lundi 9 novembre 2015

la mort du général de Gaulle


                                                                      T é h é r a n
                                                       
Mardi 10 Novembre 1970


Le Général de Gaulle

Je ne parviens pas à me persuader
qu’il est mort .

A l’instar de Maman .
il restera à jamais vivant
en moi

Ma vie en est décidée .

Il nous a rendu l’intelligence
et la foi en la France .
et en nous tous .
Il nous faut en avoir l’imagination
la volonté et la lucidité .

Extraordinaire vanité du monde
des gestes et des seconndes
qui passent .

Plus rien ne m’intéresse .

Il n’y a de problème que la vie .
C’est le seul qui ne soit pas gratuit
et qui nous engage .

Vanité du monde
Et non-signification de la plupart
des gestes et des paroles .

Pourquoi es-tu mort ?
alors que je te veux vivant ?

plus vivant . beau et vrai
que je puisse jamais souhaiter l’être
moi-même ?
_
A é r o p o r t     d e     T é h é r a n

                                              mercredi 11 novembre 1970


21   h   10

         J’ai donc pris la décision . un peu folle peut-être –
mais c’est quelque chose que je veux profondément –
et je ne peux faire autrement –
de prendre l’avion d’Abadan pour Paris
et tenter d’être demain à Colombey .
Où j’en ai le pressentiemnt . il y aura au moins
autant de monde . que sur les Champs-Elysées
le 30 Mai . . .

De Gaulle est extraordinairement vivant .
C’est ce qui me frappe de plus en plus sur les photos
que je regarde . et quand je récapitule ces dernières
années .
Qu’il ne vit plus sur notre terre . physiquement .
me paraît proprement irréalisable .

Il est pour moi évident que je dois être là-bas
pour lui rendre hommage .
Il a changé la vie de millions d’êtres . dont la mienne .

                e n    v o l  .   e n t r e      P a r i s      e t       T e l   A v i v


                                              vendredi 13 novembre 1970


11   h   45

Obsèques du Général de Gaulle hier après-midi
à Colombey .
Sentiment profond d’irréalité . hier . et encore
maintenant  ( Pasternak a écrit avenue de Breteuil :
« La mort n’est pas pour vous » ) .
Comme tout le monde . je ne peux réaliser que de
Gaulle n’est plus . parce qu’évidemment l’existence .
l’influence . l’exemple . le message de de Gaulle
sont au-delà des phénomènes de vie et de mort .
et qu’il reste d’une extraordinaire présence dans nos esprits.

La cérémonie elle-même – par très beau temps
( de Gaulle avait toujours beau temps quand il
présidait une cérémonie ) a été assez brève .
Plus un dialogue intérieur . une prière que je n’ai
pas assez faite . que réellement une ambiance
collective à laquelle Clombey . toute en petites rues
et à l’église minuscule ne se prête guère .

Madame de Gaulle  à peine devinable dans ses voiles
Edgar Faure . vieilli . Jeanneney semblable à lui-même .
et surtout André Malraux . craquant de souffrance .
le ruban vert des Compagnons de la Libération
éclatant sur son manteau noir .
Les plumes légères des casoars saint-cyriens .
le silence et la ma ---  de l’ E B R
couvert de tricolore . très lent . mais ne paraît
qu’en --- sous mes yeux .
Plus un geste que j’ai posé . et qui sera celui de
toute ma vie . que le recueillement et la prière
que j’aurai voulu avoir et que j’espère avoir en Janvier .

Messe très simple . bien retransmise . ce qui permettait
de répondre et de chanter . Mais vacarme des
hélicoptères de télévision . et longue attente
– et  ambiance trop détendue – pour défiler devant
la tombe de Anne et du Général .

Souvenir et image très nette que tout était tricolore
le blanc du ciel . le pâle des visages et des casoars
et le rouge des feuillages .
Car à vrai dire . il y avait très peu de chapeaux
et beaucoup de gens .
_

Le drame . c’est que de Gaulle ne reviendra plus au pouvoir
c’est maintenant sûr .
Que les mémoires ne sont pas achevés . à moins que des
dispositions aient été prises par lui . pour que l’on ait
un ersatz . ou des correspondances .

