âme, il n’a que mépris pour ses anciens collègues du Parlement. Jacques Chastenet, De Pétain à de Gaulle (Fayard . Décembre 1970 . 278 pages)

à cette esquisse post mortem, peut être surimposée un portrait de commande, tandis qu’il est pour la première fois au pouvoir : Georges Saint-Bonnet, op. cit. p. 28, 44, 30, 34 Ce qu’il pense, Pierre Laval ne le pense pas par hasard. Son être entier le lui dicte et le lui suggère. Sses idées, qui rendent un son plein, car il y a quelque chose dessous, ne lui viennent pas de l’extérieur, ni des livres. Ni pédant ni farci, il n’a jamais manifesté le moindre goût pour les pensées de conserve. L’érudition refroidie ne le tente pas. Il n’est pas de ceux qui qui cherchent l’avenir dans le passé. Il préfère le favoriser dans le présent. Ses procédés ? il n’en a pas de systématiques. Ils résultent de son comportement général. Comme lui, ils coincide avec les circonstances. (…) Il est fait, par définition, pour gouverner. Il ne se force pas pour interprêter les volontés ambiantes. Il les traduit naturellement et n’a pas l’air, lorsqu’il entreprend de les réaliser ou seulement de les favoriser, de les imposer, de son propre chef, pour des satisfactions de vanité. (…) Il ne représentait en somme que lui-même. Il ne représentait que ce que nous avons tenté de définir. Rien d’autre. Rien d’extérieur à son individu. Ni plus ni moins : un homme. (…) Il ne se fit jamais porter par rien ni par personne. Son ascension, exempte de solidarités systématiques et concertées, sinon d’amitiés, fut solitaire. Elle s’effectua hors série. Sa réussite, en conséquence, il ne la doit qu’à lui seul. Elle est le triomphe d’un individu.

deux portraits très étendus sont donnés de Pierre Laval par Joseph-Barthélemy, Ministre de la justice op. cit. p. 93 à 108 : Laval ne possède à aucun degré l’esprit juridique, le sens du droit. Il en est même dépourvu à un degré bien surprenant pour un homme qui est encore inscrit au tableau des avocats de Paris. (…) Il n’a jamais veillé à la rédaction technique des lois, à laquelle il n’attache que peu d’importance. Il a inspiré la loi du 10 Juillet 1940 sur la délégation des pouvoirs constituants, loi pleine d’ambiguïté et grosse de difficultés. L’habitude politicienne lui a donné le goût des ordres du jour « nègre blanc ». (…) Une des lignes les plus accusées dans la physionomie morale de Laval, c’est la méfiance. Il donne sa confiance à un homme. Il ne tarde pas à la lui retirer. Alors, il essaie de mettre quelqu’un près de lui pour le surveller ou le fait surveiller par son entourage (…) Sous une apparence de simplicité, de cordialité, de franchise, Laval pousse, à un rare degré, la puissance de dissimulation (…) Mais si dans ce signalement, on cherchait le « signe particulier » qui, à coup sûr, fait reconnaître Laval, on le trouverait sans aucun doute dans son indifférence à tout ce qui est psychologique, moral et, au sens le plus élevé de l’expression, politique. (…). Il ne croit pas aux idées. Il n’a pas foi dans les principes. C’est un matérialiste de l’ordre. Il borne ses ambitions à être le gardien de la paix dans la rue ; il renonce à se poser en défenseur de la vérité dans les intelligences. Il abdique ainsi sa plus grande mission de chef. (…) J’ajoute à ce qui est dit dans ces documents hagiographiques que Laval n’est pas orgueilleux, qu’il est simple, qu’il est cordial, de relations affectueuses avec ses amis. Il est humain. Quelquefois trop.

et Jacques Benoist-Méchin *** op. cit. pp. 577 à 600 : Sait-on mieux à présent la complexité du personnage ? Humain, certes, Laval l’est. Trop humain peut-être, par certains côtés. Car sa politique ne confine pas seulement à la magie. C’est aussi une cuisine où entrent toutes sortes d’ingrédients. S’il ne croit pas aux principes dans la conduite des affaires publiques, il ne croit guère au désintéressemen,jt d’autrui dans les affaires privées. Avide, non de gloire, mais de pouvoir et de richesses, il sait défendre son patrimoine avec une âpreté de paysan. (…) Cette réputation de cynisme et d’amoralité, habilement propagée par ses détracteurs, le précède à Bordeaux. Elle le suivra à Vuchy et ne contribuera pas peu à entretenir le malaise qui a toujours assombri ses relations avec le Maréchal. Les méthodes de gouvernement que lui ont reproché ses adversaires tenaient pourtant moins à l’homme lui-même qu’aux milieux dans lesquels il avait évolué jusque-là. Car il les abandonne dans la mesure où il se détache de son passé. Ceux qui l’ont vu à l’œuvre, durant cette période de sa vie, ont été frappés de sa transformation. C’est là que son visage a commencé à prendre l’expression pathétique qu’on lui a connue à la fin ; c’est là qu’une sorte de flammme s’est allumée dans ses yeux. Certes, il éprouvait toujours un goût très vif pour le le pouvoir, mais ce goût se colorait à présent d’une nuance nouvelle. Il s’accompagnait d’une soif intense de servir, d’un sentiment d’abnégation poussé jusqu’au sacrifice (…) Durant les journées qui vont du 2 au 10 juillet, Laval ne déploie pas seulement un immense talent, mais une activité inouïe. Alors que son fatalisme le prédispose à la nonchalance, il se dépense en interventions, en démarches, en discours et fait preuve d’une énergie dont on ne l’aurait pas cru capable. Elle dissout peu à peu les petits côtés de sa nature, pour ne plus laisser apparaître, à travers ses regards et ses paroles, qu’un cœur déchiré par les souffrances du pays.
Ils ont eu chacun avec le Président des relations de travail.

Tantôt dans un petit cercle d’une douzaine de personnes, tantôt devant un auditoire plus vaste d’une cinquantaine de parlementaires, mettant ses dons de persuasion au service de ce qui est devenu chez lui, une conviction inébranlable, il « travaille » l’opinion de ses collègues et finit par les rallier à sa manière voir. Comment résister au regard de ces deux yeux si lourds d’intelligence, tantôt de velours sombres, tantôt fulugurants et mouchetés de colère ; de ces mains fines de vieil ivoire patiné, qui prolongent et précisent une pensée souvent entourée d’un halo clair-obscur ; comment, surtout, résister à cette voix chaude et prenante, moins enveloppante que celle de Briand, mais qui a su en retenir quelques inflexions profondes ? Voyez avec quel art ce magicien sait désarmer ses contradicteurs et convaincre les hésitants ! « Je suis né à Châteldon, dans un petit village d’Auvergne… leur dit-il. J’aime ma terre. J’ai les pieds dans la terre de mon pays. Je vous l’ai dit tout à l’heure : je n’aime que mon pays. Comment voulez-vous que je souhaite autre chose que son bonheur ?… Vous me connaissez : vous savez bien que toute ma politique est basée sur le respect des foyers, sur la protection des foyers de mon pays… » Lorsqu’il emploie ce registre mi-familier, mi-rustique, il est irrésistible. Mais il sait aussi élever la voix, quand les circonstances l’exigent.
Jacques Benoist-Méchin, ibid.

Cette capacité de séduction est même vantée à son Procès op. cit. pp. 71 à 73 : Alors, Monsieur le Premier, je peux séduire 569 députés et sénateurs ? Vous me croyez capable d’avoir ce pouvoir de séduction. Eh bien ! supposez que j’ai ce pouvoir de séduction – je voudrais bien l’avoir, il ne m’aurait jamais été plus utile qu’en ce moment… (…) Les élections de 1936, Monsieur le Premier, se sont faites en réaction contre les décrets-lois que j’avais pris en 1935. Cela, vous le savez parfaitement. Dans beaucoup de circonscriptions, on a voté ou manifesté aux cris souvent de « Laval au poteau ». Alors, c’est moi qui, en face d’une Chambre dont la majorité avait été élue contre mes décrets, qui aurait eu sur elle une telle influence que j’aurais pu à ce point en disposer, la manœuvrer, la faire voter à ma guise ? Ce n’est pas sérieux. Il faut aller chercher ailleurs la raison profonde et véritable du vote de l’Assemblée nationale. C’est par un sentiment patriotique, n’en doutez pas, par un grand sentiment, un sentiment patriotique élevé, soyez-en sûrs, que tous les représentants de notre pays ont compris qu’il fallait mettre la France dans la condition la moins mauvaise pour pouvoir subir l’occupation négociée avec les Allemands. Voilà la question.

Léon Blum, La prison, le procès, la déportation p. 93 (cité par Benoist-Méchin *** p. 593) donne le portrait charge, en situation à l’Assemblée nationale : Il laisait percer sa pensée intime par petits jets, par petites touches mesurées et hypocrites. En réalité, le fond était dur, presque féroce parfois, mais sa manière extérieure conservait toutes les apparences de la familiarité, de la longanimité. Il continuait d’aller et venir, de monter et de descendre. Complaisant, lénifiant, infatigable, il répétait sans se lasser que son désir était de tout apaiser, son intention de tout expliquer, qu’il restait à la dévotion de l’Assemblée, qu’il ne laisserait pas un point dans l’ombre, pas une question sans réponse. Il parlait, parlait encore, avec sa mine basse, son regard humble et cruel, et cet accent d’Auvergne un peu chantant, qu’il traînait vulgairement à la fin de ses phrases comme des savates sur un plancher. Pas une fois, je l’atteste, durant ces longues heures qu’il occupa presque entières, une idée, une formule, un transport de l’esprit ou du cœur, ne le mirent, fût-ce par rencontre, au niveau d’une telle circonstance ; il semblait, au contraire, la galvauder à son contact, la réduire à la mesure de ses calculs, de ses astuces, de ses roueries. En dévisageant ce petit homme en cravate blanche, cherchant à placer sa marchandise comme un commis-voyageur dans une boutique, tirant l’un après l’autre de sa malette, avec les mines professionnelles, les articles qui pourraient séduire le chaland, on aurait presque souhaité un soldat botté, maniant la cravache et faisant sonner le sabre. Alors, on en était tombé là, alors, c’était çà la France ! Le spectacle levait le cœur… On écoutait, on subissait tête basse.

Le Général Weygand, op. cit. pp. 301-302, ne le juge que de l’extérieur, un comportement en réunion et au travail. Je ne connaissais au mois de juin 1940 M. Laval que de réputation. N’ayant jamais eu avec lui un entretien particulier, mon jugement ne repose que sur nos contacts au Conseil des ministres. On ne pouvait pas ne pas être frappé par la souplesse et la vivacité de son intelligence. Son habileté pour arriver à des fins pratiques était au moins égale. Je ne l’ai pas vu dans les affaires, débattues en ma présence, s’élever à un niveau supérieur dans l’ordre moral ou spirituel. Une caractéristique : le besoin instinctif de tout connaître et de participer à tout, bien qu’il ne fût à la tête d’aucun département ministériel. Une question nouvelle était-elle abordée, il dressait l’oreille, et saisissait si elle présentait ou non de l’intérêt à ses yeux. Indifférente, il la laissait passer sans rien dire, mais c’était rare/ Pour les autres questions, au contraire, dès qu’il savait de quoi il s’agissait, il distinguait le joint par lequel il pouvait y pénétrer et les faire siennes. Il y glissait alors un homme à lui. Il est à remarquer en effet que trop d’hommes politiques n’ont de confiance qu’en ceux qu’ils croient leur appartenir et qui, justement parce qu’ils appartiennent à quelqu’un et non d’abord au service du pays, ne justifient souvent pas cette confiance. M. Laval répugnait instinctivement à utiliser les organismes administratifs créés précisément pour accomplir telle ou telle besogne. L’intervention de ses agents se traduisait par des barrages, des initiatives extérieures, des inflexions par lesquels peu à peu s’installait son influence. Un autre trait de son caractère m’a surpris de la part d’un homme d’Etat de sa renommée et de son adresse ; c’est la violence dont je l’ai vu animé contre certains pays et certaines personnes. Il ne pardonnait ni aux uns ni aux autres d’avoir été, avant la guerre, les adversaires de sa politique et par là il les jugeait responsables du conflit. Il me semblait que pour faire de bonne politique, je veux dire de la politique utile au pays, il est nécessaire que les passions personnelles se taisent.

