samedi 9 janvier 2010

journal d'il y a quarante ans - dimanche 4 au samedi 10 janvier 1970

+ Dimanche 4 Janvier 1970




18 h 30 A la maison

Deux événements . cette semaine qui vient
de s’écouler

– Dernier week-end : Louis Vallon m’a appelé
trois fois au téléphone : vendredi soir . samedi
après-midi et dimanche .
j’ai pu lui téléphoner lundi à l’heure du
déjeuner : 29 Décembre .
Je lui avais envoyé mon manuscrit au début
de la semaine précédente : 24 Décembre

Avait dit à Maman que mon manuscrit était
sublime . mais qu’il faudrait changer le ton .

M’a dit au téléphone . très libre et très direct :
– très bon livre . très intéressant
– changer le titre un peu trop démissionnaire
– cinquante premières pages plus banales
donner plus de ton au style . un peu monotone
cela manque de ton . mais la pensée est d’une très
grande richesse
– vous avez deviné beaucoup de choses du personnage .
alors que l’on se fait une fausse idée . un portrait
arbitraire du Général de Gaulle
– dans mon livre (l’Anti de Gaulle) .
j’ai reconstitué . tout n’est pas prouvable .
mais j’en sais plus . j’aurais pu écrire un livre de
400 pages . et mettre dans le bain des dizaines
de personnes . J’ai préféré n’en mettre que deux :
Duhamel et Giscard . et bien sûr Pompidou .
– vous parlez du retour de l’île d’Elbe . Bien sûr
l’île d’Elbe n’existe pas . mais je suis sûr que
le retour est possible
– éditeur : peu de chance dans le groupe Hachette
qui est au mieux avec Pompidou . je vous expliquerai pourquoi
Le Seuil ? qui est indépendant . mais il y a un revers
à la médaille
– je passe le manuscrit à Grendel qui est écrivain
pour savoir ce qu’il en pense .
il y a pas mal de fautes de frappe dans votre manuscrit
– il y a des petites choses à reprendre
mais dans l’ensemble l’analyse de la situation politique
est de tout premier ordre . votre livre ne passera pas inaperçu
[1]

J’ai peu parlé expliquant brièvement que
– je tape mon manuscrit moi-même
– pb du pseudonyme (il voudrait que je le choisisse bien
car il restera . avant suggère que j’abrège mon nom .
mais Tipère ayant parcouru mon manuscrit m’a interdit
de signer de son nom un message politique . ni même de le
porter en politique – ce qui m’a fait de la peine car :
. ce nom n’est toujours pas ma propriété . il est conditionnel
. je ne suis pas compris dans mes aspirations .
– mon adhésion à de Gaulle date de 62
– je souhaite faire sa rencontre d’abord seul avec lui

_

Second événement : l’entrée de Laetitia aujourd’hui
au Carmel de Chartres

deux pages = journal des sentiments et autre

Risque . qui va être éclairci demain par l’entrevue que j’ai
demandée à Hullo
[2] – d’avoir à partir à l’étranger dès
Septembre .
Je ne veux pas partir à l’étranger . célibataire . et
sans arrière à Paris .
Quels arrières ? je ne saurai trop le définir .
Mais le fait de ne pas avoir à partir de zéro en revenant .

Ce que je souhaite de cette année 1970 ?
Rien de définitif .
J’ai trop voulu faire du définitif jusqu’à présent .
Il me faut attendre . me perfectionner . construire .

Ce que je souhaite donc
– faire souffrir le moins possible autour de moi
– avoir soutenu et publié : Maurras . la Mauritanie .
et voir publié . et avec succès mon libelle
– avoir épargné une somme d’argent qui me donne un
minimum de sécurité et de volant : au minimum
5 à 600.000 frs .

Comment je verrai mon avenir
– travailler et me placer pour l’agrégation
[3]
– être encore célibataire au début de 1971
–faire de sérieuses économies .

_

Trouver ma vocation
– relation à Dieu
– insertion dans la cité

_

22 h 15

Je me sens en affinité immédiate avec le livre
de Garaudy
[4]« Le grand tournant du socialisme »


+ Jeudi 8 Janvier 1970


17 h 50

Sentiment que ce libelle est le début d’une aventure
dont je ne sais où elle me mènera .
Mais il me semble que ce que j’ai écrit est valable
erga omnes . et opérationnel même dans une situation
particulière .

Trouver un autre titre « Après onze ans : six mois … »

Réponse d’Edgar Faure assez surprenante .
Encourageant mais « annexionniste »
(tout le contraire de Vallon . en qui j’ai vraiment
confiance) .
Grasset me faisant retour de mon manuscrit . et Geneviève
me photocopiant un autre exemplaire .
je vais pouvoir l’envoyer à Capitant et à Couve de Murville

J’ai bon espoir d’être édité . mais de toutes façons cela m’a fait
penser et mettre au point des choses que je n’aurais pas vu clairement
sans cela . Et cela me fait voir aussi les « bêtes » politiques
de plus près . et d’un point de vue personnel .

Je me sens assez ambitieux
Et tout cela m’émoustille .

Mais le problème de la vie reste de devenir un saint .

Rencontré Olivier à la sortie de la Fac . mardi
S’ennuie . Complexe de ne pas avoir d’idées ou de
personnalité . Lui ai conseillé de s’occuper à écrire .
Il me semble qu’il ne pourra jamais être qu’exécutant
et faisant partie d’une équipe en tant que « technicien »
[5]

Pour ma part . l’essentiel dans ces deux ans est
d’avoir l’agrégation : seul diplôme qui me donnera
l’indépendance .
Et bien sûr . il me faut rester à Paris .
_
+ Samedi 10 Janvier 1970



21 h 30 . A la maison .


