Comment la dictature kazakhe recrute en France ses soutiens
La
plateforme Kazaword met en ligne le contenu des messageries piratées de
plusieurs hauts responsables kazakhs. On y découvre comment le régime
de Noursoultan Nazarbaïev s’active en coulisses pour s'attirer le
soutien de personnalités en France. Parmi elles : l’économiste Jacques
Attali, le banquier Jean Lemierre, l’écrivain Marek Halter, l'acteur
Gérard Depardieu, mais aussi des communicants, des diplomates et des
journalistes.
Noursoultan
Nazarbaïev, 74 ans, au pouvoir depuis 1991 avec son parti Nur Otan,
devrait, dimanche 26 avril, être réélu sans surprise à la tête du
Kazakhstan. Initialement prévu en décembre 2016, le scrutin présidentiel
a été avancé « dans l’intérêt du peuple et compte tenu de ses demandes ». En 2011, le « leader de la nation » avait obtenu 95,5 % des suffrages.
En
24 ans de règne, Nazarbaïev, sa famille et son clan, ont bâti des
fortunes en milliards, maîtres d’un pays dont les sous-sols regorgent de
matières premières (uranium, pétrole, gaz, métaux) et qui attire les
multinationales du monde entier, sur fond de corruption endémique, comme en témoignent les Kazakhgate à répétition. En 2014, l’ONGTransparency International classait l'État d'Asie centrale à la 126e place (sur 176 pays) dans l’indice de perception de la corruption.
Le
bilan en matière de droits humains est tout aussi mauvais : torture
dans les prisons ; journaux d’opposition fermés ; culte de la
personnalité ; liberté syndicale bafouée et recrudescence de la
répression après les émeutes de Janaozen. En décembre 2011, des ouvriers
du pétrole de l’ouest du pays s'étaient soulevés pour protester contre
des salaires misérables. La police avait tiré à balles réelles, faisant
14 morts et 64 blessés. Voir ici le rapport de l’ONU présenté
en octobre 2014, alors que le Kazakhstan passait son examen périodique
universel (EPU) devant le Conseil des droits de l'homme à Genève.
François Hollande et Noursoultan Nazarbaïev, lors de la visite officielle au Kazakhstan, le 5 décembre 2014.
Malgré
cela, le régime est devenu de plus en plus fréquentable. Et pour
cause : depuis quelques années, Astana (la capitale kazakhe) s’est
lancée dans une entreprise de communication tous azimuts, dépensant des
millions de dollars pour redorer son blason en s’achetant le soutien
d’agences de communication, d’hommes politiques et de personnalités de
divers horizons. Fin 2011, Noursoultan Nazarbaïev s’est offert les
services de Tony Blair, puis d’une ribambelle d’anciens premiers
ministres européens, regroupés au sein d’un International Advisory Board (voir le rapport « Spin docteur pour les autocrates », publié récemment par Corporate Europe Observatory).
Avec la plateforme Kazaword,
qui publie le contenu des messageries piratées de hauts dirigeants
kazakhs (procureurs, diplomates, ministres), c'est un pan entier du
lobbying d'Astana en France qui surgit (lire également la “Boîte noire”
de cet article).
La
correspondance de Jean Galiev, l’actuel ministre-conseiller de
l’ambassade du Kazakhstan, a été hackée : des milliers de courriels et
des centaines de pièces jointes provenant de sa boîte mail privée,
couvrant la période de juillet 2011 à mai 2014. Ce francophone et
francophile raffiné de 43 ans est l’un des piliers du régime Nazarbaïev.
Le diplomate a joué les intermédiaires entre certaines personnalités
françaises et la présidence kazakhe. Il dispose de relais amicaux au
sein de la diplomatie française. Enfin, il a chapeauté plusieurs
opérations de communication, dont l'épique concert privé donné en mai
2013 au Théâtre des Champs-Élysées par Dariga Nazarbaïeva, la fille du
président-autocrate, cantatrice à ses heures. Mediapart a dressé une
liste, non exhaustive, des épisodes les plus marquants.