Alfred Fabre-Luce, op. cit. p. 257, d’opinion et de parcours notoirement différents, décrit la même ambiance et la même tenue de rôle
Si l’on regarde vers la scène, l’illusion est parfaite. Mais hélas ! si l’on se retourne, les parlementaires assis à l’orchestre, le public installé au balcon semblent déjà les spectateurs indistincts d’une même comédie. Et surtout, il n’y a ni droite ni gauche : s’asseoir n’est plus qu’un acte. Pierre Laval manie l’Assemblée nationale avec art. Ferme sur l’ensemble, mais conciliant dans les détails, il a l’air de s’inspirer alternativement de sa cravate qui est solennelle, et de son pantalon, qui est négligé. Il répond avec courtoisie à toutes les suggestions ; aux auteurs d’amendements, il accorde des changements de mots qui n’ont pas la moindre importance. On le voit sans cesse monter et descendre de la tribune. Il semble dire : « Tout ce que vous voudrez, mes chers amis, pourvu qu’il en soit terminé ce soir. Car après tout, cela seul importe ».

Cette tenue à la tribune ou ce style parlementaire, Pierre Laval les a cultivés dès sa première déclaration d’investiture : Pour ceux qui me connaissent et qui savent que je n’ai jamais failli à l’amitié (Applaudissements au centre, à droite et sur divers bancs à gauche) M. Alexandre Rauzy – L’amitié n’a rien à voir dans ces questions ; l’intérêt du pays passe avant elle. – M. le président du conseil ... et pour ceux qui savent les motifs d’ordre personnel beaucoup plus que d’ordre politique (…) Je parle à cette tribune ce langage un peu simple pour faire passer devant vous et devant le pays les difficultés des crises ministérielles en présence desquelles je me suis trouvé. JO DP Chambre des députés 1931 p. 255

Vincent Auriol, Hier, demain p. 99 (cité par Edouard Bonnefous op. cit. p. 273) Voici le maquingnon d’hommes. Une « éternelle cigarette » à la bouche, comme Briand, il va, comme lui, légèrement courbé, la démarche compassée, la tête dans les épaules, penché en avant. Par l’affectation de son allure, il cherche à se donner figure et autorité d’homme d’Etat et de penseur. Tout est noir en lui : costume, visage, âme, la seule tache blanche est sa cravate. Il aperçoit un groupe. Il s’approche, il s’arrête avec un collègue qu’il feint d’écouter : en vérité, d’un regard oblique, il surveille « son monde ». De ses yeux de Mongol, rapetissés, prisonniers dans un pli de paupières lourdes, on n’aperçoit qu’un point noir. Cette attitude, cette dissimulation de soi, c’est tout le personnage.

pourtant, l’homme est capable d’une vraie élégance, sinon de droiture ; n’avoue-t-il pas au procès du Maréchal Pétain, op. cit. p. 523 : J’éprouve une certaine gêne et comme un regret d’une telle confrontation avec le Maréchal, parce qu’il est le Maréchal et parce qu’il a été mon chef

et même de davantage : Jacques Benoist-Méchin ***, op. cit. p. 130
Tous ces facteurs ne suffisent pas à expliquer l’emprise extraordinaire que Laval exerce sur ses interlocuteurs au cours de ces journées. Sa force vient d’une source plus intime, plus profonde : elle jaillit de la conviction d’être dans le fil des événements, et d’un amour brûlant et pathétique pour son pays. Ces sentiments vont le hausser à un niveau qu’il n’a encore jamais atteint.

[55] - il figure comme ministre des Affaires étrangères sur la liste aussitôt produite par le Maréchal à qui le président de la République vient de proposer de former le gouvernement ; François Charles-Roux, secrétaire général du Quai d’Orsay met sa démission dans la balance et Albert Lebrun le récuse au motif qu’il est trop hostile à l’Angleterre. Pierre Laval refuse alors le ministère de la Justice. Jacques Benoist-Méchin, ** op. cit. pp. 270-271

[56] - au président Lebrun qui le récuse une nouvelle fois en arguant des relations avec l’Angleterre, le Maréchal répond « qu’au point où l’on en sont les choses, l’entrée de M. Laval au gouvernement n’offre plus guère d’inconvénients, et que tous ces ménagements ne serviront à rien. Le gouvernement, par contre, en tirera un renforcement de son autorité, Laval étant très écouté des parlementaires ». Jacques Benoist-Méchin, ** op. cit. . p. 449

[57] - Loustaunau-Lacau, déposant au procès du Maréchal Pétain * p. 355, note que toutes ces relations d’avant-guerre, beaucoup moins importantes qu’on ne l’a dit, se basaient au fond sur une phrase. Un jour, dans une réception au Quai d’Orsay en 1934, M. Doumergue avait dit au maréchal Pétain en lui montrant M. Laval, qui était dans l’embrasure d’une fenêtre : « La République est pourrie ; ils n’ont plus personne, mais il y a encore celui-là. » Ce que confirme Pierre Laval lui-même au procès du Maréchal Pétain * p. 509 : des entrevues « pas très fréquentes … des propos que tous les Français auraient pu entendre » « Je n’ai jamais écrit au Maréchal, il ne m’a jamais écrit » (avant Juin 1940) – de son côté, le Maréchal, membre avec lui des cabinets Doumergue (9 Février 1934) et Bouisson (1er Juin 1935), n’accepte d’entrer ni dans le cabinet Flandin (8 Novembre 1934) ni dans le cabinet qu’à son tour il forme le 7 Juin 1935. Pierre Etienne Flandin note qu’à l’époque il n’existe pas spécialement de relation entre Pierre Laval et Philippe Pétain : Rapport op. cit. annexes IX p. 2561 – Loustaunau-Lacau rend compte au Maréchal par écrit le 22 Septembre 1939 des conditions de mise sur pied éventuelle d’un cabinet de guerre où le futur président du Conseil, son destinaire, garderait les Affaires étrangères pour lui mais inviterait Pierre Laval à prendre une substantiel ministère de l’Intérieur, cité par Henri Noguères, op. cit. pp. 631 à 634

[58] - Je me disais que des gouvernements qui veulent se soucier des régimes intérieurs des autres pays exposent la paix et je pensais que le Maréchal, qui avait une grande autorité, un grand prestige, pourrait peut-être faire le redressement de notre situation à l’extérieur. Il ne s’agisait pas de rompre avec l’Angleterre, ni avec les Soviets. Il s’agissait au contraire de renforcer notre position internationale sur tous les plans. Voilà l’idée maîtresse qui m’a conduit ; c’était mon droit, j’étais parlementaire, j’ai été souvent ministre, souvent chef du gouvernement, j’avais, comme chacun de vous, le souci de tout faire, de tout tenter pour empêcher le pire et je me disais qu’un homme comme le Maréchal pourrait peut-être, par son autorité, remettre de l’ordre dans nos affaires extérieures. Voilà comment j’en étais arrivé à concevoir l’idée du maréchal Pétain au pouvoir. Je ne m’en suis pas caché à l’époque. Je le disais au Sénat, j’en parlais avec mes collègues ; ce n’était pas un complot. Mes conversations avec le Maréchal ont été fort rares et ce qui m’avait intéressé, c’est que le Maréchal m’avait semblé disposé, si l’occasion lui en était offerte, à accepter la responsabilité du pouvoir. Pierre Laval au procès du Maréchal Pétain * op. cit. p. 508

[59] - Henri Noguères, op. cit. p. 126

[60] - Quand j’entre au gouvernement, il y a deux faits qui sont acquis : le premier, c’est que l’armistuce est signé ; le deuxième c’est que le Maréchal est chef du gouvernement. Il était impossible d’imaginer, dans l’état où se trouvait alors la France avec l’occupation des deux tiers de son territoire, avec l’absence de liberté qui allait nous être malheureusement imposée, qu’il pouvait y avoir un Parlement discutant librement dans sa souveraineté. Il fallait donc que le Parlement continue de rester en sommeil comme cela s’était fait déjà pendant la guerre. D’autre part, il fallait envisager des réformes profondes. Pierre Laval au procès du Maréchal Pétain * op. cit. p. 515

[61] - non au maréchal Pétain personnellement, mais au gouvernement que celui-ci préside : distinction induisant le delphinat puisqu’aucun acte constitutionnel ne prévoit une élection du chef de l’Etat en cas de démission, d’empêchement ou de décès du Maréchal ; c’est ce qu’observe Edouard Bonnefous, op. cit. p. 287

[62] - Le Maréchal est très indécis. Sa tendance personnelle est de se borner à mettre les Chambres en congé et à nommer un nouveau gouvernement. Il ne souhaite pas procéder actuellement à une réforme de la constitution. « Il faudrait pour cela être à Paris, et dans un Paris libre. Nous verrons donc cela plus tard ». Mais l’obstination de Pierre Laval l’ébranle. Paul Baudouin, op. cit. p. 227 – C’est parce que le Maréchal, forcément en militaire, voyaiy – c’était peut-être la conséquence de ses souvenirs du temps où il avait été ministre de la Guerre en 1934 – voyait avec inquiétude ses rapports avec le Parlement. Pour une raison physique en quelque sorte. Répondre aux questions, siéger aux Assemblées, était une chose qu’il n’envisageait pas volontiers. Il avait près de lui un parlementaire, un ancien président du Conseil de la IIIème République, qu’il considérait comme un expert en la matière, cet homme connaissant le problème lui disait ce qu’il fallait faire ! Le Maréchal lui aura répondu : « Ce n’est pas mon sentiment, mais vous me le dites et vous vous y connaissez mieux que moi. »

[63] - Paul Baudouin, op. cit. p. 229

[64] - Laval était pour ainsi dire mon homme, celui qui faisait les commissions, dont je me servais et qui connaissait parfaitement tout le personnel. Il avait des idées sur le personnel dont il me parlait avec aisance et qu’il connaissait très bien. J’ai eu confiance parce qu’il me donnait des renseignements que personne d’autre ne possédait.Rapport op. cit. , annexes tome I pp. 173-174

[65] - journée du 29 Juin 1940 - Benoist-Méchin ***, op. cit. pp. 48-50

[66] - Pierre Laval communique aussitôt : Le Sénat et la Chambre tiendront sous peu de courtes séances, au cours desquelles serait votée une résolution de convocation de l’Assemblée nationale. Celle-ci serait saisie des modifications aux institutions que la situation impose, afin que le gouvernement jouisse de l’autorité indispensable à la reconstruction du pays, dans l’ordre et le travail. Benoist-Méchin ***, op. cit. p. 71

[67] - Article unique – L’Assemblée Nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous la signature et l’autorité du maréchal Pétain, président du Conseil, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes la nouvelle Constitution de l’Etat français. Cette Constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. Elle sera ratifiée par les Assemblées qu’elle aura créées.

[68] - Jacques Benoist-Méchin ***, op. cit. pp. 129-130 reproduit Robert Aron, op. cit. pp. 113, lequel ne cite pas ses sources ; Jacques Chastenet, op. cit. p. 280 en fait autant ; écrivant plus tardivement encore Edouard Bonnefous, op. cit. p. 271 n’en donnent rien. – Ces propos n’ont été rapportés, en 1945, par aucun des témoins cités à charge dans les procès tant du Maréchal Pétain que de Pierre Laval. Ils ne le seront

[69] - Les sénateurs anciens combattants réunis à Vichy le vendredi 5 juillet, sous la présidence de M. Jean Taurines, saluent avec émotion et fierté leur chef vénéré, le maréchal Pétain qui en des heures tragiquement douloureuses, a fait don de sa personne au pays, lui apportent leur confiance pour, dans la légalité républicaine, regrouper la force nationale, galvaniser les énergies et préparer le terrain moral qui refera une France digne de leurs sacrifices
rapporté par Edouard Bonnefous, op. cit. p. 270


[70] - l’acte constitutionnel n° 4 du 12 Juillet 1940 en investissant le vice-président du conseil de la succession en cas d’empêchement du Maréchal, consacre le succès parlementaire de Pierre Laval et dispense le nouveau Chef de l’Etat de lui confier un portefeuille en forme

[71] - Jacques Benoist-Méchin ***, op. cit. p. 153 ; Edouard Bonnefous, op. cit. p. 275 ; Robert Aron, op. cit. p. 119 donnent cette réponse dans les mêmes termes et relatent également ainsi la séance du 6 Juillet