La situation politique et l’attitude de Georges Pompidou
vont définitivement décanter .

Si j’en ai la possibilité . je me présente aux
élections législatives de 1973 .

En attendant . je « casse le morceau » avec Debré
et pendant ce voyage . j’essaie de mettre au point
un nouveau livre .

Geste d’Air France qui m’a offert mon retour vers Téhéran .

Amour et certitude de Geneviève . profondément
ouverte à moi .                    Mais moi ?

Et Maman qui a parfaitement compris mon geste .

Poids terrible du destin et de l’échec de Papa .

Le Général de Gaulle .
par essence et par excellence . l’information .
Mais l’exemple « valable en tout temps . en tout cas
et en tout lieu «  d’une droiture et d’une dignité
qui viennent de je ne sais qui ni où .
mais de très haut et de très vrai .

De Gaulle . chrétien . contemple des morts
qui situe sa vie dans toute sa simplicité .
car il s’est voulu . sur le plan religieux et essentiel .
quelqu’un de la base . de la piétaille .
au bout du cimetière . une croix parmi d’autres .
                                     _

neuf pages = notations brèves au Japon et en Indonésie












                                                                           Mercredi 30 Décembre 1970





J’ai été reçu hier à 17 h 15 . une vingtaine
de minutes par Michel Debré .
Il avait ma lettre du Japon et mon libelle .
M’a demandé immédiatement « Que faites-vous ? »
Je lui ai exposé que je revenais de mon voyage
d’études autour du monde . que j’allais reprendre
la D R E E . M’a demandé si j’allais prendre un poste .
Lui ai répondu que non . ai exposé pourquoi .
Lui ai rapidement dit ce que je souhaitais :
apprendre à travailler et réfléchir . un métier .
Préparation de l’algrégation . Mais ne m’absorbera pas
et si faisait appel à moi .  je la remettrais volontiers
à plus tard . M’a demandé si j’avais des attaches
territoriales . Lui ai parlé du Périgord . mais que je n’en
avais plus . M’a dit que cela n’avait pas d’importance .
Allusionà mon cœur de la diplomatie [1].
M’a demandé si j’étais disponible . Lui ai répondu que oui
Dit revoir l’organisation et le nombre de ses collaborateurs
après les municipales en Mars prochain . Me fera alors signe
Inutile de rester en contact . Se souvient de moi .
Sur le pas de la porte . m’a félicité pour mon libelle .
M’avait auparavant demandé ce que j’allais en faire .
Lui ai dit mon échec à le faire éditer . Dit que c’était
dommage . car bonne chose qu’il eut paru dans les 6 mois
du départ du Général .
Sur le pas de la porte donc . m’a dit surtout qu’il avait
apprécié les chapitres du début . Lui ai dit que c‘était rare
que mon mouvement de pensée ait été ainsi compris .
car généralement mes lecteurs avaient davantage apprécié la fin
M’a dit aussi que la forme était bonne .

Je l’ai donc quitté confiant . et bien impressionné par lui .
Mais sans connaître son impression sur moi .

Immense bureau : presque une salle . Dans une obscurité
presque totale . Seule une lampe sur la table de travail
dans l’angle le plus au fond . et à côté de la fenêtre
donnant sur le jardin enneigé . entre la cheminée et le bureau :
deux photos sur une table de décharge : en noir et blanc .
le général de Gaulle . en uniforme . posant pour une photo officielle
de Président de la République .  et une autre . en médaillés
en profil . de son père ?
Le visage est plus beau que sur les photos . et surtout celles
d’il y a dix ans . Suite de gris et d’ivoire . mais
serein . Apparemment pas la nervosité qu’on lui prête .
Le geste et la parole sont bien posés .
Décrochant le récepteur d’un téléphone . il fait penser à un médecin
de médecine générale . dont il a le teint . le costume . le sérieux .



[1] - lapsus

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