- Noursoultan Nazarbaïev jette son dévolu sur Jacques Attali
Noursoultan Nazarbaïev et Jacques Attali lors d'une rencontre à Paris en novembre 2012. Au milieu, le diplomate Jean Galiev © DR
Dans
un courriel en date du 7 janvier 2014, Jean Galiev s’enthousiasme
d’avoir obtenu une dédicace de Jacques Attali pour son dernier livre, Urgences françaises, adressée au« grand diplomate et grand ami de la France et de la francophonie ».
Les deux hommes sont alors en contact régulier pour que se concrétise
enfin le souhait de Noursoultan Nazarbaïev : faire d'Attali son
conseiller personnel sur les questions économiques.
C’est
durant sa visite officielle à Paris, le 22 novembre 2012, que le
« leader de la nation » avait entamé avec le fondateur et premier
président de la Banque européenne pour la reconstruction et le
développement (BERD) un « dialogue », comme le rappelle Jean Galiev dans un courriel daté du 4 février 2013 et adressé à l’un de ses collègues diplomates. « 01
[Noursoultan Nazarbaïev – ndlr] a lui-même proposé à Jacques Attali de
devenir conseiller. Ce dernier a accepté, mais il attend une invitation
concrète. Le 4 décembre, je l’ai rencontré par hasard, dans un
restaurant. Il m’a confirmé qu’il n’avait toujours pas reçu de
proposition », écrit-il.
Au
printemps 2013, Karim Massimov, le chef de l’administration
présidentielle kazakhe (et actuel premier ministre), invite Jacques
Attali à Astana pour finaliser l’accord, expliquant dans une lettre que « Noursoultan Nazarbaïev étudie
toujours avec le même intérêt vos idées et suggestions sur l'avenir de
l'économie mondiale, les aspects sociaux de la vie publique, les
nouveaux défis et valeurs du monde, ainsi que le partenariat
Kazakhstan–France ». Un voyage aura lieu quelque temps après : Attali est reçu par Nazarbaïev et Massimov.
Le 22 avril 2014, l’ambassadeur du Kazakhstan en France, Nourlan Danenov, qui vient de recevoir une « demande (…) de la Présidence de la République du Kazakhstan au sujet de la coopération avec vous » le recontacte. « J’ai
été informé que le 20 mars dernier, le holding national “Baïterek” vous
avait fait parvenir “un contrat de travail” en soumettant à votre
appréciation certaines conditions », écrit-il. « Monsieur l’ambassadeur, je n’ai rien reçu de tel. Pourriez-vous me le renvoyer ? Cordialement », répond Attali. Ce qui sera fait.
En clair, c’est « Baïterek », créé en mai 2013 sur décret présidentiel, et sa filiale laBanque de développement du Kazakhstan qui
ont été choisis pour jouer les intermédiaires, un contrat ne pouvant
pas être directement signé entre la présidence kazakhe et l’ancien
conseiller de Mitterrand. Jacques Attali a reçu un contrat-modèle, en
russe et en anglais, pas encore rempli. Cet « accord de services payants » (Fee-Based Services Agreement) devait être signé entre la « Banque de développement du Kazakhstan [filiale de Baïterek – ndlr] en la personne de X, agissant pour le compte de X ; et le citoyen français X ». Le document énonce en termes généraux les obligations des deux parties, comme par exemple, au point 2.1.4, « la
remise de rapports contenant des informations, des conclusions et des
recommandations sur les sujets qui intéressent le client ». Aucun montant de rémunération n’apparaît.
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Contacté par Mediapart, Jacques Attali n’a pas souhaité répondre oralement, faisant savoir par courriel qu'il n'est« en aucune manière conseiller économique du Président Nazarbaïev ». Il reconnaît que « la Banque de développement du Kazakhstan a
confié une mission au cabinet Attali & Associés qui porte sur des
sujets précis et techniques, notamment la production d’une stratégie de
diversification économique à 10 ans, et le développement de la place
financière d’Almaty. Il s’agit pour le Kazakhstan de se rapprocher des
critères permettant de devenir membre de l’OCDE, y compris les critères
de transparence financière et de démocratie ». Dans ce contexte, Jacques Attali précise être « amené à rencontrer le Premier ministre pour lui faire part des recommandations issues du travail mené ».
