Tribune
Mateusz Morawiecki
Premier ministre de la Pologne
Les Vingt-Sept ont refusé d’entendre, depuis des années, les avertissements quant à la menace russe, rappelle-t-il, dénonçant « l’oligarchie de fait » exercée par Paris et Berlin sur l’Union.
Publié le 16 août 2022 à 06h00 - Mis à jour le 16 août 2022 à 13h29 Temps de Lecture 3 min.
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La guerre en Ukraine a fait apparaître la vérité sur la Russie. Ceux qui ne voulaient pas voir que l’Etat de Poutine avait des tendances impérialistes doivent se rendre à l’évidence : en Russie, les démons des XIXe et XXe siècles ont été ravivés : le nationalisme, le colonialisme et un totalitarisme de plus en plus visible. Mais la guerre en Ukraine a également révélé la vérité sur l’Europe. De nombreux dirigeants européens avaient été séduits par Vladimir Poutine. Ils vivent aujourd’hui un choc.
Le retour de l’impérialisme russe ne devrait pas nous surprendre. L’Europe s’est retrouvée dans la situation présente non pas parce qu’elle était insuffisamment intégrée, mais parce qu’elle a refusé d’écouter la voix de la vérité. Cette voix se faisait entendre de la Pologne depuis de nombreuses années.
Cette ignorance de la voix polonaise est une illustration du problème plus large auquel l’Union européenne (UE) est confrontée aujourd’hui. En son sein, l’égalité des Etats individuels est de nature déclarative. La pratique politique montre que les voix allemande et française ont une importance prépondérante. Nous avons donc affaire à une démocratie formelle et à une oligarchie de fait au sein de laquelle le pouvoir est détenu par les plus forts.
Principe de l’unanimité
Le mécanisme de sécurité qui protège l’UE de la tyrannie de la majorité est le principe de l’unanimité. Il peut être frustrant de chercher un compromis entre vingt-sept pays qui ont si souvent des intérêts contradictoires, et le compromis lui-même peut ne pas satisfaire tout le monde à cent pour cent. Toutefois, cela permet de s’assurer que chaque voix est entendue et que la solution adoptée répond aux attentes minimales de chaque Etat membre.
Si quelqu’un suggère de rendre l’UE encore plus dépendante des décisions allemandes qu’auparavant – ce qui reviendrait à abolir la règle de l’unanimité –, il suffit de faire une brève analyse rétrospective de ces décisions pour voir quelles seraient les conséquences de ce choix. Si, ces dernières années, l’Europe avait toujours agi comme le voulait l’Allemagne, notre situation serait-elle meilleure ou pire aujourd’hui ?
Si toute l’Europe avait suivi le vote allemand, non seulement le Nord Stream 1, mais aussi le Nord Stream 2 auraient été lancés depuis de nombreux mois. La dépendance de l’Europe au gaz russe, qui sert à Poutine d’outil de chantage contre tout le continent, serait presque irréversible.
Le prix réel du sang
Si toute l’Europe avait fourni des armes à l’Ukraine à la même échelle et au même rythme que l’Allemagne, la guerre aurait pris fin depuis longtemps. Et cela aurait été une victoire absolue pour la Russie. Quant à l’Europe, elle se serait trouvée à la veille d’une autre guerre. Dans la mesure où la Russie, encouragée par la faiblesse de ses adversaires, aurait continué à avancer.
Aujourd’hui, toute voix occidentale visant à limiter les livraisons d’armes à l’Ukraine, à alléger les sanctions, à amener les « deux parties » (c’est-à-dire l’agresseur et la victime) au dialogue est un signe de faiblesse aux yeux de Poutine. Et pourtant, l’Europe est beaucoup plus forte que la Russie.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Guerre en Ukraine : le chancelier allemand, Olaf Scholz, sommé d’accélérer les livraisons d’armes
Si nous voulons vraiment parler de valeurs démocratiques, il est temps de procéder à un grand examen de conscience européen. Pendant trop longtemps, la valeur la plus importante pour de nombreux pays a été le prix peu élevé du gaz russe. Nous savons néanmoins que celui-ci a pu être réduit dans la mesure où le prix réel du sang, versé aujourd’hui par l’Ukraine, n’y était pas ajouté.
Retour aux principes
La victoire sur l’impérialisme en Europe est également un défi pour l’UE. Celle-ci a de plus en plus de mal à respecter la liberté et l’égalité de tous les Etats membres. De plus en plus aussi, nous entendons dire que ce n’est plus l’unanimité, mais la majorité qui doit décider de l’avenir de l’ensemble de la communauté. L’abandon du principe de l’unanimité dans davantage de domaines de compétence de l’UE nous rapproche d’un modèle où les plus forts et les plus grands dominent les plus faibles et les plus petits.
Je lance donc un appel à tous les dirigeants européens afin qu’ils aient le courage de mener une réflexion adaptée à l’époque dans laquelle nous vivons. Nous nous trouvons dans un moment historique. La Russie impériale peut être vaincue – grâce à l’Ukraine et au soutien que nous lui apportons. La victoire dans cette guerre ne dépend que de notre constance et de notre détermination.
Lire aussi l’éditorial : Face à la Russie, le sursaut de l’Union européenne
La situation actuelle nous oblige à réfléchir dans un cadre totalement nouveau. Nous devons avoir le courage d’admettre que l’UE n’a pas été à la hauteur face à la crise due au Covid-19 et face à la guerre. Toutefois, le problème n’est pas que nous avançons trop lentement sur la voie de l’intégration et que nous devrions accélérer ce processus de manière exponentielle. Le problème est que cette voie est elle-même erronée. Parfois, au lieu de faire deux pas en avant, il vaut mieux faire un pas en arrière et regarder les choses sous un certain angle. La perspective d’un retour aux principes qui organisent la communauté européenne en partant de zéro semble la plus sûre. Il ne s’agit pas de saper les fondements de l’UE, mais bien de les renforcer, plutôt que de les transgresser. L’Europe a besoin d’espoir comme jamais auparavant. Et elle ne peut trouver cet espoir que dans un retour aux principes et non dans le renforcement de la superstructure institutionnelle.
Mateusz Morawiecki est le premier ministre de la Pologne.
Mateusz Morawiecki(Premier ministre de la Pologne)
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