Réflexions
sur une lettre du ministre des Affaires étrangères français
à
son homologue algérien – et sur le dire à Kigali du président de la République
française
Repentances publiques et autres…
Intrusion de beaucoup de sentiments, de sensations, d’objections,
de raisonnements. Mise en cause
de soi : cas, rare de communion même si elle n’est pas adhésion, où des
déclarations publiques d’autorités reconnues et surtout médiatiquement
entendues font de l’effet.
Il y a ces grands appels au redressement, au progrès,
à la confiance collective qui font les mouvements dans un peuple, dans un
ensemble, dans une époque : les grandes religions, leurs fondateurs ou
leurs mandataires contemporains, ainsi la geste pendant vingt-cinq ans de Jean
Paul II, le cri de Paul VI à l’ONU (plus
jamais la guerre) ou certains appels antan à la « guerre sainte »
ou à la « croisade », la démarche du Dalaï-Lama … pour la France, les
proclamations de l’Empereur débarquant en Mars 1815 ou son ouverture de la
campagne d’Italie, le 18-Juin 40… pour un pays qui m’est cher (la Mauritanie),
certains appels charismatiques d’un homme qui apparemment n’avait pour en
lancer que des qualités intimes. Un mot public qui fait frémir intérieurement
chacun… le mot selon le fait : ainsi, pour la France à Bir-Hakeim : la nation tout entière a frémi. Il faut
le fait patent, il faut le mot juste : le simple vêcu, quand le faux est
impossible et que l’indicible, miuraculeusement, trouve une expression.
Cette « technique » que l’Histoire donne à
improviser par une grâce mystérieuse dont quelques-uns sont investis pour leur
époque et pour leur peuple, et donc pour le monde, toujours sensible à
l’exemple – il est possible que soit aussi de cet ordre prophétique l’évangile
marxiste, aujourd’hui sous le boisseau alors que jamais, depuis sa proclamation
et ses premières mises en pratique, il n’a autant répondu de ce dont l’économie
et l’homme souffrent également, chacun : doctrine, dogmes, âmes et chairs,
dévoyés par le cynisme de quelques-uns, la tolérance et le découragement du
plus grand nombre – cette « technique » et cette investiture d’une
certaine mission sont depuis quelques décennies employées dans d’autres
circonstances. Dévoyées si souvent.
Pas d’impératif biologique ni historique, pas de
spontanéité, mais une manière de faire de la politique et de contribuer
soi-même à l’image de soi ou de ce que l’on représente, à tort ou à raison,
légitimement ou pas. La repentance, les excuses, les regrets exprimés
publiquement en des lieux choisis, pour un public visé, selon un parterre
assemblé ou supposé. L’élection de Barack Obama a son authenticité plus dans la
votation populaire que dans le candidat s’il s’agit de relire le passé
pour relancer l’avenir. Naguère, la repentance, et encore aujourd’hui en certains
cas, était imposée : le tribut de guerre, la clause de responsabilité dans
un traité, le diktat de Versailles, les tribunaux internationaux érigés par les
vainqueurs à Nuremberg et à Tokyo avec l’émergence des concepts (devenant
aussitôt opérationnels) de crimes de guerre, puis (engendrant des lois
rétroactives) de crimes contre l’humanité avec des juridictions occasionnelles
encore ou permanentes, elles-mêmes produisant des comportements divers, tel
Etat s’en exonérant (les Etats-Unis vis-à-vis de la Cour pénale
internationale), tel poursuivi restant à l’air censément libre de relations
inter-étatiques normales (le Soudanais El-Béchir).
La repentance de nouveau type – celle d’héritiers
supposés mais lointains juridiquement ou chronologiquement, le pape Jean Paul
II pour l’Inquisition, le président de la République française pour les rafles
du Vel-d’Hiv. et le sort des Juifs français sous l’Occupation allemande, le
monde entier pour la shoah (puisque les Tziganes n’ont pas de représentation et
encore moins d’Etat résurgent) – a pour traits essentiels : un discours
public et un accusé de réception public.
J’ai tellement le sentiment que cela est faux,
improductif aussi bien pour ceux qui ont du deuil, encore, à accomplir, fut-il
transgénérationnel et de racines millénaires, que pour ceux qui se flagellent.
Y réfléchir donc. L’exercice est difficile car trop se
presse et ne fait pas gerbe. Déblayons d’abord.