Selon nos informations, Jacques Attali, qui habite une partie du temps au Kazakhstan, est bien devenu, via la
Banque de développement du Kazakhstan qui sert de paravent, le
conseiller personnel de Karim Massimov, ex-numéro un de l’administration
présidentielle, devenu premier ministre en avril 2014. Le président
Nazarbaïev profitant du même coup de son « expertise ». L’économiste français participera ainsi au Forum économique d’Astana qui
aura lieu en mai prochain. L’édition 2014 avait réuni quelque 10 000
participants venant de 150 pays. On y retrouvait en tête de liste Tony
Blair, le lobbyiste n°1 du régime.
- Jean Lemierre, le banquier de BNP Paribas recommandé aux Kazakhs par Total
Jean Lemierre, l'actuel patron de BNP Paribas. © Reuters
Parmi
les hommes approchés par Astana, figure aussi Jean Lemierre, l’actuel
président du conseil d’administration de BNP Paribas. Plusieurs
courriels le mentionnent. Le 4 février 2013, dans une note intitulée
« conseillers », et qui fait également référence à Jacques Attali, Jean
Galiev explique que « c’est Christophe de Margerie, le patron de Total [mort dans un accident d’avion en octobre 2014 – ndlr], qui a recommandé Jean Lemierre ». « Il a dit que Lemierre était un excellent financier, qui n’avait jamais été au premier plan. GG [les
initiales qui désignent Noursoultan Nazarbaïev – ndlr] a dit qu’on
pouvait lui proposer de devenir conseiller. Nous avons été chargés (avec
Massimov et Kazykhanov [conseiller présidentiel – ndlr]) de
trouver Lemierre. Je lui ai téléphoné le jour même, il était en Inde. La
rencontre n’a pas pu se tenir, mais la proposition a été transmise. Ses
coordonnées ont été transmises à Kazykhanov à qui 01 [le président] a
demandé de maintenir le contact », écrit-il.
Son
secrétariat a lui aussi reçu le fameux contrat-type à signer avec la
Banque de développement du Kazakhstan, déjà adressé à Attali. À cette
date, Jean Lemierre était conseiller de Baudoin Prot, le directeur de
BNP, qu’il remplacera finalement en décembre 2014. A-t-il accepté la proposition d'Astana ? Le service de communication de BNP Paribas répond qu’il n’a « jamais accepté un poste de conseiller », incompatible avec ses fonctions.
Celui
qui fut président de la BERD entre 2000 et 2008 connaît bien l’Asie
centrale et le Kazakhstan. La banque, créée en 1991 pour accompagner les
pays de l'ex-URSS vers la « démocratie », y soutient 182 projets pour 5,7 milliards d’euros d’investissements.
À ce titre, Jean Lemierre a plusieurs fois rencontré Noursoultan
Nazarbaïev. Selon nos informations, Astana voyait en lui un expert aux
compétences et à la réputation alléchantes, et aurait, à la suite d’une
simple discussion, tenté de le recruter en force, en lui faisant
parvenir un contrat.
- Marek Halter, l’intellectuel enthousiaste
Marek Halter et la ministre Yasmina Benguigui, faite docteur honoris causa de l'université Abaï. Almaty, 17 septembre 2013. © DR
Dans
un tout autre registre, Marek Halter a eu ces dernières années
d’étroits contacts avec les dirigeants du Kazakhstan, tout occupé à
lancer son grand projet : la création de l’Université française
Kazakhstan-Sorbonne Paris Cité (Institut Sorbonne-Kazakhstan),
à Almaty, finalement inaugurée le 6 décembre 2014 par Nousoultan
Nazarbaïev et François Hollande lors de sa visite d'État au Kazakhstan.
