Un colloque organisé dans l’une des salles de
l’Assemblée nationale, le 12 Décembre 2013 – une « première » a-t-il
été répété –, confirme que la dissuasion nucléaire française n’est plus un tabou
dont l’énoncé dogmatisé et l’évolution des doctrines en concept et en emploi,
ne seraient ni discutés ni discutables. Jeunes experts à titre personnel ou
associatif, officiers généraux du cadre de réserve dont plusieurs responsables
de l’une ou l’autre des composantes de ce qui à son origine était débattu ou
critiqué comme « la force de frappe »(trois fois la question de
confiance en Octobre 1960 – la pleine guerre d’Algérie – pour faire adopter les
crédits budgétaires) ont dialogué entre eux, et pas assez avec le public, sur
deux mutations.
1°
Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne surtout, selon
des participations russes à des colloques « occidentaux », la
pertinence d’une dissuasion nucléaire est depuis deux décennies très discutées
y compris par ceux qui en étaient militairement responsables, ainsi que par des
personnalités telles que Mac Namara et Kissinger. En France, l’unanimité
consacrée par le ralliement du Parti socialiste selon Charles Hernu et François
Mitterrand, n’aurait donc duré qu’une vingtaine d’années. Les opposants
observent que la France la France gagnerait en renommée et en influence, dans
l’histoire et dans le monde, en abandonnant ses armes nucléaires. La dissuasion
nucléaire ne nous garantit de rien. Elle accroît l’insécurité car elle est une
incitation à la
prolifération. Couplets sur l’argent mis ailleurs, sur les
risques d’accident.(même s’il est avéré qu de nombeux accidents d’avions
porteurs d’ogive n’ont pas dégénéré) On n’évoque pas Palomares mais un soldat
PETROV… qui n’a pas appuyé sur le bouton alors que les radars satellitairs
signalaient le vol de cinq missiles d croisière). Argument second, le monde a
changé, la guerre froide est finie. Défendre dogmatiquement la « force de
frappe » est se tromper d’époque. C’est un obstacle à la paix.La force
française est à l’origine une prolifération. Son perfectionnement est aussi une
prolifération nous mettant en contradiction avec notre ratification, d’ailleurs
tardive, du traité de non prolifération (1975) nous engageant à œuvrer pour la
désarmement nucléaire. Le nucléaire français (et britannique) est un obstacle à
la construction européenne, puisque tous les autres Etats membres s’opposent à
un nucléaire européen. Le nucléaire enfin nie la démocratie mondiale, un Etat =
une voix, aux Nations Unies. Un rapport de l’an dernier au Sénat, reconnaît
implicitement que si c’était à recommencer aujourd’hui, on ne la ferait pas. Ancien
Premier ministre, Michel Rocard voit même dans la persistance française une
participation à une génération de génocidaire au même titre que les
responsabilités en matière climatique. Si sa remarque est avisée sur des
ciblages à son époque – puérilement dangereux : la République démocratique
allemande, ce qui nous eût définitivement avec la République fédérale si celle-ci
l’avait su – sa caution est faible puisqu’il admet avoir changé plusieurs fois
d’avis depuis son adhésion au socialisme (libertaire par opposition au
communisme) à ses seize ans.
Les tenants de notre dissuasion ont d’abord beau jeu
de montrer que les intérêts financiers et industriels tirent plus avantage des
équipements conventionnels que nucléaires. Ils rappellent que François
Mitterrand a fait abandonner une de nos composantes : la sol-air et les
missiles du plateau d’Albion, que la production de matières fissiles a été
arrêté puisque notre stock de 30 tonnes suffit largement, celle de plutonium,
qu’enfin en 1993, la France avec Pierre Bérégovoy avait décidé le moratoire de
nos essais. La dissuasion a beaucoup d’expression conceptuelles et même diplomatiques :
partagée, élargie, peut-elle, en combinaison avec les moyens britanniques, selon
les conversations de Saint-Malo et de Lancaster House, couvrir l’Union
européenne ? Les Allemands – qui, à nos propres débuts de 1956-1958,
s’étaient associés à nous ce à quoi, averti par Couve de Murville, arrivant de
l’ambassade de Bonn, de Gaulle mit fin
tandis que Strauss, ministre de la Défense en 1961, revenait à al charge auprès
de Messmer – sont hostiles depuis nos approches de 1996 et ensuite.