Origine ou pas de la parole publique de repentance, au
nom censément des boureaux, mais pas du fait des bourreaux – morts ou exécutés
depuis longtemps. Il n’y pas eu à ma connaissance de repentance à Nuremberg,
mais des explications ou des mises en perspectives (Goering verbalement et
brillamment, Speer à longueur d’écrits passionnants) ni à Tokyo, et le concept
de crime contre l’humanité n’apparaissait pas encore : les camps de la
mort ne furent pas le centre de ces procès, le sort des Juifs n’a pas été le
motif de la condamnation du maréchal Pétain ni de Pierre Laval. Fauteurs de
guerre ou trahison, c’était la dialectique de l’époque. Origine dans le cri des
victimes ? non, elles sont – précisément et dramatiquement mortes :
les huit cent mille morts du génocide rwandais, le million et demi d’Arméniens
en 1915 massacrés, têtes alignées sur des étagères… les six millions de la
shoah. Origine bien plus permanente et qui me touche davantage car ma
génération y peut quelque chose, dans sa structure mentale, dans la lecture
qu’elle fait de son passé à connaître ou mieux à reconnaître, au sens d’assumer
et au sens de connaître d’une manière nouvelle : les blessés d’âme par l’histoire contemporaine, les victimes du mépris
ou de l’erreur. Bien entendu, toutes les erreurs judiciaires individuelles,
tous les abus d’une justice qui a été mal administrée. Des histoires nationales
en basculent : l’affaire Dreyfus, peut-être le bâclé de certains procès de
Vichy et certainement beaucoup de ceux de l’ « épuration »
(ancêtre dans le vocabulaire sinistre qui a eu l’application ethnique à
quelques quarts d’heure d’avion de tourisme, de chez nous : la
Yougoslavie). Mais collectivement, le colonialisme et ses diverses voies dans
le carnage des consciences individuelles et collectives. Le mal-être d’une
conscience colonisée type voudrait produire une dislocation de l’orgueil du
colonisateur. Les ambivalences des décolonisations sanctionnées censément par
l’indépendance politique : des décennies d’effusion de sang et de
dictature (la Guinée capitale Conakry, éphémérides toujours pas conclus) ou des
mascarades héréditaires (Syrie, Togo, Gabon, bientôt Sénégal, Libye, Egypte)
qui cependant méritent analyses : elles ont leur fondement comme les travestis
de scrutin dans tant d’Etats restés débutants en démocratie, version
« moderne », alors que leur sociologie traditionnelle les avaient
formés à d’autres modes. Ambivalences plaisant tant aux manipulateurs
d’aujourd’hui, masqués alors que le colonisateur autrefois s’avouait et se
glorifiait.
Je dégage donc une quantité de faits mentaux,
d’immoralité dans la relation entre peuples, les uns dotés de la force et
produisant, de force, un droit applicable à d’autres peuples, et les autres
subissant le fait accompli, s’y ralliant parfois pour plusieurs générations, et
souffrant d’âme encore davantage, faute d’exutoire et d’expression. La colonisation,
illégitime dans son principe mais pourtant vêcue dans des quotidiens et selon
des relations humaines pas tous ni univoquement détestables. Le débat en France
sur l’article 9 d’une loi vite oubliée et qui proclama à la sauvette « les
aspects positifs de la colonisation ». L’âme française en sait quelque
chose puisque son tréfonds est mixte (sinon métis) : il est gallo-romain,
la colonisation romaine… et que de là se sont faits, par vagues successives et
de couleurs et accents si divers, encore en cours, la nationalité française, et
l’esprit français. Toute nationalité est
d’abord une construction spirituelle, et le maintien d’une volonté pour cette
construction. Son antithèse est évidemment le communautarisme, les
garanties ou représentations aux quotas de toute minorité ou de toute section.
Les droits de l’homme – organisés, sanctionnés – donnent la seule piste pour
les entententes entre peuples de même Etat par force de la géographie et de
l’histoire (ainsi la coexistence de deux Etats ennemis en Palestine, au sens
géographique originel, ne fait qu’attiser les inimitiés ethniques et
religieuses, alors qu’un Etat unitaire garantissant les droits et surtout la
dignité égale de chacun des israëliens et palestiniens, est la seule voie de
solution à terme). Chaque peuple constitué en Etat peut et doit « revisiter »,
ré-enseigner sa mémoire collective et ses racines de diversité pour reconnaître
qu’il est d’abord esprit et volonté, et non pas fait biologique et matériel. Ce
pays qui m’est cher et peut faire souvent – ici – parabole : la
Mauritanie, le montre excellemment. Ses diverses composantes sociales et
ethniques le désignent à la dislocation et au partage, mais le consensus et
désormais le legs suscités par l’un des siens – providentiel et génial dans son
humilité et ses certitudes – survivent aux drames que cet homme d’Etat sut
faire surmonter à ses compatriotes tant qu’il fut à la tête du pays, et
survivent depuis son renversement il y a plus de trente ans à autant d’années
de dictature, sauf brève parenthèses dont très peu de Mauritaniens surent la
fragilité alors que la plupart en abusèrent. France comme tout pays
aujourd’hui, si fragile d’avenir si celui-ci doit n’être que matériel et géré,
« gestionné ».
Voici le matériau : des peuples, des Etats, des
événements. En regard, de la parole. Le contraste d’ailleurs est ainsi patent.
La parole pour corriger ou effacer des faits. Du présent pour rectifier le
passé. Dialoguer avec qui et de qui obtenir le pardon ? et quel
parterre ? des tiers qui contemplent, s’ils n’en sont pas distraits par
leurs propres affaires, la France s’accroupir à propos d’une osmose qui fut
parfois si proche de se faire entre elle et l’Algérie, entre les deux rives de
la Méidterranée, la France et le Rwanda à n’en plus finir entre ventes d’armes,
descente d’avion à la James Bond, camions bâchés pour emmener les uns à
l’hôpital et les autres à leur cachette ?