Un
accord-cadre pour la création de l’Institut avait été signé en grande
pompe, le 17 septembre 2013, en présence de Yasmina Benguigui, ministre
déléguée à la francophonie, alors en visite dans le pays. Or l’événement
a été soigneusement préparé en coulisses par l’ambassade du Kazakhstan à
Paris qui souhaitait avoir des retombées positives dans la presse
française.
Dans un mail envoyé le 20 août 2013 à Marek Halter, le diplomate Jean Galiev va droit au but. « J'attends
de votre part les détails concernant le déplacement des journalistes
français qui contribueraient à la réhabilitation de l'image de mon pays.
J'en ai déjà parlé à l'ambassadeur Danenov qui est encore en vacances.
Il soutient également vos initiatives », écrit-il. Le 9 septembre, un « contrat de mission » est
signé entre d’une part, l’Association des amis du collège universitaire
français à Moscou (AACUFM), représentée par Marek Halter, et de
l’autre, l’ambassade du Kazakhstan à Paris, représentée par
l’ambassadeur Nourlan Danenov. Il est décidé que les Kazakhs financeront
le voyage des journalistes qui couvrent la signature de l’accord-cadre
du 17 septembre, pour un coût total de 8 000 euros.
Parmi
l'« équipe média », se trouvait une journaliste de l’AFP déjà présente
sur place et dont seul le photographe a été défrayé à hauteur de 700
euros, comme l’indique le contrat. Une équipe de la télévision kazakhe a
reçu 1 000 euros pour fournir un reportage à la chaîne Euronews. Une journaliste du Figaro a vu son séjour entièrement réglé par les Kazakhs, soit un total de 6 300 euros (4 nuits d’hôtel et un billet d’avion), ce qui couvrait aussi la visite officielle de la ministre Benguigui.
Le résultat est ce que Marek Halter qualifie lui-même de « très belle page consacrée à l'ouverture d'une université française à Almaty », parue le 26 septembre dans Le Figaro et
dont il envoie la copie le même jour à son ami Galiev. L’article vante
les mérites de la coopération franco-kazakhe. Une version précédente
avait été publiée dans lesupplément étudiant du Figaro.
L’intellectuel
français a aussi déployé tous ses efforts pour que des financements
soient trouvés, l’institut Sorbonne-Kazakhstan devant essentiellement
vivre de sponsors. S’adressant à l'assistante du chef de
l’administration présidentielle, le 28 août, il écrit :« Est-ce que notre cher Karim [Massimov]
pourrait trouver un petit moment pour réunir quelques-uns des
partenaires financiers ? » « Je pense tout d’abord au président de la
compagnie nationale du pétrole ainsi que celui de Total. Si Karim
Massimov accepte de jouer ce rôle de parrain de notre université, je
sais que son invitation jouera un rôle décisif dans les décisions des
entreprises que nous pourrons convoquer », ajoute-t-il.
Total,
Thales, Areva ou LVMH ont été sollicités, ainsi que deux associations
des Amis de l’université, l’une au Kazakhstan, l’autre en France.
Nouratdine Tagabergenov, un homme d'affaires kazakh, apparaît parmi les
premiers donateurs. Sur le site de l’institut Sorbonne-Kazakstan, ne figure aucune indication sur son mode de financement.
Durant
cette période, Marek Halter s’est aussi fendu de plusieurs chaleureuses
lettres dont l’une adressée à la fille du président Dariga Nazarbaïeva,
députée et redoutable femme d’affaires qui contrôle la télévision du
pays, à qui il voulait faire rencontrer une pianiste. Son idée fixe
était d’être reçu en personne par le potentat kazakh. « Je
continue à penser que seule une rencontre, même brève, avec le Président
de la République du Kazakhstan peut débloquer la situation. Où en
êtes-vous avec la demande de rendez-vous qui a été faite par
l’ambassadeur Nourlan Danedov ? »demande-t-il, fin décembre 2013, à Jean Galiev.