2°
Les temps ont indiscutablement changé. Sont-ils moins
dangereux ? Les dissuasions existantes, celle des Cinq, mais aussi
d’autres sans aller jusqu’à la vingtaine que redoutait Kennedy, se sont
entreprises toutes dans une ambiance binômale : les Etats-Unis pour en
finir au plus vite avec le Japon et se prévenir d’un accès d’Hitler à cette
arme absolue que Renan puis Nobel prédisaient comme la meilleure arme
universelle contre la guerre, l’Union soviétique contre l’Occident, la Chine
face à Moscou, et la France pour valoir face à l’Allemagne selon la réponse
donnée à Kissinger par de Gaulle devant Nixon, l’Inde et le Pakistan, sans
doute l’Argentine et le Brésil. C’est la fin de la guerre froide qui a d’abord
clos tous les cycles de réduction convenus entre Américains et
Soviétiques : elle a provoqué les proliférations iranienne, nord-coréenne,
d’autres… et surtout une recrudescence
de conflits graves, l’Europe balkanique des années 1990 et peut-être
l’Extrême-Orient pour divers îlots.
Deux éléments actuels n’ont pas été évalués.
La crédibilité des Etats nucléaires n’est pas
seulement fonction d’une mise à jour technique, elle est politique, elle est
une relation du décideur suprême avec son peuple. Les démocraties sont alors
vulnérables, les dictatures bien moins. Il a été dit que le président français
– Jacques Chirac – avait acquis cette crédibilité par la reprise de nos essais
et par l’attitude de la France dans la seconde affaire d’Irak et que François
Hollande l’obtenait par sa détermination en Afrique au sud du Sahara. Il n’a
pas été dit qu’une réinvention d’un service national, universel, garçons et
filles, avec un temps d’initiation militaire et un autre de coopération
notamment dans les pays si peu démocratiques de nos actuelles interventions
militaires, aurait, outre son effet social, une reconstitution d’un esprit de
défense, celui que nous avons perdu à la suite de la Grande Guerre.
La Chine à peine, la Russie presque pas du tout, ont
été évoquées comme éventuels partenaires dans le jeu de rôles du nucléaire.
Sans doute, a-t-on relevé l’erreur – la volonté américaine de maintenir une
emprise mentale sur les Européens – de ne pas déclarer désormais sans objet l’Alliance atlantique
à la dissolution du pacte de Varsovie, et tant des maladresses « occidentales »
frustrant la Russie. Sa
dictature actuelle, les questions de matières premières et de délimitation
territoriale de l’influence entre Bruxelles et Moscou, se résoudraient-elles
par un retour aux dissuasions d’antan ou par une reprise des processus démocratiques.
Moscou ne fait-il pas valoir un rapatriement sur son seul territoire de tous
ses engins balistiques, stationnés à l’extérieur à mesure des installations
américaines en Europe, alors que les Etats-Unis n’en font rien, même si leur
« pivotement » de l’Atlantique au Pacifique le fait redouter aux
Européens leur désengagement, bien plus que le retrait symétrique de ces armes.
La Chine, analysée comme la puissance humiliée par excellence pendant plus
d’un siècle et envahie de tous, ne serait que pacifique, cf. le Tibet... et
n’aurait pas plus de têtes nucléaires que nous. Ce qui est oublier son projet
prochainement réalisé de base lunaire et ses équipements maritimes à proportion
de ses ambitions en mer de Chine
Une réflexion, pas nouvelle, sur ce qu’est la
puissance : l’économie allemande, l’exportation chinoise même si elle sont
respectivement tributaires de la santé du reste de l’Union européenne et des
matières premières dont n’a jamais disposé en propre l’Empire du milieu...
doit-elle se substituer à la considération d’autres techniques militaires :
la balistique important plus que la bombe ? ce qui avait d’ailleurs été
l’intuition du général de Gaulle pour toute négociation de désarmement.
Peu traitée dans le livre blanc sur la défense – elle
n’a fait l’objet que de deux séances de ses rédacteurs – la dissuasion nucléaire
française a reçu de l’élu de 2012 le maintien à peu près intégral de ses
crédits, le président Hollande ne tranchant pas sur les choix à opérer à
l’intérieur du montant acquis. Reste à faire participer, non plus seulement le
contribuable, mais le citoyen. La discussion pour construire un nouveau
consensus, plus explicite, en des temps difficiles à caractériser, sera plus efficace qu’une
sanctuarisation politique à laquelle personne, pendant ce colloque, ne s’est
plus attaché.
initiative et
organisation : Pierre Paacallon, ancien député - accueil par Hervé Morin - modérations : Michel
Polacco, Alain Barluet, Philippe Wodka-Gallien, amiral Jean Dufourcq - exposés,
Georges Le Guelte, général Bernard Norlain, Patrice Bouveret, Jean-Marie
Collin, Benoît Pélopidas, général Claude Leborgne, Thierry Widemann, Yannock
Quéau, Alexandre Vautravers, Bernrd Sitt, Philippe Cothier, Jean-Pierre
Gaviard, général Forget, François Gere, Bruno Tertrais, Jean-Pierre Maulny,
Jean-Pierre Tiffou, général Vincent Desportes, général Etienne Coppel , André
Dumoulin, Isabelle Lasserre, Emmanuel Nal, Camille Grand, Jean-Sylvestre
Mongrenier
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