Fin de semaine . sous le signe de la tension . de la
fatigue et de la déception
Bien que – commençant à me connaître mieux – je
sache qu’il y a là une bonne part de rythme et de
cycle .

– Coup de téléphone de Louis Vallon . m’annonçant
que mon manuscrit repart pour Colombey avec une
mentionspéciale de Beaulincourt .
mais aussi que
Le Seuil . Jean Lacouture .
refuse mon manuscrit : trop propagandiste . pas assez
d’anecdotes . ou de récit . Ce n’est pas notre tendance .

Du coup . intuition que mon livre ne sera pas pris par un
éditeur . . .
Certes Vallon dit qu’il ne sert à rien de se décourager .
Mais après l’espoir de cette semaine . c’est la déception .

Ensemble donc de fatigue . de nervosité ?
Je n’ai d’ailleurs pas commencé Maurras .
(j’écris à Chevallier
[6] pour avoir un délai de
dix jours supplémentaires) .
_


Pour me
– achat d’un
Tintin . Je vais racheter la collection
qui se réédite .
Ainsi que la série d’Eric . dans les
Signes de piste
[1] - en fait, il ne trouvera pas d’éditeur, au Seuil notamment que Louis Vallon enrichissait (mais son livre suivant n’y sera pas pris…), Jean Lacouture objecte que sur l’Indochine, je suis critiquable… Mon « libelle » serait paru ce printemps-là, que je gagnais deux ans de notoriété, mais affiché ainsi, aurai-je démarré ma carrière professionnelle à la DREE ? et aurai-je été publié par Le Monde, car il n’y aurait pas eu l’effet de la découverte et de la surprise, ni vis-à-vis de l’administration ma protection par le prestige du journal – Regretter ? c’eût été du vivant de de Gaulle !

[2] - Antoine-Jean Hullo, chef du service de l’expansion économique, à la Direction des relations économiques extérieures (41 quai Branly) du ministère de l’Economie et des Finances, est une « figure » : sorti major de l’E.N.A. en 1952, il stupéfie tout le monde en choisissant l’Expansion économique à l’étranger et part en Afrique du sud. Pendant les « événements de Mai », il est au bureau « comme si de rien n’était » mais faisant ses trajets aller-retour à pied, il habite Saint-Cloud ou Meudon… avec Jean Chapelle, directeur de 1967 à 1973, il porte très haut les attachés et conseillers commerciaux près nos ambassades, mais surtout il a la même passion pour notre métier que pour nous, suivant chacun, personnalisant les carrières en connaisseur de ce que chaque agent peut donner ou ne pas pouvoir produire. Pierre-Louis Labadie et Henri Chazel dans la décennie suivante seront de la même étoffe, puis tout déclinera jusqu’à l’absorption de cette direction et de ce métier qui remontaient au Directoire, par la direction du Trésor jalousant le réseau des postes à l’étranger qui n’avait de comparable que celui de nos chancelleries diplomatiques – Je dois beaucoup à la patience et à la compréhension implicite de Antoine-Jean Hullo pour le socle de ma carrière professionnelle. On dit que vous êtes ambitieux… mais si vous l’étiez, vous vous y seriez pris tout autrement ! inoubliable accent du Rouergue ou de Bourgogne, tous les r roulés…

[3] - de droit public et de science politique – je me présenterai au concours en 1972 et en 1974 . puis… à celui de science politique devenu distinct, en 2004 et en 2006 : sans succès

[4] - je le rencontrerai en Juillet 1996, au cœur de « l’affaire » portant son nom et dans laquelle s’est impliqué l’Abbé Pierre

[5] - de fait mon camarade de la rue Franklin et de la rue des Saints-Pères, fera partie des plus prestigieux cabinets dans les années 1970 avant de poursuivre une carrière très belle mais méritée jusqu’au sommet des emplois offerts par le « grand corps » qu’il avait pu choisir à la sortie de l’E.N.A. – mais pas l’Inspection des finances qu’il visait et que sans doute il a regretté toute sa vie – de lui, cette formule qu’il vaut mieux, dans un embouteillage, être assis au volant d’une Lamborghini que d’une deux-chevaux
[6] - Jean-Jacques Chevallier, professeur à la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris – cela s’appelait ainsi – donnait notamment un cours de doctorat en histoire des idées politiques qu’il créait à mesure qu’il le professait : sujet de l’année que j’avais suivie, le socialisme dans les années précédant la Grande Guerre (cours à l’occasion duquel j’ai rencontré Sylvie, faisant avec celle-ci d’ailleurs un exposé sur Trotski et 1905) – M’étant passionné pour les livres de Charles Maurras depuis que j’en avais découvert – pendant que j’étais censé préparer le concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration, l’été de 1964 – quelques-uns dans la bibliothèque de mon oncle à Carcassonne, il était cultivateur « gentleman farmer », je préférais faire un mémoire sur son œuvre plutôt que sur Bakounine ou Kropotkine… l’éminent historien, humoriste et pédagogue, en forme physique au point de monter à bicyclette sans mettre pied à terre toute la rue Saint-Jacques avec des pinces à son pantalon et son mince porte-documents sous un bras… eut la bienveillance d’accepter mon hors-sujet

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