98 000 euros pour trois voyages de presse au Kazakhstan
- Laurent Taieb, le communicant du régime
Le livre édité par Prestige communication.
Fondateur de la sociétéPrestige communication, Laurent Taieb est l’un des grands relais en France du régime de Noursoultan Nazarbaïev. Sa société édite le magazine L’essentiel des relations internationales,diffusé
à 90 000 exemplaires dans le monde francophone et qui a consacré sa
couverture aux dictateurs les plus corrompus de la planète, comme le
Gabonais Ali Bongo, le Congolais Denis Sassou N’Guesso ou le Camerounais
Paul Biya. Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn et Christine Lagarde
ayant également eu droit à leur couverture.
Entre
2013 et 2014, Laurent Taieb a monté plusieurs « opérations de
communication », pour un montant de plus d’un demi-million d’euros,
entièrement payées par l’ambassade du Kazakhstan à Paris. Il est en
contact très fréquent avec Jean Galiev qu’il appelle « mon frère ».
Le diplomate corrige même les copies des articles pour le magazine. Le
10 septembre 2013, il vend son projet à l’ambassadeur à Paris, Nourlan
Danenov. Le but est de contrer « la campagne médiatique négative sur le Kazakhstan et son régime qui a lieu en France depuis quelques mois », à la suite, entre autres, de l’arrestation le 31 juillet, dans le sud de la France, du banquier et opposant Mukhtar Ablyazov. « Le
gouvernement du Kazakhstan met en place une politique de Bonne
Gouvernance, tant au niveau de l’éducation, de la santé, des
infrastructures ou de l’économie. (...) Je vous propose de mettre au
profit de votre Pays mes connaissances et mon expérience dans le secteur
de la communication afin de mettre en exergue dans les plus grands
médias français cette politique de Bonne Gouvernance », plaide-t-il, en proposant une action en deux temps.
Tout d’abord, « l’organisation
aux mois d’octobre, novembre et décembre de 3 voyages de presse au
Kazakhstan avec des médias de réputation internationale (Le Monde, Le Figaro, L’Express) » pour qu’ils puissent « avoir un autre regard sur le Kazakhstan et sa classe politique ». Dans un second temps, L’essentiel des relations internationalespubliera, en décembre 2013, un numéro consacré au Kazakhstan.
Coût global de l’opération : 325 000
dollars, comme l’atteste une facture, datée du 16 octobre 2013,
adressée à l’ambassade du Kazakhstan à Paris. Dans le contrat, signé le
même jour, il n’est plus fait mention du Monde, du Figaro et de L’Express, mais seulement de « médias à réputation internationale ». Quelques jours auparavant, les coûts avaient été détaillés : 98 000 euros pour les trois voyages de presse – « Billets d’avions pour 2 personnes : 15 000 euros ; Hôtels, nourriture, interprètes, déplacements et frais divers : 23 000 euros. Frais de déplacement : 60 000 euros ».
Selon plusieurs courriels échangés entre Laurent Taieb et Jean Galiev, une journaliste duNouvel Observateur s’est
rendue du 4 au 8 novembre 2013 à Astana. Elle devait y rencontrer
plusieurs ministres dont celui du pétrole, de la culture, ainsi que le
maire d’Astana et l’architecte en chef. Mais très vite, elle se plaint
de ne pas avoir assez de rendez-vous. « On l'envoie à Astana
pour qu'elle parle de façon valorisante du Kazakhstan, il ne faudrait
pas que ça se retourne contre nous si elle n'a rien à faire sur place… »,
explique le patron de Prestige communication à Mels Torekeldi,
fonctionnaire de l’ambassade du Kazakhstan à Paris. Le 7 décembre 2013,
la journaliste n’a pas encore écrit son papier. Et elle ne le fera
jamais.
