jeudi 28 mai 2015

Dominique de Villepin ou le recel d'une carrière et la stérilité d'une posture




Les vies secrètes de Dominique de Villepin


par Anne Vidalie, publié le 28/05/2015 à 20:12 , mis à jour à 22:16

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Dominique de Villepin intervient dans de multiples colloques. Ici, à Bogota (Colombie), en 2014.
Dominique de Villepin intervient dans de multiples colloques. Ici, à Bogota (Colombie), en 2014.
L. MUNOZ/EFE/MAXPPP

Devenu conférencier et avocat international, l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin court le monde, du Qatar à la Chine. Sans rien révéler de ses clients, ni de ses projets d'avenir. L'Express a tenté de percer le mystère.

Dominique de Villepin ne travaille pas, il court la planète, joue les saute-frontières, jongle avec les fuseaux horaires. Où va-t-il ? Que fait-il ? Qui voit-il ? L'ancien Premier ministre, désormais conférencier et avocat international, esquive. D'un laconique "Je voyage", il balaie les questions de ses amis. Aux plus insistants, il lâche : "Je participe à des colloques, je fais des affaires."  
L'éditeur Olivier Orban, ami de longue date, soupire : "Je ne connais pas sa vie..." A L'Express, curieux d'en savoir plus sur sa reconversion et ses projets, le globetrotteur fait répondre qu'il est "en déplacement à l'étranger ces prochaines semaines". En voyage, donc. 
L'homme cultive le goût de l'ombre et du mystère. Dans son livre Les Cent-Jours (Perrin, 2001), sa plume admirative décrit ainsi Joseph Fouché, redoutable ministre de la Police sous le Directoire, le Consulat et l'Empire : "Ce génial tacticien s'impose surtout par son art du secret [...] Silence, cloisonnement, double jeu, rumeur, fauxsemblants, bouc émissaire, leurre : il excelle dans ces délicates pratiques." Les proches de l'ex-Premier ministre en ont pris leur parti : "Même son premier cercle ne connaît rien de lui, souffle un ami de trente ans. Alors savoir ce qui l'occupe précisément aujourd'hui et ce à quoi il aspire pour demain..." 

"Ouvreur de portes internationales"

La nouvelle vie de Dominique Galouzeau de Villepin, 61 ans, a commencé le 9 janvier 2008, huit mois après son départ de l'hôtel de Matignon. Ce jour-là, robe noire et noeud papillon blanc, il prononce le serment d'avocat devant les magistrats de la cour d'appel de Paris. Sa reconversion ne doit pas grand-chose à la vocation. C'est un "ami d'amis", Me Serge-Antoine Tchekhoff, qui le convainc d'endosser la toge. Ce spécialiste parisien du droit des affaires a "besoin de conseils sur l'Argentine".  
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Le 9 janvier 2008, le diplomate devient avocat.
Le 9 janvier 2008, le diplomate devient avocat.
AFP PHOTO / JACQUES DEMARTHON
Il fait comprendre à l'ancien diplomate qu'un avocat ne fréquente pas forcément les prétoires, qu'il peut aussi monnayer son influence auprès des décideurs internationaux. "A l'étranger, les fonctions qu'il a occupées lui assurent un accès direct aux grands patrons et aux dirigeants, constate Me Tchekhoff. En Iran, en Argentine, en Colombie et au Venezuela, où j'ai voyagé avec lui, il est reçu avec des égards dignes d'un homme d'Etat." Un cliché de septembre 2013 montre les deux compères, tout sourire, à Bogota, face au président colombien Juan Manuel Santos. 
Ses nouveaux habits d'avocat international vont comme un gant à l'énarque au CV doré sur tranche - secrétaire général de l'Elysée, ministre des Affaires étrangères, ministre de l'Intérieur, Premier ministre. Et puis, à l'époque, arpenter le monde lui permet d'échapper au tourbillon Clearstream, cette sombre affaire de "dénonciation calomnieuse" de personnalités, dont Nicolas Sarkozy, supposées détenir des comptes bancaires secrets à l'étranger. Mis en examen en juillet 2007 pour complicité, "DDV" est définitivement relaxé par la cour d'appel en septembre 2011. 
Non seulement ses missions d'"ouvreur de portes internationales" - dixit un lobbyiste parisien - lui changent les idées, mais, en prime, elles rapportent gros. Le cabinet Villepin International, créé en avril 2008, démarre sur les chapeaux de roue. Au cours de ses deux premières années d'activité, il engrange 4,65 millions d'euros et dégage un bénéfice record de 2,6 millions. En janvier 2010, Dominique de Villepin débourse 3 millions pour installer ses bureaux dans l'hôtel particulier édifié en 1876 pour la comédienne Sarah Bernhardt, au coeur du très chic XVIIe arrondissement de Paris. 
"Avocat, c'est une profession qui permet de toucher de l'argent sans justifier sa provenance, glisse perfidement un collaborateur d'autrefois. Et de taire le nom de ses clients." Sur le sujet, Me de Villepin est, en effet, muet comme une carpe. Ses donneurs d'ordres, à peine moins. Alstom, le champion tricolore de l'énergie et des transports, reconnaît "avoir bénéficié de ses conseils sur le contexte géopolitique entourant certains pays".  
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Alexandre Djouhri, lors d'un match du PSG (propriété d'un fonds souverain qatarien).
Alexandre Djouhri, lors d'un match du PSG (propriété d'un fonds souverain qatarien).
REUTERS/Benoit Tessier
Le pétrolier Total a recours à ses services. Comme Veolia, spécialiste de l'environnement, dont un fonds qatarien détient quelque 5% du capital. "La connaissance que Dominique de Villepin a des institutions qatariennes nous est précieuse dans nos relations avec notre actionnaire et dans le développement d'un partenariat stratégique avec le Qatar", précise un porte-parole de la maison. 
L'ex-patron du Quai d'Orsay compterait aussi, parmi sa clientèle, quelques fondations et entreprises étrangères sous le charme de "l'homme du discours de l'ONU" - son flamboyant plaidoyer contre la guerre en Irak, prononcé devant le conseil de sécurité des Nations unies le 14 février 2003. Le conglomérat de la famille Bugshan, 8e fortune d'Arabie saoudite, en ferait partie. Ce groupe, soupçonné d'avoir touché des commissions occultes en marge de contrats d'armement, serait l'un des intermédiaires obligés de la France dans le golfe Persique
L'ancien ministre des Affaires étrangères a reconnu avoir fait la connaissance de son patron "dans [ses] fonctions d'avocat, début 2008". Il est également très proche de la famille qui gouverne le Qatar, les Al-Thani : "Dominique de Villepin a été le tuteur de Mayassa, la soeur de l'émir, quand elle est venue étudier à Paris. A tel point qu'elle le qualifie de 'deuxième père'", rappelle Guy Delbès, qui a longtemps géré les actifs français du fonds souverain du Qatar. "DDV" conseille-t-il le fonds personnel de sa mère, la cheikha Moza, qui s'est notamment offert le ma roquinier Le Tanneur? "C'est possible, glisse Delbès. Comme il est possible que de riches Qatariens s'adressent à lui au coup par coup." 

