mercredi 23 février 2022

Présidentielle : quel recours pour les candidats à l'Elysée privés des 500 signatures ? - Marianne.net

 


Entretiens croisés

Propos recueillis par Louis Nadau

Publié le 23/02/2022 à 7:00

Les constitutionnalistes Jean-Philippe Derosier, Michel Verpeaux et Benjamin Morel examinent les options à disposition des candidats à la présidence de la République qui n'obtiendraient pas leurs 500 signatures le 4 mars.

Vendredi 4 mars 2022, 18 heures. Passée cette échéance, les candidats n'ayant pas recueilli les 500 signatures d'élus (représentant au moins 30 départements ou collectivités) requises pour se présenter à l'élection présidentielle ne pourront plus le faire. Le dernier pointage du Conseil constitutionnel, publié ce mardi 22 février, montre que trois candidats dépassant les 10 % dans les sondages sont encore dans une situation tangente : Jean-Luc Mélenchon (442 parrainages), Marine Le Pen (393) et Eric Zemmour (350). Si le compte n'était pas bon le 4 mars, ces prétendants à l'Elysée auraient-ils un recours possible ? Non pas un, ni deux, mais trois constitutionnalistes se penchent sur la question pour Marianne : Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, Michel Verpeaux, professeur de droit public à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et Benjamin Morel, maître de conférences à l'Université Panthéon-Assas.

Marianne : Existe-t-il une dérogation ou une voie de recours dans le cas où un candidat ne recueillerait pas les 500 présentations ?

Jean-Philippe Derosier : Non. Quel serait l’objet du recours ? Qu’est-ce qui serait demandé légalement ? C’est un acte totalement libre de la part des « présentateurs », pour employer le terme adéquat. Rien ne les oblige à signer.



Michel Verpeaux : Il n’existe ni voie de recours, ni dérogation. Sur le plan politique, la non qualification de certains candidats risquerait de provoquer une certaine émotion, mais ça ne pourrait pas aller pas plus loin sur le plan légal. Si certains parrainages venus d’élus de partis différents de ceux des candidats ne sont peut-être pas exempts d’arrière-pensées, il s’agit aussi d’éviter une crise politique.

Benjamin Morel : Le Conseil constitutionnel agit à la fois comme juge constitutionnel et comme juge électoral, on voit mal comment un recours pourrait avoir lieu. Ces dispositions découlent d’une loi organique, qui a donc déjà fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, si bien qu’on voit mal sur quoi porterait le recours.

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La loi du 6 novembre 1962 prévoit que « les présentations doivent parvenir au Conseil constitutionnel au plus tard le sixième vendredi précédant le premier tour de scrutin ». Est-il envisageable que le Conseil constitutionnel allonge le délai ?

Michel Verpeaux :La campagne officielle est limitée dans le temps, il faut qu’elle se déroule à des dates précises, donc ça ne me paraît pas faisable. Il faudrait changer la loi. Sans même parler de la pertinence d’un changement, il est beaucoup trop tard pour le faire. Aujourd’hui, la seule solution est politique.

Benjamin Morel : A moins de changer la loi, non.

Le but du système de parrainages est de garantir la légitimité des candidats. S’il aboutissait à ce que certains candidats pourtant « populaires » ne puissent pas concourir, ne remettrait-il pas en question la légitimité de l’élection elle-même ?

Jean-Philippe Derosier : Il faut expliquer que le premier responsable de ce genre de situation, c’est le candidat qui n’a pas su créer les conditions pour obtenir lesdites signatures. Prenons l’exemple de Jean-Luc Mélenchon : jusque-là il faisait alliance avec le PCF et obtenait ses signatures sans problème. Il faut être mesure de s’inscrire dans une dynamique de pluralisme, adapter son identité pour réunir. C’est par la désunion, le rejet des règles démocratiques, qu’il se retrouverait exclu de l’élection.

Michel Verpeaux : Il s’agit d’un cas analogue à ceux des référendums pour lesquels la participation est très faible. Il y aurait bien sûr une illégitimité, mais sur le plan politique, et non sur le plan légal.