[72] - La Constitution est suspendue jusqu’à la signature de la paix. Le Maréchal Pétain, chef du pouvoir exécutif, a pleins pouvoirs de prendre, par décret, toutes les mesures qu’il jugera nécessaires et, en même temps, d’établir, en collaboration avec les Assemblées, les bases d’une Constitution nouvelle. Jacques Benoist-Méchin ***, op. cit. p. 163

[73] - Maurice Martin du Gard, La chronique de Vichy (Flammarion . 1er trim. 1948 . 529 pages) p. 39

[74] - Jacques Benoist-Méchin ***, op. cit. p. 159-160

[75] - Article unique. – L’Assemblée nationale décide :
1° l’application des lois constitutionnelles des 24-25 février et 16 juillet 19875 est suspendue jusqu’à la conclusion de la paix ;
2° M. le Maréchal Pétain a tous pouvoirs pour prendre, par décrets ayant force de loi, les mesures nécessaires au maintien de l’ordre, à la vie et au relèvement du pays et à la libération du territoire ;
3° L’Assemblée nationale confie à M. le Maréchal Pétain la mission de préparer, en collaboration avec les comissiions compétentes, les Constitutions nouvelles, qui seront soumises à l’acceptation de la nation, dès que les circonstances permettront une libre consultation.
ibid. p. 271 – Curieusement, l’ancien président du Conseil, interrogé le 9 Mars 1948 par la commission d’enquête, ne l’est pas à ce propos, Rapport op. cit. annexes III p. 785 à 816

[76] - Le procès Flandin, op. cit. pp.122-123

[77] - Jacques Benoist-Méchin *** op. cit. pp. 178-179 ; Edouard Bonnefous, op. cit. pp. 276-277

[78] - le Président de la République leur expose que « les pouvoirs qui vont être demandés pour le Maréchal à l’effet d’établir une constitution nouvelle lui seront sans doute donnés, et sans doute aussi la fonction de Président de la République disparaîtra. Je serai donc démissionné. C’est cette situation sans dignité qui me serait faite. Je me propose donc de me démettre de ma fonction sans plus attendre ». Jules Jeanneney, op. cit. p. 94
[79] - discuté par Jacques Benoist-Méchin *** op. cit. p. 193 et rapporté par Robert Aron, op. cit. 128

[80] - d’une bonne plume, le texte n’a pas d’auteur certain – JO DP Annexe 7205 Session extr. – séance du 9 juillet 1940
Projet de résolution tendant à réviser les lois constitutionnelles présenté au nom de M. Albert Lebrun, président de la République française, par M. le maréchal de France, Ph. Pétain, président du conseil
EXPOSE DES MOTIFS
Messieurs, il faut que nous tirions la leçon des batailles perdues. Revenir sur les erreurs commises, déterminer les responsabilités, rechercheer les causes de nos faiblesses, cette œuvre nécessaire sera accomplie. Mais elle ne servirait de rien si elle n’était la condition première de notre relèvement. Car il s’agit d’abord de refaire la France.
Ayant mesuré l’étendue de sa défaite, un pays comme le nôtre, quelle que soit sa douleur, quelles que soient ses souffrances, ne s’attardera pas à des regrets inutiles.
Il ne se lamentera pas sur le passé et il n’entreprendra pas non plus de le faire revivre tel quel.
C’est dans la défaite militaire et dans le désordre intérieur que d’autrres pays ont puisé la force de revivre et de se transformer. Au moment le plus cruel de son histoire, la France doit comprendre et accepter la nécessité d’une révolution nationale. Elle doit y voir la condition de son salut dans l’immédiat et le gage de son avenir.
Cette reconstruction hardie, audacieuse, cet effort total de rajeunissement requièrent de tous les Français mieux qu’un consentement résigné, mieux même qu’une discipline acceptée par amour de la patrie : il y faut entier don de soi, une confiance sans arrière-pensée, une foi ardente, cet élan collectif qui donne seul son sens à la vie individuelle.
C’est dans cet esprit que le Gouvernement s’est tourné vers les Chambres, en leur demandant de rendre possible, par un acte solennel, dans l’ordre et dans la légalité républicaine, cet immense effort. Sénateurs et députés ont l’expérience, mieux que quiconque, des faiblesses et des lacunes de nos institutions législatives. Un grand nombre d’entre eux n’ont cessé d’appeler de leurs vœux une réforme profonde des mœurs politiques. De récentes et émouvantes déclarations émanant d’hommes de tous les anciens partis ont témoigné d’une conscience aigüe des grands devoirs qui incombent à la représentation nationale. On a senti que, toutes les barrières factices étant tombées, les Français se reconnaissaient, se retrouvaient dans un grand élan fraternel.
Le Parlement s’honorera devant l’Histoire et méritera la reconnaissance de la Nation en ouvrant, le premier, les portes de l’avenir. Il faut que le Gouvernement ait tout pouvoir pour décider, entreprendre et négocier, tout pouvoir pour sauver ce qui doit être sauvé, pour détruire ce qui doit être détruit, pour coinstruire ce qui doit pêtre construit. Le Gouvernement demande donc au Parlement, réuni en Assemblée nationale, de faire confiance au maréchal Pétain, président du conseil, pour mromulguer sous sa signature et sa responsabilité, les lois fondamentales de l’Etat français.
Il importe, en premier lieu, de restaurer l’Etat dans sa souveraineté et le pouvoir gouvernemental dans son indépendance. L’autorité légitime sera affranchie de la pression des oligarchies. Le Gouvernement présidera aux destinées du pays avec continuité et ordonnera au bien commun l’ensemble des activités françaises. Ce Gouvernement aura la collaboration d’une représentation nationale qui jouera auprès de lui son rôle normal.
La fermeté sera sa loi ; mais il s’appliquera à concilier l’autorité avec le respect des libertés nécessaires.
C’est dans cet esprit que, rompant avec les abus et la routine, il reconstruira sur des bases modernes et simples les institutions administratives et judiciaires du pays désorganisées par l’invasion. Arbitre impartial des intérêts de tous les Français, il s’efforcera dans cette œuvre d’atténuer par la plus stricte économie le fardeau des dépenses publiques qu’une guerre malheureuse a rendu écrasant.
L’éducation nationale et la formation de la jeunesse seront au premier rang de ses soucis. Conscient des dangers mortels que la perversion intellectuelle et morale de certains ont fait courir au pays à une heure décisive, il favorisera de tout son pouvoir les institutions propres à développer la natalité et à protéger la famille.
Le Gouvernement sait bien, d’ailleurs, que les groupes sociaux : famille, profession, communes, régions, existent avant l’Etat. Celui-ci n’est que l’organe politique de rassemblement national et d’unité. Il ne doit donc pas empiéter sur les activités légitimes de ces groupes, mais il les subordonnera à l’intérêt général et au bien commun ; il les contrôlera et il les arbitrera.
Certes, la vie économique de notre pays va connaître une orientation nouvelle. Intégrée a système continental de la production et des échanges, la France redeviendra, d’ailleurs à son avantage, agricole et paysanne au premier chef et son industrie devra retrouver ses traditions de qualité. Il sera donc nécessaire de mettre fin au désordre économique actuel par une organisation rationnelle de la production et des institutions corporatives.
La transformation des cadres professionnels conduira tout naturellement le Gouvernement à instaurer, dans la justice, un ordre social nouveau.
Employeurs et salariés ont un droit égal à trouver, dans l’entreprise qui les réunit, le moyen d’assurer dignement leur vie et celle de leur famille. L’organisation professionnelle réalisée sous le contrôle de l’Etat, d’après ce principe de collaboration, assurera une plus juste répartitition du profit, en écartant, d’une part, la dictature de l’argent et la ploutocratie, d’autre part, la misère et le chômage.
La restauration de la hiérarchie des valeurs restera, dans tous les domaines, la tâche la plus urgente. Chaque Français de la métropole ou de l’empire doit être mis à la place où il servira le mieux notre pays. Une seule aristocratie sera reconnue : celle de l’intelligence ; un seul mérite, le travail. Ils dirigeront le pays vers son nouveau destin, celui de la France éternelle pour continuer l’œuvre sacrée des millénaires.
Ainsi notre pays, au lieu de se laisser abattre par l’épreuve, retrouvera, par son effort et dans ses traditions, la fierté de notre race.
PROJET DE RESOLUTION
Article unique. – Le projet de résolution dont la teneur suit sera présenté à la Chambre des députés par le maréchal de France, président du conseil, qui est chargé d’en soutenir la discussion :
« La Chambre des députés déclare qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles ».