Villepin fait équipe avec l'homme d'affaires Alexandre Djouhri

Ces derniers temps, Me de Villepin met souvent le cap sur l'Asie. A Hongkong, il préside le conseil consultatif d'Universal Credit Rating Group, une agence de notation sino-américano-russe née en 2013. Ses fréquents séjours sur place sont autant d'occasions de conseiller son fils Arthur, à la tête d'une société de distribution de vins français aux étiquettes dessinées par des artistes - dont feu le peintre Zao Wou-Ki, un ami de la famille Villepin. Depuis janvier 2015, il siège au comité international de China Minsheng, un fonds d'investissement chinois doté de 8 milliards de dollars, où il côtoie Romano Prodi, naguère président de la Commission européenne. 
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Avec Vladimir Poutine, en octobre 2014, à la conférence du club Valdaï, le Davos russe.
Avec Vladimir Poutine, en octobre 2014, à la conférence du club Valdaï, le Davos russe.
AFP PHOTO / POOL / MICHAEL KLIMENTYEV
Un personnage mystérieux joue un rôle clef dans la galaxie Villepin : le flamboyant Alexandre Djouhri, 56 ans, vieux routier des contrats internationaux. Un gamin de banlieue grimpé tout en haut de l'échelle de la fortune. Et un drôle de loustic, madré et gouailleur, à tu et à toi avec l'ancien ministre de l'Intérieur Claude Guéant, l'avionneur Serge Dassault, l'ex-président de Veolia et d'EDF Henri Proglio et le patron du contre-espionnage de 2008 à 2012, Bernard Squarcini. Djouhri et "DDV", qu'il surnomme le "Poète", sont inséparables. Ils skient dans la station suisse huppée de Gstaad, bronzent à l'hôtel Beach, à Monaco, s'attablent à la Réserve, à Genève, ou au George V, à Paris. "Dans le business aussi, ils font équipe, en Chine et en Russie notamment, souligne un homme d'affaires qui les fréquente tous les deux. Djouhri ouvre son fabuleux carnet d'adresses à Villepin qui, en retour, use de son entregent auprès des gouvernants." 
Mais les aléas de l'économie n'épargnent pas les anciens Premiers ministres. Alstom a mis un terme à son contrat et Veolia, selon les informations de L'Express, aurait divisé sa rémunération annuelle par deux, la réduisant à 250000 euros. "Alors que nous avons résilié les contrats de nos autres consultants, nous avons préservé notre collaboration avec Dominique de Villepin, car il nous est utile, insiste l'entreprise. Grâce à lui, notre actionnaire qatarien n'a pas donné suite à ses velléités de sortir du capital..." 
La petite entreprise de Me de Villepin encaisse le coup. En 2012, son chiffre d'affaires plonge à 1,5million d'euros. L'an dernier, il remonte à 1,8 million, dégageant un bénéfice de 367000 euros. Modeste au regard des années fastes, certes, mais très confortable tout de même pour un cabinet de trois salariés - "DDV", Nadine Izard, sa fidèle assistante, et le jeune normalien Daniel Arlaud, qui le suit comme son ombre. 
Heureusement, le "Poète" est à la tête d'une seconde affaire, très lucrative, créée celle-ci en décembre 2007. Enregistrée dans le secteur "arts du spectacle vivant", elle lui permet de facturer ses interventions lors de rencontres et de forums internationaux. Inscrit dans une douzaine d'agences anglo-saxonnes spécialisées, le "speaker"Villepin ne chôme pas. En octobre 2014, il se rend à Sotchi, en Crimée, pour la conférence annuelle du club Valdaï, forum d'experts où l'on débat du rôle de la Russie dans le monde. Il y retrouve un homme qu'il connaît bien, l'ancien ministre russe des Affaires étrangères Igor Ivanov, désormais conseiller du producteur de pétrole Lukoil.  
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Au World Peace Forum, à Pékin (Chine), en juin 2014.
Au World Peace Forum, à Pékin (Chine), en juin 2014.
REUTERS/China Daily
Deux mois plus tard, il participe à une conférence consacrée à la lutte contre l'extrémisme à Téhéran (Iran). A Dakhla (Maroc), en mars 2015, il prononce un discours à l'occasion du Forum de Crans Montana consacré à l'Afrique. Le 12 juin, il sera l'"invité spécial" de cet organisme attaché à la construction d'un "monde plus humain", dont la réunion annuelle aura lieu à Bruxelles. Thème de son intervention : "Comment les dirigeants peuvent-ils améliorer leurs analyses pour mieux gouverner ?" Le mois dernier, il était à Astana, au Kazakhstan, pour le colloque "Création de l'Eurasie".  

