Compte rendu de la réunion du CNR du 11 octobre 2011
Audition de Josselin de ROHAN, ancien Président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat
« Enjeux de Défense en temps de crise »
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, adopté en 2008, prévoyait qu'il fallait faire un point sur sa pertinence, 4 ans après son adoption. Quatre groupes de travail ont été mis en place afin de mettre à jour le Livre blanc. Aucun parlementaire n'a été associé à ce travail.
La question posée est de savoir quelle adaptations il convient d'apporter à la mise à jour du Livre blanc.
I- La crise
La crise affecte indéniablement nos finances publiques à travers un endettement préoccupant et un important déficit de la balance commerciale. Il convient de s'attaquer à ce déficit.
La Défense a été affectée par ces réductions programmées et trois milliards d'euros ont été soustraits dès la première année.
La crise entraîne désormais de nouvelles restrictions.
Mais comment faire pour qu'elles n'affectent pas l'ossature de notre Défense ?
II- Abandon de l'esprit de défense des Européens
A ce sujet, il suffit de se référer aux propos du Secrétaire général de la défense américain qui a lancé un avertissement aux Européens, leur laissant clairement entendre que l'Europe n'est plus prioritaire aux yeux des Américains. A l'Europe, ils ont proposé une Défense clé en main.
Ou bien l'Europe consacrera les sommes nécessaire à la Défense ou bien les Etats-Unis cesseront de garantir cette Défense.
Aussi, comment garantir un outil de Défense crédible? Que faut-il préserver à tout prix?
· Les objectifs sur la période 2008-2014 portent sur 187 milliards d'€.
On peut s'interroger en période de crise car le budget de la Défense a toujours été la variable d'ajustement.
· Quel effort de défense dans la crise?
Si on consacre moins de 32 milliards par an (hors pensions), il existe un vrai risque d'obsolescence et de démantèlement des capacités opérationnelles.
On estime qu'en volume les dépenses seront maintenues à 32 milliards.
Pour quelle ossature dans le budget?
- maintenir en volume les dépenses jusqu'en 2012 puis augmenter d'1% par an pour permettre de ramener les équipements à niveau; nos sous-marins ont 25 ans, les blindés plus de 28 ans. C'est une absolue nécessité.
- affecter les économies effectuées grâce aux RGPP (révision générale des politiques publiques)
- l'équilibre devait être assuré par des recettes exceptionnelles tirées de la vente de bâtiments. Avec la crise, ces objectifs ne seront pas tenus.
Un grand retard a été pris entre 1997 et 2008, retard que l'on ne peut désormais encore accumuler sans risque réel sur notre équipement.
· Faut-il faire des économies sur les opérations extérieures ?
Les OPEX coûtent environ un milliard d'euros par an.. L'idéal, comme le prône également Jacques Myard, serait de créer une ligne spéciale pour des financements hors budget de la Défense.
Il est indéniable que l'opération en Libye aura un impact, de même en Côte d'Ivoire.
Il faut maintenir des forces prépositionnées en Afrique. Des actions en Somalie contre la piraterie engagent nos forces.
Au Liban, nos forces sont engagées dans le cadre de l'ONU (maintien de la paix au Proche-Orient).
L'OPEX majeure se concentre en Afghanistan. Quand les Américains se retireront définitivement, il faudra aussi partir de ce théâtre d'opérations.
· Réduire les effectifs dans l'armée?
- dans la marine, les effectifs ont déjà été réduits
- dans l'armée de l'air, il y a déjà eu quelques fermetures
- dans l'armée de terre, 19 régiments vont être supprimés.
L'armée de terre sera très fortement réduite en effectifs, avec une suppression de près de 54000 postes.
· Faut-il sacrifier des emplois? Faut-il envisager des suppressions d'escadrons de rafales, ou de la composante de la dissuasion nucléaire?
On peut être inquiet des retards sur objectifs du Livre blanc : le satellite Helios arrive désormais en fin de vie alors que le programme européen satellitaire n'est pas encore opérationnel. Le risque d'un trou capacitaire est réel. Ce déficit existe déjà en matière d'hélicoptère, comme en matière de drones. Faut-il passer à l'achat de drones américains en attendant la fourniture des drones de Dassault qui sortiront à moyen terme? Il convient de remarquer que sans les drones américains, nous aurions été aveugles dans les opérations en Libye.
· Faut-il chercher un effet communautaire?
L'accord franco-britannique de novembre 2010 a introduit le très important concept de dépendance mutuelle: on a recours au partenaire pour le matériel dont on a besoin et réciproquement.
Des coopérations ont été instituées dans le domaine atomique (entretien de têtes nucléaires); structures communes de maintenance de l'A400M; exercices communs d'états majors, force d'intervention parachutiste commune.