[81] - c’est de ce texte qu’il s’agit en séance secrète – Jacques Benoist-Méchin ***, op. cit. pp. 625 à 632 la cite intégralement

[82] - à Gaston Bergery est d’ailleurs attribuée la rédaction du discours de doctrine prononcé à la radio par le Maréchal, le 11 Octobre 1940

[83] - Annexe 7206 Rapport fait au nom de la commission du suffrage universel chargée d’examiner la proposition de résolution tendant à réviser les lois constitutionnelles, par M. Jean Mistler, député.
Nota. – Ce document n’a pas été publié mais par sa lecture, il est intégré dans le compte-rendu de la séance du 9 Juillet
Messieurs, dans la stupeur qui a suivi nos désastres, la conscience du pays a senti la nécessité, si nous voulons refaire la France, de réformer profondément les institutions politiques dont la marche, déjà difficile en temps de paix, s’est révélée tragiquement insuffisante dans l’épreuve.
De nombreuses propositions avaient été faites avant la guerre en vue d’une réforme de l’Etat. Elles n’ont jamais abouti.
Aujourd’hui, c’est sur le principe même d’une révision des lois constitutionnelles que la Chambre est appelée à statuer à la demande du Gouvernement que préside le maréchal Pétain, ce grand soldat qui, dans notre deuil national, porte sur son visage le reflet de nos victoires d’hier, l’espoir de notre renaissance demain.
Il ne s’agit pas pour la Chambre, en ce moment, de discuter le fond de la propositionqui nous est soumise et dont l’article unique est ainsi conçu :
« La Chambre des députés déclare qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles ».
Cette discussion de fond aura lieu demain devant l’Assemblée nationale qui, dans sa souveraineté, déterminera la forme de ce débat.
En ce moment, la question qui nous est posée est plus simple. Chaque Français estrime qu’il faut que bien des choses changent dans notre pays C’est à nous, parlementaires, de donner forme légale à cet espoir.
Aussi la commission du suffrage universel m’a-t-elle donné, à l’unanimité des vingt-trois membres présents, mandat de rapporter favorablement l’article unique du projet gouvernemental.
Le Parlement, dont la souveraineté, devenue de plus en plus théorique, était en fait ligotée de mille entraves, a été, hier comme aujourdh’ui, chargé par certains de toutes les responsabilités.
Il en est, à coup sûr, qui sont les siennes. Il en est d’autres, et plus graves, qui ne lui sont aucune imputables. Nous voulons qu’elles soient toutes recherchées. Nous voulons que leur châtiment soit impitoyable.
Mais c’est là une partie de l’œuvre de demain.
Aujourd’hui, en permettant, comme le Gouvernement le lui demande, l’immense effort de reconstruction du pays, dans l’ordre et dans la légalité républicaine, le Parlement donne un exemple que tous, dans toutes les classes de la nation, et dans toutes nos provinces, celles qui sont libres et celels qui supportent le poids de l’occupation, devront suivre s’ils veulent que la France revive, s’ils veulent que, de nouveau, elle soit égale à son magnifique passé, à son millénaire destin. (Vifs applaudissements.)
La Chambre adopte par 393 contre 3

