mardi 15 janvier 2013

Inquiétude & Certitudes - mardi 15 janvier 2013


Mardi 15 Janvier 2013

Hier soir

 Qu’est-ce qu’un metteur en scène ? C’est quelqu’un qui pose sans arrêt des questions. TRUFFAUT dans La nuit américaine. J’entends cela comme la définition du politique idéal quand il est animateur du débat national… – Me suis-je enfermé ces mois-ci, ces années-ci dans ma vie pratique, physique, sentimentale entre ma femme, notre fille, nos chiens, notre paysage et nos luttes, nos gestions pour survivre le plus souvent au jour le jour ? c’est la question que je me pose en lisant la préface de Yves-Marie TADIE (frère d’un camarade de Franklin, et qui venait nous « coller » en français, sauf confusion de ma part). MALRAUX, je nai rien suivi de ce qui a été édité de lui depuis sa mort, des carnets divers, de véritables œuvres que je n’ai jamais lu. Acheté par hasard, mais aussitôt vu le livre et son titre, sa correspondance, ses lettres choisies de 1920 à 1976. Je suis époustouflé par ce qu’apporte la lecture d’un écrivain authentique. Et MALRAUX définit l’écriture littéraire par la relation qui est fait de l’expérience ce qui suppose d’avoir de l’expérience, c’est-à-dire de vivre consciemment. Il n’a pas tenu de journal. Depuis des années, je me débats dans l’écriture, alors que mon adolescence – dont je regrette de n’avoir pas tenu le journal, qui n’eut pas été événementiel, mais transcription de débats, pas même d’attente, alors que toute la suite de ma vie, celle de l’adulte, n’a été qu’attente – avait été entièrement de lecture, d’œuvres et d’auteurs d’un XXème siècle regardé seulement par ses « classiques » : une douzaine de romanciers, guère plus. En ai-je trouvé ensuite ? non. En existe-t-il maintenant ? je ne le crois pas. Et puis une expérience qui n’approfondit que l’esprit, c’est court. Commentaire à Roger MARTIN du GARD des Carnets de VALERY. Je ne sais trop caractériser ce que je ressens soudain. Une incomplétude ? une dérive ? quelque chose me dit que c’est autre. Mais certainement, je dois me remettre à lire. De « grands auteurs » ? je ne crois pas qu’il existe en ce moment des MALRAUX, MAURIAC, MONTHERLANT, MAUROIS, GIDE, ni mes chers DRIEU et BRASILLACH. J’ai apprécié il y a quelques années ECHENOZ ou BRUCKNER, auparavant ERNAUX et GERMAIN, deux hommes, deux femmes mais ce ne sont ni des repères ni des diseurs de ce que nous vivons chacun en totalité (entrendre totalité par le monde + le moi) ni des prophètes. Et moi, ne me suis-je pas stérilisé - en écriture – en n’écrivant plus que de l’observation politique et de la lecture spirituelle, et réduit en regard et réflexion en n’étant plus réceptif qu’à ce que m’enseignent et ce dont se soucient pour elles-même et avec moi, ma chère femme et notre fille ? Carrefour ? organisation de mon travail ou décapage de mon regard, une autre affectation de mes capacités intellectuelles ? mais chaque fois que j’ai tenté de transcrire quoi que ce soit, j’ai peiné ou espéré avoir écrit, sans que cela soit considéré par quelque tiers que ce soit… alors ? L’ « art du narratif », transcendant toute la question de l’écriture, ce qu’en écrit AM, et la lettre reçue de lui par Muriel CERF, qui ne figure pas plus au recueil que celle remerciant COUVE de MURVILLE pour l’envoi de son livre, Une politique étrangère.  


Ce matin

Les lettres de MALRAUX, quelque chose sur POLIAKOFF que je lis à ma chère femme, l’interrompant de SIMENON et le conseil habituel à qui écrit ou veut être guidé en écrivant cf. Romain GARY, et que je prends pour moi [1], quoique ma question soit autre : je suis depuis longtemps maintenant soit en deçà soit au-delà de celle de l’audience et même de l’édition, elle est vraiment d’apprendre à écrire et à être attaché, fidèle à mon sujet, donc à savoir quel est ce sujet, le sujet… Mais la réponse hier soir était de regarder notre fille endormie, puis la respiration, le corps, la vie de ma femme. Ce matin, les nuages en fond de décor, donnant au paysage et au silence leur densité. – Prier… quand la lourdeur de ce que nous voyons, ressentons est une sorte de signe puissant d’existence de tout. [2] Cohésion, solidarité de tout, le créé et nous, mais pas seulement : nous et Dieu, surtout. Quand Dieu lui a tout soumis, il n’a rien exclu de cette soumission. Cependant en fait nous ne voyons pas encore que tout lui soit soumis… Car Jésus qui sanctifie, et les hommes qui sont sanctifiés, sont de la même race ; et pour cette raison, il n’a pas honte de les appeler ses frères… Les contemporains du Christ : tous s’interrogeaient : « Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité ! Il commande même aux esprits mauvais, et ils lui obéissent. La clé de toute compréhension, de toute existence, de toute vie est vraiment cet homme, Dieu fait homme, le Christ Jésus.

midi

Sommet franco-arabe d’Abu Dhabi. Politiquement et militairement, diplomatiquement, nous avons admirablement joué, même si la délibération et les heures de décision ne sont pas encore connues. Les Nigerians, non suspects d’être nos coloniaux, arrivent la semaine prochaine. Nos blindés de l’opération Licorne sont maintenant à Bamako. Les Nations Unies et le Conseil de sécurité, particulièrement, ferment les yeux sur le dispositif actuel qui n’a rien de multilatéral ni de spécifiquement africain… Qui a eu l’idée du sommet avec les Etats du Golfe : Algérie et Maroc y participent-ils ? boucle-t-on ainsi toutes les voies de ravitaillement et d’évasion ? La suite va être bien plus difficile. La « police du désert » ne pourra être malienne qu’en apparence. Nous allons donc reprendre pied massivement. Deux mille cinq cent hommes d’ici la fin de la semaine, près de mille déjà. On va donc vers des coups d’Etat à Bamako, l'indépendance, etc… mais plus dangereusement encore le clivage Noirs-Blancs au Sahel et donc des résurgences dangereuses pour tout l’Azawad et l’hinterland mauritanien.

Hollande a la physionomie qu’il faut. Pas notre rerésentant permanent à New-York, jubilant de jouer un rôle (sa conférence de presse, hier).

après-midi

Conférence de presse en direct depuis Dubaï. Sans doute trop longue, et donnant trop de place au compte-rendu prometteur des conversations économiques et financières avec les principaux dirigeants émiratifs, risque couru d’un donnant-donnant. Il eût mieux valu s’en tenir à la seule intervention au Mali. L’exposé là-dessus a été fait avec conviction, sincérité et talent. Motivation : la France seule (au monde) en situation d'intervenir immédiatement, demande du président malien, légalité internationale, concours logistique de pays européens, contribution financière des émiratis, autorisations de survol par Algérie et Maroc et dénouement par la présence incessamment des contingents africains. Solitude donc très passagère. Pas de présence pérenne puisque nous n’avons agi que pour compte. Processus malien en stabilisation intérieure auquel nous allons certainement prêter la main : un régime, des élections, une stabilité, la reconstruction. Ce qui n’est accessoire ni en tableau stratégique régional, ni pour qui s’intéresse en particulier à ce pays – moi, entre autres – le président français a explicité la position mauritanienne (après un entretien particulier avec le général Mohamed Ould Abdel Aziz, cité fonctionnellement et non nominalement : fermeture de la frontière, prise de responsabilité si appelé par les Maliens.

Avec habileté, le Président a indiqué que la France n'a aucun intérêt matériel au Mali, hors la présence de ses ressortissants, et évoqué, s'agissant des différents contrats nucléaires civils ou d'armements aux Emirats, et que nous avons jusqu'à présent manqués, la démarche en ordre dispersé sinon même en concurrence franco-française de nos grandes entreprises. J'en déduis que la question des prix du Rafale va être étudiée entre l'Etat et l'avionneur et que Areva avec l'E.D.F. où Proglio ne sévira plus longtemps vont devoir travailler vraiment ensemble : ce qu'auraient fortément illustré puis suggéré les interlocuteurs émiratis du visiteur français.

Le meilleur du propos a été la définition d’une présence et d’une intervention française dans le monde actuel. Interrogé comme il est devenu de coûtume – après de Gaulle – sur le point de savoir si l’exercice des responsabilités constitutionnelles de chef des armées, le changeait personnellement, François Hollande a su répondre que seule avait changé sa situation de candidat à une fonction en président exerçant cette fonction.
 


[1] - Cher Monsieur, je crois comprendre ce que vous dites de la solitude – mais il n’y a malheureusement pas de réponse. L’audience est une loterie : Tolstoï gagne très tôt. Dostoiewski, lorsqu’il va mourir. Ecrire, c’est écrire seul , dans la solitude comme dans l’illusion du contraire. Si vous liez votre talent à votre audience immédiate, vous deviendrez enragé. Alexandre Dumas, comblé, mais pas si bête, a dit à Victor Hugo : « Nous rencontrons tous la solitude ; au début, au milieu, à la fin, ou après. Mais si nous n’écrivions pas ? ». Personne n’aide personne sur l’essentiel. Pourtant, il est parfois bon de savoir que l’on n’est un écrivain (quoi qu’il en semble) que contre tout ; et qu’un écrivain qui s’exprime, n’est jamais seul s’il le croit. André MALRAUX, Lettres choisies . 1920-1976 par Françoise de SAINT-CHERON avec préface de Jean-Yves TADIE (Gallimard . Octobre 2012 . 385 pages), pp. 310-311

[2] -  lettre aux Hébreux II 5 à 12 ; psaume VIII ; évangile selon saint Marc I 21 à 28

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