Ne faut-il pas chercher une mutualisation plus poussée?
Le Triangle de Weimar regroupe la France, la Pologne et l''Allemagne.
La difficulté avec l'Allemagne est qu'elle n'a pas de réelle volonté de défense, alors qu'elle dispose de grandes capacités financières. Seuls les Britanniques consacrent environ 2% de son PIB à la Défense. Contrairement à la France et à la Grande-Bretagne, l'Allemagne a renoncé au nucléaire.
Cela illustre bien la difficulté qu'il y a de mutualiser avec des partenaires qui n'ont pas les mêmes conceptions que vous.
Quant à la PESC dans le traité de Lisbonne, elle ne mène nulle part.
· Que faire?
Il faut maintenir que notre Défense est nationale et que l'on ne peut pas déléguer à d'autres notre Défense, notamment à l'OTAN.
Il faut y consacrer les sommes nécessaires et maintenir la dissuasion. La dissuasion reste utile, on l'a vu vis-à-vis de l'Iran.
Il faut veiller à ne pas être dépassé en matière d'armement, à ce que notre industrie soit toujours associée aux briques technologiques.
Un rapport du Sénat de juin 2011fait clairement ressortir que la France doit se doter d'un système de commandement antimissile, même si l'effort financier est réel.
Nous devons conserver une base industrielle de Défense solide avec des bureaux d'étude. Si faute de crédits on arrive à des fermetures, s'en sera fini de notre indépendance nationale.
Il faut donc initier des coopérations fortes avec d'autres Etats, en Europe ou ailleurs (Brésil, par exemple).
Pour conclure, il nous faut conserver une Défense crédible. Sans Défense, notre pays ne comptera plus!
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Débat avec l’assistance
Après avoir remercié chaleureusement le Président Josselin de Rohan pour son brillant exposé, Jacques Myard passe la parole à l'assistance.
Le Général Maurin soulève d'abord le problème des délais de conception, comme dans le cas du Rafale et de la coopération en Europe. Enfin, lors des missions extérieures, le problème de la définition des missions (exemple de la FINUL au Liban).
Josselin de Rohan estime que le Rafale a été victime des décalages de lois de programmation. Par ailleurs, faute de prospects d'exportation, on ne produit que 11 rafales par an. Or, c'est un avion qui a prouvé -en Libye- ses grandes qualités de polyvalence : avec le Rafale, on a un avion qui en remplace deux. A défaut de succès commercial, c'est un vrai succès technique.
CLa France a tout intérêt à apparaître avec la FINUL dans la région, c'est une dissuasion vis-à-vis du Hezbollah.
Henri Fouquereau estime que si l'on parle d'indépendance nationale, la question du deuxième porte-avion est posée.
Pour Josselin de Rohan, il est vrai qu'avoir un seul porte-avion est contestable, cependant, nous n'avons pas du tout les moyens d'en avoir un deuxième! Il faut que les Français et les Anglais s'associent sur une force d'intervention navale commune.
Xavier Larretgère s'interroge sur le recrutement dans l'armée. N'y a t-il pas un problème lié à l'éventualité d'une double allégeance?
Josselin de Rohan récuse fortement un risque quelconque à ce niveau. Au contraire, les soldats ont prouvé leur parfaite loyauté et un sens de la mission. La question qui se pose est davantage celle de savoir qui l'on va garder dans l'armée en vue de carrières longues.
Les porte-hélicoptères ont montré leur intérêt lors des dernières opérations commente Jacques Myard.
Josselin de Rohan indique que les Russes utilisent ce type de navire.
Pour l'Amiral Gohlinger, le problème est économique et il y a fort à penser que le second porte-avion n'est pas près d'être construit. Les Britanniques renoncent-ils également?
Le Président de Rohan indique que deux sont en prévision de construction.
Il faut absolument que ces bâtiments soient avec catapulte et bras d'arrêt pour être inter opérables avec le Charles de Gaulle précise l'Amiral Gohlinger. Par ailleurs, mettre de l'argent dans les missiles balistiques, c'est un peu gaspiller notre argent qu'il vaut mieux placer ailleurs.
L'OTAN a décidé de ce programme antimissile, aussi est-il de notre intérêt de faire participer notre industrie afin que ce programme ne soit pas systématiquement américain rétorque Josselin de Rohan.
Alain Kremer dresse l'amer constat que l'Europe, en raison des transferts de technologie, est en train de se désindustrialiser.
Pour Josselin de Rohan, il faut revoir les notions de mutualisation et de mise en commun sous peine de perdre des compétences. Les marines française et britannique doivent se rapprocher.
L'Ambassadeur Salon soulève le risque d'une moindre allégeance de la troupe qui n'existe pas pour l'encadrement.
Pour Josselin de Rohan, le risque de voir une moindre allégeance à la France en raison de la réintégration de la France dans l'OTAN n'a pas de fondement. Le Président de Rohan précise qu'il a été rapporteur du Projet de loi de la réintégration de la France dans l'OTAN. On peut d'ailleurs noter que l'exécution des opérations ont entièrement été maîtrisées sous commandement français. La réintégration n'affecte donc en rien notre autonomie.
Olivier Gohin continue de s'interroger sur le fait de savoir si le porte-avion est réellement hors du budget de la France. Par ailleurs, dans le coût, n'est-ce pas la propulsion nucléaire qui est si chère?
N'y a t-il pas de contradiction entre la thématique de l'indépendance et la thématique de la dépendance dans la coopération? Jusqu'où et comment organiser notre relation privilégiée avec le Royaume-Uni?
La dépendance mutuelle est assez récente commente le Président de Rohan, car nous savons que les Britanniques sont attachés à l'alliance atlantique et à leur relation privilégiée avec les Etats-Unis. L'idée d'une dépendance mutuelle vise à renoncer à un doublonnement dans certains cas.
Jacques Myard fait remarquer que le Traité franco-britannique concerne surtout la recherche. Par ailleurs, il faut constater que l'on a mis des cadres dans la structure OTAN qui vont nous manquer.
Le Président de Rohan acquiesce tout en constatant que l'OTAN a réduit la voilure.
Le Professeur Gohin souhaite revenir à la question du coût du porte-avion.
Ce n'est pas tant la propulsion nucléaire qui serait chère, que le coût global de 3 milliards à la construction qui serait insupportable pour nos finances. Josselin de Rohan fait remarquer que le 2è bâtiment n'était de toute façon pas prévu pour être nucléaire.
Alain Kremer renchérit en pointant que bien évidemment, en raison de l'inquiétude de la population à Toulon face au nucléaire et de l'impossibilité d'accoster, le 2ème porte-avion n'aurait pas pu être nucléaire.
Le Général Maurin insiste sur l'importance d'avoir une capacité de renseignement.
C'est effectivement une nécessité que de savoir et donc d'avoir un régime satellitaire estiment Josselin de Rohan et Jacques Myard. Jacques Myard poursuit en estimant que l'on est face à un problème de coût, mais il faut absolument éviter que la Défense soit la variable d'ajustement dans le budget.
Pour cela, il faut que la BCE consente des avances directes aux Etats en matière d'investissement, ce qui permettrait de relancer la machine économique.
Le Professeur Vesperini fait remarquer que le renflouement de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal coûtent près de 40 milliards. C'est donc qu'il faut inverser le raisonnement, et que la Défense ne doit plus être la variable d'ajustement.
Nicolas Sarkozy a fait le choix que le budget de la Défense ne soit pas trop lourdement impacté par le Livre blanc. Mais la détérioration de nos finances risque désormais d'impacter lourdement ce budget. On se souvient que la période de Lionel Jospin avait été désastreuse, le risque existe en cas d'alternance en 2012 craint Josselin de Rohan.
Jacques Myard ajoute que pour le Président de la République, une petite Défense équivaut à une petite diplomatie, aussi est-il nécessaire de conserver notre rang.
Alain Kremer remarque que l'armée grecque est surdimensionnée.
Eric Pourcel déplore que l'Europe se soit construite avec la Commission et la Cour de Justice.
Les directives supplantent la loi nationale. Cela aura un impact direct sur les marchés de la Défense:
-en terme de réciprocité : il y aura prochainement une législation européenne sur la classification
-du point de vue des mécanismes : il y aura concurrence entre opérateurs européens et opérateurs tiers, or, l'OMC ne prévoit nullement que les marchés d'armement soient soumis à concurrence.
-la coopération existe (par exemple, l'OCCAR), mais pas le mécanisme fédéral.
Pourquoi une directive alors qu'il y a nécessité de plus d'argent et de plus de coopération?
On constate une naïveté des politiques face à l'idée européenne. Quid d'une Défense européenne?
Josselin de Rohan confirme qu'il n'existe pas de Défense européenne et que pour la plupart de nos partenaires, c'est l'OTAN. Tant qu'il y aura l'OTAN, il n'y aura pas de conception européenne de la Défense.
Jacques Myard conclut qu'il y a une grande naïveté à laisser entrer dans les marchés publics des faux-nez américains.
La Défense est toujours nationale, on ne saurait laisser à d'autres le soin de notre propre défense.
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