samedi 4 avril 2015

l'erreur d'une époque, la nôtre - le monde à l'envers





Le trirègne de la rentabilité, de la technique et du spectacle, disons en un mot de la performance, implique donc « le rejet de l’ "être-né " », « la honte d’être devenu plutôt que d’avoir été fabriqué » [1], c’est-à-dire la désolation de ne pas être entièrement adapté à ce monde, de ne pouvoir reproductible à l’infini, d’avoir en soi cet obscur magma de terre et de ciel comme un boulet et un ballon qui de bas en haut vous écartèlent. Anders attribue ce rejet à l’idéalisme moderne et à son désir de fonder le sujet sur lui-même, indépendamment de toute provenance. Il fait une juste critique de Sartre et du premier Heidegger chez qui le concept d’ « être-jeté » (cette thèse d’une déréliction foncière au milieu du monde) permettrait d’éviter d’avoir à penser l’ « être-né », et spécialement l’ « être-accueilli » au sein de la femme. Pour être un homme « auto-fondé », il faut se délivrer de l’origine sexuelle. Comme dans la gnose antique, cette origine devient le « péché originel » en soi. On doit se défaire de cette charge de glèbe pour être son propre créateur, et donc son propre matériau. Là encore il convient de mettre au rebut les pères et les grands-pères. Le progrès rapide y parvient sans douleur. Dans la mesure où l’intelligence s’y sanctionne par la capacité à manier le dernier cri technologique, les vieux sont aussitôt largués. Ils n’ont rien à nous apprendre. C’est aux jeunes de leur expliquer la vie de leur montrer comment fonctionne la dernière Playbox. Cet univers où l’essentiel est dans la maîtrise des ultimes gadgets ne veut pour rois que des adolescents. L’expérience n’y vaut pas le mode d’emploi. Les traditions ne sont rien devant le dernier catalogue.



Fabrice Hadjadj,
La profondeur des sexes . pour une mystique de la chair
Seuil . essais – Février 2011 . 296 pages – p. 231


[1]Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle (1956), trad. C. David, Ivrea / ed. de l’encuclopédie des nuisances, 2002 – p. 38

Aucun commentaire: