mardi 22 janvier 2013

France-Allemagne . Allemagne-France - rite ou vie ?


Des dirigeants sans souvenirs vécus, en Allemagne et en France, en France et en Allemagne, sans souvenir de la guerre, sans souvenir d’obsessions séculaires que les guerres, la littérature, la musique, des images très fortes pour chacun l’un de l’autre et des dirigeants selon la part la plus mauvaise de notre présente époque, c’est-à-dire sans imagination ni charisme. C’est dire – tout simplement – que le rite, cette année, celle du cinquantenaire de la manifestation si spectaculaire de la réconciliation franco-allemande voulue par l’homme du 18-Juin et par le maire de Cologne des derniers temps wilhelmiens, ne frappe personne et ne crée rien. Les deux célébrants n’avaient pas dix ans quand le Général et le Chancelier s’étreignirent.

Chacun des prédécesseurs d’Angela Merkel et de François Hollande avait su ajouter quelque chose à la mûe et à la confiance initiales. Sans doute, les trente-six heures de Colombey-les-Deux-Eglises en Septembre 1958, puis l’échange de voyages officiels en Juillet et Septembre 1962, surtout celui du général de Gaulle, récitant sans hésiter cinq discours majeurs en langue allemande en trois jours, ne peuvent se répéter sauf circonstances extraordinaires – il y en aura sûrement, au point où est tombée l’entreprise et l’Union européennes – mais Georges Pompidou avait su faire accepter par Willy Brandt la perspective d’une union économique et monétaire pour les Six, en échange de l’élargissement du Marché commun à la Grande-Bretagne. Valéry Giscard d’Estaing avait su nouer une amitié personnelle avec Helmut Schmidt, son homologue aux Finances en Allemagne pendant leur guette respective du pouvoir et ainsi faire « le serpent monétaire européen », construire le système du G 7 et avoir un regard analogue sur presque toutes les affaires du monde. François Mitterrand avait – à la de Gaulle assurant Moscou de la nouvelle et démocratique Allemagne (de l’ouest…) – cautionné Helmut Kohl devant le Bundestag à propos des euromissiles et, rôle de Roland Dumas à la Couve de Murville, avalisé l’absorption de la République démocratique par la République fédérale. Accolade des deux géants le 22 Janvier 1963, mais les mains cherchée par l’un et acceptée par l’autre à Verdun en 1990. Même Jacques Chirac, si peu précautionneux avec les grands moments du passé : Hiroshima, le Vel d’Hiv. étrangement interprétés, arriva, pour le quarantième anniversaire, du traité de l’Elysée, à en faire avec Gerard Schröder une manifestation aussi inattendue que spectaculaure de la « politique étrangère commune », le refus de suivre les Etats-Unis sans mandat international jusqu’à Bagdad.

Le soixantième anniversaire – hors la contrainte des célébrations discoureuses – coincide avec des constatations désolantes. Le désaccord sur l’analyse de la crise économique en Europe persiste entre les deux pays, les compromis laborieux sur les dettes souveraines des pays du sud, sur l’union bancaire, sur les mécanismes de soutien et de solidarité se font sur des calendriers, pas sur le fond. L’élargissement de la constellation Airbus aux capacités aéronautiques de la Grande-Bretagne achoppe sur des questions dogmatiques, les égalités entre les deux pays fondateurs, la qualification publique ou privée de l’entreprise commune. L’intervention française au Mali ne met pas en œuvre la brigade franco-allemande de Strasbourg et montre que depuis Transall et le char Leclerc, la coopération franco-allemande en logistique n’a pas avancé. Lionel Jospin avait su rendre à la coopération franco-allemande l’université frontalière de Sarrebrück, et inventé une autre de nature encore plus bi-nationale dans l’est de l’Allemagne. Depuis quinze ans, trente ans, rien n’a été fait. Quelques millions de plus pour l’Office franco-allemand de la jeunesse, mais d’âpres concurrences pour la sauvegarde de l’emploi, site par site, l’allemand ne compensant pas le français, et réciproquement.

A défaut de programme industriel commun et comptée pour peu dans la solidarité entre les deux, la manie française depuis cinq-six ans de chercher en toute question nationale le modèle allemand, clé de réussite et de compétitivité…, faute aussi que les deux fondateurs aient songé à imposer chacun chez soi la langue de l’autre en première étrangère obligatoire, parce que sans doute la réalité leur importait plus que son expression… du moins y avait-il l’entreprise européenne à désembourber pour Angela Merkel et ses successifs partenaires français. Le pôle volonté qu’est souvent l’Allemagne au point de faire oublier ses idées et apports (c’est Joshka Fischer qui a réclamé le fédéralisme européen en 2006, c’est la C.D.U. qui à Leipzig l’an dernier a acclamé la proposition d’une élection au suffrage direct du chef de l’exécutif européen, peu importe son titre) s’est depuis six ans arcbouté sur ses refus, et le pôle imagination qu’est souvent la France ne frémit plus : la France mentalement éteinte dans les relations internationales, ce que ne dément pas une opération malienne nécessaire et physiquement très bien menée, mais dans un isolement qui marque l’échec de notre diplomatie, alors que le sujet, très difficile, est cependant excellent. Résultat, le « couple » franco-allemand dansote ridiculement comme ces couples de noces d’or, les dimanches après-midi en maison du « bel automne »… pas de baiser, pas d’étreinte, pas d’enfants, pas de rayonnement…

Georges Pompidou et François Mitterrand, rédigeant ou acceptant des traités fort imparfaits : l’élargissement à la Grande-Bretagne, Maastricht, avaient fait accoucher des ensembles complets et cohérents. Nicolas Sarkozy, avec déjà Angela Merkel, avait choisi de bâcler le nouveau traité, en place du projet de Constitution que Valéry Giscard d’Estaing avait su faire écrire d’un esprit français : du moins, elle et lui… voulaient avoir derrière eux ce texte jugé à refaire depuis quinze ans. Angela Merkel, Nicolas Sarlozy et François Hollande consacrent la stérilité d’un mode européen que personne n’avait prévu : le triomphe de l’inter-gouvernemental, c’est-à-dire du repliement de chacun pour soi et la déconnexion d’une commission sans légitimité. L’Europe qui n’est plus que légalité, est proche du cercueil. La faute en est à l’Allemagne et à la France, l’une empêchant, l’autre ne suscitant plus. Nous avions à notre actif le Marché commun agricole, une monnaie pouvant à terme recréer le pluralisme et les alternatives au dollar (et maintenant au tête-à-tête financier sino-américain, donc au duopole boursier qui en résulte), les technologies spatiales et aéronautiques autant que les grandes traditions militaires et du renseignement pour tranquillement périmer l’Alliance atlantique en transférant les outils de la sécurité internationale à l’Organisation des Nations Unies, nous avions le passé et l’avenir. Nous n’avons rien su ni vu – Français et Allemands – du présent émollient.

La crise, symbolisée par la chute de la maison Lehman, apporta le prétexte miraculeux d’exonérer désormais tout dirigeant de perspectives à terme pourvu qu’il sache réagir en ligne à une succession d’événements tous de même nature : le défi porté par les marchés, les banques, la spéculation aux économies réelles, aux Etats plus encore. Nous nous sommes « faits avoir » pour avoir oublié la dynamique qui fonda tout, celle de 1958-1963, convenue, voulue, zélée par deux allègres septuagénaire et octogénaire.

Triste fait : le rite franco-allemand n’a produit pour son cinquantenaire aucun instrument de « relance européenne », aucun concept pour faire cesser la risée du monde. Le « Marché commun » est à tout le monde sauf aux Européens. En ordre dispersé à Moscou, Londres et Pékin. La nouveauté dans l’ensemble européen est que la France semble ne plus même s’y distinguer par une crédibilité – qui demeure latente pourtant.

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