Je déteste les lettres sous la dictée et ceux qui se
font honneur de proclamer une honte qu’ils ne ressentent pas intimement :
Bernard Kouchner et son propos écrit à l’homologue algérien sur la
colonisation. Je hais ces clichés montrant des chefs d’Etat se tenant la main
mais les épaules et la tête les plus éloignés possible l’un de l’autre, ne
s’entre-regardant pas et tout pour la photo., les yeux figés et menteurs :
Kagamé et Sarkozy. Naguère, aux époques monarchiques, un mariage entre maisons
régnantes ou l’entrevue de plusieurs empereurs, une ou deux fois par siècle,
signifiaient aux peuples une alliance et la paix. Aujourd’hui, les sommets
foisonnent tellement que c’est devenu la plaine banale et quotidienne. J’ai
aimé la soudaineté de cette approche du général de Gaulle à la rencontre du
chancelier Adenauer pour l’embrasser alors que la plume de chacun roulait
encore au bas du traité franco-allemand : chacun saisi. J’ai aimé la main
de François Mitterrand tâtonnant à la recherche de celle de l’énorme Helmut
Kohl, puis leur figé commun à Verdun. Margaret Thatcher put ricaner (« le
caniche ») mais la France avais su – dans l’affaire des Malouines – seule,
se porter garante du droit britannique, que dénia manifestement l’Amérique
héritière de la doctrine de Monroë. Et il y eut de Gaulle, croyant sur parole
Kennedy à propos des installations soviétiques en train de se faire à Cuba,
comme il y eut aussitôt le concours de la monnaie américaine au franc français
à l’automne de 1968, malgré toute la guerre prétendue du Général contre le
dollar, et alors que l’Allemagne de Strauss, ministre des Finances, s’était
cruellement (et joyeusement) dérobée.
Voilà donc.
Algérie : quelque chose de français s’est manqué,
en 1920 ? en 1947 ? Il manqua un fondement. Se surajoutèrent la
bêtise d’un Etat, l’aveuglement des politiques raisonnant en métropolitains
supérieurs, les comportements de tant de colons. Une complexité qui avait pu se
résoudre dans les annexions et immersions par continuité territoriale et que ne
surent pas résoudre la continuité historique et le sang versé ensemble dans les
deux guerres mondiales. Crimes français, crimes algériens. Abus de la force
quand Alger est prise en Juillet 1830 (le coup d’éventail du Dey) et quand une
guerre de conquêtes est menée pendant des décennies. Grandeur d’Abdel Kader,
militaire, politique, spirituelle. Grandeur aussi des dialogues Ferhat Abbas –
de Gaulle. Lamentables successivités de ce qu’il se passe – officiellement aujourd’hui
– entre les deux Etats alors que les deux peuples sont en communion
d’obligation mais aussi de dilection. Illégitimité initiale de toute conquête,
celle de l’Algérie, celle de l’Afrique subsaharienne, illégitimité permanente
de toute entreprise d’acculturation y compris au sein d’un pays comme le nôtre,
à nous Français. Mais lâcheté et pis… que ce que nous avons infligé aux harkis
(témoignage que je crois utile pour la mémoire, du général Aussarès : ne lire
celui-ci que selon le cynisme, c’est se donner bonne conscience et amnésie,
alors que Mendès France sut démissionner du gouvernement de Guy Mollet quand il
apprit ces pratiques). Lâcheté et profonde erreur politique que ne pas
accompagner, défendre et illustrer à la suite du général de Gaulle, la
spécificité française au Canada, au Québec naturellement, mais dans presque
toutes les autres provinces : François Fillon presque dans le sillage,
Nicolas Sarkozy à contre-courant.
Réclamer des excuses ou un monument scripturaire
français est, de la part d’officiels algériens, à commencer par le premier
d’entre eux à la carrière et aux élections si ambivalentes, une erreur plus
encore sur soi que sur la France. Cela ne permet aucune identification de
l’Histoire et c’est gros de quantités de mutilations. Alors que – malgré tous
ses défauts en chacun de ses nationaux « de souche » et malgré la
grossièreté du traitement depuis des années des sans-papiers et des nouveaux
arrivants – la France est une évidente chance pour l’Algérie : avoir en
Europe et sur le marché, dans l’intelligence de l’Europe un répondant dans
lequel l’Islam, l’arabisme, la berbérité, le sahara, depuis trois quarts de
siècle au moins, enrichissent notre identité de pays d’accueil. Fournir des
excuses, faire se renier la France mot à mot, , dans un contexte répressif
manifeste en France et électoral en Algérie, est une erreur encore plus grande.
La réponse de l’Histoire sera le mépris de nous. La frustration, la recherche
d’identité autant que la combinaison électoraliste peuvent expliquer les
exigences algériennes. Mais leur donner satisfaction en parole, c’est verser
dans le tonneau des Danaïdes, ne produire aucun bien vrai pour l’âme algérienne
et parler faux. D’ailleurs, très peu de personnages – en existent-ils encore
historiquement – pourraient avoir l’autorité morale pour dire quelque chose,
là-dessus. De Gaulle s’en garda. Tout simplement parce que tant bien que mal,
et souvent en homme seul, il avait fait ce qu’il avait pu : décoloniser,
ce qui n’avait aucun lien avec la colonisation, ce qui était d’intérêt français
et ce qui était d’une juste intelligence de l’Algérie. Faire ce que l’on peut,
plutôt que parler.
Les politiques français d’aujourd’hui n’ont pas
qualité pour exprimer les Français, les politiques, les militaires d’autrefois,
leurs raisons, leurs erreurs, leurs péchés, leurs grandeurs. Ils ne peuvent
savoir, et ne sont pas davantage crédible car leur dire n’est pas indépendant
de celui qui leur réclame et veut l’entendre d’eux, pour qu’ils plient, non
pour qu’ils fassent la rencontre. Notre
attitude à nous, Français d’aujourd’hui, consiste tout simplement à ne pas
commettre ce qui se révèlerait à la génération suivante, tout à fait analogue.