[84] - Annexe n° 101 – session extr.
Au nom de la commission de législation civile et criminelle par M. Jean Boivin-Champeaux, sénateur – publié au JO débats parlementaires Sénat du 10 Juillet 1940, p. 352, 3ème colonne
Le 9 Juillet – séance ouverte à 16 heures - le Sénat par 225 contre 1 adopte le projet de résolution, Jules Jeanneney ne participe pas au vote, 5 excusés
Messieurs, l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 décide que les Chambres auront le droit, par délibération s »parée, prise dans chacune à la majorité absolue des voix, de déclarer soit sponatnément, soit sur la demande de M. le président de la République, qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles.
Les Chambres, après s’être prononcées se réunissent en assemblée nationale. La révision peut porter soit sur partie, soit sur l’ensemble de la Constitution.
Vous êtes appelés à vous prononcer à votre tour. La procédure est légale et régulière ; elle est conforme aux précédents, avec cette différence toutefois que les révisions antérieures de 1879, 1884 et 1926 n’ont été que des révisions partielles, et qu’aujourd’hui c’est une refonte totale de nos institutions que vous avez à envisager.
Il ne s’agit pas à l’heure actuelle d’aborder le fond du débat. Le texte ne nous y autorise pas.
Il s’agit de se prononcer sur le principe de la révision et, sur ce principe, je crois pouvoir dire que nous sommes tous d’accord.
Après l’effroyable drame où notre pays a été jeté, il faut lui donner une raison de vivre et une espérance. Il faut qu’il ait la certitude que les erreurs passées ne se renouvelleront pas ; il faut surtouyt qu’il ait le sentiment que, contrairemlent à ce qui est advenu après la guerre de 1914-1918, les immenses sacrifices qu’il a consentis n’auront pas été vains.
Ce n’est pas sans tristesse que nous dirons adieu à la Constitution de 1875.
Elle avait fait de la France un pays libre, un pays où l’on respirait à l’aise, où l’on se sentait à la fois fort et dispos. Elle meurt, moins de ses imperfections que de la faute des hommes qui avaient été chargés d’assurer la marche et le fonctionnement. (Vifs applaudissements).
M. Jean Odin. Le Parlement meurt de ses dessaisissements et de ces carences.
M. Boivin-Champeaux, rapporteur de la commission de législation civile et criminelle. On peut se demander même si la Constitution de 1875 ne meurt pas de n’avoir été plus strictement appliquée. (Nouveaux applaudissements).
Je crois traduire un sentiment unanime en disant que cette Assemblée qui, jusqu’au dernier jour, a accompli son devoir, a gardé l’estime et la confiance du pays. Le Sénat n’a pas cessé de servir la France, ni de consentir aux sacrifices qui lui ont été demandés dans l’intérêt de la patrie. (Très bien ! Très bien !) Il a été, au sens plein du mot, l’Assemblée de l’intérêt général, et je souhaite que les institutions nouvelles en retrouvent à son image. (Très bien ! Très bien !).
Il n’y a pas si longtemps que sa modération, sa sagesse et sa clairvoyance évitaient au pays des divions intestines et la guerre civile. Je ne doute pas que, mieux informé, il n’ait évité à la nation les horreurs de la guerre. (Vifs applaudissements).
M. Paul Bénazet. Le Sénat a été mal informé par les gouvernements responsables.
M. Boivin-Champeaux Vous avez raison, par les gouvernements responsables.
Messieurs, votre commission de législation vous demande un dernier geste, celui d’adopter le texte proposé. Ce ne sera pas payer trop cher la sauvegarde et le relèvement de la patrie. (Vifs applaudissements prolongés).

[85] - elle figure en original dans la liasse du compte-rendu de la séance secrète, à la cote II B 7
Le Maréchal Pétain Vichy, le 7 Juillet 1940
Monsieur le Président,
Le projet d’ordre constitutionnel
déposé par le Gouvernement que je
préside viendra en discussion le
mardi 9 et le mercredi 10 juillet
devant les assemblées.
Comme il m’est difficile de
participer aux séances, je vous demande
de m’y représenter.
Le vote du projet, que le gouver-
nement soumet à l’Assemblée nationale,
me paraît nécessaire pour assurer
le salut de notre Pays.
Veuillez agréer, mon cher Président,
l’expression de mes sentiments bien
cordiaux.
Ph. Pétain

Jacques Benoist-Méchin ***, op. cit. p. 216 conjecture les circonstances dans lesquelles Pierre Laval l’a obtenue, sans être accompagné ni par Jacques Chastenet, op. cit. p. 285, ni par Robert Aron, op. cit. p. 143, ni par Edouard Bonnefous, op. cit. p. 280, ce dernier n’en faisant pas même état

[86] - Jacques Chastenet, op. cit. p. 285
Ce que reconnaît aussi Robert Aron, op. cit. p. 142 : A ce moment décisif de sa carrière politique, à l’instant où il s’agit pour lui de donner le coup de grâce au régime qu’il rend responsable de la défaite, tous ses propos ont un accent d’authenticité qui, quelque discutable qu’en soit le contenu, ne manque pas de grandeur. Laval semble répudier toutes les malices, toutes les roueries auxquelles il avait eu recours dans les journées précédentes. Il ne ment plus, il ne prend plus ses adversaires en traîtres.
Avant de citer Robert Aron, Jacques Benoist-Méchin ***, op. cit. p. 216, rend compte du même sentiment : A ce moment crucial, Laval va prononcer un des plus beaux discours de sa carrière. On voudrait dire qu’il est un chef d’œuvre de l’art. Mais cette image comporte encore une nuance d’artifice. Or, chacune de ses paroles est empreinte d’une sincérité absolue.

[87] - Rapport, op. cit. annexes VIII p. 2273

[88] - c’est ce qui est soutenu dès le 29 Juin 1940 par Yves Bouthillier qui l’expose devant la commission d’enquête le 28 Décembre 1950 : Rapport, op. cit. annexes VIII p. 2537

[89] - J’ai eu l’impression, chaque fois que j’en ai parlé au Maréchal, qu’il partageait mon sentiment. Il était très préoccupé de la réunion de l’Assemblée nationale et de la réforme éventuelle de la Constitution. Il a laissé faire M. Laval et les choses se sont déroulées comme chacun sait. Ibid.