Benjamin Morel : Quand vous venez d’un parti polarisé, dont l’électorat se déplace plus aux élections nationales que locales, vous aurez forcément plus de mal à récolter des parrainages, mais cela ne veut pas dire que votre parti ne représente rien. Ce système favorise une sur-représentation des centres.

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Or il faut garder en tête son but initial : procéder à un filtrage des candidatures, pour rendre le débat public plus lisible, et non pour le fausser. Le système filtre mal les candidatures, parce qu’il est plus facile pour un élu d’accorder son parrainage à un petit candidat comme Nathalie Arthaud ou Jean Lassalle, pour lequel personne ne demandera de compte, que pour des candidatures plus « significatives ».

Selon vous, la règle est-elle encore adaptée à une démocratie dans laquelle les candidatures sont de moins en moins liées à un système partisan ?

Jean-Philippe Derosier : Ce qui me paraît inadapté, c’est que Nathalie Arthaud ait ses parrainages. Je serais éventuellement partisan de remonter le nombre de signatures. La pertinence de la loi, c’est d’établir un filtrage qui montre une double dynamique : citoyenne, parce que l’élection a lieu au suffrage universel direct, mais aussi politique et territoriale, grâce à la signature de ces élus.

Eric Zemmour n’a pas d’ancrage territorial. Ce personnage, indépendamment de ses thèses, n’a rien à faire sur la scène présidentielle, parce qu’il n’a aucune implantation politique. C’était la même chose pour Coluche, que j’adore pourtant. Ne pas recueillir les signatures, ça montre tout simplement que le candidat putatif n’avait pas l’envergure politique requise, puisqu’il est incapable de s’inscrire dans un processus politique encadré.

« On voit bien que les résultats des élections locales ne conditionnent pas du tout les résultats des élections nationales, sinon Anne Hidalgo et Valérie Pécresse devraient être en tête des intentions de vote. »

Michel Verpeaux : Les choses sont sans doute un peu dépassées par les différentes conceptions de la démocratie et des mouvements politiques que l’on voit aujourd’hui. D’où l’idée d’un soutien populaire de 150.000 personnes, par exemple. Le système est un peu grippé parce que les partis sont affaiblis. On s’aperçoit que les méfaits sont peut-être plus grands que les bienfaits attendus.

Benjamin Morel : Le problème des parrainages, c’est que c’était une bonne mesure dans les années 70, époque à laquelle il fallait un système partisan derrière soi pour faire campagne.

Dans les années 80-90, le Front national FN est le premier parti dont les résultats au niveau national ne sont plus corrélés avec les résultats au niveau local. Cette dé-corrélation est devenue généralisée.  On voit bien que les résultats des élections locales ne conditionnent pas du tout les résultats des élections nationales, sinon Anne Hidalgo et Valérie Pécresse devraient être en tête des intentions de vote.

Faut-il revenir à l’anonymat des parrainages, comme avant 1988 ?

Jean-Philippe Derosier : Non. Libre aux élus d’expliquer leurs parrainages aux électeurs. S’ils vont à rebours de leurs convictions, à eux de l’assumer.

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Michel Verpeaux : Je ne vois pas en quoi l’anonymat est une bonne chose. Le parrainage est un acte civique, si on a honte, on ne parraine pas. Il vaut mieux que les choses soient publiques, quitte à ce que les élus se justifient auprès de leurs électeurs.

Benjamin Morel : Différentes pressions s’exercent aujourd’hui sur les signataires : celle des partis, des électeurs, des conseils municipaux, des intercommunalités politisées… Dire aux maires qu’ils doivent expliquer que le parrainage ne vaut pas soutien, c’est facile à dire.

L’anonymat partiel, tel qu’il existait avant 2016, ça ne sert à rien. L’anonymat total des parrainages pourrait arranger les choses, mais il ne règle qu’une partie du problème : certes, les « grosses » candidatures n’ont plus de problème, mais ça devient « open bar » pour les petites candidatures, qui risquent de se multiplier.

Par Louis Nadau

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