En gros, toute la question de la Françafrique. S’excuser pour le passé, et –
par d’autres moyens, dans un autre
contexte – faire au présent et organiser le futur proche, d’une manière encore
plus illégitime et surtout vicieuse ? Conquête naguère, domination
ensuite, mais aujourd’hui aussi bien ces repentances et excuses, que le
concours apporté aux perpétuations de dictatures ou à leur installation (la
Mauritanie en étant un exemple patent ces vingt derniers mois) sont des
immixtions et des dénis d’indépendance, probablement pires. Naguère, le
contexte universel, stratégique et mental, a été à la colonisation et à ces
« expansions territoriales » : chaque conduite nationale
s’inscrivait dans un ensemble apparemment sans alternative. Aujourd’hui,
l’alternative est claire, l’ambiance est autre, il y a les déclarations des
droits de l’homme, les résolutions pertinentes des Nations Unies, des traités
enregistrant des convictions et des valeurs communes : la France va contre
le courant, contre la morale, contre son image ancestrale (et contre ses
intérêts) dans beaucoup d’Etats qui lui restent liés – légitimement – mais qui
doivent lui être chers tout autrement.
La déviance française tient à deux éléments.
La motivation électoraliste de certaines politiques de
répression et de repentance. Les voix qu’on croit acquérir des Français juifs
en leur promettant, en campagne présidentielle de 1995, ce discours dans lequel
Jacques Chirac impliqua la République dans la rafle du Vel d’hiv. – alors que
Valéry Giscard d’Estaing s’était bien gardé en 1974 de s’aliéner les Français
catholiques et de manquer leurs voix, en évoquant son projet de légalisation de
l’avortement (ce projet était déjà présenté par Jean Taittinger, garde des
Sceaux, sous Georges Pompidou et Pierre Messmer). Alors qu’à propos des
responsabilités de Vichy – à examiner et détailler de près, selon la chaîne de
commandement et de décision politiques – depuis de Gaulle jusqu’à François
Mitterrand, la doctrine et le fait français étaient restés intangibles :
la République n’était pas, la France non plus, dans le territoire occupé ni à
Vichy. Ce travers électoraliste polluant les décisions et comportements de
gouvernements censément revêtus d’indépendance et d’autorité (les institutions
de la Cinquième République et la docilité de la majorité parlementaire) est
aujourd’hui doublé par l’inculture à la tête de l’Etat. Jacques Chirac fait
reprendre les essais nucléaires français dans l’atmosphère le jour anniversaire
(le cinquantième) d’Hiroshima : un chef d’œuvre ! Nicolas Sarkozy
pense séduire les Africains et les pénétrer d’âme, d’une certaine manière :
inaugurer un nouveau cours, résolument post-colonial et fraternel, en lisant à
Dakar le texte d’un tiers dont il n’a aucun élément personnel pour l’apprécier,
le critiquer et éventuellement le ré-improviser tout autrement (il a découvert
le papier en voiture, dans le quart d’heure précédant sa harangue… au contraire
Michel Jobert, devant reconnaître ou pas le processus d’Helsinki en 1973, de
dégel Est-Ouest mais à quel prix ou pour quelles conséquences ? froisse ce
qu’ont préparé par ses services, et écrit comme s’il parlait à sa concierge. La
continuité gaullienne, à ce propos et, en tant d’autres, est trouvée. Mais il y
faut l’esprit…).
Le Rwanda… une commission parlementaire
extraordinairement tenace, perspicace, motivée, sachant sa compétence morale –
immense – et juridictionnelle – nulle et interdite – rend son travail. Il
apparaît, encore aujourd’hui, selon Amnesty
international que la faute française fut de ne pas écouter les
avertissements de ses propres représentants sur place, que les ventes d’armes
étaient moralement plus qu’imprudentes même si elles furent lucratives et que
l’action fut tardive. Mais il reste que la France fut seule dans le bain (de boue
et de sang) pour tenter de l’empêcher, il reste que ceux qui veulent des
excuses pour huit cent mille morts sont – quant à eux – directement ou
indirectement coupables de cinq millions de morts chez le voisin congolais, si
convoité et si peu respecté. Il est clair… que nous n’avons pas été clairs.
Ambassadeur de France au Kazakhstan, je suis inondé dès avant ma prise de fonctions,
puis ensuite – sous timbre secret défense – de télégrammes à propos du Rwanda
et de notre action là-bas. Je vois mal le lien avec l’Asie centrale et
l’ouverture, dans des conditions de dénuement inadmissibles, d’une ambassade
dans un pays dont nous ne savons initialement à peu près rien :
dispersion ? A la seconde des réunions annuelles d’ambassadeurs, réunis à
l’Elysée, je m’étonne que le Rwanda tienne la moitié du temps de l’exhortation
présidentielle, je la filme en video. ce qui est interdit, mais la sécurité
connaît ma proximité avec le président de la République et d’ailleurs c’est
l’image et la voix de celui qui va nous quitter, que je veux retenir, son
propos m’est égal. Donc, une insistance officielle sur le sujet manifestant du
malaise.
