De lui, on ne voyait pas la petite taille que ce soit dans les médias ou en tête-à-tête, quoiqu’elle fît partie de sa légende. Comme d’autres et au contraire d’autres encore, il savait utiliser ce qu’il était à tous égards. Coléreux, injuste, difficile à vivre, il se contrôlait cependant au physique et au mental car son rapport à autrui était le même que celui de son intimité à lui-même : exigeant. Le visage si attentif, séduisait, retenait au possible.
En attendant de bâtir – à pas beaucoup – davantage pour la mémoire de quelqu’un qui fut universel pendant quelques mois et qui laisse une œuvre de réflexion politique par l’expérience et par les personnages, et une autobiographie en plusieurs essais de mémoires et d’anticipations (œuvre telle 1 et plume telle que je commençai peu avant sa mort de faire campagne pour son élection à l’Académie française, sans lui en avoir d’abord parlé, sans permission, je veux ce matin, paisiblement, l’invoquer comme un exemple décisif mais actuellement perdu.
La carrière est simple : le Maroc de naissance, Paris pour les études et l’Ecole nationale d’administration, Dakar et Gaston Cusin comme première grande affectation (c’est de la Loi-cadre et du mouvement d’émancipation africain qu’il s’agit), du cabinet ministériel avec Robert Lecourt (le Sahara), puis le grand moment avec Georges Pompidou à tous les grades du cabinet à la direction de ce cabinet, le secrétariat général à l’Elysée, le Quai d’Orsay… de là, un magistère d’influence, une voix recherchée plus par les journalistes du fond que par l’audiovisuel mais tels que François Mitterrand le veut en premier visiteur à la suite de son élection présidentielle. Entretemps, le Mouvement des démocrates dont la propriété intellectuelle faillit lui être volée par un François Bayrou, certainement respectueux s’il avait connu « le ministre » et qui organisa autrement son appellation à l’inspiration d’origine peu différente de celle de 1974. Projection en fait de toujours la même certitude quelles que soient les circonstances et les applications : être conséquent, ne pas parler la langue de bois, ne pas s’illusionner. Ce qui quotidiennement donnait certes de l’humeur, parfois de l’humour, mais toujours une démarche exceptionnelle, parlante. Des mots non apprêtés firent l’histoire si celle-ci s’arrête encore sur image… « Est-ce une agression que de vouloir rentrer chez soi ? » donna la position de la France, selon le vœu exprès de Georges Pompidou regrettant la spontanéité du Premier ministre alors Pierre Messmer qui avait admiré, en militaire, le redressement de justesse des Israëliens dans la guerre du Kippour (Octobre 1973 – avec le soutien décisif mais déguisé de l’aéronavale américaine en Méditerranée). … « Je leur dirai : bonjour les traîtres », quand Michel Jobert rapporta en commission sénatoriale des Affaires étrangères le lâchage de nos partenaires de la Communauté européenne devant la volonté de Kissinger de les solidariser avec la politique énergétique américaine face aux Arabes : l’agence internationale de l’énergie face au « premier choc pétrolier »…
A Matignon, c’était l’homme du contact avec l’extérieur car il écoutait et pouvait tout entendre et recevoir. Surtout rapporter sans précaution à l’interlocuteur que fut, pour lui, Georges Pompidou pendant onze ans. L’intrépide face au classique. Il me dédicaça parfois : au poète. Lui qui prêchait la lucidité a certainement pratiqué, comme aucun dans la politique française contemporaine, la volonté, la recherche, le discernement de l’idéal. Il ne l’attendait pas des hommes, surtout des dirigeants – qui n’étaient en somme que des obstacles pour les peuples – mais de ceux-ci, bien moins précaires, bien moins changeants, et aux intérêts légitimes, dépersonnalisés.
Au gouvernement de François Mitterrand, il ne fit rien – me sembla-t-il – que d‘observer. Le président de la République ne sut pas s’en servir et l’affecter comme l’avait su Georges Pompidou : voix de la conscience, de la traduction du temps et de l’esprit des gens. Le pouvoir politique en France est rarement informé. Il le fut en Mai 1968, grâce à Michel Jobert, un inconnu du public et de la presse d’alors. Georges Boris et lui avaient été familiers : ils s’étaient rencontrés au cabinet de Pierre Mendès France. Davantage par son engagement dans les forces de la France combattante et par une attitude de toute la vie, jusques dans ses dernières années où il fut vers les mondes méditerranéen et arabe la voix de la France, que par une carrière directement attachée à l’homme du 18-Juin, Michel Jobert est – de fait – l’une des étoiles les plus vives de la constellation de Gaulle.
Que sema-t-il par le Mouvement des démocrates ? cela ne se traduisit par aucun élu à l’époque mais bien des adhésions morales et des fidélités que je constate encore aujourd’hui : celles du tout venant, plus quelques partenaires du beau temps, en secret relatif. La perte du « parti gaulliste » se consomma en 1974 quand manifestement il ne put même y chercher sa place. La machine contre la vie.
Samedi 26 Mai 2012
1 -
Mémoires d’avenir 1974
Les idées simples de la vie 1975
L’autre regard 1976
Lettre ouverte aux femmes politiques 1976
La vie d’Hella Schuster roman 1977
Parler aux Français 1977
Maroc, extrême Maghreb du soleil couchant 1978
La rivière aux grenades roman 1982
Chroniques du Midi libre 1982
Vive l’Europe libre ! en coll. 1983
Par trente-six chemins 1984
Maghreb, à l’ombre de ses mains 1985
Les Américains 1987
Journal immédiat… et pour une petite éternité 1987
Vandales ! 1990
Journal du Golfe, août 1990-août 1991 1991
Ni Dieu ni diable 1993
Chroniques de l‘espérance 1988-1992
Horizons méditerranéens 1993
L’aveuglement du monde occidental,
Chroniques de politique internationale 1993-1996 1997
Les illusions immobiles chroniques 1999
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