[90] - Le procès Flandin op. cit. pp. 121 à 124 & Jacques Benoist-Méchin ***, op. cit. pp. 176 à 181 – L’ancien président du Conseil, quelques semaines ministre des Affaires étrangères à Vichy (13 Décembre 1940 .9 Février 1941) ne témoigne devant la commission d’enquête que sur la période antérieure à 1940. Après son audition du 13 Février 1951, il élude toute nouvelle déposition : Rapport op. cit. annexes IX pp. 2557 à 2598 & 2877

[91] - Henri Noguères, op. cit. pp. 14-16 & Edouard Bonnefous, op. cit. pp. 58-59

[92] - Jacques Chastenet, op. cit. pp. 38-39

[93] - en 1932, il recueille 633 suffrages contre 111 accordés à Paul Faure, tandis qu’en 1939, il est certes élu au premier tour de scrutin (contre Albert Bedouce, socialiste, 151 voix, Marcel Cachin, communiste 74 voix, Edouard Herriot, Fernand Bouisson et François Pietri qui n’étaient pas candidats, et Justin Godart qui avait maintenu sa candidature) mais par 506 voix sur 904 suffrages, soit une majorité de 53 voix seulement. Edouard Bonnefous, op. cit. p. 59

[94] - Alfred Fabre-Luce, Journal de la France (La diffusion du livre . Juillet 1947 . 655 pages) p. 229

[95] - A partir du moment où le cabinet Pétain a été constitué, j’ai eu le sentiment très net – j’exagère peut-être, mais enfin – de ne plus être considéré comme le président de la République. Il y avait entre le chef de l’Etat et la majorité des membres du gouvernement une telle différence de pensée en toutes matières qu’en vérité je remplissais encore mon office, mais je n’étais plus le chef ayant la confiance de ses ministres.Albert Lebrun ajoute qu’il fut empêché d’adresser un message d’adieu au pays par radio : Rapport op. cit. Anexes IV p. 1021

[96] - interrogé, le 8 Juin 1948, par la commission d’enquête sur sa réponse aux démarches de Pierre-Etienne Flandin Rapport op. cit. annexes IV p. 991, Albert Lebrun ne renvoie qu’à son livre Témoignage

[97] - JO 1940 p. 4513

[98] - Le procès Flandin ibid.
[99] - Article unique. – L’Assemblée nationale décide :
1° l’application des lois constitutionnelles des 24-25 février et 16 juillet 1875 est suspendue jusqu’à la conclusion de la paix ;
2° M. le Maréchal Pétain a tous pouvoirs pour prendre, par décrets ayant force de loi, les mesures nécessaires au maintien de l’ordre, à la vie et au relèvement du pays et à la libération du territoire ;
3° l’Assemblée nationale confie à M. le Maréchal Pétain, la mission de préparer, en collaboration avec les commissions compétentes, les Constitutions nouvelles qui seront soumises à l’acceptation de la Nation dès que les circonstances permettront une libre consultation.

[100] - à l’initiative du député Vincent Badie, elle recueillera une quarantaine de signatures pour être soumise à l’Assemblée nationale. Jacques Benoist-Méchin *** op. cit. p. 200-201 et Edouard Bonnefous, op. cit. p. 277, la donnent en termes identiques :
Les parlementaires soussignés, après avoir entendu la lecture de l’exposé des motifs du projet concernant les pleins pouvoirs à accorder au Maréchal Pétain, tiennent à affirmer solennellement qu’ils n’ignorent rien de tout ce qui est condamnable dans l’état actuel des choses et des raisons qui ont entraîné la défaite de nos armées,
Qu’ils s’avent la nécessité impérieuse d’opérer d’urgence le redressement moral et économique de notre malheureux pays et de poursuivre les négociations en vue d’une paix durable dans l’honneur.
A cet effet, estiment indispensable d’accorder au Maréchal Pétain, qui en ces heures graves incarne si parfaitement les vertus traditionnelles françaises, tous les pouvoirs pour mener à bien cette œuvre de salut public et de paix.
Mais se refusent à voter un projet qui, non seulement donnerait à certains de leurs collègues un pouvoir dictatorial, mais aboutirait inéluctablement à la disparition du régime républicain.
Les soussignés proclament qu’ils restent plus que jamais attachés aux libertés démocratiques pour la défense desquelles sont tombés les meilleurs fils de notre patrie.

[101] - JO DP 1940 pp. 821 à 825

[102] - Dans un débat aussi triste, je supplie nos collègues de réfréner leurs passions, pour lui conserver toute sa dignité, déclare le président de séance, et Pierre Laval renchérit : Je vous en prie. Je crois que nous devrions, comme l’a dit Mr le Président, laisser à ce débat, car il est triste et grave, toute sa dignité. Et plus loin, à propos du Massilia : je vous prie de ne pas vous passionner aux paroles que vous allez entendre

[103] - Pierre-Etienne Flandin use de l’argument, plus encore que Pierre Laval : un devoir supérieur s’impose à nous aujourd’hui : faire confiance aux hommes qui gouvernent la France et qui devront discuter les conditions finales du traité de paix.

[104] - Je remercie les anciens combattants de leur initiative parce que de cette façon, ce qu’il pouvait y avoir de doute dans vos esprits, nous le faisons disparaître. Les anciens combattants auront ainsi reçu une satisfaction qu’il m’était d’autant plus loisible de leur accorder, qu’en fait la contradiction n’existait pas dans notre pensée, bien qu’elle pût sembler apparaître dans les textes - J’ai tenu compte surtout du désir exprimé par les anciens combattants qui demandaient que notre constitution fût ratifiée par la nation. C’était dans notre esprit, mais nous avons tenu à le préciser dans le texte - voir annexe I

[105] - Il n’y a donc aucun doute, il ne saurait y en avoir aucun, que c’est la pensée du maréchal que j’exprime en ce qui concerne le texte qui vous est soumis et que c’est également sa pensée que j’exprime en vous faisant connaître la modification qu’il y a apportée, à la demande des anciens combattants. Voir annexe I

[106] - Si aujourd’hui nous sommes battus, l’univers entier, les ennemis comme les autres, ont du respect pour cet homme qui incarne la plus belle page de notre histoire. Nous avons la bonne fortune de l’avoir, de nous abriter derrière lui pour essayer d’assurer le salut de notre pays. C’est à cela que je vous convie, et ce soir, j’en suis sûr, il ne manquera pas un suffrage pour l’adoption du projet, parce que c’est à la France que vous le donnerez. Voir annexe I

[107] - Pierre-Etienne Flandin, dès le début de son intervention, voir Annexe I considère comme hors sujet une sorte de revue du passé servant à nous donner quelques éclaircissements, peut-être, d’ailleurs, plus par intuition que par déduction, sur la politique générale du Gouvernement dont il fait partie. Sur ce point, [107] je ne le suivrai pas parce que ce n’est pas un débat sur la politique du Gouvernement que nous avons à instaurer aujourd’hui ici, pas plus que sur la politique du passé ou sur celle de l’avenir.

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