Un travail parlementaire d’une qualité rare, mais
méconnu par le président d’aujourd’hui – aussi carrément et légèrement que le
ministre des Affaires étrangères d’aujourd’hui ignore la complexité de
l’interpénétration franco-algérienne pendant un siècle et demi, et plus encore
maintenant (franco-maghrébine quand on sait combien le Maroc nous importa
économiquement et stratégiquement pendant le protectorat, que s’y réfugia, un
peu retour d’exil déjà, feu le comte de Paris, qu’y naquit notre Michel Jobert
entre autres, … quand on sait combien de politiques français décisifs jusqu’à
maintenant sont nés ou se sont formés en Tunisie…), ces deux repentances de la
semaine manquent de fond. Du coup, leurs motifs et leur sincérité (éventuelle…)
ne peuvent être perçus ni par les Français, ni par les Algériens, ni par les
Rwandais. Plutôt qu’un devoir, un travail… de mémoire (expression juste d’un
consultant d’Amnesty, avant-hier soir
en chaîne de télévision parlementaire française. Un travail forcément commun,
plurinational, pluridisciplinaire débouchant sur des enseignements scolaires et
sur un enrichissement du civisme dans chacun des Etats, pas en formules creuses
ou en affichages qui ne font plaisir
qu’aux afficheurs. Mais en vie. Rien d’imposé mais des cadres invitant,
permettant ces suppléments de culture, de connaissance, de conscience, et à
terme de fraternité. Pas facile… chacun des grands Etats actuellement a ce
genre de responsabilité à assumer – non du passé qui ne changera pas et qu’on
connaît le plus souvent bien mal, si proche soit-il encore chronologiquement –
mais du travail à faire et de l’exemplarité à reconquérir, à enfin pratiquer. L’Allemagne
de 1945 et depuis, a su bâtir quelque chose, non sans un immense mérite, alors
qu’Helmut Kohl, mal accompagné par François Mitterrand et prêtant à des interprétations
multiples de ses propos et de ses comportements dans les mois décisifs de 1990,
ne fut finalement sauvé que par cette étrange force que peut être l’Histoire
quand elle se partage entre plusieurs Etats et hommes d’Etat. De justesse, car
le chancelier refusa d’inscrire dans la Constitution allemande quelque
reconnaissance d’un droit des victimes du nazisme a être indemnisées et même
honorées, qu’il hésita sur la frontière orientale de son pays (et de son
peuple) et faillit se tromper sur ce qu’il a laissé au total et, si
heureusement, légué à la mémoire nationale et européenne. Le parterre put
applaudir, soulagé. Que voit-il, que pense-t-il des dirigeants français en ce
moment ? Quel apport de Bernard Kouchner et de Nicolas Sarkozy aux
relations internationales et au rôle que la France peut y jouer, qu’on a
attendu d’elle et qu’elle joua naguère ?
C’est malsain pour l’esprit national. De telles
repentances : du discours de Jacques Chirac en Juillet 1995 – amalgamant
la République à Vichy et niant donc la Résistance et le 18-Juin, ce que dénoncèrent
ses deux anciens mentors, Marie-France Garaud et Pierre Juillet – au discours
de Dakar en Juillet 2007comme aux fautes
de fond et de grammaire à Kigali, il y a trois jours : ce qui s’est passé ici est inacceptable (pour :
ce qu’il s’est passé, et qui donc a accepté ?), ne font pas réfléchir sur
le passé et distraient du présent.
Sous sa direction actuelle, la France pratique le
contraire ce qu’il est dit d’elle. Une démocratie exemplaire et
irréprochable ? alors que nous vivons une concentration et une
irresponsabilité du pouvoir politique sans précédent en France par temps de
paix. Entendre Ali Bongo « enterrer la Françafrique » … comme avoir
entendu Nicolas Sarkozy féliciter son homologue nigérien en Mars 2009 de
respecter sa Constitution limitant à deux mandats consécutifs l’exercice de la
fonction présidentielle… vivre la dénaturation des relations franco-marocaines
qui ne sont plus qu’hôtelières pour personnalités autrefois tropéziennes … En
revanche, les ajustements mensuels de la législation répressive, la main-mise
sur le système judiciaire aussi bien en éloignant physiquement les justiciables
de leurs tribunaux délocalisés qu’en changeant les statuts de certains
magistrats (malgré l’évaluation si négative de la Cour européenne des droits de
l’homme), les chemins de croix pour les régularisatiuons, les reconduites à la
frontière, les internements administratifs. La perversion des fonctions
policières imposée par des ministres rompant avec la tradition républicaine. L’esprit
est le même, des repentances sans âme et du déni de démocratie en tout. Et la
France ose donner des leçons de démocratie à certains pays – en général, mais
jamais en particulier. Les répliques du tac-au-tac du genre de celles de
Khadafi en Octobre 2007 – qu’on l’aime ou pas – ne manqueraient pas. Le
financement de certaines campagnes électorales françaises par le pétrole
irakien ou par des rétro-commissions sur commandes militaires pakistanaises, ne
permet pas non plus des leçons d’exemple. De repentances publiques :
aucune sur aucun de ces sujets ; au contraire, notre persévérance dans
tous les domaines du cynisme.
Une parole publique – surtout si elle est de commande
et de circonstances : Algérie, Rwanda – ne vaut que dite par quelqu’un et
par quelqu’un d’exemplaire, aux antécédents constatés d’honnêteté
intellectuelle et de constance politique. Quand elle doit passer pour celle
d’un pays, d’un peuple, d’un Etat, quand elle implique une pensée et un
comportement de beaucoup à modifier, il faut que cette parole ait été précédée
de forts exercices nationaux de retour aux sources. La maïeutique gaullienne,
la pédagogie mendèsiste, l’énergie clemenciste, la remise en ordre
napoléonienne. La faute majeure du quinquennat en cours – outre notre
consentement à ce que le mandat présidentiel ait été abrégé et que la
prérogative présidentielle ne soit plus sanctionnée par sa responsabilité
populaire (démissionner quand la dissolution ne produit pas la majorité
parlementaire souhaitée, démissionnaire quand le referendum est négatif) – est
bien de faire croire aux Français que tout a commencé, y compris notre libre
examen et la chasse aux tabous il y a seulement trente-deux mois, et qu’un seul
homme est apte à nous faire réfléchir et changer. Ni la démocratie ni
l’histoire… ne nous sont plus présents. Or, c’est celui-là qui parle. Rupture
avec lui-même ?