À la tête de la diplomatie française en 2017?

"Il est 'bankable', estime un intermédiaire. Au Moyen-Orient, où j'ai organisé sa participation à des conférences, il est rémunéré entre 50 000 et 100 000 dollars [entre 45 000 et 90000 euros]." Pour combien de temps encore? Car chaque année passée loin du pouvoir érode sa cote. Désormais, l'agence anglaise JLA, qui fournit des orateurs en guise de desserts pour dîners de gala, le classe dans la catégorie A, celle des "speakers" dont le tarif oscille entre 10000 et 25000 livres l'intervention (entre 13 000 et 34 000 euros), comme la journaliste Christine Ockrent et l'ancien Premier ministre suédois Carl Bildt. Pas dans la division d'élite AA, celle du joueur de tennis Boris Becker ou de l'ex-patron de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet, payés, eux, plus de 25000 livres. 
Intolérable pour l'ego hypertrophié de "DDV", homme brillant et solitaire, charismatique mais peu doué pour l'empathie. A l'image de son double dans Quai d'Orsay, le film de Bertrand Tavernier, l'inénarrable Taillard de Worms, inspiré et insupportable, adepte des surligneurs et du philosophe grec Héraclite. "Le soir de son anniversaire, le 14 novembre 2002, il m'a fait venir pour partager un verre de malt avec lui, raconte l'avocat Robert Bourgi, vétéran de la Françafrique. Là, il m'a dit avec son emphase habituelle : 'Camarade, je suis le futur !'" 
Treize ans ont passé, et l'avenir s'est écrit sans Dominique de Villepin. Se résigne-t-il au statut d'"ex" ? Ou à celui d'"écrivain, peintre et poète", comme le présente le journal hongkongais South China Morning Post, qui lui a consacré la couverture de son édition du dimanche 22 mars 2015 ? Ses proches sont dubitatifs. "Il est toujours convaincu d'avoir un destin national, avance un compagnon de route. Au moment de l'affaire Clearstream, il disait qu'il était tombé très bas, mais qu'il reviendrait très haut..." 
L'été dernier, il surprend son monde en se rabibochant publiquement, par l'entremise du fidèle Djouhri, avec son meilleur ennemi, Nicolas Sarkozy - qui voulait, au temps de l'affaire Clearstream, le pendre à un "croc de boucher". "Leur rapprochement n'est pas nouveau, corrige Claude Guéant. Depuis 2010, ils se voient tous les deux mois pour parler de l'actualité politique."  
En novembre 2014, quand le nouveau président de l'UMP lance son comité des anciens Premiers ministres, "DDV" accepte aussitôt. Depuis, ses amis se perdent en supputations. Certains le voient à la tête de la diplomatie française en 2017 si la droite l'emporte. Ou commissaire européen. L'un d'eux l'a sondé sur ses envies de pouvoir. Réponse : "Ça ne m'intéresse plus." Pourtant, cet ami de longue date n'a pas été convaincu: "Dominique peut mentir. Il est très secret..." Ah bon? 
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