Courrier international - 3 Décembre 2008
A CHACUN SES
DROITS DE L’HOMME.
Pour Pékin, les critiques sur la question des droits de l’homme sont perçues comme une nouvelle forme d’interventionnisme.
Publié le 03 décembre 2008 à 14h45 Lecture 4 min.
En matière de respect des droits de l’homme, on ne peut pas
caractériser les pays selon le principe du tout ou rien. Il arrive
souvent qu’un pays qui se comporte bien dans certains domaines
pèche dans d’autres, car rien n’est figé ni uniforme.
L’essentiel est de déterminer si tous les droits de l’homme
répondent à des critères communs. De ce point de vue, on peut dire
que la Chine et les démocraties occidentales n’ont jamais eu de
critères communs. Les désaccords à ce sujet ont toujours été au
centre de la controverse concernant la “diplomatie des droits de
l’homme”.
Pour résumer, les divergences de vues sur les
droits de l’homme entre la Chine et l’Occident se concentrent sur
trois points : 1) l’opinion dominante en Occident est que les
droits de l’homme sont universels, alors que la Chine met l’accent
sur le relativisme culturel ; 2) au cœur de la conception
occidentale des droits de l’homme se trouvent la liberté et les
droits individuels, alors que la Chine est surtout attachée aux
droits collectifs et considère que les droits et les devoirs
civiques ne font qu’un (en fait, les devoirs priment sur les
droits) ; 3) la conception occidentale des droits de l’homme
privilégie les droits politiques et les droits civiques tels que la
liberté d’expression, la 4liberté de publication, la liberté
d’association, la liberté de réunion, alors que la conception
chinoise insiste sur le fait que les pays en développement doivent
faire porter leurs efforts en priorité sur le droit à la vie et les
droits économiques, sociaux et culturels, au contenu assez
vague.
Les “valeurs asiatiques”, fondées sur le relativisme
culturel, sont souvent mises en avant pour s’opposer à la
conception occidentale des droits de l’homme. Cette théorie des
valeurs asiatiques [qui consacre la prééminence du collectif sur
l’individuel] a été formulée principalement par les anciens
Premiers ministres singapourien Lee Kuan Yew et malaisien Mahathir
Mohamad. Peut-être pour des raisons idéologiques – l’idéologie
révolutionnaire communiste ne s’accordant pas du tout avec les
valeurs chinoises traditionnelles –, le gouvernement chinois
s’est refusé pendant très longtemps à soutenir ouvertement les
“valeurs asiatiques”. Ce qui ne l’empêchait pas de nier
l’universalité des droits de l’homme et d’insister sur le
relativisme déterminé à la fois par la notion marxiste de
caractère de classe et par les différences culturelles.
Souvent, les “valeurs asiatiques” sont mises en avant
A partir du milieu des années 1990, le gouvernement chinois a
semblé se rapprocher d’une vision universaliste des droits de
l’homme, tout en continuant à insister sur ses spécificités
historiques, culturelles et sociales. Il oppose deux arguments à
l’Occident : d’une part, il considère que la Chine, en tant
que pays en développement, doit s’occuper en priorité de son
développement économique et résoudre les besoins fondamentaux de
logement et d’alimentation de l’ensemble de la population ;
d’autre part, il se fonde sur la réalité historique des
agressions, mainmises et ingérences des puissances impérialistes
étrangères sur la Chine durant la période dite moderne (1840-1919)
pour considérer que le droit à la souveraineté fait partie des
droits de l’homme, en tant que droit collectif des Chinois. Pour
les autorités chinoises, les critiques adressées à la Chine par
les pays occidentaux sur la question des droits de l’homme
correspondent dans une large mesure à une nouvelle forme
d’interventionnisme. Elles forment le socle de la doctrine de
l’“évolution pacifique” [l’idée que l’Occident finirait
par obtenir l’adhésion de la Chine aux modes de vie et de pensée
occidentaux par des moyens non militaires] et des “révolutions de
couleur” [considérées par la Chine comme résultant de
manipulations des anciens pays de l’Est par l’Occident]. Comme le
système éducatif chinois et les médias ont une fonction de
transmission idéologique, ces deux arguments ont toujours une
influence majeure sur la société chinoise actuelle.
Depuis la
fin des années 1980, le gouvernement chinois a été forcé de se
rallier en apparence au consensus international qui veut que les
dossiers des droits de l’homme constituent une part importante des
relations internationales, mais il a également enrichi son
expérience en matière de diplomatie des droits de l’homme et
perfectionné ses méthodes. La première méthode est une démarche
multilatérale, consistant principalement à enrôler des pays en
développement (dont un assez grand nombre ne respectent pas les
droits de l’homme) pour former un “front uni” au Conseil des
droits de l’homme de l’ONU afin de s’opposer à tout projet de
résolution et à toute recommandation concernant la Chine, en
avançant comme principale excuse que les questions de droits de
l’homme sont par essence des questions de politique intérieure.
Cette stratégie se révèle des plus efficace et a permis à la
Chine de remporter des “succès”, que ce soit devant la
Commission des droits de l’homme ou auprès du Conseil des droits
de l’homme qui lui a succédé en 2006 [Pékin a maintes fois
réussi à faire annuler tout débat sur un sujet le concernant].
Chaque fois, le gouvernement chinois s’en gargarise dans la presse
nationale, saluant l’échec des “propositions antichinoises”
avancées par certains pays occidentaux. Il va de soi que cela
implique pour le gouvernement chinois de renvoyer l’ascenseur à
ces pays qui coopèrent avec lui, en ne votant pas les résolutions
du Comité des droits de l’homme qui les condamnent ou les
sanctionnent.
La seconde méthode est une démarche bilatérale
consistant à négocier avec des pays occidentaux, en particulier sur
des questions concrètes de droits de l’homme. Il s’agit d’un
système de donnant-donnant permettant d’aboutir à des accords sur
des points précis, par exemple en expulsant de Chine sous différents
prétextes des dissidents politiques ou des militants chinois des
droits de l’homme, en particulier vers les Etats-Unis, ce qui
revient en fait à un bannissement politique.
La troisième
méthode consiste à incorporer des éléments de la diplomatie des
droits de l’homme dans les relations bilatérales par exemple en
mettant en place des discussions au niveau des commissions
bilatérales, ou en organisant des programmes de coopération
relatifs aux droits de l’homme, comme la formation d’avocats, de
juges ou de syndicalistes.
Enfin, une autre méthode indirecte
est de jouer la carte économique. Celle-ci consiste à influencer
les pays occidentaux en concluant avec eux quantité de contrats, en
achetant avions et centrales nucléaires, en invitant les capitaux
étrangers à participer à la construction d’infrastructures. Sans
être directement destinée à détourner l’attention occidentale
de la question des droits de l’homme en Chine, cette méthode a des
visées stratégiques. Pour faire face à des besoins économiques
réels, la Chine choisit ses partenaires en espérant des concessions
sur l’attention portée aux droits de l’homme. Ce n’est pas une
politique affirmée, mais une forme que prennent fréquemment les
échanges internationaux
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