Conclusions.
1° de repentance que pour les effets de nos
comportements contemporains et à charge pour nous d’éradiquer en nous et chez
nous ce qu’à l’expérience du passé, nous sommes capables, tristement, par
omission ou activement, de faire ou laisser faire.
Dans l’espèce algérienne – l’intégration, manquée par
racisme ou égoisme, doit nous enseigner que sur notre propre sol, les racines
de ce racisme et de cet égoisme survivent tellement qu’une politique d’Etat
peut se fonder là-dessus de manière à conforter électoralement ceux qui la
décident. Cette éradication faite ou pourchassée, nous pourrons alors réfléchir
sereinement et légitimement sur l’immigrationn, l’accueil, l’asile politique,
les flux de main d’œuvre, les rassemblements familiaux, les mixités multiples
de couple et de convivialité. Qualifier rétrospectivement – et sans frais de
part et d’autres – le système politique et économique d’antan évacue les questions difficiles
d’aujourd’hui, voire les éphémérides qui ne nous grandissent pas : les
réactions irréfléchies au referendum suisse sur les minarets ou l’invincibilité
électorale apparente du président de la région Languedoc-Roussillon.
Dans l’espèce rwandaise – la liaison pratique entre le
terrain, connu par nos diplomates et par nos militaires, et les instances de
délibération et de décision à Paris. J’ai vêcu, à titre personnel, en arpentant
la Yougoslavie au début de la guerre qui porte son nom, et qui n’est pas
lointaine dans le temps, et en rencontrant des dirigeants de toutes les
indépendances émergentes, le refus de voir, notamment au Quai d’Orsay.
Aveuglement ? non : volonté.
2° du passé, les leçons humaines, mais de
condamnations que selon des juridictions établies. Encouragement donc à un
ordre international moral sans cesse à perfectionner puisque la criminalité des
groupes ou à caractère étatique se perfectionne techniquement avec constance.
Un ordre qui dépend d’une gouvernance mondiale encore à vraiment ériger et
d’une démocratie délibérative mondiale à totalement inventer. Les sanctions et
recours à la force prévus par la Charte des Nations Unies et l’organigramme des
traités inter-étatiques qui devraient tous se référer à cette société mondiale,
auraient une légitimité qu’actuellement beaucoup d’actions internationales –
même et surtout en coalition n’ont pas (évidence irakienne). La lumière sur le
fond et la pression sur les dirigeants ne peuvent venir que d’une conscience universelle – latente –
mais qui n’a pas son expression tant le peuple mondial et tant les peuples
nationaux sont peu sollicités et peu écoutés par des gouvernants qui préfèrent
de beaucoup les sondages, les audits et leur propre perpétuation … ces
embrassades entre professionnels de la chefferie des Etats…. Leur
autojustification. La communauté des chefs d’Etat, de gouvernement, de grandes
entreprises ou banques, le club de Davos, la « trilatérale » antan,
les commentateurs et éditorialistes en vue d’un côté ou d’un bord, et de
l’autre les peuples, tant de personnes qui ne sont considérés qu’en
statistiques. Celle déjà des massacrés. Je préfère l’ancienne expression des
XVIIIème et XIXème siècles : conscience universelle, à celle
d’aujourd’hui : communauté internationale. Cette dernière – expérience des
vingt dernières années depuis que la chance ouverte à tous par la « chute
du mur » et l’implosion soviétique – est une litote pour la formule :
tous contre un (la Serbie, l’Irak…), c’est plus efficace. Les grandes autorités
religieuses, à commencer par le Vatican ne savent pas se coaliser pour crier la
morale et le droit, d’une même voix quoique chacune dans sa langue et selon son
savoir de l’être humain ; elles sont trop complaisantes, en Islam
vis-à-vis des dictatures, en chrétienté (Benoît XVI vis-à-vis de Nicolas
Sarkozy) pour tant de cynisme, d’attentat à la morale familiale et à la dignité
de l’homme.
3° nous ne sommes coupables que du présent, nous ne
répondons que de nos dettes, mais – au présent – nous avons à évaluer le passé,
à y discerner pas tant la turpitude ou l’erreur que ce qui annonce déjà la
conscience morale, et – le cas échéant – à honorer et promouvoir les gens
d’honneur et de discernement qui surent crier ces annonces. En politique,
exemplairement, de Gaulle en Juin 1940 et en Juin 1967. Face au nazisme, Edith
Stein, maintenant célèbre et canonisée à juste titre, mais les travaux décisifs
pour une identification juridique et sociologique de René Capitant.
Coincidence, la première : contemplative d’exception, le second :
chantre de l’association capital-travail et en fait de l’abolition du salariat.
Ces associations aujourd’hui de solidarité avec les sans-papiers et celle qui
défend, pour son efficacité, unicité et exclusivité en matière de camps de
rétention, sauvent l’honneur français, comme aux premières heures de
l’Occupation, il y eût chez nous ceux qui prirent date.
Plutôt qu’un échange de lettres entre ministres
français et algérien, j’aurai préféré un dialogue dans le secret et l’amitié de
ces deux hommes pendant quelques jours, pourquoi pas à Tibeïrine, si l’on
cherche à frapper les imaginations. Ce
genre de silence et de non-communiqué eût parlé. Plutôt que quelques
minutes devant des photos. ou des monuments à la mémoire statistique des
victimes, j’aurai aimé des conversations, avec seulement un preneur de notes
entre les deux chefs d’Etat, préparant pour toute la communauté des Grands Lacs
une rencontre avec les autres, afin de trouver ensemble quelque chose… qui soit
développement, sécurité, investissement : détente, entente et coopération
selon le prophète français.