Contactée par Mediapart, elle confirme être partie tous frais payés au Kazakhstan :« Nous
avons accepté car c’est difficile de travailler dans ce genre de pays,
d’obtenir un visa. On s’est dit qu’il y avait peut-être moyen, par ce
biais, d’obtenir des informations. On était finalement bien encadrés,
sans possibilité de s’échapper. Je n’ai pas eu accès à grand-chose et il
n’y a pas eu d’article… », explique-t-elle, ajoutant qu’elle
ignorait que Laurent Taieb était mandaté par l’ambassade du Kazakhstan à
Paris pour des montants aussi importants.
Le
travail de Laurent Taieb a en tout cas été apprécié, puisqu’en février
2014, il a décroché un autre contrat de 200 000 euros pour un numéro
spécial de son magazine consacré à la politique étrangère du Kazakhstan
et notamment aux relations diplomatiques et économiques privilégiées
avec la France. Un livre très élogieux sur le pays a également été écrit
par un journaliste.
Le
communicant avait aussi d’autres casquettes. Deux mois et demi après
l’arrestation en France de Mukhtar Ablyazov, il se faisait envoyer une
longue note de Jean Galiev, portant la mention “confidentiel”. Elle
détaillait la biographie de l’ancien oligarque et donnait des éléments
sur l’enquête pénale en cours au Kazakhstan. « Bien reçu ! Je transmets à Ariel. Amitiés. Laurent », écrit alors Taeib. « Rassure-toi que ce papier ne se balade pas et que ton copain ne fasse pas référence à la source de l’info. Amitiés. Jean », réplique Jean Galiev.
- François Delahousse et François Revardeaux, les diplomates sollicités
Le Quai d'Orsay.
Entre
2013 et 2014, Jean Galiev a échangé des centaines de courriels, à un
rythme quasi quotidien, avec François Delahousse, sous-directeur du
Caucase et de l'Asie centrale au ministère des affaires étrangères. Il
était aussi fréquemment en contact avec François Revardeaux, alors
conseiller de Laurent Fabius pour les affaires stratégiques et la CEI.
Un poste qu'il occupe aujourd'hui à l'Élysée auprès de François
Hollande.
Rien
de bien étonnant entre collègues diplomates, sauf que dans ces
correspondances, il est souvent question de l’affaire Ablyazov, un
dossier en cours d’instruction. Le 31 juillet 2013, à 22 h 56, c’est
François Delahousse qui prévient son ami kazakh de l’arrestation de
l'oligarque dans le sud de la France, alors seulement annoncée par The Financial Times. « Certaines
informations qui circulent en ce moment autour de l’arrestation sur MA
[Mukhtar Ablyazov – ndlr] sont mensongères. Les autorités
kazakhstanaises souhaitent que tout se déroule uniquement dans le champ
de droit et n’ont aucune intention d’entreprendre des démarches. Peux-tu
faire remonter cela à tous ceux qui pourraient s’intéresser à ce
sujet ? » répond Galiev.
« C’est rigolo. Je viens juste d’être appelé par un expert en “PR” au service de M. Ablyazov », poursuit le Français. « Qu’a-t-il dit ? Quelle était ta réponse ? » demande Galiev. « Lui :
que Ablyazov est un opposant politique, persécuté pour des raisons
politiques. Moi : que la justice française décidera en toute
indépendance de son sort », répond Delahousse. « Merci, François ! Tu as bien dit », conclut Jean Galiev.
Services demandés au conseiller de Fabius
François Revardeaux, ancien conseiller de Laurent Fabius, aujourd'hui à l'Élysée. © France Culture
Contrairement
à ce qu’il prétend, le diplomate Galiev suit de très près le dossier
Ablyazov et il entreprendra de nombreuses démarches. Le 18 décembre
2013, il demande à Delahousse de faire « parvenir pour information au ministère de la Justice » des
articles publiés après la conférence de presse organisée par la BTA
Bank et qui présentent Ablyazov sous un jour défavorable. « Merci Jean, mais ce n’est pas mon rôle, cela pourrait ressembler à de l’ingérence dans une affaire judiciaire en cours », répond son interlocuteur. « Je
comprends. Mais il y a la voie non officielle de transmission. Je ne te
les ai pas envoyés par note verbale :) Ce n’était qu’une suggestion », insiste le Kazakh. « Bien compris ! J’ai déjà rediffusé au sein de mon ministère », répond le Français.
François
Revardeaux, le conseiller de Laurent Fabius, avait reçu la même demande
et s’était, lui, exécuté sans discuter. Pendant plusieurs mois, Jean
Galiev va le solliciter à de nombreuses reprises sur le dossier
Ablyazov, qui est devenu l'une des principales obsessions d'Astana.
C’est par son intermédiaire que seront transmises trois lettres du
procureur général du Kazakhstan à Christiane Taubira. Le magistrat
exprime « sa profonde inquiétude » sur le fait que
sa demande d’extradition n’ait pas été examinée par la justice
française, contrairement à celles de l’Ukraine et de la Russie. Si le
Kazakhstan n’a pas signé de convention d’extradition avec la France, le
procureur explique que Paris peut donner suite en se fondant sur la
Convention de l’ONU contre la criminalité transnationale. La garde des
Sceaux fait la sourde oreille.
Le 24 janvier 2014, Jean Galiev relance son collègue Revardeaux : « En
qui concerne le dossier qui vous est connu, nous voudrions encore une
fois attirer votre bienveillante attention à l’absence d’une quelconque
réponse du ministère français de la Justice à trois lettres du Parquet
général du Kazakhstan. Astana souhaite comprendre à quoi est dû ce
silence. » Un mois et demi avant, le conseiller de Fabius avait promis de « refaire un point avec la justice ».
Au
printemps 2014, le conseiller de Fabius est mobilisé sur un autre
sujet. Astana tente alors de faire annuler les passeports de
complaisance obtenus en République centrafricaine (RCA) par Ablyazov et
plusieurs de ses proches. L'aide de Paris est sollicitée en urgence. « Selon
les informations que je viens de recevoir, la RCA serait en négociation
avec l’équipe d’Ablyazov qui fait pression sur Bangui pour que les
passeports délivrés illégitimement à Ablyazov et ses proches ne soient
pas annulés. Serait-il possible de toucher un petit mot au ministre
centrafricain là-dessus ? »demande Jean Galiev, le 11 mars 2014. Ce jour-là, le ministre des affaires étrangères de la RCA, Toussaint Kongo-Doudou, était reçu par Laurent Fabius et le message a bien été transmis. Mais un mois plus tard, toujours aucun résultat. « L'intervention
des autorités françaises a sûrement donné une impulsion au début, et
nous vous en sommes extrêmement reconnaissants, mais ensuite la
motivation des gens de la RCA s'est un peu estompée, j'ai l'impression. Je crois qu'il serait pertinent que Paris leur donne un nouveau signal pour qu'ils ne jouent pas au chat et à la souris »,
suggère le diplomate kazakh à François Revardeaux. Interrogé sur cet
épisode, l'ancien conseiller de Fabius confirme que la France a bien « relayé la demande du Kazakhstan auprès de la RCA ».Mais il n'y voit rien de mal puisque « cela n'avait aucune incidence sur la procédure d'extradition en cours contre Mukhtar Ablyazov ». D'autant plus que les passeports n'ont finalement pas été annulés.
- La fille du potentat s'achète un récital privé à Paris
Le
13 mai 2013, Dariga Nazarbaïeva s’est offert, pour quelque 100 000
euros, le Théâtre des Champs-Élysées à Paris, où elle a donné un récital
privé devant un parterre de diplomates internationaux, de personnalités
et d’hommes d’affaires. La fille aînée du potentat, aujourd’hui
députée, à la tête de la fraction parlementaire de Nur Otan (le parti présidentiel),
est aussi cantatrice à ses heures. À Paris, accompagnée par l'orchestre
et les chœurs Lamoureux, elle a entonné des airs de Haendel, Gluck,
Scarlatti, mais aussi des chants populaires du Kazakhstan.
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