Avec mon attaché militaire, nous érigeâmes dans la
steppe kazakhe en plein cimetière de goulag, au sud de Karaganda, un 8 Mai 1994
[1], une
stèle à la mémoire de 135 « malgré-nous » : « à ceux de ses
fils, morts si loin d’elle, la France dit qu’elle ne les oublie pas ». Le
monument fut jugé politiquement incorrect par un de mes très lointains
successeurs ; comme le président de la République allait venir en visite
officielle, cest-à-dire quelques heures le temps de la photo, des commandes à
grands contrats et d’une conférence de presse, je sécurisai le mémorial en
publiant les listes de nos compatriotes – telles que j’avais pu en avoir
connaissance et les photos. de cet hommage – dans le premier journal quotidien
d’Alsace. Ils sont désormais –mémoire et monument – intouchables. Mes
instructions stipulaient pourtant de cultiver les lieux de mémoire :
l’initiative dont j’avais à plusieurs reprises mois et semaines à l’avance, mes
autorités parisiennes, me fut reproché avec insistance et négativement porté à
mon dossier (déjà lourd). Quant aux frais avancés par mon ami et par moi, ils
sont restés de notre poche… – pour l’honneur, c’est peu déboursé : nous
avons représenté la France et non le ministère des Affaires étrangères,
rédacteur numéro tant pour signature d’un hiérarque du moment.
Application… à ce pays qui m’est cher. Elle vaut
conclusions de portée plus générale que les éphémérides français.
Deux taches intensément sombres et sanglantes dans le
passé récent de la République Islamique de Mauritanie. Des massacres, sans
procès, à l’insu-même du conseil des ministres, de militaires d’une ethnie par
d’autres sur ordre d’une autre ethnie. Liste et matricules sont connus. Plus
emblématiques encore : les pendaisons, pour le trentième anniversaire de
l’indépendance nationale, de quelques-uns de ces compatriotes originaires de la
vallée du Fleuve. Le père-fondateur ne disait jamais, n’eût pas même
conçu : nnégrio-africains ou négro-mauritaniens. Des mouroirs dans un
fortin dont précisément Moktar Ould Daddah inaugura la fonction
carcérale : Oualata, aux confins orientaux du pays. Des pogroms de part et
d’autre du fleuve Sénégal au printemps de 1989 en sorte que des migrations et
des déportations forcées, avec les spoliations qui vont avec, furent pratiquées
après de féroces chasses à l’homme à Nouakchott et à Nouadhibou. Les réfugiés
et le passif humanitaire, thème pendant depuis 1991, à la charge d’un militaire
qui a participé au pouvoir dès le premier putsch – celui de 1978 – puis l’a
exercé sans partage de la fin de 1984 à l’été de 2005. Election de celui-ci, truquée
un an après le discours mitterrandien de La Baule (en fait, inspiré par l’Abbé
Pierre, lui-même averti par le principal opposant guinéen) et félicitations par
le président de la République française. Venue officielle de Jacques Chirac
accompagné d’Hubert Védrine et surtout de Pierre Messmer – un ancien du
« Territoire », quelques semaines avant une réélection boycottée à
l’automne de 1997 par toute l’opposition mauritanienne. Quant au soutien de
l’Elysée – contre le Quai d’Orsay et l’Union européenne – accordé selon des
introductions vénales, au putschiste de 2008, il est connu.
Les Mauritaniens – qui, malgré leurs dictatures
successives, restent tellement en paix entre eux qu’un ancien esclave affranchi
eut des chances d’être élu président de leur République en Juillet dernier –
ont à traiter ces deux plaies. Cas exemplaire où les coupables ne sont pas une
collectivité étrangère en condamnant ou en excusant une autre, ne sont pas des
personnes aussi mortes que leurs victimes : ces coupables peuvent se
trouver, s’extrader, s’eexpliquer, être condamnées. Il se trouve que le
putschiste légitimé par un scrutin dont la communauté internationale se
contente plus que les électeurs nationaux, a été de la mouvance de ces
coupables, sinon coupable direct. Les investigations peuvent donc être
mouvementées et veillées par lui, en parfaite connaissance de cause. Cela pour
le passif humanitaire. Quant à la question des réfugiés, ce ne sont évidemment
pas les pustchistes de 2005 – rouvrant un espace à la légitimité – ou de 2008 –
le fermant – qui peuvent y répondre. Précisément, le président élu
démocratiquement en Mars 2007 avait convenu de tout avec le Sénégal et avec le
Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Il n’y a plus qu’à
faire, ce qui était commencé.
Les deux drames se traitent en droit et en fait. Ils
sont le vrai travail d’une mémoire qui dirige les consciences, qui a le pas sur
les gouvernements et leur successivité. Critère de maturité nationale.
Transposons : le Darfour, la Birmanie … par
exemple… les génocides en Yougoslavie, si ce doit être autre chose qu’une
traque de quelques-uns, presque romanesque… en Amérique latine, si ce doit être
autre chose que l’attribution d’un prix Nobel à la militante infatigable… sœur
de la Birmane, et toutes deux à rejoindre par l’admirable ouïgoure. Bien
entendu, cette Chine, tant redoutée que chacun la pelote, ne serait pas en 2010
à tenir par son grand marché de consommateurs la planète en haleine, pour
impunément, à l’instar des Etats-Unis, se faire ses stocks stratégiques de
matières premières, si les Jeux Olympiques à Pékin, avaient été boycottés. Le
Tibet et l’honneur de notre génération y auraient gagné. La France de Bernard
Kouchner, signataire de la lettre algérienne, et de Nicolas Sarkozy, le
repentant de Kigali, se sont fendus d’un communiqué franco-chinois à l’automne
dernier interdisant à l’avance à Paris de toute reconnaissance d’une
déclaration tibétaine indépendantiste.
Car la différence entre la repentance de Jean Paul II
– à propos de l’Inquisition – et celles des actuels dirigeants français – à
Kigali, Alger ou ailleurs, c’est que le pape polonais faisait intimement sien ce qu’il disait :
cela crevait les yeux, les tympans, le coeur. Chef de l’Eglise – celle-ci
infaillible et de fondation divine – il avait honte personnellement, vraiment de
certains actes et errements. Il les prenait à son compte et en demeura ployé. Il
y a vingt ans, arrivant à Dakar, lèvres au sol, il murmura en prière, pas pour
les micros, mais il y en eut un et toute l’Afrique le sut : pourquoi tant de mal, pourquoi tant de
malheurs ? Eli, Eli, lamma sabactani ? Bernard Kouchner et
Nicolas Sarkozy disent des regrets et profèrent des anathèmes, en sorte de se
hausser eux-mêmes hors du lot qu’ils trouvent médiocre de leurs prédécesseurs
respectifs, n’est-ce pas ? Cette gloire douteuse aux frais propres de son
pays.
Bertrand Fessard de Foucault
. 27 Février 2010
[1] - extrait de mon journal
Moment
de grande beauté et d'intense émotion. Au virage en montée de la route allant
de Karaganda à Almaty, kilomètre 30, sur la gauche, une plaine qui s'élève un
peu et que rien ne distingue vu de la steppe sinon qu'elle fait vis-à-vis d'une
petite garnison entretenant des véhiclules blindés légers. Là sont enterrés,
Dieu sait comment... depuis 1945-1950 des prisonniers de guerre qu'on a exténué
de travail et de mauvais traitements. La liste depuis Décembre nous dit - pour
les Français - qu'il s'agit de "malgré nous". Je suis là cinquante
ans après leur arrivée de force. Le Colonel B. m'a accompagné, réticent mais
discipliné, sans uniforme : il finance avec moi. Et sans lui, je n’aurais
jamais pénétré pour cela le milieu militaire. Il assure. Sa femme nous
accompagne. Avant-hier soir encore, nous n'étions pas sûrs d'avoir les
autorités militaires et la musique. Dans la plaine, ils sont là, quelques
parachutistes à uniforme sable foncé à facies japonais, mitraillettes à la
hanche, la musique plus bavaroise. Nos couleurs enserrent une stèle de
magnifique proportion, bloc de granit à la silhouette de menhir, terre battue
de vant. Je suis ému aux larmes. Comme si souvent, je sais, et maintenant
éprouve que la volonté d'un homme peut écrire l'Histoire. Depuis avant-hier
soir, mon instance a triomphé de tout et fait réfléchir : les toasts et
conversations - presque toujours trop louangeurs à mon endroit - montrent qu'on
accepte de réfléchir aux souffrances, aux désastres humains de la guerre et pas
seulement à la "victoire". Même "mes" prêtres sont là :
l'abbé Dumoulin, pas 35 ans, qui de Monaco dont il est suffragant vient tous
les ans un mois ou deux à Karaganda et qui va diriger le séminaire du diocèse
d'Asie centrale, et le vicaire général allemand de "Berlin" [1],
qui, il y a quinze jours, avaient initié la danse pour qu'on ne nous y allions
pas. Ce sont des SS nous susurrait-on... Peut-être, et alors ? ce que je
condamne ici, c'est le totalitarisme : celui des nazis ayant conduit à ces
aberrations, à ces enrôlements, à ces lois aveugles ou à ces embrigadements,
celui de Staline sinon du communisme dont certainement les camps furent encore
plus abominables que ceux de l'Allemagne hitlérienne, si c'est possible. J'en
ai écrit le communiqué de presse, je m'en suis expliqué mardi après-midi avec
un de mes journalistes affidés celui d'ASIA, croyant à des protestations comme
à Saratov ou à Volgograd, et depuis avant-hier systématiquement j'ai développé
le pourquoi de mon geste. Ce matin, tout est parfait ; le temps est avec nous,
je suis ému et – je crois, confirmation video – beau. Je suis la France, je parle lentement
et très fort, il n'y a que le vent pour s'opposer, je dis simplement que : texte
. Le drapeau tombe comme j'avance à la stèle, c'est très beau. DUMOULIN lit
l'épitre aux Corinthiens, nous récitons le Notre-Père, le silence, les hymnes,
les mitrailletes. Plus tard, nous parcourons la plaine, il y a des tombes
encore visibles, sable et cailloux perçant l'herbe, senteurs de la steppe, fils
de fer barbebé, assemblages usés de bois qui ne font pas une croix, mais
quelque chose de plus proche de la pancarte, quoique sans nom ni matricule, un
petit monument lithuanien de 1957, les Finnois auraient voulu venir bien
auparavant, les Japonais ont fait quelque chose plus récemment, il y aura les
Italiens. Nous marchons, dispersés. Je ne pense plus à rien, j'avais les larmes
aux yeux. J'ai fait ce que je voulais, et je le voulais parce que j'étais
fortement inspiré. Des Français morts ici, totalement oubliés, si loin, si
loin, et maintenant nous sommes là...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire